La Jérusalem médiévale - Marie Lebert - 2006

L’architecture musulmane

[Ci-contre, une vue d'ensemble de Jérusalem avec, en son centre, la coupole dorée du Dôme du Rocher, joyau de Jérusalem, construit entre 692 et 697. Photo de Marie-Joseph Pierre.]

La Jérusalem vue par les Musulmans, c’est Al-Bayt-el-Muqaddas, la Sainte Maison, Al-Bayt-al-Maqdîs, la demeure de la Sainteté, ou plus simplement Al-Quds, la Sainte. Elle est la troisième grande ville musulmane, après La Mecque et Médine. Un proverbe musulman dit: “Une prière à la Mecque vaut dix mille prières, une prière à Médine vaut mille prières, une prière à Jérusalem vaut cinq cents prières.”

La Jérusalem musulmane, c’est une partie du Haram al-Sharif, et plus particulièrement les édifices suivants: la Chaire Burhân al-Dîn (Minbar Burhân al-Dîn), le Dôme de la Chaîne (Qubbat al-Silsila), le Dôme du Rocher (Qubbat al-Sakhra) et la mosquée al-Aksa (al-Aqsa).

* Haram al-Sharif musulman
* Chaire de Burhân al-Dîn
* Dôme de la Chaîne
* Dôme du Rocher
* Mosquée al-Aksa


Haram el-Sharif musulman

Situé sur le Mont du Temple, Haram al-Sharif, qui signifie Noble Sanctuaire, est la vaste esplanade entourant le Dôme du Rocher, joyau de Jérusalem. L’esplanade a la forme d’un trapèze, avec un côté sud de 281 m, un côté nord de 310 m, un côté est de 462 m et un côté ouest de 491 m.

L’histoire du Haram est la suivante: juste après la conquête musulmane, en 638, le calife Omar vient à Jérusalem et se met immédiatement à rénover la ville, en commençant par la colline du Mont du Temple, qui est une sorte de décharge publique. Un récit du 14e siècle ayant pour titre Muthîr al-Ghirâm, souvent copié par les auteurs des siècles suivants, raconte que, quand Omar arrive dans la Ville Sainte et qu’il voit le monceau d’immondices recouvrant le Rocher Sacré, il contemple l’horreur de la chose et ordonne que la place soit entièrement nettoyée [1].

C’est le fils d’Omar, Abd al-Malik, qui, entre 692 et 697, fait construire le Dôme du Rocher à l’endroit présumé du sacrifice d’Isaac, lieu central du Temple. Le plan est basé sur celui de la rotonde du Saint-Sépulcre. Et son fils Al-Walid commence la construction de la mosquée al-Aksa en 701. Elle devient le troisième temple de l’Islam.

La description la plus ancienne du Haram est celle de Ibn al-Faqih, en 903: “Il est dit que la longueur du Noble Sanctuaire de Jérusalem est de 1.500 pieds [456 mètres], et sa largeur de 1.050 pieds [319 mètres]. On compte 4.000 poutres de bois, 700 piliers et 500 chaînes de cuivre. Il est éclairé la nuit par 1.600 lampes, et il est servi par 400 esclaves… Sur les divers toits, à la place d’argile, sont utilisées 4.500 feuilles de plomb... Sur les contours intérieurs et extérieurs on compte cinquante portes.” [2]

Une autre description du Haram du 10e siècle est donnée par Al-Muqaddasi, voyageur et géographe musulman, lui-même natif de Jérusalem. Il écrit que la mosquée al-Aksa est encore plus belle que celle de Damas. Le Saint-Sépulcre des Chrétiens étant à la fois un rival et un modèle, Al-Aksa, bâtiment musulman, est construit pour surpasser le Saint-Sépulcre en beauté. [3]

Le terme d’Al-Aksa, du nom de la mosquée actuelle, est employé pour tout le Haram, jusqu’au 10e siècle, quand il est reconnu par la tradition musulmane que Jérusalem est bien la Masjid-al-Aqsa, le sanctuaire où Mahomet est transporté pendant son voyage de nuit.

Ensuite les Musulmans appellent la plateforme du Mont du Temple du nouveau nom de Haram al-Sharif. Ils interdisent aussi l’accès des lieux aux non-croyants. L’interdiction dure jusqu’à l’arrivée des Croisés en 1099.

