Invitation à la traversée de l’Atlantique |
C’est en 1841, plus de trois quarts de siècle
après la Conquête britannique
(1760), que paraît un premier recueil correctif, le Manuel des difficultés les plus communes de la langue française de
l’abbé Thomas Maguire, traduisant un souci normatif au Bas-Canada. De nombreux
érudits, motivés par un désir de conserver intacte la langue française au
Canada, s’évertueront à sa suite à compiler des listes de fautes spécifiques
aux Canadiens de l’époque sous la forme de petits manuels destinés à être
utilisés en classe. La publication de ces premiers recueils
marque le commencement d’une réflexion sur la question de
l’évaluation des canadianismes et contribue à faire naître chez les Canadiens
français une volonté d’affirmer leur différence linguistique par rapport à la
France dans des glossaires et dans des dictionnaires, volonté qui aura, au
Québec, des répercussions importantes jusqu’à l’aube du troisième millénaire.
Cette cyberprésentation vous propose de franchir, à travers un parcours historique imagé grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, la porte d’entrée de la lexicographie du français canadien afin de bien circonscrire la problématique du dictionnaire du français québécois dans son rapport avec la question de la norme lexicale. L’itinéraire tracé permettra de présenter les principaux critères d’évaluation lexicale qui ont marqué chacune des époques en question et d’en illustrer certains par des exemples culturels et littéraires documentés par Nathalie Bacon du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) sur le Web.
Gabrielle Saint-Yves,
chercheure au CIRAL à
l’Université Laval, propose ici aux internautes une visite guidée dans les
lieux de l’histoire de la lexicographie du français au
Canada. Le plan de route comprend 4 arrêts dans le temps: le
premier, 1841-1880 Premiers balbutiements: les puristes et les pédagogues; le
second, 1880-1930 Réorientation: le mouvement glossairiste; le troisième,
1930-1985 En transit: les derniers produits de la lexicographie
canadienne-française, et le quatrième, Depuis 1985: Émergence de la
lexicographie québécoise.
1841 – 1880 Premiers balbutiements: Les puristes et les pédagogues
La publication du Manuel des difficultés de Thomas Maguire en
1841 marque le début du mouvement puriste au Bas-Canada. Le contexte dans
lequel naîtront les premiers répertoires lexicaux est dominé par des luttes
sociales et idéologiques importantes faisant prévaloir un nationalisme
conservateur au plan des valeurs et de la langue (v. Yvan Lamonde 2000). C’est
durant les années 1841 à 1880 que la genèse de la réflexion normative sur le
lexique canadien commence à se développer, tout d’abord à partir d’une attitude
de rejet de la variété canadienne qui se manifeste dans les premiers lexiques,
eu égard à l’écart linguistique dont on commence à prendre conscience de façon
plus précise. Le grand nombre de ces publications sous la forme de manuels, de
recueils ou de dictionnaires est évocateur d’une quête qui sera limitée dans
cette première période à l’éradication de l’écart par rapport à l’usage
linguistique de la France.
Les lettrés
canadiens tendront à montrer que la langue parlée au Canada participe à la
grande langue française qui rayonne depuis Paris. Parmi leurs répertoires, il y
aura ceux dont la mission est exclusivement normative et puriste, souvent
manifeste par une attitude de dénigrement face à la variété de langue
commentée, soit ceux de Thomas Maguire
(1841), de Jules-Fabien Gingras
(1860), qui seront suivis de nombreux autres jusqu’à la fin du XXe siècle,
déjà en 1881 avec Joseph-Amable Manseau.
Ensuite, il y aura ceux dont la mission a un caractère plutôt didactique, soit Jean-Philippe Boucher-Belleville
(1855), Napoléon Caron
(1880) et, plus tard, Raoul Rinfret
(1896), Sylva Clapin (Inventaire de nos
fautes les plus usuelles contre le bon langage, 1913), et encore Étienne Blanchard
(1914-1945); leurs ouvrages sont des manuels de correction, mais écrits dans un
style plus neutre – approche différente, qui consiste plutôt à diffuser le bon
usage qu’à recenser des listes d’impropriétés.
