NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - 1993-2003

Le Livre 010101 (2003)
Tome 2 (1998-2003)
5. Le réseau des bibliothèques numériques

Appelée aussi bibliothèque électronique ou bibliothèque virtuelle, la bibliothèque numérique semble être le principal apport de l’internet au monde du livre, et réciproquement. Au fil des ans sont mis en ligne des centaines puis des milliers d’oeuvres du domaine public, documents littéraires et scientifiques, articles, travaux universitaires et de recherche, images et bandes sonores sont disponibles à l’écran. Nombre d'entre eux sont en accès libre.

5.1. Numérisation: mode texte et mode image
5.2. Bibliothèques pionnières
5.3. Du bibliothécaire au cyberthécaire
5.4. De la conservation à la communication


5.1. Numérisation: mode texte et mode image

Les bibliothèques numériques sont souvent constituées à partir de collections imprimées. La première étape est donc la numérisation de ces dernières. Cette numérisation peut être effectuée soit en mode texte, soit en mode image.

Comme son nom l’indique, la numérisation en mode texte implique la saisie d’un texte. Elle consiste à scanner le livre, puis à contrôler le résultat à l’écran en relisant intégralement le texte scanné et en le corrigeant si nécessaire. Quand les documents originaux manquent de clarté, pour les livres anciens par exemple, ils sont saisis ligne après ligne, de la première page à la dernière. Suite au scannage ou à la saisie, le texte numérisé apparaît en continu à l’écran, et la présentation de la page originale n’est pas conservée. A cause du temps passé au traitement de chaque livre, ce mode de numérisation est assez long, et donc nettement plus coûteux que la numérisation en mode image. Dans de nombreux cas, il est toutefois très préférable, puisqu’il permet l’indexation, la recherche et l’analyse textuelles, une étude comparative entre plusieurs textes ou plusieurs versions du même texte, etc. C’est la méthode utilisée par exemple par le Projet Gutenberg, fondé dès 1971, ou encore la Bibliothèque électronique de Lisieux, créée en 1996.

La numérisation en mode image correspond à la photographie du livre. La version informatique est le fac-similé numérique de la version imprimée. La présentation originale étant conservée, on peut feuilleter le texte page après page à l’écran. C’est la méthode employée pour les numérisations à grande échelle, par exemple pour la constitution de Gallica, le secteur numérique de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Ne sont numérisés en mode texte que les tables des matières, les sommaires et les légendes des corpus iconographiques, ce afin de faciliter la recherche textuelle. Pourquoi ne pas tout numériser en mode texte? La BnF répond sur le site de Gallica: "Le mode image conserve l’aspect initial de l’original y compris ses éléments non textuels. Si le mode texte autorise des recherches riches et précises dans un document et permet une réduction significative du volume des fichiers manipulés, sa réalisation, soit par saisie soit par OCR (optical character recognition), implique des coûts de traitement environ dix fois supérieurs à la simple numérisation. Ces techniques, parfaitement envisageables pour des volumes limités, ne pouvaient ici être économiquement justifiables au vu des 50.000 documents (représentant presque 15 millions de pages) mis en ligne." En 2003, Gallica donne accès à tous les documents libres de droit du fonds numérisé de la BnF, à savoir 70.000 ouvrages et 80.000 images allant du Moyen-Age au début du 20e siècle.

Concepteur de Mot@mot, un logiciel de remise en page de fac-similés numériques, Pierre Schweitzer insiste sur l’utilité des deux modes de numérisation. "Le mode image permet d’avancer vite et à très faible coût, explique-t-il en janvier 2001. C’est important car la tâche de numérisation du domaine public est immense. Il faut tenir compte aussi des différentes éditions: la numérisation du patrimoine a pour but de faciliter l’accès aux oeuvres, il serait paradoxal qu’elle aboutisse à se focaliser sur une édition et à abandonner l’accès aux autres. Chacun des deux modes de numérisation s’applique de préférence à un type de document, ancien et fragile ou plus récent, libre de droit ou non (pour l’auteur ou pour l’édition), abondamment illustré ou pas. Les deux modes ont aussi des statuts assez différents: en mode texte ça peut être une nouvelle édition d’une oeuvre, en mode image c’est une sorte d’'édition d’édition', grâce à un de ses exemplaires (qui fonctionne alors comme une fonte d’imprimerie pour du papier). En pratique, le choix dépend bien sûr de la nature du fonds à numériser, des moyens et des buts à atteindre. Difficile de se passer d’une des deux façons de faire."

