La Jérusalem médiévale - Marie Lebert - 2006

Les premiers albums de photographies

[Ci-contre, la Vieille Ville, avec les coupoles du Saint-Sépulcre au fond (centre droit). Photo de Marie-Joseph Pierre.]

* Les photographes du 19e siècle
* Quelques albums de photos anciennes
* Liste de photographes, résidents et voyageurs


Les photographes du 19e siècle

L’invention de la photographie date de 1839. Les premières photos sont des daguerréotypes, utilisés comme documents de base pour des gravures d’ouvrages. Le premier ouvrage ayant utilisé ce procédé est celui d’Horace Vernet et Frédéric Goupil-Fesquet, Excursions daguériennes, paru en 1841. 120 daguerréotypes sont reproduits en gravures, soit un dizième des collections rapportées d’Orient.

Le second ouvrage est celui de Joseph Philibert Girault de Prangey, Monuments arabes d’Egypte, de Syrie et d’Asie Mineure, paru en 1846. Les daguerréotypes ont été pris en 1841. Vient ensuite l’ouvrage religieux de George Skene Keith, Evidence of the Truth of the Christian Religion, illustré de photos de son fils, prises en 1844. Puis celui de Claudius Galen Wheelhouse, Photographic Sketches from the Shores of the Mediterranean, avec des talbotypes de 1849 et 1850.

Suite à l’invention par Fox Talbot du talbotype/calotype, qui rend possible l’impression de plusieurs copies à partir d’un seul négatif, Louis-Désiré Blanquart-Evrard, un Français de Lille, étudie le procédé et crée une imprimerie en septembre 1851. Entre 1851 et 1855, il publie 20 albums de photographies. C’est lui qui imprime les albums de Maxime du Camp et d’Auguste Salzmann, les deux pionniers de la photographie en Terre Sainte.

En 1849, Maxime du Camp (1822-1894) est délégué par le ministère de l’Instruction publique pour photographier les monuments et les sites du Moyen-Orient. Il est accompagné de son ami Gustave Flaubert. Ils arrivent le 8 août 1850 et restent deux semaines. Ils reviennent avec 214 calotypes. 125 d’entre eux sont imprimés par Blanquart-Evrard et publiés en 1852 par Gide & J. Baudry sous le titre: Egypte, Nubie, Palestine et Syrie: dessins photographiques recueillis durant les années 1849, 1850 et 1851... Ce volume, très coûteux, est le premier livre de voyages à contenir des reproductions photographiques, et en particulier 11 photos de Jérusalem prises en 1850.

A la même époque, selon les souvenirs de Mrs Finn, une de ses connaissances, Georges W. Bridges aurait photographié Jérusalem, très exactement pendant l’hiver 1849-1850 [1]. Ses photos seraient donc antérieures à celles de Maxime du Camp. Elles seraient les premières jamais réalisées en Terre Sainte, contrairement à l’idée bien ancrée donnant la paternité des premières photos à Maxime du Camp. L’album de George W. Bridges ne paraît qu’en 1859.

Quelques années après, l’archéologue français Louis Félicien de Saulcy, revenant d’un voyage à Jérusalem en 1854, demande l’aide de son ami Auguste Salzmann pour conforter ses thèses archéologiques à l’aide de photographies. Ses thèses diffèrent totalement de celles des autres archéologues français, et ses propres dessins ne sont pas suffisants pour étayer ses démonstrations.

Auguste Salzmann (1824-1872) est à la fois artiste peintre et photographe. Il est envoyé pour un séjour de six mois en Terre Sainte, sous l’égide du ministère de l’Instruction publique. Il revient avec 200 calotypes. 174 sont imprimés par Blanquart-Evrard et édités par Gide & Baudry en 1856 dans la grande édition de: Jérusalem: étude et reproductions photographiques de la Ville Sainte, depuis l’époque judaïque jusquà nos jours… La grande édition comprend 174 photographies de grand format (24 x 34 cm). La petite édition comprend 40 photographies parmi les plus belles et les plus intéressantes de la grande édition et réduites de moitié (22 x 16 cm) [2].