En ce qui touche
de plus près l’évaluation lexicale, on ne trouve pas chez les puristes de
critères d’acceptation clairs pouvant s’appliquer aux particularismes
canadiens; il ne vient à l’idée d’aucun d’entre eux de prendre leur défense.
Par contre, les critères de rejet sont bien affirmés; ils concernent des
anglicismes (coffee, steam-boat) faisant double emploi avec
des termes français déjà existants ou des néologismes (poudrerie, traversier).
Ces compilateurs rejettent tout mot qui a changé de sens au Canada ou encore
qui ne respecte pas le génie de la langue. Sur le plan historique, sont mis à
l’écart les archaïsmes (barrer, ber) dont le sens ne correspond plus à
la nouvelle réalité ou qui ne sont tout simplement plus usités en France ainsi
que les termes de marine appliqués à des réalités terrestres (amarrer, embarquer). Sur le plan social, un particularisme non attesté dans
un dictionnaire français est refusé puisque son emploi ne se conforme pas à une
autorité officielle reconnue; dans certains cas, la volonté d’exclure empêche
les auteurs de procéder aux vérifications nécessaires, il s’en suit qu’on
écarte erronément des mots, par exemple celui de fringale, pourtant bien
attesté dans la 6e édition (1835) du Dictionnaire de l’Académie.
Contrairement aux puristes, pour qui le français du
Canada n’existerait qu’à travers ses écarts par rapport au français de
référence, les pédagogues reconnaissent
implicitement l’existence d’un français canadien, mais non pas d’un modèle
canadien comme tel. Sont ainsi écartés par le patriote
Boucher-Belleville les anglicismes, les archaïsmes et les mots de souche
populaire, dans le but d’enrichir la langue des paysans canadiens dont l’auteur
se préoccupe beaucoup dans ses divers écrits; on rencontre certains
canadianismes dans ses textes, ce qui indique bien que le groupe qu’il
représente n’oppose pas un refus systématique au français proprement canadien.
Pour l’abbé Caron sont exclus les vocables qui ne sont pas attestés dans un
dictionnaire français mais, plus tard, comme écrivain et en tant que
collaborateur au Supplément du
Dictionnaire des dictionnaires de Paul Guérin (1895), il récupérera des
canadianismes (aigrettes, fredoches)
qu’il avait d’abord repoussés (v. Josée Giroux 1991).
1880 – 1930 Réorientation: Le mouvement glossairiste
Puis le verbe, enfin, apparaît, le mot typique longtemps
cherché, sonore et musical dans le Midi, âpre et bref dans le Nord, et une
langue nouvelle, fidèle reflet de la nature ambiante, est maintenant formée,
qui roulera désormais son cours ininterrompu. Sylva Clapin, Dictionnaire canadien-français
(1894: XI)
La période qui
s’étend des années 1880 à 1930 voit s’effectuer un changement des mentalités
quant à la perception des canadianismes, s’opposant à la précédente par sa
quête identitaire exprimée à travers une apologie du français canadien (v.
Chantal Bouchard 1998). Cette époque est caractérisée par un tournant
important, puisqu’un faisceau de circonstances favorise la publication de
répertoires lexicographiques de conceptions diverses, traduisant des approches
variées quant aux particularités du français canadien, exposant tous les points
de vue quant à l’orientation de la norme et des critères d’évaluation. C’est
dans ce contexte de concurrence que paraît le Glossaire franco-canadien d’Oscar Dunn, lequel ouvre un chapitre
nouveau dans l’histoire de la lexicographie québécoise en inaugurant la
tradition des glossairistes. La publication, en 1894, du Dictionnaire canadien-français de Sylva Clapin, second ouvrage
d’importance issu de cette tradition, sera suivi en 1909, du Parler populaire des Canadiens
français de Narcisse-Eutrope Dionne, puis surtout, en 1930, du Glossaire du parler français
au Canada, dont les deux principaux rédacteurs sont Adjutor
Rivard et Louis-Philippe Geoffrion.
