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Lentement mais sûrement, une devise qui vaut aussi pour le livre numérique

paru dans Edition-actu n° 55, 30 mars 2002

Bien, à l'origine j'avais prévu un autre sujet pour cette rubrique mais, suite aux commentaires lus ces derniers jours sur l'internet, mon sang n'a fait qu'un tour. Tel Don Quichotte, il me faut sans plus tarder enfourcher mon cheval virtuel et voler au secours du livre numérique / électronique.

Dans la presse, chez les éditeurs, chez les libraires, au Salon du livre de Paris, décidément, c'est tout ou rien. Les tambours, trompettes, flons-flons et majorettes des années 2000 et 2001 ont fait place à un pessimisme kafkaïen (remarque d'un collègue qui n'a jamais lu Kafka) en 2002. Vite, un petit remontant (whisky? porto? calva?) s'impose à l'intention de ceux qui y croient encore et dont le moral semble assez bas.

D'accord, les choses ne vont pas très bien pour Cytale et son Cybook. Cytale, pionnier dans son domaine, a fait le pari de lancer il y a maintenant un an le premier livre électronique européen (et, qui plus est, français, oui, Marianne, je sais), ce qui est assez courageux dans un domaine vierge qui reste encore à défricher (pas déchiffrer, Marianne, défricher, encore que, dans ce cas précis...). Il faut donc laisser au Cybook le temps de faire son trou, et éventuellement de muer. Deuxième modèle nous venant tout droit de la Californie, le Gemstar eBook - qui répond au doux nom de GEB 2200 - a débarqué en Allemagne en octobre 2001. La France, c'est pour plus tard, sans date précise, ce qui n'étonnera personne. Le troisième modèle, à la fois alsacien, français et européen, se prénomme @folio, et tout le monde en est amoureux avant même qu'il ne soit sorti. @folio est prêt pour la commercialisation, mais les fonds (non, pas la couleur de l'écran, Marianne, nous parlons ici des finances) ne semblent pas faciles à trouver. On se demande à quoi sert l'argent des financeurs publics et privés adeptes des nouvelles technologies.

D'accord, l'enthousiasme délirant des débuts a fait place à plus de mesure ces derniers mois, ce qui est sans doute une bonne chose. La température (non, pas celle du thermomètre, Marianne, c'est juste une image) a baissé à Francfort en octobre 2001, puis à Paris en mars 2002. Alors que, en octobre 2000, le livre électronique était la vedette de la Foire internationale du livre de Francfort, il s'est fait beaucoup plus modeste lors de la Foire d'octobre 2001. La même remarque vaut aussi pour le Salon du livre de Paris qui, en mars 2000, avait son Village eBook, en mars 2001 son premier sommet européen de l'édition numérique, modestement intitulé eBook Europe 2001, et en mars 2002 plus grand chose.

D'accord, on ne parle plus du tout numérique pour le proche avenir, mais plutôt de la juxtaposition papier et pixel, et de la publication simultanée d'un livre en deux versions, numérique et imprimée, ce qui est probablement plus intelligent. Diable, il faut laisser à ce nouveau mode de distribution (non, pas de grande distribution, Marianne, c'est encore un peu tôt) le temps de se mettre en place, constituer les collections, améliorer les supports de lecture, faire baisser leurs prix et habituer les lecteurs à lire sur écran par le biais d'une machine, ce qui n'est pas rien. En bref, du pain sur la planche pour ces prochaines années, en attendant le papier électronique.

Cependant, lentement mais sûrement, le livre numérique poursuit patiemment son chemin, je vous assure. Il suffit de regarder quelques rapports d'activité 2001, publiés en mars 2002. Random House, premier éditeur mondial de livres en langue anglaise, qui appartient maintenant à la galaxie Bertelsmann, annonce que le nombre de livres numériques vendus en 2001 a doublé par rapport à celui de 2000. Créé en février 2001, PerfectBound, le service électronique de HarperCollins, ne propose il est vrai que 10% de son catalogue sous forme électronique, mais la progression régulière des ventes est suivie de très près par l'éditeur. Tous éditeurs confondus, les ventes de 2001 se chiffrent par milliers pour le New World College Dictionary de Webster, les romans de Stephen King et Lisa Scottolini, les livres d'économie et les manuels pratiques. Chez les éditeurs francophones, malgré tous mes efforts, il me fut impossible de mettre la main sur le moindre chiffre, et ce n'est pas faute d'avoir essayé.

Pour les logiciels de lecture, cela ne va pas mal non plus. Créée en mars 2000 et basée à Paris, la société Mobipocket fonce. En octobre 2001, le Mobipocket Reader est utilisé sur la plupart des agendas électroniques (PDA), à savoir le Palm Pilot, le Pocket PC, l'eBookMan de Franklin, le Nokia 9210 et l'Epoc 32 de Psion. La librairie numérique de Mobipocket compte 4.000 titres dans plusieurs langues. De son côté, en mars 2002, la société Palm Digital Media annonce 180.000 livres numériques vendus en 2001 - lisibles, cela va sans dire, avec le Palm Reader sur le Palm Pilot et le Pocket PC - soit 40% de plus que l'année précédente. Le Microsoft Reader se porte bien, et l'Acrobat eBook Reader de chez Adobe aussi. De ce côté-là, les finances ne manquent pas. L'Acrobat Reader, produit vétéran régulièrement actualisé, compte maintenant plus de 160 millions d'utilisateurs de par le monde, preuve, s'il en est, que les gens lisent à l'écran.

Il reste au livre numérique / électronique à faire ses preuves face au livre imprimé, un modèle économique qui a plus de cinq cents ans et qui est donc parfaitement rodé (très exactement 547 ans au compteur, Marianne, soit deux fois plus que notre bonne vieille république, sans vouloir t'offenser). Alors, inutile de jouer les Cassandre, et de l'enterrer à peine né. Fichons-lui la paix et laissons-lui le temps de grandir, se développer, se fortifier et gagner en crédibilité. Encourageons ceux qui se coltinent le défrichage au lieu de les conspuer. "La critique est facile, mais l'art est difficile", dit un proverbe, une constatation qui vaut aussi pour le numérique. Adressons tous nos voeux de réussite à ceux qui travaillent dans l'ombre, loin des projecteurs, mais qui aimeraient qu'on ne leur coupe ni l'électricité ni le téléphone. A bientôt.


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