Nasir-I Khusraw, un Perse venu visiter Jérusalem en 1047, donne une description du Haram intéressante parce qu’elle semble être la dernière faite avant l’arrivée croisée: “La cour du Haram est entièrement pavée, et dans son centre s’élève une plateforme, comme celle de la mosquée de Médine, à laquelle on monte par de larges escaliers. La plateforme comprend quatre dômes. Parmi ceux-là, le Dôme de la Chaîne, le Dôme de l’Ascension du Prophète et le Dôme du Prophète sont de petite taille. Tous ont des coupoles couvertes de plomb et reposent sur des piliers de marbre sans murs extérieurs... Au centre de la plateforme, le Dôme du Rocher s’élève au-dessus d’un bâtiment octogonal avec quatre entrées, chacune faisant face aux escaliers montant de la cour.” [4]

Le Haram al-Sharif se présente ainsi: le centre est occupé par une plateforme appelée mastaba, avec le Dôme du Rocher au centre. L’espanade, ou sahn, est située entre 4 et 6 mètres au-dessous de la plateforme. Elle comprend la zone du Mont du Temple tout entière. La mosquée al-Aksa est située à l’extrémité sud de l’esplanade, jouxtant le mur sud. Un tiers de l’esplanade est planté d’arbres, le plus souvent des oliviers.

Présentement le mur du Haram est percé de dix portes. Les sept portes occidentales sont, du sud au nord: la Porte des Maures, la Porte de la Chaîne, la Porte des Ablutions, la Porte de Fer, la Porte de la Prison et la Porte de Ghawanmeh. Les trois portes situées au nord sont la Porte Noire, la Porte de Hutta et la Porte des Tribus. La Porte de Hutta porte aussi le nom du roi Feisal d’Iraq, qui vient au Haram en 1930.

Chaire de Burhan al-Din (Minbar Burhan al-Din)

Edifiée au 8e siècle sur le côté sud de l’esplanade, la chaire de Burhân al-Dîn, de son nom musulman Minbar Burhân al-Dîn, est entièrement en pierre et en marbre polychromes. Elle est construite en plein air pour les prônes des jours de fête et ceux des jours de prière sous la pluie. Elle est restaurée en 1388 par le grand juge de Jérusalem, Burhân al-Dîn, qui lui donne son nom. Une seconde restauration date de 1843.

Voici le commentaire que fait Chelebi, voyageur musulman, dans les années 1648-1650: “A la porte sud du Haram se trouve une chaire où le prophète est monté la nuit de son Voyage Céleste pour donner un avertissement aux âmes de tous les prophètes. C’est une petite chaire. Aux temps de sécheresse, les gens de la province se rassemblent autour pour offrir des prières pour la pluie.” [5]

Dôme de la Chaîne (Qubbat al-Silsila)

Le Dôme de la Chaîne, de son nom musulman Qubbat al-Silsila, est situé à l’est du Dôme du Rocher. Il est attribué à Abd al-Malik, constructeur du Dôme du Rocher. D’après la tradition arabe, il abrite le Trésor des Musulmans de la ville. Il est impossible d’entrer dans le bâtiment sans être vu de l’intérieur, et on accède au Trésor par une échelle.

Comme pour les autres édifices du Haram, la description la plus ancienne est celle d’Ibn al-Faqih en 903: “A l’est du Dôme du Rocher s’élève le Dôme de la Chaîne. Il est supporté par vingt colonnes de marbre, et son toit est couvert de feuilles de plomb.” [6]

Le Dôme de la Chaîne ressemble un peu au Dôme du Rocher. Les 11 colonnes externes et les 6 colonnes internes supportent la pièce ronde qui abritait le trésor. La description de 903 parle de 20 colonnes. La construction elle-même a sans doute été modifiée par Baybars, gouverneur mamelouk entre 1260 et 1277. C’est lui qui ajoute le mirhâb. Soliman le Magnifique fait recouvrir le dôme de carreaux en 1561.