En se servant,
parmi les premiers, de l’attribut franco-canadien
pour rendre compte de la variété de langue du Canada, Oscar Dunn affirmera
l’existence d’une variété canadienne de
français. Son originalité sera de ne pas mettre en opposition langue académique et langue populaire: au contraire, les deux
variétés seront souvent en correspondance, puisque, selon lui, le peuple
canadien parle largement le français tel qu’il est décrit dans les
dictionnaires. L’auteur
vise manifestement à faire valoir la légitimité d’un français à saveur locale
par une variété de procédés nouveaux, entre autres, par le biais de
rapprochements avec des usages de France (abrier
– Bretagne et Normandie) et par l’utilisation de sources littéraires françaises
servant d’appuis aux canadianismes (épeurer
– G. Sand). Son ouvrage ne quitte pas tout à fait le terrain de la correction, mais
il donne un aperçu de ce que pourrait être un dictionnaire canadien. D’une
part, Dunn énonce clairement plusieurs critères d’acceptation
de particularismes du français canadien, notamment celui de la nécessité en ce
qui concerne les néologismes dénotant les réalités locales ou nouvelles.
D’autre part, il bannit les doublons par emprunt à l’anglais et les néologismes
ayant un concurrent français.
Sylva Clapin ira plus loin dans la description et l’illustration du français
canadien tout en développant le principe, déjà vu chez Dunn, du droit strict à sa propre variété de
français qui ressort comme l’élément essentiel de la pensée de cet érudit.
L’auteur ouvre, aux amoureux de la langue du terroir, sa bibliothèque étoffée
de mots canadiens. Ses articles sont empreints d’un souci encyclopédique
concernant diverses cultures du pays, son acadianité (aboiteaux, Acadien/ne),
son amérindianité (algonquin/e, babiche), sa
nordicité (bordée de neige),
sa faune et sa flore particulières, on pourrait même voir une certaine
féminitude (v. partie annexe sous Parenté). La
variété de français du Canada sera présentée comme le prolongement de la langue
mère française, résultat de nouvelles conditions de vie. L’originalité des
Dunn, Clapin et autres partisans de l’ouverture en matière de norme est
d’élargir considérablement l’éventail des sources françaises à consulter pour
faire valoir leur point de vue.
Ainsi, nos hivers
créent un genre d’existence que la langue française académique est impuissante
à décrire; c’est à la langue franco-canadienne que cela est naturellement
dévolu. Oscar Dunn, Glossaire
franco-canadien (1880: XIX) Puis, vint le tour de la tire.
Notre homme, prenant un lit de neige, en couvrit la surface d’une couche de ce
sirop devenu presque solide, et qui en se refroidissant forme la délicieuse
sucrerie que les Canadiens ont baptisée du nom de tire; sucrerie d’un goût beaucoup plus fin et plus délicat que
celle qui se fabrique avec le sirop de canne ordinaire. Antoine Gérin-Lajoie, Jean Rivard, le défricheur
(1862: 129) Tableau: Une
partie de sucre, Plessisville, site Internet Pièrot |
1930 – 1985 En transit: Les derniers produits de la lexicographie
canadienne-française
Le parachèvement du Glossaire ne s’était pas fait sans peine
et la Société du parler français au Canada n’était plus animée par la même
énergie au début des années 1930. Malgré le travail des Jacques Rousseau, Luc
Lacourcière, Gaston Dulong et autres, qui ont tenté de relancer les travaux sur
le lexique, on se rend compte que la lexicographie du français canadien est sur
son déclin. On verra tout de même la publication d’ajouts dans Le Canada français (1935-1939) puis dans
La Revue de l’Université Laval (1953),
qui ont redonné l’espoir de voir paraître un «nouveau» glossaire. En fait, les
deux ouvrages qui seront publiés en 1957 et en 1980, reprennent les données
antérieures (celles du Glossaire,
mais aussi celles de Dunn, de Clapin, etc.) en apportant des compléments
personnels somme toute peu importants eu égard à ce qui avait précédé.