Si une bibliothèque numérique est d’abord une bibliothèque d’oeuvres numérisées, ce terme s’applique aussi par extension à une collection organisée de liens vers des oeuvres numérisées disponibles sur le web. C’est le cas de The Online Books Page, un répertoire d’œuvres anglophones en accès libre créé en 1993 par John Mark Ockerbloom. C’est également le cas de The Internet Public Library (IPL), qui se définit comme la première bibliothèque publique de l’internet sur l’internet, à savoir une bibliothèque sélectionnant, organisant et cataloguant les ressources disponibles sur le réseau, et n’existant elle-même que sur celui-ci. Créée en mars 1995, cette bibliothèque publique d’un genre nouveau devient vite une référence. D’autres bibliothèques numériques proposent à la fois des textes numérisés par l’équipe en place et un ensemble de liens vers des oeuvres disponibles ailleurs. C’est le cas d’Athena, bibliothèque numérique fondée en 1994 par Pierre Perroud et hébergée sur le site de l’Université de Genève.


5.2. Bibliothèques pionnières

Objectif poursuivi par des générations de bibliothécaires, la diffusion d’oeuvres du domaine public devient enfin possible à très vaste échelle, d’une part grâce à la numérisation des livres en mode texte, dans un format simple qui puisse être lu sur toutes les machines et par tous les systèmes, d’autre part grâce au fait que, via l’internet, ces fichiers puissent être téléchargés librement par tout lecteur potentiel.

Le Projet Gutenberg

Le Projet Gutenberg naît en juillet 1971 lorsque Michael Hart, alors étudiant à l’Université de l’Illinois (Etats-Unis), décide de convertir des oeuvres du domaine public au format électronique pour les mettre gratuitement à la disposition de tous. Le Projet Gutenberg est le premier site d’information sur un internet encore embryonnaire, qui débute véritablement en 1974 et prend son essor en 1983. Vient ensuite le web (sous-ensemble de l’internet), opérationnel en 1991, puis le premier navigateur, qui apparaît en novembre 1993. Lorsque l’utilisation du web se généralise, le Projet Gutenberg trouve un second souffle et un rayonnement international. Au fil des ans, des centaines d’oeuvres sont patiemment numérisées en mode texte par des volontaires de nombreux pays. D’abord essentiellement anglophones, les collections deviennent peu à peu multilingues.

Qu’ils aient été numérisés il y a vingt ans ou qu’ils soient numérisés maintenant, tous les textes électroniques sont au format ASCII (American standard code for information interchange), avec des lettres capitales pour les termes en italique, gras ou soulignés, afin que ces textes puissent être lus sans problème quels que soient le système d’exploitation et le logiciel utilisés. Libre à d’autres organismes de les convertir dans des formats différents s’ils le souhaitent.

Cinquante heures environ sont nécessaires pour scanner un livre, le corriger et le mettre en page. Un ouvrage de taille moyenne - par exemple un roman de Stendhal ou de Jules Verne - est en général composé de deux fichiers ASCII. Si certains livres anciens sont parfois saisis ligne après ligne, à cause du manque de clarté du texte original, les livres sont en général scannés en utilisant un logiciel OCR (optical character recognition), qui permet de convertir en fichier texte un fichier d’abord numérisé en mode image, afin de pouvoir corriger son contenu si nécessaire. Les livres numérisés sont ensuite relus et corrigés à deux reprises, parfois par deux personnes différentes.

