NEF - Le Livre 010101 de Marie Lebert - Articles
paru dans E-Doc n° 18, 12 octobre 2000
Le week-end dernier (7-8 octobre 2000) était celui des Journées nationales des aveugles et malvoyants. A cette occasion, le 6 octobre exactement, l'association BrailleNet a lancé le portail VoirPlus pour "démontrer concrètement comment Internet peut constituer un outil d'intégration sociale et culturelle sans précédent au service des aveugles et des malvoyants".
Il y a un mois, le 15 septembre, Handicap Zéro mettait en ligne un site entièrement conçu pour permettre la navigation autonome des personnes aveugles et malvoyantes, entendant ainsi "renforcer sa mission avec les moyens d'information actuels et tenter de montrer l'exemple pour que l'Internet soit accessible à tous".
Nos voisins européens se mobilisent aussi.
Au Royaume-Uni, le 7 septembre, le RNIB (Royal National Institute for the Blind publiait un rapport dénonçant le fait que les sites majeurs de vente en ligne (Abbey National, Alliance & Leicester, Asda, Debenhams, Dorothy Perkins, Evans, HSBC Bank, Marks & Spencer, NatWest, Pizza Hut, Pizza Express, Post Office, Safeway, Sainsbury's, Somerfield, Tesco et W.H. Smith) ne sont pas accessibles aux personnes handicapées visuelles. Seul Marks & Spencer répondait à quatre des cinq critères retenus. Un fait particulièrement alarmant pour cette catégorie de la population qui devrait au contraire constituer une clientèle privilégiée, grâce à l'indépendance que lui procurerait le commerce électronique par rapport au shopping classique. Suite à quoi la chaîne de supermarchés Tesco est en train de développer une nouvelle version de son site. Il serait curieux de voir ce que donnerait une étude similaire sur les librairies en ligne.
En Espagne, une campagne a été lancée début septembre par le SIDAR (Seminario de Iniciativas sobre Discapacidad y Accesibilidad en la Red) pour signer en ligne une pétition pour un Internet accessible à tous. Le 10 octobre, la pétition avait reçu 434 signatures provenant d'Espagne et 161 provenant d'autres pays.
En théorie, tout site devrait pouvoir être lu par une personne malvoyante grâce au paramétrage de son navigateur afin de modifier couleurs, contrastes, polices et tailles de caractères, etc. En théorie, tout site devrait être consultable par une personne aveugle au moyen d'un logiciel de lecture d'écran permettant la lecture sur un terminal braille, et permettant aussi l'écoute du texte au moyen d'un appareil de synthèse vocale.
En pratique, c'est loin d'être le cas, et c'est vraiment scandaleux. D'autant plus scandaleux que le document électronique offre la possibilité de dissocier contenu et présentation, une présentation que le lecteur peut modifier à son gré. Quant au contenu, on dispose maintenant des technologies permettant de le convertir automatiquement dans un autre système de codage ou une autre langue, y compris le braille et la synthèse vocale.
Ceci est encore plus scandaleux quand on pense que la généralisation des documents numériques offre enfin aux malvoyants et aux aveugles la possibilité d'accéder à de très nombreux textes, chance qu'ils n'avaient pas jusque là, les livres en gros caractères, en braille et en version enregistrée étant peu nombreux par rapport à la production imprimée standard, malgré tous les efforts dispensés par quelques éditeurs spécialisés et nombre de bénévoles depuis tant d'années.
Dans la foulée des journées nationales pour les aveugles - suivies le 21 octobre par une convention nationale des aveugles et déficients visuels organisée à Paris par le Comité national pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CNPSAA) -, il nous paraissait donc important de proposer un numéro spécial de E-Doc sur ce sujet. Par la suite, d'autres numéros seront consacrés au livre braille issu du livre numérique et au livre numérique vocal.
"1.500.000, c'est le nombre de personnes aveugles et malvoyantes en France pour qui surfer sur le Web n'est pas sans embûches", lit-on sur le site de Handicap Zéro. "Très peu de sites aujourd'hui leur proposent une navigation accessible. Pourtant, en France, le taux d'équipement informatique des personnes déficientes visuelles est supérieur à la moyenne nationale, l'outil étant, grâce aux interfaces spécifiques, un vecteur d'autonomie considérable."
