NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - 1993-2003
L’internet et les technologies numériques sont en train de bouleverser le monde du livre. Imprimé sous de multiples formes depuis plus de cinq siècles, le livre se convertit. Si, en 2003, le livre imprimé a toujours sa place, et pour longtemps encore, d’autres supports se développent, et les habitudes de travail changent. Le mouvement amorcé entre 1993 et 1998 s’accentue, avec de plus en plus de textes électroniques, de sites web liés au livre, d'éditeurs électroniques, de librairies en ligne et de bibliothèques numériques. Les années 1998-2003 voient l’apparition de dictionnaires en ligne, de bases textuelles sur le web, d’oeuvres hypermédias, de livres en version numérique, de livres numériques braille et audio, de logiciels de traduction, de logiciels de lecture pour ordinateur et assistant personnel (PDA), d’appareils de lecture de la taille d’un livre, etc. On attend maintenant la connexion à l'internet dans fil et le papier électronique.
Le grand vecteur du livre numérique est le web qui, s’il subit l’emprise des multinationales, est également devenu en quelques années une gigantesque encyclopédie, une énorme bibliothèque, une immense librairie et un organe de presse des plus complets. Le web est relayé par d’autres secteurs de l’internet, à commencer par le courrier électronique, les listes de diffusion et les forums de discussion. A cela s’ajoutent des services spécifiques au livre, comme la numérisation des oeuvres imprimées, la conception des logiciels de lecture, la fabrication des livres numériques et la mise au point des appareils de lecture.
Converties en textes électroniques, les oeuvres du domaine public peuvent désormais être diffusées librement, y compris auprès des aveugles et malvoyants. A côté du livre imprimé apparaît le livre numérique, qu’on peut lire sur son ordinateur, sur son assistant personnel (PDA) ou sur un appareil dédié qu’on appelle livre électronique. Par ailleurs, des écrivains explorent les possibilités offertes par l’hyperlien ou le courriel pour créer des oeuvres d’un genre nouveau.
Le numérique secoue durement le monde de l’imprimé, réputé jusque-là pour sa stabilité. Contrairement aux pronostics un peu rapides de quelques spécialistes enthousiastes, le livre imprimé n’est pas menacé pour autant, loin s’en faut, et point n’est besoin de pleurer la mort du papier. On a désormais deux supports - papier et numérique - au lieu d’un seul. Si les professionnels du livre sont maintenant nombreux à utiliser les ressources offertes par le numérique, peu d’entre eux cependant sont devenus des adeptes du zéro papier, et beaucoup restent amoureux du livre imprimé, à la fois pour son côté pratique et pour le plaisir de l’objet.
Le livre imprimé a cinq siècles et demi. Le livre numérique est plus difficile à dater. Si on le considère comme un texte électronique, il aurait trente ans et serait né avec le Projet Gutenberg, créé dès juillet 1971 par Michael Hart pour distribuer gratuitement les oeuvres du domaine public par voie électronique. Il faut toutefois attendre le développement du web au milieu des années 1990 pour que débute une véritable diffusion des textes à l’échelle de la planète. Si on le réduit à son aspect commercial, le livre numérique serait né en mai 1998 avec la mise en vente des premiers titres numériques par les éditions 00h00. Mais, là aussi, le livre numérique commercial ne prend vraiment son essor que deux ans et demi plus tard, à compter du deuxième semestre 2000. Signe des temps, en novembre 2000, la British Library met en ligne la version numérique de la Bible de Gutenberg (1454-1455), premier livre à avoir jamais été imprimé.
Le Livre 010101 (1998-2003) expose les changements apportés par l’utilisation extensive de l’internet, la diffusion à grande échelle des textes électroniques et la commercialisation des livres numériques (versions numérisées d’un livre), et ce dans toutes les catégories professionnelles liées au livre: chez les auteurs, les éditeurs et les libraires bien sûr, mais aussi chez les bibliothécaires-documentalistes, les professeurs, les chercheurs, les traducteurs, les linguistes, les créateurs de sites littéraires, les concepteurs de nouveaux supports de lecture, etc.Ce livre se base à la fois sur le suivi de l’actualité pendant plusieurs années et sur des entretiens menés par courriel auprès de nombreux professionnels du livre (et apparentés). Il ne prendmalheureusement pas en compte - ou si peu - les vastes domaines que sont les manuels d’enseignement et les livres pour enfants. Ses quelque 150 pages n’y suffiraient pas, et chaque domaine mériterait des mois de recherche et une étude à part.
Dans les pages qui suivent, "livre numérique" (version numérisée d’un livre) et "livre électronique" (appareil de lecture) sont utilisés faute de mieux, en attendant peut-être une terminologie plus adaptée. En anglais, le terme "ebook" recouvre les deux notions, ce qui n’est pas non plus sans prêter à confusion. Le livre étant à l’origine un assemblage de feuilles imprimées formant un volume, utiliser le terme "livre" en le couplant avec les adjectifs "numérique" et "électronique" relève bien sûr de l’hérésie si on s’en tient au livre en tant que support. Mais ces expressions sont tout de même acceptables si on considère le livre dans sa dimension éditoriale.
Ce problème terminologique est soulevé par Pierre Schweitzer, concepteur du baladeur de textes @folio. "J’ai toujours trouvé l’expression 'livre électronique' très trompeuse, piégeuse même, écrit-il en juillet 2002. Car quand on dit 'livre', on voit un objet trivial en papier, tellement courant qu’il est devenu anodin et invisible... alors qu’il s’agit en fait d’un summum technologique à l’échelle d’une civilisation. Donc le terme 'livre' renvoie sans s’en rendre compte à la dimension éditoriale - le contenu -, puisque 'l’objet technique', génial, n’est pas vraiment vu, réalisé... Et de ce point de vue, cette dimension-là du livre, comme objet technique permettant la mise en page, le feuilletage, la conservation, la distribution, la commercialisation, la diffusion, l’échange, etc., des œuvres et des savoirs, est absolument indépassable. Quand on lui colle 'électronique' ou 'numérique' derrière, cela renvoie à tout autre chose: il ne s’agit pas de la dimension indépassable du codex, mais de l’exploit inouï du flux qui permet de transmettre à distance, de recharger une mémoire, etc., et tout ça n’a rien à voir avec le génie originel du codex! C’est autre chose, autour d’internet, de l’histoire du télégraphe, du téléphone, des réseaux..."
C’est pour tenter de contrer ce flou terminologique que ce livre a pour titre Le Livre 010101. Le livre 010101, c’est à la fois le livre numérique, le livre électronique, le texte électronique, la base de donnée numérique et l’oeuvre numérisée. De plus, 010101 en numération binaire donne 21, un nombre qui, s’il est symbolique, n’est pas très élevé, et montre qu’il reste beaucoup à faire.
Comme si cela n’était pas suffisant, Le Livre 010101 est en lui-même une aventure éditoriale, avec un premier livre couvrant les années 1993-1998, un deuxième livre d’enquête publié en ligne en juillet 2001, un troisième livre plus analytique distribué au format PDF en septembre 2002, un quatrième livre publié en ligne en mars 2003 et enfin une ultime version datant de septembre 2003 (celle que vous êtes en train de lire). La totalité des entretiens, études, enquêtes et analyses est disponible en ligne sur le Net des études françaises (NEF), à l’adresse suivante: http://www.etudes-francaises.net/entretiens/
Chapitre 1: Chronologie
Table des matières
Vol. 1 (1993-1998)
Vol. 1 & 2 (1993-2003)
© 2003 Marie Lebert