"Nous considérons le texte électronique comme un nouveau médium, sans véritable relation avec le papier, explique Michael Hart en août 1998. Le seul point commun est que nous diffusons les mêmes oeuvres, mais je ne vois pas comment le papier peut concurrencer le texte électronique une fois que les gens y sont habitués, particulièrement dans les établissements d’enseignement. (...) Mon projet est de mettre 10.000 textes électroniques sur l’internet. Si je pouvais avoir des subventions importantes, j’aimerais aller jusqu’à un million et étendre aussi le nombre de nos usagers potentiels de 1,x% à 10% de la population mondiale, ce qui représenterait la diffusion de 1.000 fois un milliard de textes électroniques au lieu d’un milliard seulement. (...) J’introduis une nouvelle langue par mois maintenant, et je vais poursuivre cette politique aussi longtemps que possible." Michael Hart se définit lui-même comme un fou de travail dédiant toute sa vie à son projet, qu’il voit comme étant à l’origine d’une révolution néo-industrielle.

Comment cette vaste entreprise a-t-elle débuté? Michael Hart numérise son premier texte le 4 juillet 1971. Le 4 juillet étant le jour de la fête nationale, il saisit le texte de la Déclaration de l’Indépendance des Etats-Unis (signée le 4 juillet 1776) sur le clavier de son ordinateur, et il envoie le fichier électronique correspondant à quelques collègues et amis.

Entre 1971 et 1979, il scanne un volume par an d’une série qu'il intitule History of Western Democracy. Entre 1980 et 1990, il poursuit ce travail avec quelques volontaires. Son équipe et lui scannent la Bible dans son entier et plusieurs oeuvres de Shakespeare. En 1990, dix textes sont prêts. Le dixième texte est The King James Bible. La moyenne mensuelle des textes scannés progresse ensuite régulièrement: un texte par mois en 1991, deux textes par mois en 1992, quatre textes par mois en 1993 et huit textes par mois en 1994. Fin 1994, les collections comprennent 100 textes. Le centième texte est l’oeuvre complète de Shakespeare, désormais scannée dans son entier.

Lorsque l’utilisation du web se généralise, il devient beaucoup plus facile de faire circuler les oeuvres et de recruter de nouveaux volontaires. La production augmente donc en proportion, avec 16 textes par mois en 1995, puis 32 textes par mois en 1996 et 1997. Fin 1997, les collections comprennent 1.000 textes. Le millième texte est La Divine Comédie de Dante, en italien. La production passe à 36 textes par mois en 1998 et 1999. Fin 1999, les collections se chiffrent à 2.000 textes. Le 2.000e texte est Don Quichotte de Cervantes, en espagnol.

Le nombre de textes scannés est toujours de 36 textes par mois en 2000. Il passe à 40 textes par mois pendant le premier semestre 2001, puis 50 textes par mois pendant le deuxième semestre. Le 3.000e texte, disponible courant 2000, est le troisième volume de A l’ombre des jeunes filles en fleurs, de Proust, en français. Le 4.000e texte, disponible courant 2001, est The French Immortals, version anglaise de la série publiée en 1905 par la Maison Mazarin pour rassembler des fictions d’écrivains couronnés par l’Académie française (Emile Souvestre, Pierre Loti, Hector Malot, Charles de Bernard, Alphonse Daudet, etc.). Le 5.000e texte, disponible en avril 2002, est la version anglaise des Carnets de Léonard de Vinci.

En 2002, les collections s’accroissent en moyenne de 100 titres par mois. Au printemps 2002, elles représentent le quart des oeuvres du domaine public disponibles sur le web, recensées de manière pratiquement exhaustive par The Internet Public Library (IPL). Un beau résultat pour trente ans de travail acharné basé en grande partie sur le volontariat, avec plus d'un millier de volontaires dans plusieurs pays. En octobre 2003, le catalogue comprend 10.000 titres dans plusieurs langues. Michael Hart espère franchir la barre du million de titres d'ici 2015.

The Online Book Page

En 1993, un deuxième projet pionnier se développe parallèlement au Projet Gutenberg, à l’instigation de John Mark Ockerbloom, doctorant à l’Université Carnegie Mellon (Pittsburgh, Pennsylvanie, Etats-Unis). Il s’agit de The Online Books Page, dont le but n’est pas de numériser des oeuvres mais, tout aussi utile, de répertorier celles qui sont en accès libre sur le web, en offrant au lecteur un point d’entrée commun.