Dans l'éditorial de VoirPlus, portail lancé le 6 octobre par l'association BrailleNet pour améliorer l'intégration des aveugles et malvoyants, Dominique Burger, fondateur de l'association, précise: "De nombreux services, jusqu'alors impossibles, pourraient aujourd'hui être accessibles aux personnes handicapées visuelles: consulter les ouvrages d'une bibliothèque, feuilleter un catalogue, passer commande, contrôler une facture, effectuer une démarche administrative, etc. Il s'en faudrait souvent de peu pour que toutes ces opérations 'en ligne' puissent être effectuées également par des aveugles ou des malvoyants: commentaire textuel sur une image ou une icône, meilleure ergonomie visuelle des écrans, suppression des cadres inutiles, etc."
Il est donc grand temps que tout le monde songe à respecter la Web Accessibility Initiative (WAI), ensemble de normes internationales mises en place par le Consortium W3C afin de garantir un niveau d'accessibilité suffisant du Web pour les personnes handicapées. Largement diffusées et régulièrement actualisées, les recommandations du WAI font maintenant référence dans de nombreux pays. L'initiative est coordonnée par l'INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) en France, par le MIT (Massachussets Institute of Technology) aux Etats-Unis et par l'Université de Keio au Japon.
Pour une meilleure lecture à l'écran, les malvoyants peuvent utiliser les options de personnalisation de leur navigateur, afin de modifier la couleur du fond, la couleur du texte, les contrastes entre les couleurs, la police et la taille des caractères, ou bien utiliser les feuilles de style permettant de modifier l'apparence d'un document HTML. Pour lire l'écran, les aveugles utilisent un navigateur textuel permettant la lecture en braille grâce à un afficheur électronique de braille, et permettant aussi l'écoute au moyen d'un appareil de synthèse vocale, les deux procédés étant complémentaires.
Un navigateur textuel tel que BrailleSurf 4 filtre les éléments graphiques du document consulté. Il extrait les éléments textuels et les restitue en braille et par synthèse vocale, ou bien il les affiche à l'écran de manière plus appropriée. Comme les éléments non textuels sont supprimés, il est indispensable qu'ils soient signalés par une légende ou un commentaire prévu par l'auteur du site, afin que ces éléments ne soient pas "perdus" pour l'aveugle ou le malvoyant.
De ce fait, pour pouvoir être retranscrites en braille, il est indispensable que les pages Web respectent certains critères d'accessibilité. BrailleNet a développé un pôle de services à cette intention. En sessions individuelles ou collectives, l'association propose des formations de sensibilisation à l'accessibilité. Elle évalue l'accessibilité d'un site en suivant une méthode validée sur plus de 150 sites. Elle propose des conseils et solutions pour rendre un site conforme aux critères du WAI. Elle procure enfin un label BrailleNet, qui garantit le niveau d'accessibilité d'un site, après acceptation par un groupe d'experts.
Il importe aussi que les concepteurs de logiciels intégrent rapidement le braille en tant que système de codage et/ou langue à part entière. Lors du colloque "Livre numérique: enjeux pour les personnes handicapées visuelles", Michel Jacquin, membre de l'Association Valentin Haüy, expliquait: "Il serait souhaitable et possible d'intégrer la 'police' braille dans un traitement de texte tel que Word, un programme de courrier tel que Outlook Express et, d'une façon encore plus générale, dans le système d'exploitation Windows lui-même. Au lieu de cela les aveugles actuels doivent acquérir un logiciel d'accès séparé, Jaws par exemple, un programme de transcription en braille, Duxbury par exemple, et passer leur temps à commuter d'une application à un de ces programmes en permanence, d'une façon souvent délicate ou maladroite."
Bref, dans la foulée de l'activité déployée par BrailleNet, Handicap Zéro, l'Association Valentin Haüy et bien d'autres, voici peut-être l'occasion pour chacun de rendre son site Web vraiment accessible, sans se contenter de voeux pieux et de discours théoriques ne menant à rien, mais en prenant quelques décisions d'ordre pratique applicables immédiatement. Outre l'utilisation des services d'évaluation proposés par BrailleNet, les premières mesures pourraient être: une structure aussi simple et claire que possible pour le site, l'ajout systématique de légendes et/ou commentaires textuels pour tous les éléments graphiques (schémas, figures, images, photos, etc.), la suppression des cadres inutiles (les aveugles ne peuvent lire qu'un cadre par écran), le remplacement de liens non explicites par des liens explicites (par exemple, remplacer "lire la suite" par "lire le chapitre 2"), la suppression des scripts (Java ou non) ne renvoyant pas vers une alternative textuelle, et l'ajout de couleurs contrastées (les contrastes étant aussi importants que les couleurs).
