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PREFACE.
APRÉS que l'Académie Françoise eut esté establie
par les Lettres Patentes du feu Roy, le Cardinal de Richelieu qui par les
mesmes Lettres avoit esté nommé Protecteur & Chef de cette
Compagnie, luy proposa de travailler premierement à un Dictionnaire
de la Langue Françoise, & ensuite à une Grammaire, à
une Rhetorique & à une Poëtique.
Elle a satisfait à la premiere de ces obligations par
la composition
du Dictionnaire qu'elle donne presentement au Public, en attendant qu'elle
s'acquitte des autres.
L'utilité des Dictionnaires est universellement
reconnuë. Tous
ceux qui ont estudié les Langues Grecque & Latine, qui sont les
sources de la nostre, n'ignorent pas le secours qu'on tire de ces sortes
d'Ouvrages pour l'intelligence des Autheurs qui ont escrit en ces Langues,
& pour se mettre soy-mesme en estat de les parler & de les escrire. C'est
ce qui a engagé plusieurs sçavans hommes des derniers
siécles à se faire une occupation serieuse de ranger sous un
ordre methodique tous les mots & toutes les plus belles façons de
parler de ces Langues, pour le soulagement de ceux qui s'y appliquent avec
soin.
Le Dictionnaire de l'Académie ne sera pas moins utile,
tant à
l'esgard des Estrangers qui aiment nostre Langue, qu'à l'esgard des
François mesmes qui sont quelquefois en peine de la veritable
signification des mots, ou qui n'en connoissent pas le bel usage, & qui
seront bien aises d'y trouver des esclaircissemens à leurs doutes.
On peut dire aussi, que ce Dictionnaire a cet avantage sur tous les
Dictionnaires de ces deux Langues celebres de l'Antiquité, que ceux
que nous avons, n'ont point esté composez dans les bons siecles; Mais
par des Modernes, ou par des Autheurs qui ont veritablement vescu durant
qu'on parloit encore les Langues Grecque & Latine, mais non pas dans leur
ancienne pureté. Nous n'avons point de Dictionnaires du siecle de
Ciceron ni du siecle de Demosthene, & si nous en avions, il n'y a pas de
doute qu'on en feroit beaucoup plus d'estat que des autres, parce qu'ils
seroient considerez comme autant d'Originaux, & ceux qui auroient
composé ces Dictionnaires, n'auroient point eu besoin de citer les
Passages des autres Autheurs en preuve de leurs explications, puisque leur
tesmoignage seul auroit fait authorité. Le Dictionnaire de
l'Académie est de ce genre. Il a esté commencé &
achevé dans le siecle le plus florissant de la Langue
Françoise; Et c'est pour cela qu'il ne cite point, parce que
plusieurs de nos plus celebres Orateurs & de nos plus grands Poëtes y
ont travaillé, & qu'on a creu s'en devoir tenir à leurs
sentimens.
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On dira peut-estre qu'on ne peut jamais s'asseurer qu'une Langue vivante
soit parvenuë à sa derniere perfection; Mais ce n'a pas
esté le sentiment de Ciceron, qui aprés avoir fait de longues
reflexions sur cette matiere, n'a pas fait difficulté d'avancer que
de son temps la Langue Latine estoit arrivée à un degré
d'excellence où l'on ne pouvoit rien adjouster. Nous voyons qu'il ne
s'est pas trompé, & peut-estre n'aura-t-on pas moins de raison de
penser la mesme chose en faveur de la Langue Françoise, si l'on veut
bien considerer la Gravité & la Varieté de ses Nombres, la
juste cadence de ses Periodes, la douceur de sa Poësie, la
regularité de ses Vers, l'harmonie de ses Rimes, & sur tout cette
Construction directe, qui sans s'esloigner de l'ordre naturel des
pensées, ne laisse pas de rencontrer toutes les delicatesses que
l'art est capable d'y apporter. C'est dans cet estat où la Langue
Françoise se trouve aujourd'huy qu'a esté composé ce
Dictionnaire; & pour la representer dans ce mesme estat, l'Académie
a jugé qu'elle ne devoit pas y mettre les vieux mots qui sont
entierement hors d'usage, ni les termes des Arts & des Sciences qui entrent
rarement dans le Discours; Elle s'est retranchée à la Langue
commune, telle qu'elle est dans le commerce ordinaire des honnestes gens,
& telle que les Orateurs & les Poëtes l'employent; Ce qui comprend tout
ce qui peut servir à la Noblesse & à l'Elegance du discours.