L’édifice est décrit par Chelebi dans les années 1648-1650. “Construit comme un palais, le dôme repose entièrement sur des colonnes, il n’existe pas le moindre mur. Le cercle extérieur est fait de neuf colonnes précieuses, alors que le cercle intérieur consiste en six colonnes. Le dôme s’élève au-dessous d’elles. L’íntérieur et l’extérieur de ce dôme sont couverts de fines tuiles du Kashan de la couleur des lapis lazuli. Le dôme lui-même est couvert de plomb bien coulé semblable à celui de la mosquée Suleimaniyye à Istanbul… Il a une niche de prière dans laquelle j’ai offert quelques prières et louanges.” [7]

Dôme du Rocher (Qubbat al-Sakhra)

Le Dôme du Rocher, appelé Qubbat al-Sakhra, est le joyau de Jérusalem et l’une des merveilles du Moyen-Orient. Il est situé au milieu de la plateforme centrale de l’esplanade du Haram al-Sharif.

L’origine de sa construction tient à deux légendes musulmanes qui lient à la ville de Jérusalem le voyage nocturne de Mahomet et son Ascension vers le ciel. La légende du voyage nocturne de Mahomet prend sa source dans les premiers versets de la sourate 17 du Coran. Les Musulmans tentent d’identifier les deux Lieux Saints mentionnés dans ces lignes. Le commentateur du Coran Al-Zamakhshari (mort en 1144) montre que le voyage nocturne est en relation avec l’Ascension racontée plus loin dans les versets 4 à 10 de la sourate 53 du Coran [8]. Mais cette relation entre les deux événements est très controversée. De même, la relation possible entre le voyage nocturne de Mahomet et la ville de Jérusalem est loin de faire l’unanimité [9].

Le Dôme du Rocher, construit entre 692 et 697, est érigé par Abd al-Malik à l’endroit le plus élevé du Mont du Temple. Sa date de construction, 72 après l’Hégire, est indiquée par une inscription coufique sur une plaque de métal bleu-gris située sur une des arches sud-ouest supportant le dôme: “Le serviteur d’Allah Abd al-Malek ibn Mirwan, commandant du Prophète, construit ce dôme en l’an 72. Qu’Allah recoive sa prière et le favorise.”

Selon la tradition arabe, les Musulmans reconnaissent sur le Rocher Sacré l’empreinte du pied du Prophète lors de son élan vers le ciel. Le Rocher Sacré, appelé aussi Even Ha-Shathiyah, Rocher de la Fondation, est identifié par la tradition et l’histoire comme l’endroit où Abraham offre Isaac en sacrifice sur le Mont Moriah. Il serait aussi l’autel que le roi David prépare pour Dieu. Il serait encore l’emplacement du Mont de Salomon. Il serait enfin le Saint des Saints situé dans le Temple. [10]

Le calife omeyyade Abd al-Malik commémore l’Ascension de Mahomet au ciel au moyen d’un édifice musulman splendide. Cet édifice est le contrepoids des majestueuses églises chrétiennes élevées par les Byzantins. Il est aussi un symbole musulman face aux religions juive et chrétienne, les deux religions antérieures que l’Islam juge imparfaites. C’est ainsi qu’après la Mecque et Médine, Jérusalem devient la troisième grande ville musulmane.

La description la plus ancienne qu’on ait du Dôme du Rocher est celle d’Ibn al-Faqih, en 903: “Au milieu du Haram s’étend une plateforme... Six escaliers conduisent au Dôme du Rocher. Le Dôme s’élève au milieu de cette plateforme. Sa surface au sol est de 150 pieds [45,6 m] sur 150 pieds, sa hauteur est de 105 pieds [31,9 m] et sa circonférence de 540 pieds [164,2 m]. Dans le Dôme ils allument chaque nuit 300 lampes. Il a quatre portails surmontés d’un toit, et chaque portail a quatre portes, et il est surplombé par un portique de marbre. La pierre du Rocher mesure 51 pieds [15,3 m] sur 40 pieds et demi [12,2 m] et sous le Rocher se trouve une grotte dans laquelle les gens prient. La grotte peut contenir soixante-deux personnes. Le Dôme est couvert de marbre blanc et son toit est d’or rouge. Les murs et le tambour sont ouverts par cinquante-six baies, dont les verres sont de teinte variée; chacune mesure 9 pieds de haut [2,7 m] et 6 [1,8 m] de large. Le Dôme, qui fut construit par Abd al-Malik ibn Marwan, est supporté par douze colonnes et trente piliers. C’est un dôme au-dessus d’un dôme [un intérieur et un extérieur] recouvert de feuilles de plomb et de marbre blanc.” [11]

Au début du 10e siècle, la coupole de cuivre est gainée d’or. Le gainage d’or est remplacé plus tard par un gainage en plomb. Au 11e siècle, deux tremblements de terre secouent le dôme, et la mosaïque supérieure est remplacée. Les mosaïques du tambour sont restaurées en 1027, mais il semble que les dessins originaux soient conservés.