La question était: "Quelles sont vos suggestions pour une meilleure accessibilité du Web aux aveugles et malvoyants?" Voici leurs réponses.
Olivier Bogros, directeur de la bibliothèque municipale de Lisieux (Normandie) et créateur de la Bibliothèque électronique de Lisieux: "Autant que possible j'essaie de rendre accessible à tous la bibliothèque électronique de Lisieux. Les recommandations du Consortium W3C ne sont pas toujours évidentes à suivre. Les sites textuels ne requièrent pas une charte graphique sophistiquée à base de Java et autres niaiseries (le summum a été atteint cette année par le site officiel du Printemps des poètes)."
Richard Chotin, professeur à l'Ecole supérieure des affaires (ESA) de Lille: "Il faudrait une réelle motivation des concepteurs de sites envers le problème des aveugles et une volonté politique d'intégration des handicapés (et pas seulement financière)."
Jean-Pierre Cloutier, auteur des Chroniques de Cybérie, chronique hebdomadaire des actualités d'Internet: "Mes suggestions s'adressent surtout aux diffuseurs de contenus qui ne respectent pas les normes techniques. Je m'explique. Le Consortium W3C est un organisme de normalisation des techniques du Web. Ses comités étudient les nouvelles techniques, et prescrivent des normes d'utilisation. Or, les producteurs et diffuseurs de contenus utilisent souvent des techniques propriétales, hors normes, propres à un logiciel ou à une plate-forme, ce qui donne lieu, par exemple, à des 'sites optimisés' pour Netscape ou pour Internet Explorer. Si ces sites soi-disant optimisés pour un fureteur ou un autre causent des problèmes pour les utilisateurs ordinaires, imaginez la difficulté d'adapter des contenus livrés hors normes à un consultation pour non-voyants. Il y a des efforts énormes pour rendre accessible à tous le contenu du Web, mais tant et aussi longtemps que les diffuseurs utiliseront des technologies hors normes, et ne tiendront pas leurs engagements pris, notamment, dans le cadre du Web Interoperability Project (WIP), la tâche sera difficile."
Gérard Fourestier, créateur des Rubriques à Bac, ensemble de documents permettant de se forger une culture et de comprendre le monde: "Les aveugles et malvoyants ont aussi droit de cité dans le cyberspace à la République des lettres et à la démocratie du savoir et, bien qu'ils soient encore loin de nos technologies, n'oublions pas les dizaines de millions d'aveugles et de malvoyants du Sud.
Jacky Minier, créateur de Diamedit, site de promotion d'inédits artistiques et littéraires: "Il faut distinguer malvoyants et aveugles. Pour les malvoyants jusqu'à un certain degré, il est assez simple de prévoir des moyens de grossissement des caractères et des illustrations. Pour les aveugles, c'est une toute autre affaire. Il faut envisager des fichiers vocaux qui permettront à ces derniers d'accéder aux contenus des pages enregistrés oralement. Un simple avertissement sonore à l'entrée du site demanderait au handicapé visuel de frapper une touche et de lancer ainsi le "son" de la page. C'est une chose très facile à réaliser avec la technologie RealAudio ou autre."
Nicolas Pewny, créateur des éditions du Choucas, spécialisées notamment dans les romans policiers: "Je n'ai pas de suggestion particulière à formuler. Sauf peut-être que l'on donne plus de moyens pour une meilleure accessibilité. Cela vaut pour l'accès Internet en général, d'ailleurs."
Peter Raggett, directeur du CDI (centre de documentation et d'information) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE): "Je préconise une augmentation du nombre d'enregistrements sonores, qui permettraient aux aveugles et mal-voyants d'écouter les textes du Web au moyen des haut-parleurs de leurs ordinateurs ou bien d'écouteurs."
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