Elle a donné la Definition de tous les mots communs de la Langue dont
les Idées sont fort simples; & cela est beaucoup plus mal-aisé
que de definir les mots des Arts & des Sciences dont les Idées sont
fort composées; Car il est bien plus aisé, par exemple, de
definir le mot de Telescope, qui est une Lunette à voir de
loin, que de definir le mot de voir; Et l'on esprouve mesme en
definissant ces termes des Arts & des Sciences, que la Definition est
tousjours plus claire que la chose definie; au lieu qu'en definissant les
termes communs, la chose definie est tousjours plus claire que la
Definition. Ainsi quoy qu'Aristote ait fait une definition excellente quand
il a defini l'homme Animal Raisonnable, il est constant neantmoins
que le mot Homme nous represente mieux ce qu'il signifie que cette
definition. On en peut dire autant de ces verbes parler,
marcher, estre, & autres semblables, qui font mieux sentir par
eux-mesmes ce qu'ils signifient, que toutes les definitions qu'on en peut
faire. Cela donneroit peut-estre sujet de croire qu'inutilement
l'Académie s'est donné la peine de chercher les definitions
des termes simples, qu'on avouë estre toujours accompagnées
d'obscurité; Mais quand on considerera qu'il n'y a presque point de
mot dans la Langue qui ne reçoive differentes significations, & qu'il
est impossible d'en donner des idées claires & distinctes, sans avoir
estably quelle est la principale & quelles sont les autres, & en quoy elles
different, tant à l'esgard du sens propre que du sens figuré
ce qui ne s'apprend que par la Definition; on reconnoistra en mesme temps
l'utilité d'un travail qui a eu pour but d'expliquer la Nature & la
Proprieté des mots dont nous nous servons pour exprimer nos
pensées, & l'on sçaura gré à l'Académie
de ne s'estre point rebutée de toutes les difficultez qui ont pu se
rencontrer dans l'execution de ce dessein.
Outre la Definition ou Description de chaque mot, on y a
adjousté
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les Synonymes, c'est à dire les mots qui sont de mesme signification;
sur quoy on croit devoir avertir que le Synonyme ne respond pas tousjours
exactement à la signification du mot dont il est Synonyme, & qu'ainsi
ils ne doivent pas estre employez indifferemment l'un pour l'autre. On a mis
aussi les Epithetes qui conviennent le mieux au Nom substantif, & qui s'y
joignent naturellement, soit en bien, soit en mal, & ensuite les Phrases les
plus receuës, & qui marquent le plus nettement l'Employ du mot dont il
s'agit.
Comme la Langue Françoise a des mots Primitifs, &
des mots Derivez
& Composez, on a jugé qu'il seroit agreable & instructif de disposer
le Dictionnaire par Racines, c'est à dire de ranger tous les mots
Derivez & Composez aprés les mots Primitifs dont ils descendent, soit
que ces Primitifs soient d'origine purement Françoise, soit qu'ils
viennent du Latin ou de quelqu'autre Langue. On s'est pourtant quelquefois
dispensé de suivre cet ordre dans quelques mots, qui sortant d'une
mesme souche Latine, ont fait des branches assez differentes en
François pour estre mis chacun à part; & on s'en est aussi
dispensé dans quelques autres mots dont le Primitif Latin n'a point
formé de mot Primitif en François, ou a esté aboli par
l'usage, & dont par consequent les Derivez & Composez sont en quelque
façon independans les uns des autres; comme les mots
construire & destruire qui viennent du mot Latin
struere, qui n'a point passé en François.
Dans cet arrangement de Mots, on a observé de mettre
les Derivez
avant les Composez, & de faire imprimer en gros Caracteres les mots
Primitifs comme les Chefs de famille de tous ceux qui en dependent, ce qui
fait qu'on ne tombe gueres sur un de ces mots Primitifs qu'on ne soit
tenté d'en lire toute la suite, parce qu'on voit s'il faut ainsi dire
l'Histoire du mot, & qu'on en remarque la Naissance & le Progrez; & c'est
ce qui rend cette lecture plus agreable que celle des autres Dictionnaires
qui n'ont point suivi l'ordre des Racines.
