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Un nouveau mode d'écriture grâce à l'hyperlien?

paru dans E-Doc n° 7, 20 juillet 2000

Quelques écrivains précurseurs sont allés "explorer ce nouvel espace (hyperlien)... avec un rythme, une temporalité différents" (Jean-Paul). Sur le Web, Lucie de Boutiny, Anne-Cécile Brandenbourger, Luc Dall'Armellina et Jean-Paul proposent respectivement un roman multimédia, un hyper-roman, un espace d'écritures multimédia et des histoires en 3D. Chacun a accepté de répondre à la même question, à savoir dans quelle mesure l'hyperlien avait changé leur mode d'écriture.

Lucie de Boutiny, auteur de NON Roman, roman multimédia édité et diffusé gratuitement en épisodes par la revue d'art Synesthésie

"Ce qui a changé: le bonheur d'écrire autrement. Depuis l'avènement d'ordinateurs multimédia, relativement peu coûteux, connectés au Web, un certain nombre d'artistes éclairés par la fée électricité ont besoin d'être illuminés. Quelles que soient leurs confessions d'origine (arts visuels, littérature, poésie sonore, expérimentale...), ils utilisent le média numérique comme un outil de création dont il faut découvrir les possibles. Le Net étant évolutif, les artistes proposent le plus souvent des tentatives, c'est curieux, des 'works in progress', c'est opiniâtre, ou des pièces plus ambitieuses qui se construisent dans le temps, en fonction de l'amélioration du Web (sa fluidité, sa résolution d'images...). Ainsi le cyberartiste propose souvent des actualisations et des versions O.x. Voilà qui est intéressant et qui nous sort du marché.

Pour l'anecdote: NON roman a été plusieurs fois remanié au niveau de sa présentation. Pour toutes ces oeuvres, il n'y a pas de légitimité ou de caution "Art", et pourtant il y a déjà une quarantaine d'années d'expérimentation... Les observateurs les plus technophobes ne peuvent plus nier qu'il existe des créations informatiques, et que le raz-de-marée bleu pixel est irréversible."

Anne-Cécile Brandenbourger, auteur de l'hyper-roman Apparitions inquiétantes, publié aux éditions 00h00.com après avoir paru sur le site d'Anacoluthe

Apparitions inquiétantes est "une longue histoire à lire dans tous les sens, un labyrinthe de crimes, de mauvaises pensées et de plaisirs ambigus..." Après avoir paru sur le site d'Anacoluthe, la version définitive a été publiée en février 2000 par les éditions 00h00.com, en tant que premier titre de sa nouvelle collection "2003 (nouvelles écritures)". Les prochaines étapes sont une version destinée au livre électronique (e-book) et une version anglaise.

"Les possibilités offertes par l'hypertexte m'ont permis de développer et de donner libre cours à des tendances que j'avais déjà auparavant. J'ai toujours adoré écrire et lire des textes éclatés et inclassables (comme par exemple La vie mode d'emploi de Perec ou Si par une nuit d'hiver un voyageur de Calvino) et l'hypermédia m'a donné l'occasion de me plonger dans ces formes narratives en toute liberté. Car pour créer des histoires non linéaires et des réseaux de textes qui s'imbriquent les uns dans les autres, l'hypertexte est évidemment plus approprié que le papier.

Je crois qu'au fil des jours, mon travail hypertextuel a rendu mon écriture de plus en plus intuitive. Plus 'intérieure' aussi peut-être, plus proche des associations d'idées et des mouvements désordonnés qui caractérisent la pensée lorsqu'elle se laisse aller à la rêverie. Cela s'explique par la nature de la navigation hypertextuelle, le fait que presque chaque mot qu'on écrit peut être un lien, une porte qui s'ouvre sur une histoire."

Luc Dall'Armellina, co-auteur et webmestre de oVosite, espace d'écritures multimédia

OVosite est l'oeuvre d'un collectif de six auteurs issus du Département Hypermédia de l'Université Paris 8 -- Chantal Beaslay, Laure Carlon, Luc Dall'Armellina, Philippe Meuriot, Anika Mignotte et Claude Rouah -- autour d'un symbole primordial et spirituel, celui de l'oeuf. Le site s'est constitué selon un principe de cellules autonomes qui visent à exposer et intégrer des sources hétérogènes (littérature, photo, peinture, vidéo, synthèse) au sein d'une interface unifiante.

"Non, parce qu'écrire est de toute façon une affaire très intime, un mode de relation qu'on entretient avec son monde, ses proches et son lointain, ses mythes et fantasmes, son quotidien et enfin, appendus à l'espace du langage, celui de sa langue d'origine. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas que l'hypertexte change fondamentalement la manière d'écrire. Qu'on procède par touches, par impressions, associations, quel que soit le support d'inscription, je crois que l'essentiel se passe un peu à notre insu.

Oui, parce que l'hypertexte permet sans doute de commencer l'acte d'écriture plus tôt: devançant l'activité de lecture (associations, bifurcations, sauts de paragraphes) jusque dans l'acte d'écrire. L'écriture (significatif avec des logiciels comme StorySpace) devient peut-être plus modulaire. On ne vise plus tant la longue horizontalité du récit mais la mise en espace de ses fragments, autonomes. Et le travail devient celui d'un tissage des unités entre elles. L'autre aspect lié à la modularité est la possibilité d'écritures croisées, à plusieurs auteurs. Peut-être s'agit-il d'ailleurs d'une meta-écriture, qui met en relation les unités de sens (paragraphes ou phrases) entre elles."

Jean-Paul, webmestre du site Des cotres furtifs, qui raconte des histoires en 3D

"En fait, ce n'est pas sur la toile, c'est sur mon premier Mac, que j'ai découvert l'hypermédia à travers l'auto-apprentissage d'Hypercard. Depuis, j'écris (compose, mets en page, en scène) directement à l'écran. L'état 'imprimé' de mon travail n'est pas le stade final, le but; mais une forme parmi d'autres, qui privilégie la linéarité et l'image, et qui exclut le son et les images animées.

C'est finalement dans la 'publication en ligne' (l'entoilage?) que j'ai trouvé la mobilité, la fluidité que je cherchais. Le maître mot y est 'chantier en cours', sans palissades. Accouchement permanent, à vue, comme le monde sous nos yeux. Provisoire, comme la vie qui tâtonne, se cherche, se déprend, se reprend. Avec évidemment le risque souligné par les Gutenbergs, les orphelins de la civilisation 'du' livre: plus rien n'est sûr. Il n'y a plus de source fiable, elles sont trop nombreuses, et il devient difficile de distinguer un clerc d'un gourou. Mais c'est un problème qui concerne le contrôle de l'information. Pas la transmission des émotions.

Bref, pour répondre à votre question: oui, l'hypermédia a changé mon 'écriture'. Et c'est sur la toile mouvante que je trouve plaisir et sens à participer au site des 'cotres'."

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Rendez-vous donc dans quelques mois pour un nouveau "point" avec ces quatre auteurs...


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