Lors de la prise de Jérusalem par les Croisés en 1099, le Dôme du Rocher est identifié comme le Temple de Dieu. Il devient une église, mais l’ensemble de l’édifice est conservé tel quel.

En raison du symbole que représente le Rocher pour les Chrétiens, les Croisés prennent des fragments de roche pour les vendre à prix d’or à des pèlerins pieux. C’est pour mettre fin à ce commerce que les rois croisés entourent le rocher d’une grille de métal dont il existe encore des fragments aujourd’hui dans le secteur nord-ouest. Le croissant au sommet du Dôme est remplacé par une croix, et on édifie un autel de pierre. Le Dôme du Rocher est consacré comme église chrétienne en 1142. On ne songe pas à le faire rivaliser d’importance avec le Saint-Sépulcre, mais le fait qu’il soit une église a sa signification, parce que son emplacement est associé avec nombre d’évènements de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Comme la mosquée al-Aksa, l’édifice est utilisé par l’ordre des Templiers, érigé en ordre militaire en 1128. L’architecture du Dôme du Rocher est copiée dans de nombreuses églises d’Europe.

Pour lui faire retrouver sa forme originale, en 1187, l’an 586 après l’Hégire, Saladin n’a qu’à enlever les icônes et l’autel. Il fait dorer les arches supportant le dôme, ce qui leur donne l’allure qu’elles ont aujourd’hui. Les murs sont recouverts de plaques de marbre, et le dôme reçoit un revêtement de mosaïques.

Sous le sultan Baybars, les mosaïques de la partie supérieure des murs extérieurs sont restaurées. Elles sont restaurées à nouveau en 1270, puis en 1290 par le sultan Al-Ashraf. En 1318, Al-Nasir ibn Qalaoun restaure la dorure et la mosaïque du tambour, ainsi que le gainage extérieur en plomb. Les restaurations continuent au 15e siècle, puis sous le gouvernement turc.

Un plan axonométrique est publié par K.A.C. Creswell dans Early Muslim Architecture. Il “met en évidence une disposition architecturale héritée de la tradition byzantine et demeurée unique dans l’art de l’Islam. Quatre portes font face à chacun des points cardinaux, ce qui confère à l’édifice une situation symbolique de centre du monde. Le nombre quarante, qui représente le total des piliers et colonnes, est également symbolique...” [12]

La forme du Dôme du Rocher est celle d’un octogone inscrit dans un cercle, symbole de la conception ancienne du centre du monde [13]. La construction octogonale contient deux rangées concentriques de piliers. La rangée intérieure supporte le dôme, et la rangée extérieure supporte le bâtiment lui-même.

Dans ses formes et proportions, le Dôme du Rocher est inspiré par le Saint-Sépulcre. Le diamètre intérieur du Saint Sépulcre est de 20,9m et son dôme est à une hauteur de 21,5m. Les dimensions correspondantes pour le Dôme du Rocher sont de 20,3m et 20,5m.

Le dôme s’élève sur 12 piliers ronds en marbre et 4 en granit. Les 16 baies de la coupole sont faites de verre coloré sur fond d’or, et la lumière donnée à l’intérieur est un enchantement. Si certaines des baies sont du 15e siècle, la plupart sont des 18e et 19e siècles. Les murs octogonaux sont ouverts par 56 baies, soit 7 pour chaque mur. La construction entourant le dôme est supportée par 8 piliers de marbre et 16 piliers de granit coloré. Les piliers de granit sont surmontés de chapiteaux qui viennent sans doute du Temple d’Hérode ou de l’église de Saint-Sépulcre détruite par les Perses en 614.

Les piliers situés sur le dôme et la partie inférieure de la mosaïque sont très anciens. L’entrée sud est la plus ornée, parce qu’elle fait face à La Mecque. Une inscription coufique entoure la base du dôme.

Au-dessus des colonnades octogonale et circulaire entourant le Rocher Sacré court un décor de mosaïques sur plus de 1200 m2 de surface de mur. Le revêtement date de l’époque de construction du monument. Ces mosaïques omeyyades forment un ensemble unique au monde, avec une profusion de rinceaux d’acanthe et divers motifs végétaux réalistes ou stylisés, puisque la loi musulmane interdit la représentation d’êtres vivants.