On a mis aprés chaque Verbe le Participe passif qui
en est
formé; & quand ce Participe ne s'employe pas en d'autres sens que son
Verbe, on s'est contenté de mettre qu'il a les significations de
son Verbe sans en donner d'exemple; Mais quand il a quelqu'autre usage
ou un sens moins estendu, on a eu soin de le remarquer. Les Participes
passifs ont les deux genres & se declinent comme les autres Noms
aimé, aimée. Les Personnes aimées.
Il n'en est pas de mesme des Participes actifs qui n'ont point de genre &
qui sont indeclinables. On appelle Participes actifs ceux qui se terminent
en ant, comme changeant, donnant, faisant; Et
parce que ces Participes ont tousjours le mesme regime & le mesme sens que
leurs Verbes, on a creu qu'il n'estoit pas besoin d'en faire mention. Ces
mesmes Participes actifs tiennent aussi lieu de Gerondifs quand ils sont
construits avec la particule en, En changeant souvent on devient
inconstant; En donnant on se fait honneur. Ils font aussi la mesme
fonction sans cette particule, il luy dit changeant de discours.
Enfin ces Participes deviennent aussi Adjectifs Verbaux, & alors ils ont les
deux genres & se construisent
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selon le genre & le nombre du Substantif auquel ils sont joints; II y a
des esprits changeants, des couleurs changeantes; Et quand ces sortes
de mots se trouvent dans le Dictionnaire avec les deux genres, ils y sont
mis non pas comme Participes actifs, mais comme Adjectifs verbaux. Ainsi le
mot changeant n'est point dans le Dictionnaire comme Participe actif,
mais comme Adjectif verbal, changeant, changeante; & cela
suffit pour faire entendre la nature de ces mots, & quelle a esté la
conduite de l'Academie à cet esgard.
On n'a pas jugé à propos de marquer le
Reduplicatif de chaque
verbe quand il ne signifie que la mesme action reïterée, comme
Reparler à l'esgard de Parler. Mais quand le
reduplicatif a un autre sens, comme le verbe de Representer à
l'esgard du verbe Presenter, on luy a donné place entre les
verbes formez de ce Primitif.
Quoy qu'on se soit proposé en general de ne point
employer les vieux
mots dans le Dictionnaire, on n'a pas laissé d'y en conserver
quelques-uns, sur tout quand ils ont encore quelque usage, en les qualifiant
de Vieux; & l'on n'a pas mesme voulu oublier ceux qui sont tout à
fait hors d'usage, lors qu'ils sont Primitifs de quelques mots receus &
usitez. On a eu soin aussi de marquer ceux qui commencent à vieillir,
& ceux qui ne sont pas du bel usage, & que l'on a qualifiez de bas ou de
style familier selon qu'on l'a jugé à propos.
Quant aux termes d'emportement ou qui blessent la Pudeur,
on ne les a point
admis dans le Dictionnaire, parce que les honestes gens évitent de
les employer dans leurs discours.
Il s'estoit glissé une fausse opinion parmy le peuple
dans les
premiers temps de l'Academie, qu'elle se donnoit l'authorité de faire
de nouveaux mots, & d'en rejetter d'autres à sa fantaisie. La
publication du Dictionnaire fait voir clairement que l'Academie n'a jamais
eu cette intention; & que tout le pouvoir qu'elle s'est attribué ne
va qu'à expliquer la signification des mots, & à en declarer
le bon & le mauvais usage, aussi bien que des Phrases & des façons
de parler de la Langue qu'elle a recueillies; Et elle a esté si
scrupuleuse sur ce point, qu'elle n'a pas mesme voulu se charger de
plusieurs mots nouvellement inventez, ni de certaines façons de
parler affectées, que la Licence & le Caprice de la Mode ont voulu
introduire depuis peu.
L'Académie en bannissant de son Dictionnaire les
termes des Arts &
des Sciences, n'a pas creu devoir estendre cette exclusion jusques sur ceux
qui sont devenus fort communs, ou qui ayant passé dans le discours
ordinaire, ont formé des façons de parler figurées;
comme celles-cy, Je luy ay porté une botte franche. Ce jeune homme
a pris l'Essor, qui sont façons de parler tirées, l'une
de l'Art de l'Escrime, l'autre de la Fauconnerie. On en a usé de
mesme à l'esgard des autres Arts & de quelques expressions tant du
style Dogmatique, que de la Pratique du Palais ou des Finances, parce
qu'elles entrent quelquefois dans la conversation.
