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L'Académie française, libérale et généreuse par tradition, m'a autorisé à reproduire la première édition de son Dictionnaire. Je ressens tout l'honneur qu'elle m'a fait en me permettant de toucher, d'une main pieuse, à cette oeuvre de ses aînés, oeuvre qui lui appartient, qui est une partie précieuse de son patrimoine. Je prie l'Académie d'agréer le public hommage de ma reconnaissance.
Le Dictionnaire de 1694, devenu rare, méritait-il d'être publié à nouveau? Je le crois.
Est-ce parce qu'il est un ouvrage parfait, en un genre qui ne connaît
guère la perfection? Non pas. La malice des contemporains eut
tôt fait de démêler ses points faibles, et la conscience
même des auteurs peut-être acquiesça tout bas à
la justesse de certaines critiques.
Tel qu'il est, pourtant, ce Dictionnaire est, pour l'histoire et pour la
connaissance de la langue française, un monument très
vénérable et un document très précieux.
On n'ouvre pas sans une sorte de respect ce livre si laborieusement
composé, mais auquel on sait qu'ont travaillé en commun, avec
conscience et sans gloire espérée, un si grand nombre des
meilleurs esprits et des meilleurs écrivains du grand siècle.
S'il n'était plus d'aucun usage ni d'aucun secours aujourd'hui, le
Dictionnaire de 1694 conserverait auprès de tous ceux qui aiment
encore les Lettres et les grandes traditions une sorte de prestige par son
origine et par sa vieillesse même.
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Mais, après deux siècles écoulés, ce
trésor du bien dire est encore utile. Non plus de cette
utilité journalière et commune qu'il se promettait, en sa
nouveauté, parmi les étrangers et parmi les Français.
Malgré l'ambitieuse illusion dont les Académiciens de 1694 ont
voulu caresser le Grand Roi, quand ils flattaient le prince (plus qu'ils ne
se flattaient eux-mêmes) de l'idée que la langue
française était peut-être « parvenue à
estre fixée et à ne dépendre plus du caprice et de la
tyrannie de l'usage » (1), -- le temps a
marché, la langue française a marché avec le temps.
Certes, on ne parle plus, on n'écrit plus la langue du XVIIe
siècle, la langue « du bon usage », celle qu'ont
recueillie Vaugelas et ses continuateurs. Encore la faut-il bien entendre.
Or, c'est le service qu'il peut rendre aujourd'hui, le vieux dictionnaire.
Il renferme et il livre aux chercheurs le secret du « bon langage
dans le beau siècle de la France (2)..., dans
le siècle le plus florissant de la langue française (3)... ». Il est le répertoire
autorisé, le recueil officiel de tous les mots et de toutes les
phrases qui composent à la fin de l'âge classique
« la langue commune telle qu'elle est dans le commerce ordinaire
des honnestes gens, et telle que les Orateurs et les Poëtes
l'employent » (4).
L'heure est venue que prévoyait Fénelon, l'heure où le
Dictionnaire a acquis son autorité la plus certaine, la plus
incontestée, « Quand notre langue sera changée, il
servira à faire entendre les livres dignes de la
postérité qui sont écrits en notre temps... Un jour,
on sentira la commodité d'avoir un Dictionnaire qui serve de clef
à tant de bons livres. Le prix de cet ouvrage ne peut manquer de
croître à mesure qu'il vieillira. » (5).
Partout où on étudie les classiques français comme des
modèles consacrés, dès qu'il s'agit d'éclaircir
un doute ou de justifier l'emploi d'un mot, le premier arbitre qu'on doit
prendre, le plus autorisé et le plus sûr, c'est le Dictionnaire
de 1694.
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L'habitude en est établie, et tous les commentateurs sérieux,
les éditeurs consciencieux, les bons professeurs l'appellent
constamment à résoudre leurs doutes et à fixer leurs
indécisions.
C'est cette habitude prise, et une expérience personnelle
déjà vieille; qui m'ont déterminé à
mettre à la disposition des travailleurs un livre difficile à
trouver, qui coûte cher, et qui dans sa forme première est
encombrant et peu maniable.
Des procédés nouveaux ont permis à un excellent
imprimeur (1) de faire, dans des conditions de prix
raisonnables, une reproduction très lisible, et qui a le
mérite d'être absolument exacte et fidèle, fidèle
jusqu'aux erreurs et aux fautes qu'elle rend scrupuleusement (2).
Si j'ai pu être agréable à quelques curieux, et surtout
utile à quelques travailleurs, j'aurai reçu toute ma
récompense. L'imprimeur J.-B. Coignard porta un jour devant
l'Académie (3) ses doléances de
commerçant mal rétribué: le nouvel éditeur ne
se flatte pas de recueillir plus de bénéfices que son
honorable devancier; mais il ne se plaindra pas.
Le mérite de cette entreprise ne consiste pas dans l'exécution, qui est chose matérielle, mais dans l'idée même. Or, pour l'idée et le dessein, j'ai eu un collaborateur. Le projet de rééditer le Dictionnaire de 1694 a été conçu de concert, et par celui qui reste seul pour l'exécuter, et par un autre professeur de l'Université, un homme du plus rare mérite, M. Léon Moy, mort Doyen de la Faculté de Lettres de l'Université de Lille.
PAUL DUPONT
Professeur à la Faculté des Lettres
de l'Université de Lille.
Lille, le 25 Janvier 1901.
[Page II] (1) « Au Roy ».
[Page III] (1) L. Danel, de Lille.
[Page II] (2) « Au Roy ».
[Page II] (3) Préface.
[Page II] (4) Préface.
[Page II] (5) Fénelon, Lettre à
l'Académie.
[Page III] (2) Un seul exemple: au T. II, p. 383 et
suivantes, il y a une erreur, non de pagination, mais de
« foliotage ».
[Page III] (3) Registres de l'Académie
française, I, p. 369.