Daté de juin 1854, l’avant-propos d’Auguste Salzmann débute ainsi: “Au mois de septembre 1853, j’avais résolu de retourner dans les îles de l’Archipel, où j’avais déjà passé un été, afin d’y étudier les monuments chrétiens. Vers la même époque parut un ouvrage qui souleva de nombreuses et vives discussions; de nouvelles opinions venaient d’être émises sur les monuments judaïques de Jérusalem. M. de Saulcy venait de publier son voyage en Syrie et à la Mer Morte. Qui était dans le vrai? Devait-on repousser, sans examen, les observations et les théories de l’homme qui venait de passer une année entière à parcourir la Palestine, à l’étudier à fond, et soutenir ceux qui, sans quitter leur fauteuil, se faisaient les défenseurs d’anciennes opinions passées à l’état de traditions? Par sa publication savante, M. de Saulcy renversait bien des idées accréditées jusqu’à ce jour. – Il n’y avait à Jérusalem plus de vestige de l’architecture judaïque. – C’était chose convenue: et lui venait, la Bible et l’histoire à la main, prouver que les monuments qui, jusqu’ici, avaient été considérés comme étant de la décadence grecque ou romaine, étaient bien réellement de l’époque juive. Il fallait, ou bien du courage, ou une conviction bien arrêtée, pour ne pas reculer devant la lutte qui allait s’engager, lutte à laquelle bien des inconnus allaient prendre part. Dans ces circonstances, je modifiai mon itinéraire, croyant rendre un vrai service à la science, en étudiant et surtout en reproduisant par la photographie tous les monuments de Jérusalem, principalement ceux dont l’origine était contestée.”

Il décrit ensuite son plan de travail pour le recensement des monuments: les monuments judaïques, les antiquiés judaïques grecques et romaines, les monuments chrétiens et les monuments arabes. Et il termine son avant-propos ainsi: “Après quatre mois d’un travail incessant, je rapporte une collection d’environ cent cinquante clichés… Les opinions que l’on a combattues sans voir, je viens les défendre, moi qui ai bien vu, et mes photographies aidant, il faudra bien que la vérité se fasse jour. Alors se tairont probablement ces savants qui, craignant les fatigues d’un long voyage, aiment mieux trancher les questions à distance que d’ajouter foi aux récits d’autrui. Les photographies ne sont plus des récits, mais bien des faits dotés d’une brutalité concluante...”

Cette dernière phrase fait écho à celle du Révérend Albert Augustus Isaacs dans The Dead Sea, 1857: “Nous savons bien combien le crayon peut être traître et décevant; par contre un fac-similé de la scène peut être donné grâce à la photographie.”

De nombreux photographes suivent les pas de ces précurseurs.

Louis de Clercq (1836-1901) arrive en Terre Sainte en 1859 pour accompagner une mission scientifique. Son ouvrage Voyage en Orient comprend cinq volumes de photos.

Un photographe allemand, August Jacob Laurent, publie un album contenant 112 de ses photos, prises entre 1852 et 1860.

Francis Frith (1822-1898) est le premier photographe professionnel à couvrir systématiquement la Terre Sainte, à partir de 1856. Il publie plusieurs ouvrages, dont Cairo, Sinai, Jerusalem and the Pyramids of Egypt, avec de nombreuses photos, Egypt, Sinai and Palestine, publié à Londres chez Mackenzie vers 1862, avec 75 photos, et The Bible in Photographs, dont l’édition est limitée à 170 exemplaires.

Ermete Pierotti est architecte du pacha turc de Jérusalem entre 1854 et 1862. Son livre, Jerusalem Explored, publié à Londres en 1864, comprend de belles lithographies faites à partir de ses photos. Il est possible que les photos ne soient pas les siennes, mais celles de son collaborateur John Mendel Diness [3].

Dirigé par Charles William Wilson en 1864 et 1865, le très beau travail de la British Royal Engineers Ordnance Survey est considéré comme la première étude scientifique de Jérusalem et de ses sites. Les photos sont l’oeuvre du sergent J. McDonald. Ce sont essentiellement des photos d’architecture, de grande qualité, et elles représentent un tourant dans l’histoire de la photographie en Terre Sainte [4].

Le premier photographe résidant à Jérusalem est le patriarche arménien Yessayi Garabedian, qui exerce son activité pendant une dizaine d’années, entre 1850 et 1860.

Puis, considéré comme le grand photographe du 19e siècle, Félix Bonfils, qui publie en 1878 Souvenirs d’Orient: album pittoresque des sites, villes et ruines les plus remarquables de la Terre Sainte, à partir de stéréographes pris entre 1867 et 1878.

Certains photographes travaillent ensemble, par exemple, à partir des années 1850, le groupe des photographes arméniens autour du patriarche Yessayi Garabedian, ou les photographes russes Joseph Carmi, Petro Slatev, Ivan Ishenko ou Anton Michail Karamanov, ou les photographes du Palestine Exploration Fund dirigés par H. Phillips à partir de 1865, ou ceux de l’American Colony Elijah Meyers, Frederick Vester, Lewis Larson, John Whiting et Eric Matson, ou encore les moines dominicains de l’Ecole biblique et archéologique française, sous la direction du Père Savignac.