John Mark Ockerbloom retrace les débuts de son répertoire lors d'un entretien datant de septembre 1998: "J’étais webmestre ici pour la section informatique de la CMU (Carnegie Mellon University), et j’ai débuté notre site local en 1993. Il comprenait des pages avec des liens vers des ressources disponibles localement, et à l’origine The Online Books Page était une de ces pages, avec des liens vers des livres mis en ligne par des collègues de notre département (par exemple Robert Stockton, qui a fait des versions web de certains textes du Projet Gutenberg). Ensuite les gens ont commencé à demander des liens vers des livres disponibles sur d’autres sites. J’ai remarqué que de nombreux sites (et pas seulement le Projet Gutenberg ou Wiretap) proposaient des livres en ligne, et qu’il serait utile d’en avoir une liste complète qui permette de télécharger ou de lire des livres où qu’ils soient sur l’internet. C’est ainsi que mon index a débuté. J’ai quitté mes fonctions de webmestre en 1996, mais j’ai gardé la gestion de The Online Books Page, parce qu’entre temps je m’étais passionné pour l’énorme potentiel qu’a l’internet de rendre la littérature accessible au plus grand nombre. Maintenant il y a tant de livres mis en ligne que j’ai du mal à rester à jour. Je pense pourtant poursuivre cette activité d’une manière ou d’une autre. Je suis très intéressé par le développement de l’internet en tant que médium de communication de masse dans les prochaines années. J’aimerais aussi rester impliqué dans la mise à disposition gratuite pour tous de livres sur l’internet, que ceci fasse partie intégrante de mon activité professionnelle, ou que ceci soit une activité bénévole menée sur mon temps libre."

Fin 1998, John Mark Ockerbloom obtient son doctorat en informatique. En 1999, il rejoint l’Université de Pennsylvanie, où il travaille à la R&D (recherche et développement) de la bibliothèque numérique. A la même époque, il y transfère The Online Books Page, tout en gardant la même présentation, très sobre, et il poursuit son travail d’inventaire dans le même esprit. En 2003, ce répertoire fête ses dix ans et recense plus de 20.000 textes électroniques.

La Bibliothèque électronique de Lisieux

Le milieu des années 1990 marque les débuts du web francophone, d’abord au Québec et ensuite en Europe. En juin 1996 apparaît la Bibliothèque électronique de Lisieux, une des premières bibliothèques francophones du réseau, créée à l’initiative d’Olivier Bogros, directeur de la médiathèque municipale de Lisieux (Normandie). Dès ses débuts, cette réalisation suscite l’intérêt de la communauté francophone parce qu’elle montre ce qui est faisable sur le réseau avec beaucoup de détermination et des moyens limités.

Pendant deux ans, de 1996 à 1998, Olivier Bogros héberge le site web sur les pages de son compte personnel CompuServe. En juin 1998, il enregistre un nom de domaine (bmlisieux.com) et déménage l’ensemble sur un serveur offrant une capacité de stockage de 30 Mo (méga-octets). En juillet 1999, 370 oeuvres sont disponibles en ligne. Elles comprennent des oeuvres littéraires, des brochures et opuscules documentaires, des manuscrits, livres et brochures sur la Normandie, et enfin des conférences et exposés transcrits par des élèves du lycée de Lisieux.

A la même date, Olivier Bogros explique: "Les oeuvres à diffuser sont choisies à partir d’exemplaires conservés à la bibliothèque municipale de Lisieux ou dans des collections particulières mises à disposition. Les textes sont saisis au clavier et relus par du personnel de la bibliothèque, puis mis en ligne après encodage. La mise à jour est mensuelle (3 à 6 textes nouveaux). Par goût, mais aussi contraints par le mode de production, nous sélectionnons plutôt des textes courts (nouvelles, brochures, tirés à part de revues, articles de journaux...). De même nous laissons à d’autres (bibliothèques ou éditeurs) le soin de mettre en ligne les grands classiques de la littérature française, préférant consacrer le peu de temps et de moyens dont nous disposons à mettre en ligne des textes excentriques et improbables. (...) Nous réfléchissons aussi, dans le domaine patrimonial, à un prolongement du site actuel vers les arts du livre - illustration, typographie... - toujours à partir de notre fonds. Sinon, pour ce qui est des textes, nous allons vers un élargissement de la part réservée au fonds normand." En 2003, la bibliothèque électronique approche les 600 textes.