Les Proverbes ont esté regardez dans toutes les
Langues comme des
Maximes de Morale qui renferment ordinairement quelque instruction;
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Mais il y en a qui se sont avilis dans la bouche du menu Peuple, & qui ne
peuvent plus avoir d'employ que dans le style familier. Cependant comme ils
font une partie considerable de la Langue, on a pris soin de les recueillir,
aussi bien que les façons de parler Proverbiales, dont on a
marqué les significations & les differens employs.
L'Académie s'est attachée à l'ancienne
Orthographe
receuë parmi tous les gens de lettres, parce qu'elle ayde à
faire connoistre l'Origine des mots. C'est pourquoy elle a creu ne devoir
pas authoriser le retranchement que des Particuliers, & principalement les
Imprimeurs ont fait de quelques lettres, à la place desquelles ils
ont introduit certaines figures qu'ils ont inventées, parce que ce
retranchement oste tous les vestiges de l'Analogie & des rapports qui sont
entre les mots qui viennent du Latin ou de quelque autre Langue. Ainsi elle
a écrit les mots Corps, Temps, avec un P, & les
mots Teste, Honneste, avec une S, pour faire voir
qu'ils viennent du Latin Tempus, Corpus, Testa,
Honestus. Et si un mesme mot se trouve escrit dans le Dictionnaire
de deux manieres differentes, celle dont il sera escrit en lettres Capitales
au commencement de l'Article est la seule que l'Academie approuve. Il est
vray qu'il y a aussi quelques mots dans lesquels elle n'a pas
conservé certaines Lettres Caracteristiques qui en marquent
l'origine, comme dans les mots Devoir, Fevrier, qu'on
escrivoit autrefois Debvoir & Febvrier, pour marquer le
rapport entre le Latin Debere, & Februarius. Mais l'usage l'a
decidé au contraire; Car il faut reconnoistre l'usage pour le Maistre
de l'Orthographe aussi bien que du choix des mots. C'est l'usage qui nous
mene insensiblement d'une maniere d'escrire à l'autre, & qui seul a
le pouvoir de le faire. C'est ce qui a rendu inutiles les diverses
tentatives qui ont esté faites pour la reformation de l'Orthographe
depuis plus de cent cinquante ans par plusieurs particuliers qui ont fait
des regles que personne n'a voulu observer. Ce n'est pas qu'ils ayent
manqué de raisons apparentes pour deffendre leurs opinions qui sont
toutes fondées sur ce principe, Qu'il faut que l'Escriture represente
la Prononciation; Mais cette maxime n'est pas absolument veritable; Car si
elle avoit lieu il faudroit retrancher l'R finale des Verbes
Aymer, Ceder, Partir, Sortir, & autres de
pareille nature dans les occasions où on ne les prononce point, quoy
qu'on ne laisse pas de les escrire. Il en estoit de mesme dans la Langue
Latine où l'on escrivoit souvent des lettres qui ne se
prononçoient point. Je ne veux pas, dit Ciceron, qu'en
prononçant on fasse sonner toutes les lettres avec une affectation
desgoustante. Nolo exprimi litteras putidius. {3. de Oratore.}
Ainsi on prononçoit Multimodis & Tectifractis, quoy
qu'on écrivist Multis modis & Tectis fractis; Ce qui
fait voir que l'Escriture ne represente pas tousjours parfaitement la
Prononciation; Car comme la Peinture qui represente les Corps, ne peut pas
peindre le mouvement des Corps, de mesme l'Escriture qui peint à sa
maniere le Corps de la Parole, ne sçauroit peindre entierement la
Prononciation qui est le mouvement de la Parole. L'Académie seroit
donc entrée dans un détail tres-long & tres-inutile, si elle
avoit voulu s'engager en faveur des Estrangers à donner des regles
de la Prononciation. Quiconque veut sçavoir la veritable
Prononciation
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d'une Langue qui luy est estrangere, doit l'apprendre dans le commerce des
naturels du pays; Toute autre methode est trompeuse, & pretendre donner