Avec le projet de
Louis-Alexandre Bélisle que concrétise le Dictionnaire général de la langue
française au Canada (1957), une nouvelle orientation paraît se
dessiner, celle de vouloir répondre à l’ensemble des besoins des utilisateurs
sur le plan lexicographique c’est-à-dire en incluant, outre les canadianismes,
tous les mots que les Québécois ont en commun avec les Français de France. Ce
dictionnaire, aux caractéristiques encore glossairistes par le choix et le
traitement des canadianismes, conserve des liens étroits avec les façons de
voir traditionnelles. Suivra un autre dictionnaire de langue soi-disant
‘complet’, celui de Léandre Bergeron Dictionnaire de la langue
québécoise (1980). Cet ouvrage polémique et contestataire, qui
fera couler beaucoup d’encre dans les journaux, annonce une intention de rendre
compte de toute la langue sans aucune restriction normative (v. comptes rendus
de Russ Wooldridge).
Dans la seconde édition du dictionnaire de Bélisle (1971), apparaîtra une liste
de canadianismes de ‘bon aloi’ et de mots à ‘proscrire’ selon les critères de l’Office de la langue française.
Bref, entre le glossaire de 1930 et le dictionnaire de Bergeron, on note
l’expression d’une volonté de donner naissance à une lexicographie autonome,
mais les méthodes employées et les matériaux pris en compte demeurent ceux de
l’époque des Canadiens français.
Depuis 1985: Émergence de la lexicographie québécoise
Le Québec connaît à partir de
1985 une période d’effervescence dans le domaine de la lexicographie identitaire, amorcée par deux colloques significatifs
organisés par l’Équipe du Trésor de la langue française
au Québec (TLFQ) en 1985 et en 1986 (v. compte rendu des Actes, R. Wooldridge). On
assiste ici au lancement du Dictionnaire
du français québécois (DFQ) rassemblant un échantillon d’articles
permettant de faire état des travaux de l’Équipe du TLFQ, ouvrage fondé sur une
vision québécoise de la langue. Alors que le DFQ pratique une approche
différentielle, ne traitant que les québécismes, deux nouveaux dictionnaires
québécois, cette fois-ci complets, font par la suite leur apparition sur le
marché, le Dictionnaire du français Plus
(DFP, 1988), rédigé avec la collaboration de Claude Poirier, et le Dictionnaire québécois
d’aujourd’hui (DQA, 1992), dont la rédaction est dirigée par
Jean-Claude Boulanger. Leur publication suscite une vague de réactions en
rapport avec les questions de langue, de norme et d’identité québécoises, qui
sont centrales dans ces dictionnaires. Se sont dégagées à cette occasion des
opinions et des idéologies divergentes qui manifestent un profond désaccord
quant à l’image que devrait refléter le dictionnaire de langue.
Le Dictionnaire historique du français
québécois (DHFQ), publié en 1998, se situe dans le prolongement
des glossaires de Dunn, de Clapin et du Glossaire
de la Société du parler français au Canada. Grâce à des moyens plus importants
que leurs prédécesseurs, les auteurs du DHFQ ont pu situer les québécismes non
seulement par rapport aux parlers de France, mais aussi dans le cadre de
l’évolution du français, au Québec et en France, depuis le XVIIe
siècle. Cet ouvrage fournit une base historique pour un projet de dictionnaire
général du français québécois en mettant en évidence des caractéristiques
essentielles de cette variété de français et en établissant des rapports entre
les québécismes et les mots que les Québécois ont en commun avec les Français
(v. compte rendu de J.-P. Saint-Gérand).
