Marc Silberstein

COLISCIENCES

Biologistes et naturalistes au xixe siècle : ressources en ligne

Genèse et développements

Note : Ce texte est un canevas servant de support à la présentation du site, lors du colloque. Certains aspects, évoqués ici, pourront être alors développés.

 

En 1999, devant le constat d'une quasi absence de ressources en ligne offrant des corpus francophones traitant de sciences - alors que les sites de ressources textuelles en littérature sont fort nombreux -, nous avons conçu un projet visant à proposer un COrpus de LIttérature Scientifique de langue française (Colis) - en l'occurrence, la biologie. Sous l'impulsion de Georges Vignaux (directeur du Laboratoire Communication et Politique, CNRS, UPR 36) un site prototype fut alors élaboré, consacré à un ouvrage de Claude Bernard, l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (IEME). Cette étape permit (i) de dresser l'inventaire des diverses difficultés pratiques (éditoriales et informatiques) qui accompagnent tout développement d'un projet de ce type ; (ii) de mettre en œuvre les idées théoriques sur l'hypertextualité produites au sein du LCP.

Des logiciels, des interfaces utilisateurs, des modes d'accès aux textes, etc., furent évalués, ce qui nous autorise maintenant à pérenniser des choix technologiques précis (XML pour les textes en ligne, logiciels libres [Apache comme serveur Web, php comme langage de scripts et mySQL comme base de données] pour l'environnement informatique, etc.), grâce auxquels nous développons depuis quelques mois le programme Colisciences (extension de Colis).


Colisciences répond à trois objectifs :

  • Se donner les moyens de l'édition en ligne de collections d'auteurs biologistes et naturalistes du xixe siècle, en langue française, et par là valoriser un patrimoine historique et un moment exceptionnel de l'histoire des sciences et de la pensée ;

  • prendre ce corpus inédit comme base de réflexion sur la question scientifique de la nature de l'hypertextualité : processus, parcours, liens, lectures, navigations ;

  • contribuer, ce faisant, aux travaux sur l'histoire des idées dans ce contexte précis du développement et de la consolidation d'une science moderne du vivant.


    De ces trois objectifs résultent plusieurs axes de travail :

    * la constitution d'un corpus raisonné et annoté, permettant la mise en valeur scientifique et patrimoniale de certains états de la pensée au sein d'un domaine - la biologie - constamment traversé par des controverses et des innovations méthodologiques et conceptuelles - d'où la préoccupation historique et épistémologique ;

    ** la prise en compte de la spécificité de l'hypertextualisation quand il s'agit de tester sa pertinence comme outil pour aborder les questions de la “ navigation ” dans une masse documentaire particulièrement étendue et diverse ;

    *** le questionnement sur les processus d'acquisition de connaissances via ce dispositif particulier.

    Concrètement, nous allons mettre en ligne fin mai 2002, près de 5 000 pages empruntées à des éditions originales des textes de Claude Bernard, Étienne et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Armand de Quatrefages, etc. Par la suite, nous nous donnons notamment pour but de proposer, toujours en accès libre, une édition complète des livres de Claude Bernard (une quinzaine de titres), plus une sélection de ses articles, soit environ 5 000 pages supplémentaires.

    Chaque auteur est présenté grâce à : une courte notice biographique, une bibliographie de et sur l'auteur, une présentation ou réflexion sur ses travaux et leur portée.


    Ce corpus sera entièrement inter-relié, via les notions clés, en tant qu'elles sont des “ moteurs sémantiques ” permettant de suivre les usages et les transformations du vocabulaire scientifique et philosophique (à vocation cognitive), au sein des différentes représentations du vivant. (Ainsi, 30 notions ont été repérées dans l'IEME, telles que, par exemple : vie, méthode expérimentale, physiologie, raisonnement, etc.) Ce ne seront donc pas seulement des textes “ bruts ” qui sont ainsi rendus disponibles, mais des parcours d'exploration et de lecture qui seront proposés au travers de dispositifs de navigation permettant idéalement :

    - de trouver de la façon la plus économique en termes de temps et de “ charge mentale ” les informations souhaitées ou recherchées ;

    - de “ saisir ” les idées contenues dans ces textes par d'autres moyens que les lectures linéaires impliquées par le dispositif “ livre ” habituel.


    Colisciences : un outil pour la prise en compte de l'“ histoire des idées ”


    En donnant ainsi à lire un corpus de ce type, le site Colisciences met à disposition un ensemble structuré de textes-sources et de textes-commentaires. Nous privilégions donc le rapport permanent entre les écrits des biologistes du xixe siècle contenus dans la base textuelle et des “ aides ” à la saisie du sens, telles que le “ glossaire ” et les “ notions ”.