L’année 2000 marque le début du partenariat de la bibliothèque électronique avec l’Université de Toronto. Lancé officiellement en août 2000, LexoTor est une base de données fonctionnant avec le logiciel TACTweb et permettant l’interrogation en ligne des œuvres de la bibliothèque, ainsi que des analyses et des comparaisons textuelles. Le projet est issu de la rencontre d’Olivier Bogros avec Russon Wooldridge, professeur au département d’études françaises de l’Université de Toronto, lors du premier colloque international sur les études françaises valorisées par les nouvelles technologies d’information et de communication, organisé par ce dernier en mai 2000 à Toronto. Deux ans après, en mai 2002, un deuxième colloque international sur le même sujet est organisé cette fois par Olivier Bogros à Lisieux.


5.3. Du bibliothécaire au cyberthécaire

Piloter les usagers sur l'internet, filtrer et organiser l’information à leur intention, créer et gérer un site web, rechercher des documents dans des bases de données spécialisées, telles sont désormais les tâches de nombreux bibliothécaires. Le bibliothécaire devient progressivement un cyberthécaire, comme en témoignent diverses expériences relatées au fil des ans, par Peter Raggett en 1998, par Bruno Didier en 1999, par Bakayoko Bourahima et Emmanuel Barthe en 2000, et par Anissa Rachef en 2001.

En 1998

En 1998, Peter Raggett est sous-directeur du centre de documentation et d’information (CDI) de l’OCDE. Située à Paris, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) est une organisation internationale regroupant trente pays membres. Au noyau d’origine, constitué des pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, sont venus s’ajouter le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, le Mexique, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Corée. Réservé aux fonctionnaires de l’organisation, le centre de documentation permet la consultation de quelque 60.000 monographies et 2.500 périodiques imprimés. En ligne depuis 1996, les pages intranet du CDI sont devenues une des principales sources d’information du personnel.

"Je dois filtrer l’information pour les usagers de la bibliothèque, ce qui signifie que je dois bien connaître les sites et les liens qu’ils proposent, explique Peter Raggett en juin 1998. J’ai sélectionné plusieurs centaines de sites pour en favoriser l’accès à partir de l’intranet de l’OCDE. Cette sélection fait partie du bureau de référence virtuel proposé par la bibliothèque à l’ensemble du personnel. Outre de nombreux liens, ce bureau de référence contient des pages recensant les articles, monographies et sites web correspondant aux différents projets de recherche en cours à l’OCDE, l’accès en réseau aux CD-Rom et une liste mensuelle des nouveaux titres."

Comment voit-il l’avenir de la profession? "L’internet offre aux chercheurs un stock d’informations considérable. Le problème pour eux est de trouver ce qu’ils cherchent. Jamais auparavant on n’avait senti une telle surcharge d’informations, comme on la sent maintenant quand on tente de trouver un renseignement sur un sujet précis en utilisant les moteurs de recherche disponibles sur l’internet. A mon avis, les bibliothécaires auront un rôle important à jouer pour améliorer la recherche et l’organisation de l’information sur le réseau. Je prévois aussi une forte expansion de l’internet pour l’enseignement et la recherche. Les bibliothèques seront amenées à créer des bibliothèques numériques permettant à un étudiant de suivre un cours proposé par une institution à l’autre bout du monde. La tâche du bibliothécaire sera de filtrer les informations pour le public. Personnellement, je me vois de plus en plus devenir un bibliothécaire virtuel. Je n’aurai pas l’occasion de rencontrer les usagers, ils me contacteront plutôt par courriel, par téléphone ou par fax, j’effectuerai la recherche et je leur enverrai les résultats par voie électronique."