A partir de 1927, dans le cadre d’une collaboration à l’oeuvre monumentale de l’orientaliste britannique K.A.C. Creswell sur l’architecture musulmane, Marguerite van Berchem fait une description détaillée de ces mosaïques [14]. Suite à cette étude, elle conclut que ce chef-d’oeuvre de l’époque omeyyade est l’oeuvre d’artistes syriens et non d’artistes byzantins, comme il était communément admis avant ses travaux. Trente ans plus tard, en vue d’une nouvelle édition de l’ouvrage de K.A.C. Creswell, elle procède à un deuxième examen de ces mosaïques [15].

D’après elle, ce décor floral est une symbiose entre les traditions gréco-romaine et orientale. La tradition gréco-romaine est représentée par les plantes d’acanthe, les rinceaux, les vignes, les arbres, les guirlandes de fleurs et de fruits, les cornes d’abondance. La tradition orientale, ce sont les grandes fleurs stylisées en forme de lotus ou de tulipes. Les couleurs dominantes sont le vert avec huit teintes de vert, le bleu avec six teintes de bleu, et l’or.

Dans la partie supérieure des mosaïques court une belle inscription en caractères coufiques longue de 240 m, qui date elle aussi de la construction du monument. En or sur fond bleu, elle fait deux fois le tour de l’édifice, sur les faces interne et externe de la colonnade octogonale.

Un autre beau spécimen de l’art omeyyade est le décor de bronzes dorés. De larges plaques ornent les soffites des grandes portes d’entrée placées aux quatre points cardinaux. Des plaques plus étroites recouvrent le dessous des 24 poutres-tirants reliant entre eux les chapiteaux de la colonnade octogonale, à six mètres au-dessus du sol. Les motifs dominants sont les vignes avec leurs enroulements, leurs feuilles et leurs grapes. [16]

Mosquée al-Aksa (al-Aqsa)

Située en bordure de l’esplanade à côté du mur sud du Haram, la mosquée al-Aksa est le deuxième grand bâtiment du Haram al-Sharif. Elle est la première des 35 mosquées de Jérusalem. L’enceinte du Haram comprend 6 autres mosquées. A l’intérieur des remparts de la Vieille Ville, on en compte encore 28 autres.

Le choix de l’emplacement du sanctuaire de prière sur le Haram est relaté dans le texte du 14e siècle appelé Muthîr al-Ghirâm. Celui-ci reprend le texte de Kulthum Ibn Ziyad, qui tient lui-même le récit d’Al-Walid. Al-Walid relate qu’après avoir choisi l’emplacement de la future mosquée, Omar commence à nettoyer le terrain de ses propres mains. Il met au fur et à mesure les immondices dans son manteau, et les jette dans le wadi Sahannam. Sa suite fait de même. Ils font ainsi plusieurs voyages, jusqu’à ce que tout l’emplacement soit nettoyé. Puis ils prient. [17]

La mosquée al-Aksa est érigée pour les prières collectives, le Dôme du Rocher étant réservé aux prières individuelles. La mosquée actuelle peut contenir 5 mille personnes.

Alors que les fondations du Dôme du Rocher sont sur la pierre, celles de la mosquée al-Aksa sont bâties sur la terre et les structures des temps hérodiens, à savoir la partie ouest des écuries de Salomon. Ce sont les fondations de l’église byzantine qui auraient été utilisées. Cette église, dédiée à la Vierge Marie pendant le règne justinien, est construite en 560. Les Perses la détruisent par le feu en 614.

Le pèlerin chrétien Arculfe a vu de ses yeux la mosquée de 680. Elle peut contenir 3 mille personnes soit, à l’époque, la totalité de la population musulmane de Jérusalem. A part les proportions générales, presque rien ne subsiste non plus de la deuxième mosquée, construite par Al-Walid, qui fut calife entre 705 et 715. Cette deuxième mosquée fut deux fois détruite par des tremblements de terre pendant les soixante premières années de son existence.