à quelqu'un l'Idée d'un son qu'il n'a jamais entendu, c'est
vouloir donner à un aveugle l'Idée des couleurs qu'il n'a
jamais veuës. Cependant l'Académie n'a pas negligé de
marquer la Prononciation de certains mots lors qu'elle est trop
esloignée de la maniere dont ils sont escrits, & l'S en fournit
plusieurs exemples; C'est une des lettres qui varie le plus dans la
Prononciation lors qu'elle precede une autre Consone, parce que tantost elle
se prononce fortement, comme dans les mots Peste, veste,
funeste; Tantost elle ne sert qu'à allonger la Prononciation
de la syllabe, comme dans ces mots, teste, tempeste;
Quelquefois elle ne produit aucun effet dans la Prononciation, comme en ces
mots, espée,
esternuer; c'est pourquoy on a eu soin d'avertir le Lecteur quand
elle doit estre prononcée. Il y a des mots où elle a le son
d'un Z, & c'est quand elle est entre deux voyelles, comme dans ces mots,
aisé, desir, peser; Mais elle n'est pas la seule
lettre qui soit sujette à ces changemens. Le C se prononce
quelquefois comme un G, ainsi on prononce Segret, & non pas
Secret; segond, & non pas second; Glaude, & non
pas Claude, quoy que dans l'Escriture on doive absolument retenir le
C. Ainsi les Romains prononçoient Gaius, quoy qu'ils
escrivissent Caius; Amurga, quoy qu'ils escrivissent
Amurca, selon l'observation de Servius sur le premier livre des
Georgiques; ce qui acheve de confirmer ce qu'on vient de dire que la
Prononciation & l'Orthographe ne s'accordent pas tousjours, & que c'est de
la Vive Voix seule qu'on peut attendre une parfaite connoissance de la
Prononciation des Langues vivantes, & qu'on n'appelle Vivantes que parce
qu'elles sont encore animées du son & de la voix des Peuples qui les
parlent naturellement; au lieu que les autres Langues sont appellées
Mortes, parce qu'elles ne sont plus parlées par aucune Nation, &
n'ont plus par consequent que des Prononciations arbitraires au deffaut de
la Naturelle & de la veritable qui est totalement ignorée.
Aprés touts ces soins que l'Académie a pris
pour conduire cet
Ouvrage à sa perfection, & mettre la Langue Françoise en estat
de conserver sa Pureté, il est à craindre qu'en rendant compte
au Public de son travail, quelques-uns ne l'accusent d'avoir fait trop de
cas, & de s'estre trop occupée de ces Minuties Grammaticales qui
composent le fonds du Dictionnaire. Mais ce qu'ils appellent Minuties, est
à le bien prendre la partie de la Litterature la plus necessaire.
C'est ce qui nous fait entrer dans la connoissance des plus secrets ressorts
de la Raison, qui a tant de rapport avec la Parole, que dans la Langue
Greque la Parole & la Raison n'ont qu'un mesme nom {Lógos.}.
Le Vulgaire sçait bien qu'il parle & qu'il se fait entendre aux
autres; Mais les Esprits esclairez veulent connoistre les differentes
Idées sur lesquelles nos Paroles se forment; Ce qui en fait la
Justesse ou l'Irregularité, la Beauté ou l'Imperfection, la
Certitude ou l'Equivoque. Delà vient que plusieurs grands personnages
se sont tres serieusement attachez à l'estude des mots. Le fondateur
de l'Empire Romain, Jule Cesar au milieu de ses plus importantes affaires,
fit deux Livres
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d'observations sur la Langue Latine, intitulez de l'Analogie, qu'il
adressa à Ciceron, & dont il paroist encore quelques fragmens,
où nous voyons qu'il n'avoit pas dédaigné de descendre
jusqu'aux plus petites reflexions de la Grammaire, comme de remarquer que
les mots Arena, Coelum, Triticum, n'avoient point de
pluriel, & ce sont ces sortes d'observations qui ont fait que quelques
anciens l'ont mis au rang des plus habiles Grammairiens, & l'ont
appellé Artis Grammaticae Doctissimum {Priscianus.}.
