NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - 1993-2003
Le numérique ne supprimera sans doute pas plus l’imprimé que la télévision n’a supprimé le livre, ou que le livre de poche n’a supprimé le beau livre. "Toute ma vie, j’ai eu une histoire d’amour avec les livres et la lecture. Elle continue sans être affectée par l’automatisation, les ordinateurs, et tous les gadgets du 20e siècle", s’exclame Robert Downs, bibliothécaire, dans son livre Books in My Life (publié en 1985 par la Library of Congress). Une bonne façon de rappeler que les nouvelles technologies ne sont pas une fin en soi. En 1998, si certains professionnels restent méfiants, d’autres, précurseurs enthousiastes, se sont déjà lancés dans l’aventure, en se connectant à l’internet puis en créant un site web.
Comme on vient de le voir tout au long de ces pages, l’internet ouvre de nombreuses perspectives - avec son lot de problèmes à résoudre - dans tous les secteurs du livre. Relativement stable jusque-là, le monde du livre amorce un virage sans précédent, que d’aucuns comparent à l’avènement de l’écriture ou de l’imprimerie en d’autres temps.
Un nouvel outil (relativement) économique abolit les frontières. Que l’internaute consulte un site web situé à Paris, à San Francisco ou à Hong-Kong, le tarif de connexion est celui d’une communication téléphonique locale. Une encyclopédie multilingue s’offre à lui, à un prix défiant toute concurrence, une fois l’ordinateur payé.
Les professionnels ont désormais la possibilité d'échanger avec autant de correspondants qu’ils le souhaitent grâce au courrier électronique et aux forums de discussion. La messagerie électronique permet de communiquer avec ses interlocuteurs en quelques secondes dans le monde entier. Les forums de discussion autorisent des échanges fréquents sur de nombreux sujets.
Tout auteur peut désormais faire connaître ses oeuvres en créant un site web, sans attendre de trouver un éditeur pour être publié, et il peut facilement échanger avec ses lecteurs grâce au courrier électronique. Nombreux sont les professionnels du livre (écrivains, journalistes, bibliothécaires, enseignants, etc.) qui participent à la création d’une toile artistique, scientifique et littéraire francophone abolissant les barrières de la distance et du temps.
Les libraires en ligne peuvent vendre des livres étrangers ou bien vendre à l’étranger des livres publiés dans leur pays. Il leur faut encore convaincre les associations d’éditeurs ou de libraires traditionnels pour faire véritablement disparaître les frontières dans la vente des livres. Les lecteurs ont à leur disposition des extraits ou parfois même le texte intégral des nouveautés, qu’ils peuvent "feuilleter" tout à loisir à l’écran. Plusieurs libraires en ligne offrent aussi un véritable magazine littéraire avec un contenu éditorial chaque jour différent.
Tout comme les libraires, les éditeurs investissent progressivement le réseau. Nombre de maisons d’édition traditionnelles créent un site web et l’utilisent comme une vitrine pour faire connaître leur activité. On voit également apparaître des éditeurs électroniques, dont toute l’activité s’effectue sur l'internet: découverte des oeuvres, publication, promotion et diffusion. Par ailleurs, des éditeurs universitaires et spécialisés expérimentent la publication électronique comme une solution possible pour sortir de la crise éditoriale.
De nombreux journaux et magazines sont désormais en ligne, avec des extraits ou l'intégrale de leur dernier numéro, ainsi que des dossiers sur les sujets d’actualité et les archives des numéros précédents. On assiste aux balbutiements d’une presse en ligne qui se voudrait différente de la presse imprimée.
Les bibliothèques traditionnelles ont un nouvel outil à leur disposition pour faire connaître leurs collections. L’utilisation de l’internet leur permet de disposer de la plus grande encyclopédie qui soit pour leur personnel et leurs lecteurs. Les bibliothèques numériques se développent rapidement. Grâce à elles, l’internaute dispose du texte intégral de milliers d'oeuvres du domaine public.
Outre ce changement radical dans la relation information-utilisateur, on assiste à une transformation radicale de la nature même de l’information. L’information contenue dans les livres restait la même, au moins pendant une période donnée, ce qui encourageait à penser que l’information était stable. Mais l’internet et les technologies numériques changent tout ceci. Soudain ce n’est plus l’information statique qui est la plus fiable, mais l’information la plus récente qui, elle, est en constante mutation.
Le futur sera-t-il le cyberespace décrit par Timothy Leary, philosophe, dans Chaos et cyberculture (publié en 1997 à Paris par les éditions du Lézard)? "Toute l’information du monde est à l’intérieur (de gigantesques bases de données, ndlr). Et grâce au cyberespace, tout le monde peut y avoir accès. Tous les signaux humains contenus jusque-là dans les livres ont été numérisés. Ils sont enregistrés et disponibles dans ces banques de données, sans compter tous les tableaux, tous les films, toutes les émissions de télé, tout, absolument tout."
On n’en est pas encore là. Mais, en cinq ans à peine (1993-1998), on ne court plus désespérément après l’information dont on a besoin, parce que l’information dont on a besoin est enfin à notre portée. Reste maintenant à poursuivre le travail entrepris, tout en gardant à l’esprit cette phrase du Manifeste pour un technoréalisme: "Peu importe la puissance de nos ordinateurs, nous ne devrions jamais nous en servir pour pallier la lucidité, le raisonnement et le jugement."
Les échanges épistolaires avec les professionnels du livre et de la presse cités dans ces pages se poursuivent ensuite pendant plusieurs années. D’autres professionnels viennent se joindre à eux, pour atteindre quelque 120 correspondants en 2003. Se poursuivent aussi les enquêtes et les analyses. Suite à ce livre, qui couvre la période 1993-1998, un deuxième livre voit le jour en 2003, Le Livre 010101 (1998-2003). La totalité des entretiens, études, enquêtes et analyses est disponible en ligne sur le Net des études françaises (NEF), à l’adresse suivante: http://www.etudes-francaises.net/entretiens/
Vol. 2 (1998-2003)
Vol. 1 & 2 (1993-2003)
© 2003 Marie Lebert