Il existe une controverse parmi les historiens sur la date de construction de la mosquée actuelle. Certains pensent que la construction est dûe à Abd al-Malik, bâtisseur du Dôme du Rocher. D’autres pensent qu’elle est le fait d’Al-Walid, constructeur de la grande mosquée omeyyade de Damas. Le constructeur gaine le dôme de cuivre et il apporte une mosaïque de Constantinople pour décorer l’intérieur de la mosquée, comme dans les mosquées de la Mecque et de Médine. Pendant la période omeyyade, la mosquée est plus étroite et plus courte. Le sol est de marbre et les portes dorées. Le tremblement de terre de 774 détruit les murs est et ouest. La mosquée est restaurée par le calife Abu Jaafar al-Mansur, et détruite à nouveau par un tremblement de terre trois ans après. Le dôme et sa mosaïque sont l’oeuvre du calife fatimide Al-Zahir, tout comme la nef centrale et les sept portes avec leurs sept arcs brisés dans le mur nord de la façade. Après le tremblement de terre de 1033, Al-Zahir reconstruit la mosquée en conservant sept des quinze ailes de la mosquée de 870, celle du calife Al-Mahdi. [18]

Voici le commentaire de Al-Muqaddasi, voyageur musulman du 10e siècle: “La mosquée Aqsa est située dans l’angle sud-est de la Ville Sainte... Cette mosquée est encore plus belle que celle de Damas, parce que pendant sa construction elle eut pour rival et pour modèle la grande église (le Saint-Sépulcre, ndlr) appartenant aux Chrétiens de Jérusalem, et ils construisirent celle-ci (al-Aksa, ndlr) pour être encore plus belle que l’autre.” [19]

Après la prise de Jérusalem en 1099, la mosquée al-Aksa devient la résidence du roi de Jérusalem. Les Croisés considèrent que son emplacement est celui du Templum Domini, le Temple de Salomon. Mais son utilisation comme résidence royale est brève, moins de vingt ans selon Guillaume de Tyr. [20] En 1128, le roi cède le Temple de Salomon à un ordre de moines-soldats fondé dix ans auparavant. De par le nom de leur quartier général, ceux-ci deviennent les Templiers, ordre militaire fondé la même année afin de défendre les Lieux Saints et de protéger les pèlerins pendant leur voyage.

Lors de la prise de Jérusalem en 1187, Saladin, comme pour le Dôme du Rocher, fait enlever les icônes et l’autel, ainsi que les constructions des Templiers au nord de la mosquée. Il contribue à la décoration du mirhâb en offrant une magnifique chaire de bois sculpté. Cette chaire, réalisée en 1170, est l’oeuvre de son prédécesseur Nur al-Din, gouverneur de Syrie. Elle est détruite par le feu en 1969, un geste fou d’un touriste chrétien, qui pensait que le retour du Christ ne pourrait avoir lieu avant la disparition des “abominations” musulmanes du Mont du Temple.

Les sultans mamelouks restaurent les deux côtés de la mosquée. Entre 1345 et 1350, ils ajoutent deux baies de chaque côté du porche croisé. On ne les voit qu’à l’íntérieur, du côté ouest, parce que la nef et le côté occidental sont reconstruits entre 1938 et 1942.

Comme l’attestent des inscriptions sur la mosaïque du dôme, les premières restaurations sont l’oeuvre du roi mamelouk Qalaoun en 1327. Le dôme et les colonnes sont consolidés entre 1922 et 1927. Une deuxième consolidation a lieu après les tremblements de terre de 1928 et 1937. La mosquée et ses baies sont restaurées en 1943 par le roi d’Egypte Farouk.

On voit des traces de la mosquée originale d’Omar, décorée d’une double rangée de colonnes, dans l’angle sud-est d’Al-Aksa. La superficie de cette mosquée était de 8 m x 30 m. Les seuls vestiges de la période omeyyade sont les colonnes situées à l’est du mirhâb.

La mosquée est divisée en une nef centrale et deux transepts. La nef, de direction nord-sud, est supportée par 7 arcades reposant sur des colonnes de marbre et de pierre avec des chapiteaux stylisés surmontés de baies. La mosquée comprend 114 colonnes et 135 baies. Sa longueur est de 80 m et sa largeur de 55 m. La façade nord a 7 arcades et 7 grandes entrées construites pendant la période fatimide. Les 4 autres portes sont situées ainsi: deux à l’ouest, une au sud et une à l’est. Le dôme a une hauteur de 17,7 m. Comme pour le Dôme du Rocher, l’intérieur est en bois et l’extérieur en plomb. Le dôme est supporté par 4 arcs et 8 piliers, restaurés en 1927.

