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Un peu de liant dans vos messages, s'il vous plaît...

paru dans E-Doc n° 1, 8 juin 2000

Tous les poncifs qu'on lit régulièrement sur les nombreux avantages du courrier électronique nous rappellent qu'il s'agit d'un moyen de communication formidable, rapide, fiable, pas de bla-bla-bla, on va à l'essentiel. Avec du papier, on ne pouvait pas jeter trois lignes sur la page blanche sans risquer d'être impoli. En plus, il fallait prévoir une enveloppe et un timbre. Quelle perte de temps! Et les nouvelles arrivaient avec plusieurs jours de retard, surtout quand elles devaient franchir l'Atlantique, le Pacifique ou la Méditerranée, et j'en passe...

Tout ceci est on ne peut plus vrai, mais tout n'est pas rose pour autant. Bien qu'étant une adepte inconditionnelle du courrier électronique, appelé aussi courriel par nos amis québécois (une terme qu'il serait grand temps d'adopter en France), je me permettrai de souligner ici trois inconvénients majeurs.

(1) Il est plus facile d'envoyer un e-mail agressif et de le regretter. Avec le papier, on commençait à écrire sur la page blanche, on raturait, on jetait, on reprenait une autre page blanche, et ainsi de suite. On a tous vu nos acteurs et actrices favoris - et parfois nos proches - recommencer vingt fois leur lettre de rupture, tout en pleurant, parfois même en sanglotant, et froisser régulièrement les feuilles de papier pour les jeter à la corbeille, quand ce n'est pas partout dans la pièce. La moitié de la rame (de papier) y passait, puis ils finissaient par décrocher leur téléphone, parfois à une heure indue de la nuit (dans les films contemporains bien sûr); autrement ils n'avaient pas d'autre choix que d'arriver à la fin de ce pénible exercice et de recourir ensuite aux services d'un pigeon voyageur ou d'un messager qui enfourchait son cheval et partait au triple galop.

(2) Il est plus facile de faire suivre un e-mail un peu rapidement à une tierce personne et de le regretter. Avant, on avait bien la photocopie et le fax, mais le procédé manquait souvent de discrétion. Maintenant, qui pense à mettre systématiquement en copie la personne dont on faire suivre le e-mail à un tiers? Il semblerait que cette marque élémentaire de politesse soit loin d'être courante. Et voici l'être humain parti une fois de plus dans l'une de ses activités favorites: je papote, je bavarde, je médis; les commentaires acerbes vont bon train, à l'insu de la personne concernée, cela va sans dire. Point final sur le sujet. Désolée, je n'aime ni les ragots ni la médisance.

(3) Dernier point qui pour moi est le plus important, la brièveté des messages est telle qu'elle en devient parfois consternante. Certains messages, provenant aussi bien d'amis que de collègues, me font l'effet d'une gifle. Pas de bonjour, pas d'au revoir, pas de merci. Quand on se rencontre en chair et en os, ou qu'on se téléphone, on se salue, et on prend même le temps d'échanger quelques considérations sur le temps, la santé, le dernier match de foot ou le changement d'équipe municipale. Par e-mail, sous prétexte de rapidité et d'efficacité, sacro-saintes vertus dont on nous rabat constamment les oreilles, plus d'échanges de petites phrases qui, si elles sont anodines, ne sont pas moins un rayon de soleil quand il pleut à verse dehors, ou bien un baume au coeur quand on est en pleine crise professionnelle ou conjugale.

Je précise, si besoin est, qu'il n'en faut pas beaucoup pour transformer un courrier électronique et le faire passer de l'état d'aboiement ou d'ordre de service à l'état de message quelque peu amical. J'aime les messages de ma soeur et de quelques amis et collègues pour cette raison: bonjour, le temps, la santé, au revoir, merci, à bientôt. Certains jours, j'en pleure parfois d'émotion, quand j'en trouve un de ce genre au milieu de l'épaisse forêt des messages-télégrammes vous rappelant une fois de plus que votre correspondant(e) est débordé(e) et qu'il n'a vraiment, mais vraiment pas de temps à perdre.

J'aime aussi les gens qui prennent le temps d'accuser réception de mon message, sans systématiquement considérer que c'est (encore) une perte de temps, puisqu'un message arrive dans plus de 99% (?) des cas. OK, bien reçu, d'accord, pas d'accord, je n'ai pas le temps aujourd'hui mais je te réponds bientôt, ou quelque chose d'approchant. Un petit mot rapide est si facile par e-mail, au lieu de l'habituel trou noir révélateur de la profonde indifférence caractérisant les relations humaines dans notre monde contemporain si pressé.


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