Par ailleurs, le français en situation minoritaire d’Acadie
connaîtra ses premières manifestations de reconnaissance officielle avec le Glossaire acadien de Pascal Poirier
(1928-1953, réédité par Pierre Gérin en 1993). L’intérêt que portent certains
glossaires et dictionnaires au français acadien est cependant jugé, à juste
titre, comme insuffisant en Acadie (v. G. Saint-Yves),
d’où le projet, qui commence à prendre forme, de réaliser un dictionnaire de
cette variété de français. Yves Cormier, disciple de la pratique
lexicographique telle que définie par l’Équipe du TLFQ, publiera en 1999 le Dictionnaire du français acadien (v.
compte rendu de R. Wooldridge),
dans lequel il décrira un bon nombre des spécificités linguistiques acadiennes
tout en valorisant l’originalité culturelle de la communauté; on trouvera sous
l’acadianisme eau de mai, qui signifie «eau obtenue à partir de
la première neige tombée au mois de mai qui, selon la tradition populaire a des
pouvoirs curatifs», un des exemples de tradition populaire à travers laquelle
s’exprime l’acadianité.
Accostage 2002: Regards pluriels
Le troisième
millénaire ouvre une ère, dominée par le
mouvement de globalisation et les effets
d’une contre-culture énergique, où l’image du dictionnaire du français
québécois apparaît en voie de transformation une fois de plus. Le nouveau
paysage ethnique du Québec et sa diversification constante en est l’une des
principales causes. L’homogénéité culturelle et linguistique que connaissait la
communauté d’origine franco-québécoise a tendance à s’atténuer, la société
s’ouvre à une pluralité de nouvelles traditions, mœurs et variétés de français
qu’importent les nouveaux arrivants et que l’appellation francophones tente de regrouper tant bien que mal. L’ethnicité
québécoise passe ainsi de façon progressive, mais non imperceptible, d’une coloration distincte à une coloration métissée. La lexicographie
québécoise, à peine naissante, arrive déjà à un carrefour où des enjeux de
norme linguistique dépassent une québécité ‘pure laine‘,
de plus en plus éparse et hybridée dans la région de Montréal. Dans le domaine
alimentaire, bagel, pain pita et couscous sont inscrits au menu du jour,
à côté de pâté chinois, poutine ou
encore tourtière. La
réflexion sur le dictionnaire du français québécois est appelée à évoluer dans
cette mouvance cosmopolite et se voit participer à une lexicographie de la francophonie, de
plus large étendue, dont le Dictionnaire universel francophone,
produit par Hachette (1997), reflète l’orientation.
Tirant profit des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, et dans un
esprit de diffusion des spécificités lexicales de chacune des communautés
francophones, un projet d’envergure internationale est lancé, parrainé par
l’Agence universitaire de la Francophonie, dans le but de réaliser un concept
dictionnairique virtuel et dynamique. La Base de données lexicographiques
panfrancophone (BDLP) s’inscrit
dans l’entreprise du Trésor des vocabulaires français, lancée par Bernard
Quemada (1990); elle est présentement en voie de réalisation par des équipes de
la Belgique, du Cameroun, de la France, du Maroc, du Québec et de la Suisse, contribuant
chacune à la définition du projet commun. Un premier objectif consiste à
regrouper les bases représentatives du français des partenaires de la
francophonie en consolidant leurs travaux de lexicographie différentielle; un
second vise à favoriser une réflexion théorique commune quant à la description
de ces variétés dans leur rapport intrinsèque à des normes distinctes et à
leurs coexistences parallèles. Mais qu’en est-il lorsque celles-ci
s’entrecroisent, comme dans le cas des termes courriel (Qc) et mél
(Fr.), employés pour signifier «messagerie électronique»? Ces doublons, créés à
peu près au même moment sur deux continents différents, ne peuvent-ils pas non
plus s’entrechoquer dans le discours idéologique sur la norme des pays
concernés?
Ce voyage dans le
temps, qui arrive déjà à sa fin, laissera peut-être quelques internautes sur
leur appétit puisque nous terminons par une interrogation. Nous leur proposons,
avant de quitter ces lieux de la virtualité, de savourer les mots du terroir
qui ont imprégné la littérature régionaliste canadienne-française dans un
extrait choisi. Vos questions ou commentaires seront des plus grandement
appréciés.