L’élément le plus ancien est la mosaïque du tambour supportant le dôme et celle de la façade de l’arche surplombant l’aile du centre. Une inscription permet de dater ces mosaïques de 1035. Leur qualité artistique est inférieure à celle du Dôme du Rocher, mais il existe une certaine ressemblance dans les motifs, sans doute copiés sur une mosaïque omeyyade.

La période croisée a laissé sa marque, avec les trois baies centrales du porche, refaites en 1217, les baies de verre rose et bleu à l’ouest, le mirhâb de Zacharie, ancienne chapelle croisée, et enfin les pièces voûtées à l’ouest, dans la mosquée des Femmes. La tradition chrétienne veut que cette mosquée ait été l’oratoire des Templiers.

C’est de l’époque de Saladin que datent les grandes dalles de marbre claires et foncées recouvrant les murs. La couverture intérieure du dôme en mosaïques de verre coloré date de la même époque. Cette couverture ressemble à celle du Dôme du Rocher.


[1] Le Strange (G.). Palestine under the Moslems, 1890. Reprint: Beirout, Khayats, 1965, p. 139-143.

[2] Le Strange (G.). Palestine under the Moslems, 1890. Reprint: Beirout, Khayats, 1965, p. 161.

[3] Al-Muqaddasi. Description of Syria, including Palestine. Palestine Pilgrims Text Society, volume 3, 1896. Reprint: New York, AMS Press, 1971, p. 41-46.

[4] Nasir-I Khusraw. Diary of a Journey Through Syria and Palestine. Palestine Pilgrims Text Society, volume 4, 1893. Reprint: New York, AMS Press, 1971, p. 29-42.

[5] Evliya Tshelebi’s Travels in Palestine. Jerusalem, Ariel, 1980, p. 86.

[6] Le Strange (G.). Palestine Under the Moslems. 1890. Reprint: Beirut, Khayats, 1965, p. 120-121.

[7] Evliya Tshelebi’s Travels in Palestine. Jerusalem, Ariel, 1980, p. 86.

[8] Gätje (H.). The Qu’ran and its Exegesis. Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1976, p. 75-77.

[9] Deux historiens, I. Goldziher et O. Grabar, ont étudié l’origine et les motifs possibles de cette association. Voir: Goldziher (I.), Muslim Studies. London, G. Allen and Unwin, 1971, volume II, p. 45-46. Voir aussi: Grabar (O.). The Formation of Islamic Art. New Haven and London, Yale University Press, 1973, p. 50-52.

[10] Har-El (M.). This is Jerusalem. Jerusalem, Steimatsky, 1985, p. 333.

[11] Le Strange (G.). Palestine under the Moslems. 1890. Reprint: Beirut, Khayats, 1965, p. 120-121. Les mesures données sont tout à fait fantaisistes.

[12] Gautier-van Berchem (M.) et Ory (S.). La Jérusalem musulmane. Lausanne, éditions des Trois Continents, 1978, p. 32.

[13] Murphy-O’Connor (J.). The Holy Land. Jerusalem, Oxford University Press, 1986, figure 24, p. 77.

[14] Van Berchem (M.). The Mosaics of the Dome of the Rock in Jerusalem and of the Great Mosque in Damascus, in: Early Muslim Architecture. By K.A.C. Creswell. Oxford University Press, 1962.

[15] Idem, 2nd edition, 1969.

[16] L’étude a été publiée pour la première fois par K.A.C. Creswell en 1932, dans Early Muslim Architecture, avec de nombreuses photographies.

[17] Le Strange (G.). Palestine under the Moslems. 1890. Reprint: Beirout, Khayats, 1965, p. 139-143.

[18] Hamilton (W.). The Structural History of the Aqsa Moque. Jerusalem, 1947. Ce livre traite de l’histoire complexe de la destruction et de la reconstruction d’Al-Aqsa.

[19] Al-Muqaddasi. Description of Syria, including Palestine. Palestine Pilgrims Text Society, volume 3, 1896. Reprint: New York, AMS Press, 1971, p. 41-44.

[20] William of Tyre. A History of Deeds Deone Beyond the Sea. New York, Columbia University Press, 1943, volume 1, p. 524-525.


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