En 1999

En 1999, Bruno Didier est bibliothécaire à l’Institut Pasteur (Paris), une fondation privée dont le but est la prévention et le traitement des maladies infectieuses par la recherche, l’enseignement et des actions de santé publique. Séduit par les perspectives qu’offre le réseau pour la recherche documentaire, Bruno Didier crée le site web de la bibliothèque en 1996 et devient son webmestre. "Le site web de la bibliothèque a pour vocation principale de servir la communauté pasteurienne, explique-t-il en août 1999. Il est le support d’applications devenues indispensables à la fonction documentaire dans un organisme de cette taille: bases de données bibliographiques, catalogue, commande de documents et bien entendu accès à des périodiques en ligne. C’est également une vitrine pour nos différents services, en interne mais aussi dans toute la France et à l’étranger. Il tient notamment une place importante dans la coopération documentaire avec les instituts du réseau Pasteur à travers le monde. Enfin j’essaie d’en faire une passerelle adaptée à nos besoins pour la découverte et l’utilisation d’internet. (...) Je développe et maintiens les pages du serveur, ce qui s’accompagne d’une activité de veille régulière. Par ailleurs je suis responsable de la formation des usagers, ce qui se ressent dans mes pages. Le web est un excellent support pour la formation, et la plupart des réflexions actuelles sur la formation des usagers intègrent cet outil."

Son activité professionnelle a changé de manière radicale, tout comme celle de ses collègues. "C’est à la fois dans nos rapports avec l’information et avec les usagers que les changements ont eu lieu. Nous devenons de plus en plus des médiateurs, et peut-être un peu moins des conservateurs. Mon activité actuelle est typique de cette nouvelle situation: d’une part dégager des chemins d’accès rapides à l’information et mettre en place des moyens de communication efficaces, d’autre part former les utilisateurs à ces nouveaux outils. Je crois que l’avenir de notre métier passe par la coopération et l’exploitation des ressources communes. C’est un vieux projet certainement, mais finalement c’est la première fois qu’on dispose enfin des moyens de le mettre en place."

En 2000

En 2000, Bakayoko Bourahima est responsable de la bibliothèque de l’ENSEA (Ecole nationale supérieure de statistique et d’économie appliquée) d’Abidjan, un établissement qui assure la formation de statisticiens pour les pays africains d’expression française. Le site web de l’ENSEA est mis en ligne en avril 1999, dans le cadre du réseau REFER. Ce réseau est mis sur pied par l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) pour desservir la communauté scientifique et technique en Europe de l’Est, en Asie et en Afrique (24 pays participants en 2002).

Bakayoko Bourahima s’occupe de la gestion de l’information scientifique et technique et de la diffusion des travaux publiés par l’Ecole. En ce qui concerne l’internet, "mon service a eu récemment des séances de travail avec l’équipe informatique pour discuter de l’implication de la bibliothèque dans l’animation du site, relate-t-il en juillet 2000. Le service de la bibliothèque travaille aussi à deux projets d’intégration du web pour améliorer ses prestations. (...) J’espère bientôt pouvoir mettre à la disposition de mes usagers un accès internet pour l’interrogation de bases de données. Par ailleurs, j’ai en projet de réaliser et de mettre sur l’intranet et sur le web un certain nombre de services documentaires (base de données thématique, informations bibliographiques, service de références bibliographiques, bulletin analytique des meilleurs travaux d’étudiants...). Il s’agit donc pour la bibliothèque, si j’obtiens les financements nécessaires pour ces projets, d’utiliser pleinement l’internet pour donner à notre école un plus grand rayonnement et de renforcer sa plate-forme de communication avec tous les partenaires possibles. En intégrant cet outil au plan de développement de la bibliothèque, j’espère améliorer la qualité et élargir la gamme de l’information scientifique et technique mise à la disposition des étudiants, des enseignants et des chercheurs, tout en étendant considérablement l’offre des services de la bibliothèque."