Au goût du terroir Thomas Maguire avait écarté de son Manuel le mot atoca en justifiant sa position en ces termes: ATOCA. (Oxycoccum). Suivant Sarrasin, cité par Charlevoix, atoca est un mot indien, qui désigne la
baie de la canneberge. Cette baie, que les Anglais appellent cranberry, ne
porte point de nom en français. Il
n’aurait pas imaginé que le mot trouverait toutes ses lettres de noblesse avec
les auteurs canadiens du XIXe siècle et, qu’il recevrait un appui
sous la plume de l’écrivain français Louis Hémon. La langue littéraire se
réappropriait ainsi une amérindianité d’origine, lui redonnant ses couleurs
chaudes du terroir, tout en faisant naître un mythe, aux saveurs acidulées satisfaisant
les plus fins gourmets. Les forêts du pays de Québec
sont riches en baies sauvages; les atocas,
les grenades, les raisins de cran, la salsepareille ont poussé librement dans
le sillage des grands incendies; mais le bleuet,
qui est la luce ou myrtille de France, est la plus abondante de toutes les
baies et la plus savoureuse. Louis Hémon, Maria Chapdelaine (1914: 47) Le mot atoca figure
dans les nouveaux dictionnaires québécois (DFP et DQA), et même dans les
ouvrages correctifs qui l’accueillent comme étant un québécisme de bonne venue. Image: site Internet Saveurs du monde |
Références [1]
1. Liste des principales sources
lexicographiques commentées entre 1841-1957
(Un
bon nombre de ces sources sont en ligne)
2. Autres sources
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1998, La langue et le nombril. Histoire d’une obsession québécoise, Boucherville,
Fides, Nouvelles études québécoises, 303 p.
CANAC-MARQUIS, Steve, 2002,
«Intervention terminologique: observations sur des termes qui ne s’implantent
pas», dans Actes du colloque tenu les
14 et 15 mai 2001 à l’Université de Sherbrooke dans le cadre du 69e
Congrès de l’Acfas, sous la dir. de P. Bouchard et de M. Cormier (sous presse).
CLAPIN, Sylva (éd. de la partie canadienne), 1928 et 1935, Dictionnaire
complet illustré de la langue française
par P. Larousse, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 303e et
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Claude Poirier par l’Équipe du TLFQ, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université
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recherche ‘Lexicologie, terminologie, traduction’, de Fès, 20-22 fév. 1989,
sous la dir. d’André Clas et Benoît Ouaba, Paris, AUPELF-UREF et John Libbey Eurotext, p. 141-146.
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Gabrielle, et POIRIER, Claude, 2002, «La lexicographie du français canadien de
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SAINT-YVES, Gabrielle, 2002, La
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travers la recherche de critères d’évaluation: Bilan de la réflexion sur la
norme du lexique au XIXe siècle dans la production lexicographique
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doctorat, sous la dir. de Russ Wooldridge, Université de Toronto, Toronto, 493
p.
SAINT-YVES,
Gabrielle, 1996, «La prise en compte de l’Acadie
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français est minoritaire, Actes du colloque sous la dir. de Lise Dubois et
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de Moncton, Éditions d’Acadie, p. 175-188.
WOOLDRIDGE, Russon, 2002, Comptes rendus des principaux
dictionnaires du français acadien et québécois, Université de
Toronto, Toronto.
WOOLDRIDGE, Russon, 2002, Synthèse des travaux de Russon Wooldridge en métalexicographie et dictionnairique, Université de Toronto, Toronto.
[1] Cette cyberprésentation découle d'une recherche
plus large sur la question de l’évaluation lexicale présentée comme thèse de
doctorat à l'Université de Toronto (janvier 2002). Précisons que les liens
hypertextes servent à enrichir la réflexion scientifique sans nécessairement
représenter notre point de vue. Nous aimerions remercier Russ Wooldridge
(Université de Toronto) pour son appui scientifique, ainsi que Fouzia Benzakour
(Université de Rabat, responsable de la BDLP du Maroc), Steve Canac-Marquis
(TLFQ) qui ont aimablement commenté notre texte et Jean Bédard (TLFQ) qui a
répondu à nos questions d’ordre bibliographique.