Le spécialiste de la civilisation musulmane et de l’archéologie arabe Max van Berchem fait plusieurs séjours à Jérusalem entre 1888 et 1914. Dès son premier court séjour, à la fin mars 1888, il recueille un certain nombre d’inscriptions et les photographie à l’aide de clichés de verre.

En 1892, 1893, 1894 et 1914, il revient à Jérusalem, et surtout au Haram, pour prendre tout un ensemble de photographies et d’estampages, et prendre aussi des notes en vue de la rédaction de son futur ouvrage: Matériaux pour un Corpus Inscriptionum Arabicarum [5]. Sur un feuillet placé en en-tête du volume de planches, il présente l’ensemble de son travail: “Les planches de ‘Jérusalem’ ont dû être livrées au public avant les deux volumes de texte, ‘Ville’ et ‘Haram’. Ces volumes, qui paraîtront sous peu (en avril 1920 pour les planches, et en 1922 et 1927 pour le texte, ndlr), renfermeront l’édition complète des 300 inscriptions de Jérusalem, avec d’amples commentaires touchant la topographie, l’histoire et l’archéologie de la Ville Sainte à l’époque musulmane... La plupart des sujets, monuments et inscriptions sont reproduits dans l’état de 1914, date de la dernière campagne de l’auteur.”

Max van Berchem ne voit pas la publication des deux volumes de texte. Il repart en Orient avant l’hiver 1920, mais des problèmes de santé l’obligent à revenir en Suisse quelques semaines plus tard. A son grand désespoir, il doit abandonner ses travaux. Il meurt le 7 mars 1921. Sa famille confie la publication des deux volumes de texte à son ami Gaston Wiet qui, dans l’avant-propos du premier volume, présente ce recueil comme le “résultat de deux explorations de la Ville Sainte et de vingt années de recherches patientes à travers les oeuvres arabes et les relations des pèlerins et des voyageurs occidentaux.”

Les photographies de Max van Berchem sont maintenant la propriété de la Fondation Max van Berchem, à Genève. Une sélection de photos est publiée par Marguerite Gautier-van Berchem en 1978 [6]. A la page 14, on voit Max van Berchem juché sur une échelle en train de retirer l’estampage d’une inscription sise entre deux arcades. On ne peut avoir qu’admiration pour le travail absolument colossal qu’il a effectué sur le terrain.


Quelques albums de photos anciennes

Aux éditions Ariel, à Jérusalem, ont paru entre 1978 et 1980 trois recueils de photographies anciennes rassemblées par Ely Schiller: The First Photographs of Jerusalem: The Old City (1978), The First Photographs of Jerusalem: The New City (1979), The First Photographs of Jerusalem & The Holy Land (1980). Dans ces trois ouvrages reliés (28 x 23 cm), avec jaquette, Ely Schiller a regroupé des photos de collections publiques et privées. Les photos occupent le plus souvent une page toute entière. Certaines occupent la moitié d’une page ou une double page. Le texte d’introduction et les légendes sont en anglais et en hébreu.

En 1980, Tim N. Gidal publie 42 photos émanant de sa collection personnelle dans Ewiges Jerusalem 1850-1910. Il s’agit d’un luxueux livre relié (49 x 36 cm), avec jaquette, publié par la Photogalerie Bucher, maison d’édition spécialisée basée à Lucerne et Francfort. Une présentation de la Jérusalem de l’époque précède 40 reproductions de photographies en pleine page (38 x 28 cm). S’y trouvent de nombreux portraits et photos de groupes, mais aussi quelques photos d’architecture. La première photo est une vue d’ensemble de Jérusalem prise par le médecin C.G. Wheelhouse en 1849. Il s’agit d’une vue de la ville prise du rempart nord, avec le Dôme du Rocher et le Mont des Oliviers. Ce talbotype est considéré comme la photo la plus ancienne jamais prise de Jérusalem.

Compilé par Eyal Onne, en collaboration avec Dror Wahrmann, Jerusalem: A Profile of a Changing City raconte l’histoire de la photographie à Jérusalem et, à travers les photos choisies, l’histoire du développement de la ville au cours de la seconde moitié du 19e siècle. Les oeuvres des 47 photographes sélectionnés sont pour la plupart inédites. Publié en 1985, ce bel ouvrage relié (22 x 28 cm) est publié par le Jerusalem Institute for Israel Studies pour accompagner l’exposition du même nom présentée à Mishkenot Sha’ananim et à la cinémathèque de Jérusalem en 1985 et 1986.