Autre expérience, celle d’Emmanuel Barthe. En 2000, il est documentaliste juridique et responsable informatique de Coutrelis & Associés, un cabinet d’avocats parisien. "Les principaux domaines de travail du cabinet sont le droit communautaire, le droit de l’alimentation, le droit de la concurrence et le droit douanier, écrit-il en octobre 2000. Je fais de la saisie indexation, et je conçois et gère les bases de données internes. Pour des recherches documentaires difficiles, je les fais moi-même ou bien je conseille le juriste. Je suis aussi responsable informatique et télécoms du cabinet: conseils pour les achats, assistance et formation des utilisateurs. De plus, j’assure la veille, la sélection et le catalogage de sites web juridiques: titre, auteur et bref descriptif. Je suis également formateur internet juridique aussi bien à l’intérieur de mon entreprise qu’à l’extérieur lors de stages de formation."

A la même époque, Emmanuel Barthe est aussi le modérateur de Juriconnexion, une liste de discussion créée par l’association du même nom. "L’association Juriconnexion a pour but la promotion de l’électronique juridique, c’est-à-dire la documentation juridique sur support électronique et la diffusion des données publiques juridiques. Elle organise des rencontres entre les utilisateurs et les éditeurs juridiques (et de bases de données), ainsi qu’une journée annuelle sur un thème. Vis-à-vis des autorités publiques, Juriconnexion a un rôle de médiateur et de lobbying à la fois. L’association, notamment, est favorable à la diffusion gratuite sur internet des données juridiques produites par le Journal officiel et les tribunaux. Les bibliothécaires-documentalistes juridiques représentent la majorité des membres de l’association, suivis par certains représentants des éditeurs et des juristes."

En 2001

En 2001, Anissa Rachef est bibliothécaire et professeure à l’Institut français de Londres. Présents dans de nombreux pays, les instituts français sont des organismes officiels proposant des cours et des manifestations culturelles. A Londres, 5.000 étudiants environ s’inscrivent chaque année aux cours. Inaugurée en mai 1996, la médiathèque utilise l’internet dès sa création.

"L’objectif de la médiathèque est double, explique Anissa Rachef en avril 2001. Servir un public s’intéressant à la culture et la langue françaises et 'recruter' un public allophone en mettant à disposition des produits d’appel tels que vidéos documentaires, livres audio, CD-Rom. La mise en place récente d’un espace multimédia sert aussi à fidéliser les usagers. L’installation d’un service d’information rapide a pour fonction de répondre dans un temps minimum à toutes sortes de questions posées via le courrier électronique, ou par fax. Ce service exploite les nouvelles technologies pour des recherches très spécialisées. Nous élaborons également des dossiers de presse destinés aux étudiants et professeurs préparant des examens de niveau secondaire. Je m’occupe essentiellement de catalogage, d’indexation et de cotation. (...)

J’utilise internet pour des besoins de base. Recherches bibliographiques, commande de livres, courrier professionnel, prêt inter-bibliothèques. C’est grâce à internet que la consultation de catalogues collectifs, tels SUDOC (Système universitaire de documentation) et OCLC (OCLC Online Union Catalog), a été possible. C’est ainsi que j’ai pu mettre en place un service de fourniture de documents extérieurs à la médiathèque. Des ouvrages peuvent désormais être acheminés vers la médiathèque pour des usagers ou bien à destination des bibliothèques anglaises."


5.4. De la conservation à la communication

Face à un web encyclopédique et des bibliothèques numériques de plus en plus nombreuses, les jours des bibliothèques traditionnelles sont-ils comptés? La bibliothèque numérique rend enfin compatibles deux objectifs qui ne l’étaient guère, à savoir la conservation des documents et leur communication. Dorénavant le document ne quitte son rayonnage qu’une seule fois pour être scanné, et le grand public y a facilement accès.

En 2003, toute bibliothèque traditionnelle quelque peu dynamique a ses collections numériques, soit à usage interne, soit en accès libre sur le web, ce qui rend obsolètes les problèmes du passé: consultation freinée sinon empêchée par le souci de conservation, heures d’ouverture réduites, nombreux formulaires à remplir, longs délais de communication, pénurie de personnel. Autant de barrières à franchir qui demandaient souvent au lecteur une patience et une détermination hors du commun pour arriver jusqu’au document. A présent, si on tient absolument à consulter l’original, on le fait en connaissance de cause, après avoir feuilleté son fac-similé sur le web.