    Les textes sont dotés d'une “ aide à la lecture ”, classique dans sa forme et dans son usage, mais impérative quand il s'agit de permettre au lecteur non-expert un accès “ cognitif ” qui ne soit pas rebutant, risque constant en raison de la difficulté même des lexiques engagés par de tels domaines de connaissance. Ainsi, nous réalisons un glossaire des termes scientifiques et techniques qui s'enrichit en fonction de l'ajout de nouveaux textes (229 termes d'ores et déjà définis, extraits de l'IEME), glossaire auquel l'internaute peut recourir en cours de lecture. Le lecteur peut, grâce à de courtes définitions, saisir le sens usuel et/ou circonstanciel de tel ou tel terme exigeant un éclairage spécifique. Ce qui est privilégié ici, c'est la possibilité d'une lecture le plus possible circonscrite à l'intérieur du site, sans la nécessité fastidieuse de recourir à des dictionnaires externes.

    Les “ notions ”, quant à elles, sont des termes clés qui condensent la nature problématique des différentes parties d'un texte-source. Outre leur rôle particulier dans l'optique d'une hypertextualisation du corpus qui s'appuierait sur elles pour en appréhender la trame conceptuelle, ces notions font également l'objet d'articles rédigés par l'équipe du LCP. De la sorte, à partir du corpus-source, on déploie un ensemble d'articles dont la vocation est d'expliciter ces notions, en tant qu'elles signalent des moments spécifiques ou permanents de l'institution d'un domaine, d'un questionnement théorique, ou de controverses, etc., à l'intérieur des sciences de la vie.


    Dans la perspective d'une lecture de la portée sémantique du corpus en question, on distingue donc : i) au niveau lexical, le glossaire et ii) au niveau des idées, les “ notions ” constituées en noyaux générateurs de significations plurivoques. Une des premières “ leçons ” que l'on peut tirer de l'examen d'un corpus scientifique portant sur des auteurs et des sous-domaines variés - mais concourant à l'élaboration d'un domaine scientifique de grande ampleur et tout de même unifié - est bien de montrer que l'abord d'une science, surtout dans une perspective historique, passe par l'exploration des champs sémantiques qu'exhibe le corpus. C'est ainsi que nous reprendrons volontiers à notre compte cette citation de Jean-Toussaint Desanti : “ […] briser l'apparente stabilité des noyaux sémantiques immobiles, bref détruire les catégories reçues, tel devrait être pour commencer la tâche d'une “épistémologie” scientifique. […] Or, “détruire” veut dire ici “déchiffrer”. Isoler les champs d'interprétation reçus ; comprendre, autant qu'on le peut, la genèse de leur pouvoir de décision sémantique ; mesurer par là la portée des enchaînements de sens qu'ils permettent ; et une fois cette mesure prise, produire le discours rigoureux, qui, se déployant au plus près de l'activité scientifique, enchaîne et éclaire les motivations qui lui sont propres ” (La philosophie silencieuse, Seuil, 1975, p. 131).

    La dimension “ histoire des idées ”, ou “ histoire intellectuelle ”, prend son sens dans le cadre technologique de l'hypertexte Colisciences, puisqu'il s'agit, grâce à l'articulation des textes-sources et des notions, de tenter de rendre compte des rapports qu'entretiennent forcément, dans tout texte de littérature scientifique - a fortiori au xixe siècle… -, les aspects scientifiques et les aspects philosophiques, c'est-à-dire, en peu de mots, l'intrication des idées sur le monde, la nature, la pensée, etc. Notre propos n'est évidemment pas de faire une histoire des sciences (hors de notre domaine de compétences) au sens classique et attesté du terme, ou une histoire des idées stricto sensu, mais de contribuer à la mise en perspective de documents censés rendre compte de certains états des savoirs, à une époque donnée, à l'intérieur d'un ensemble de sciences interdépendantes quant à leur visée (les sciences du vivant), et de témoigner ainsi de la vertu de la mise à disposition électronique des documents.


    Marc Silberstein
    Paris, 24 avril 2002
    Laboratoire Communication et Politique CNRS, UPR 36 - 27, rue Damesme, F-75013 Paris tel : 33 (0)1 44 16 75 50 - fax : 33 (0)1 44 16 75 69 lcp@damesme.cnrs.fr Site actuel (sur Claude Bernard) : http://lcp.damesme.cnrs.fr/claude-bernard/default.htm Site en cours d'installation : http://www.colisciences.net


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