Liste de photographes, résidents et voyageurs

Nombreux sont les photographes ayant photographié Jérusalem à partir de 1839 [7]. Voyageurs ou résidents, leurs buts sont variés: commercial, archéologique, scientifique, religieux ou artistique.

1839-1840: Horace Vernet et Frédéric Goupil-Fesquet (voyageurs)
1842: Joseph Philibert Girault de Prangey (voyageur)
1844: Joseph Skene Keith (voyageur)
1849-1850: Claudius Galen Wheelhouse (voyageur)
1850 (août): Maxime du Camp (1822-1894) (voyageur)
1852-1860: August Jacob Laurent (voyageur)
1854: Auguste Salzmann (1824-1872) (voyageur)
1854-1862: Ermete Pierotti (voyageur)
1856: Albert Augustus Isaacs (voyageur)
1857: James Robertson (voyageur)
1857: Felice Beato (voyageur)
1858, 1860: Francis Frith (1822-1898) (voyageur)
1859: Louis de Clercq (1836-1901) (voyageur)
1860: John Cramb (voyageur)
1860: Alois Payer (voyageur)
1860-1865: Frank Mason Good (voyageur)
1861: John Antony (voyageur)
1861: Yessayi Garabedian (résident)
1863-1865: William James (voyageur)
1863-1873: Peter Bergheim (résident)
1865-1875: Photographes du Palestine Exploration Fund, avec H. Phillips (voyageurs)
1866: James McDonald, avec le British Ordnance Survey (voyageur)
1867-1880: Félix Bonfils (1831-1885) (résident)
1868: Jules Andrieu (voyageur)
1868-1869: Photographes du British War Office (voyageurs)
1870?: A. Braun (?)
1870?: Giacomo Brogi (1822-1881) (voyageur)
1870?: B. Kuhn (?)
1870?: Leon & Levi (frères Bisson?)
1870?: F. Quarelli (voyageur)
1870-1900: Garabed Krikorian, ancien élève de Yessayi Garabedian (résident)
1872: Charles Bierstadt (voyageur)
1875: Benjamin-West et Edward Kilburn (voyageurs)
1878-1894: Adrien Bonfils, fils de Félix Bonfils (résident)
1880-1890: L. Fiorillo (résident)
1880-1890: Zangaki Frères (résidents)
1880-1914: Jacob Hotimsky (résident)
1882: Edward Wilson (?)
1887: E. et F. Thevoz (?)
1888: Cecil V. Shadbolt (?)
1890-1910: G.V. Trifunovich (résident)
1890-1948: Militiade Savvides (résident)
1892: Francis Bedford (?)
1894: Robert Edward Bain (?)
1894-1910: Bruno Hentschel (résident)
1894: Yeshayahu Raffalovich (résident)
1894: Avraham Aharon Ritavsky (résident)
1898-1946: Photographes de l’American Colony et Eric Matson (résidents)
1900: Hornstein (?)
1900: Photographes de l’Ecole biblique et archéologique française, avec le Père Savignac (résidents)
1910: Jacob Ben-Dov (?)
1912: Leo Kahn (résident)


[1] Finn (E.). Reminiscences of Mrs Finn. London, Marshel Morgan & Scott, 1929, p. 80-89.

[2] Prospectus du livre publié par Gide et J. Baudry, libraires-éditeurs.

[3] Onne (E.). Jerusalem in the 19th Century. Beehive of Photographic Activity, in: Jerusalem. Profile of a Changing City 1985, p. 65.

[4] Wilson (C.W.). Ordnance Survey of Jerusalem. 1865. Réimpression: Jérusalem, Ariel, 1980.

[5] Mémoires de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire. Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1922-1927. 3 vol. in-folio: texte (tomes XLIII et XLIV) et planches (tome XLV).

[6] Gautier-van Berchem (Marguerite). La Jérusalem musulmane dans l’oeuvre de Max van Berchem. En collaboration avec S. Ory. Lausanne, édition des Trois Continents, 1978.

[7] Les dates données sont souvent approximatives. La mention “résident” indique que le photographe réside à Jérusalem, ou tout au moins qu’il a un studio à Jérusalem, même si le studio principal est ailleurs, par exemple à Beyrouth pour Félix et Adrien Bonfils ou Tancrède Dumas, à Port Saïd pour les frères Zangaki ou à Assouan pour L. Fiorillo.


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