Voici un exemple parmi d’autres. En décembre 2000, le site web de la Bibliothèque municipale de Lyon donne accès à la plus importante collection française d’enluminures médiévales, soit 12.000 images scannées à partir des ouvrages précieux de la bibliothèque. Les 457 ouvrages sélectionnés sont des manuscrits s’échelonnant entre le 5e et le 16e siècles, des incunables et des livres de la Renaissance. Certains sont à dominante religieuse: bibles, missels, bréviaires, pontificaux, livres d’heures, droit canon. D’autres, à dominante profane, traitent de philosophie, d’histoire, de littérature, de sciences, etc. Les images qui ont été numérisées sont les peintures en pleine page et les miniatures, ainsi que les initiales ornées et les décors des marges.

La bibliothèque poursuit ensuite la numérisation de ses collections. Début 2003, plusieurs fonds spécialisés sont en accès libre sur le web: manuscrits, livres imprimés anciens, manuscrits autographes, collections locales (Lyon) et régionales (Rhône-Alpes), ésotérisme et franc-maçonnerie, fonds de la première guerre mondiale (1914-1918), estampes, affiches, livres d’artistes, photographies, fonds Lacassagne (père de l’école lyonnaise d’anthropologie criminelle), fonds chinois, arts du spectacle, et enfin collection jésuite des Fontaines.

Un deuxième exemple particulièrement significatif est la mise en ligne en novembre 2000 de la version numérique de la Bible de Gutenberg, premier ouvrage à avoir jamais été imprimé. Datant de 1454-1455, cette Bible aurait été imprimée par Gutenberg en 180 exemplaires dans son atelier de Mayence (Allemagne). 48 exemplaires, dont certains incomplets, existeraient toujours. La British Library en possède deux versions complètes, et une partielle. En mars 2000, dix chercheurs et experts techniques de l’Université Keio de Tokyo et de NTT (Nippon Telegraph and Telephone Communications) viennent travailler sur place pendant deux semaines pour numériser ces deux Bibles, légèrement différentes, à l’aide de matériels hautement sophistiqués.

La bibliothèque numérique menace-t-elle l’existence de la bibliothèque traditionnelle? En 1997 et 1998, sur leur site web, plusieurs grandes bibliothèques expliquent que, à côté d’un secteur numérique en pleine expansion, la communication physique des documents reste essentielle. Ces commentaires ont depuis disparu.

La raison d’être des bibliothèques nationales et autres grandes bibliothèques de conservation est de préserver un patrimoine accumulé au fil des siècles: manuscrits, incunables, livres imprimés, journaux, périodiques, gravures, partitions musicales, photos, films, etc. Ceci n’est pas près de changer. Si le fait de disposer de supports numériques favorise la communication, il faut bien un endroit pour stocker les documents physiques originaux, à commencer par les Bibles de Gutenberg. Les bibliothèques nationales archivent d'ailleurs aussi les documents électroniques et les pages web. A la Bibliothèque nationale de France (BnF) par exemple, il a été décidé d’archiver entre autres les sites dont le nom de domaine se termine en ".fr", ou encore les sites de la campagne électorale pour les présidentielles de 2002.

Les bibliothèques publiques ne semblent pas près de disparaître non plus. A l’heure actuelle, malgré la curiosité suscitée par le livre numérique, les lecteurs assurent qu’ils ne sont pas prêts à lire Zola ou Proust à l’écran. Mais ceci risque de changer dans quelques années, quand les enfants ayant appris à lire directement à l’écran seront arrivés à l’âge adulte.

Si les bibliothèques nationales et les bibliothèques publiques sont toujours utiles en 2003, la situation est différente pour les bibliothèques spécialisées. Dans nombre de domaines où l’information la plus récente est primordiale, on s’interroge maintenant sur la nécessité d’aligner des documents imprimés sur des rayonnages, alors qu’il est tellement plus pratique de rassembler, stocker, archiver, organiser, cataloguer et diffuser des documents électroniques, et de les imprimer seulement à la demande.


Chapitre 6: Dictionnaires
Table des matières


Vol. 1 (1993-1998)
Vol. 1 & 2 (1993-2003)


© 2003 Marie Lebert