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Les auteurs ont-il encore besoin des éditeurs?

paru dans E-Doc n° 14, 14 septembre 2000

Stephen King, auteur de best-sellers, mène la première expérience d'auto-édition sur le Web, ou plus exactement la première expérience très médiatisée, du fait de la notoriété de l'auteur et des moyens financiers dont il dispose. En fait, les auteurs qui s'auto-éditent sont légion, mais ils n'ont malheureusement pas le million de francs injecté par Stephen King dans "l'exploration d'un nouveau continent", ni les dizaines de milliers de fans prêts à le suivre. L'aventure est intéressante à double titre. Premièrement, elle suscite une certaine curiosité de la part des auteurs, et une certaine inquiétude de la part des éditeurs. Deuxièmement, elle semble avoir joué un rôle de catalyseur, et incité des éditeurs et des libraires à se lancer dans la production de livres numériques à télécharger moyennant paiement, ou même à proposer de véritables services de vente de livres numériques, avec impression uniquement à la demande (un sujet qui sera abordé prochainement). Avec tous les supports possibles (lecture sur écran d'ordinateur, sur PDA, sur eBook, etc.), l'enjeu commercial est de taille.

***

En mars 2000, Riding The Bullet, nouvelle de 66 pages, provoque un véritable raz-de-marée lors de sa "sortie" sur le Web. 400.000 exemplaires sont téléchargés en 24 heures sur les sites des libraires en ligne qui la vendent (au prix de 2,50 $US = 19 FF). Il s'agit d'une grande première, Stephen King étant le premier auteur à succès à distribuer une oeuvre uniquement sur Internet.

Fort de cette expérience, en juillet 2000, le maître de l'épouvante décide de se passer pour une fois des services de son éditeur (Simon & Schuster). Par le biais d'un site Web créé à cette intention pour permettre le téléchargement des différents chapitres, il débute la publication en épisodes de The Plant, roman épistolaire inachevé commencé dans les années quatre-vingts, une histoire de plante carnivore qui s'empare d'une maison d'édition en lui promettant le succès commercial en échange de sacrifices humains.

Le 24 juillet, le premier chapitre est téléchargeable en plusieurs formats (PDF, OEB, HTML, texte, etc.) pour la somme de un $US (7,60 FF), avec paiement différé ou paiement immédiat sur le site d'Amazon.com.

Dans les conditions à accepter avant le téléchargement, on lit que la publication du deuxième chapitre est liée au règlement du premier chapitre par 75% des internautes au moins.

Au 31 juillet, le chapitre est téléchargé 152.132 fois avec paiement par 76% des internautes, dont certains ont tenu à payer davantage que la somme dite (2 $US et parfois même 10 ou 20 $US) pour compenser le manque à gagner de ceux qui ne paieraient pas, et éviter ainsi que la série ne s'arrête!

La barre des 75% est donc dépassée de peu, au grand soulagement des fans, si bien que le deuxième chapitre suit le 21 août.

"Mes amis, vous avez l'occasion de devenir le pire cauchemar des éditeurs, déclare l'auteur sur le site. Comme vous voyez, c'est simple. Pas de cryptage assommant! Vous voulez imprimer l'histoire et en faire profiter un(e) ami(e)? Allez-y. Une seule condition: tout repose sur la confiance, tout simplement. C'est la seule solution. Je compte sur deux facteurs. Le premier est l'honnêteté. Prenez ce que bon vous semble et payez pour cela, dit le proverbe. Le second est que vous aimerez suffisamment l'histoire pour vouloir en lire davantage. Si vous le voulez vraiment, vous devez payer. Rappelez-vous: payez et l'histoire continue. Volez, et l'histoire s'arrête."

Ceci dit, s'auto-publier n'est pas à la portée de toutes les bourses. Le premier chapitre a coûté à Stephen King la somme de 124.150 $US (943.540 FF) pour la création, le design et la publicité du site Web, sans compter sa prestation en tant qu'écrivain et les services de son assistante.

L'auteur se demande maintenant s'il ne va pas allonger la taille des chapitres (5.000 signes pour les deux premiers). Il prévoit onze ou douze chapitres en tout, avec un nombre total de 1,7 million de téléchargements. Le ou les derniers chapitres seraient gratuits. Mais nous n'en sommes pas encore là.

Le 25 août, l'auteur insistait sur le fait que le nombre de téléchargements du chapitre 2 était légèrement inférieur à celui du premier chapitre, à cause d'une publicité moindre et/ou de problèmes de téléchargement. Le nombre de paiements semblait poser problème aussi, le public ne payant qu'une fois pour plusieurs téléchargements. Il s'engageait cependant à publier le troisième chapitre comme prévu fin septembre, et à prendre une décision ensuite sur la poursuite ou non de l'expérience, en fonction des paiements. Mais une chose est déjà sûre: les auteurs ont encore besoin des éditeurs.


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