Charlemagne Roy de France, & fondateur d'un nouvel Empire, travailla aussi
à l'embellissement de sa Langue qu'il réduisit sous de
certaines regles, & dont il compose luy-mesme une Grammaire. Ainsi les
contestations qui naissent au sujet des mots & des façons de parler
qu'on employe dans le Discours, naissent souvent entre les personnes de la
premiere qualité & du plus bel esprit, lesquelles ont tousjours eu
plus de soin que les autres de parler correctement. Nous avons un exemple
celebre d'une dispute de cette nature arrivée dans l'ancienne Rome
entre les premiers Citoyens de cette Ville maistresse de l'Univers. Le Grand
Pompée ayant fait construire le Temple de la Victoire, voulut mettre
une inscription sur le frontispice, pour marquer qu'il avoit achevé
ce bastiment durant son Troisiéme Consulat, mais il fut en doute s'il
falloit mettre Consul Tertio, ou Consul Tertium; & dans cette
incertitude il consulta les plus habiles de Rome, & Ciceron mesme, qui ayant
peine aussi à se déterminer luy conseilla de n'escrire que les
quatre premieres Lettres Tert. afin que le Lecteur achevast de
prononcer le reste comme il voudroit. Mais Pompée eluda encore la
difficulté d'une autre maniere en faisant mettre ce mot en Lettres
numerales Consul III. & Aulugelle qui nous a conservé cette
petite histoire asseure qu'il a veu le marbre mesme. Ce qui prouve
clairement que les difficultez Grammaticales arrestent quelquefois les plus
grands esprits, & ne sont pas indignes de leur application. Quand on voudra
donc entrer dans ces considerations, on sçaura peut-estre gré
à l'Académie d'avoir prevenu la pluspart des Doutes qui
peuvent naistre touchant l'usage de nostre Langue en prenant le soin de
ramasser ensemble tout ce qui regarde cette matiere, & en le faisant avec
assez d'exactitude pour avoir lieu de croire que ce travail ne sera pas
inutile presentement, & sera encore plus utile à la Posterité.
L'Académie auroit souhaité de pouvoir
satisfaire plustost
l'impatience que le Public a tesmoignée de voir ce Dictionnaire
achevé; Mais on comprenda aisément qu'il n'a pas esté
en son pouvoir de faire une plus grande diligence, si on fait reflexion sur
les divers accidens tant publics que particuliers qui ont traversé
les premieres années de son establissement, & sur la maniere dont
elle a esté obligée de travailler.
Ses Lettres de Creation quoy qu'expediées en 1635.
ne furent
enregistrées au Parlement qu'au mois de Juillet de l'année
1637. ce qui la tenoit comme en suspens, & rendoit en quelque sorte son
estat douteux. Le Cardinal de Richelieu mourut peu de temps aprés.
La passion que ce grand Ministre avoit pour les Sciences & pour les belles
Lettres qu'il mettoit au nombre des principaux ornemens d'un Estat, & son
affection
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particuliere pour cette Compagnie qu'il regardoit comme son ouvrage,
l'avoient fait resoudre de luy faire bastir une Maison pour y tenir ses
Conferences. Mais les dernieres années de sa vie ne furent pas assez
tranquilles pour luy permettre d'executer sa resolution, & de donner en cela
des marques de cette Magnificence qui se mesloit à tous ses desseins.
Ainsi l'Académie n'ayant point de lieu fixe ne s'assembloit que
rarement dans les maisons de quelques particuliers de son Corps. Cela dura
jusqu'à ce que Monsieur le Chancelier Seguier, qui estoit de
l'Académie, lorsque Monsieur le Cardinal en estoit Protecteur, luy
succeda en cette qualité. Il offrit alors sa maison à la
Compagnie, qui commença à s'y assembler une apresdinée
de chaque semaine. Les exercices des Académiciens, n'avoient pas
même esté bien reglez dans les commencemens. Ils s'occuperent
d'abord à faire des discours d'Eloquence qu'ils apportoient tour
à tour, & qui n'avoient aucune relation au Dictionnaire. M. de
Vaugelas qui s'estoit chargé d'y donner la premiere forme y travailla
veritablement, & en fit les deux premieres Lettres; Mais son travail
n'estant point dans la methode qu'on a suivie depuis, il fallut recommencer
aprés sa mort ce qu'il avoit fait pour conserver l'uniformité
du plan que l'Académie avoit arresté. Monsieur le Chancelier
s'estant trouvé absent de la Cour dans ce temps-là, &
plusieurs Académiciens qui avoient pour luy un attachement
particulier l'ayant accompagné, l'ouvrage avançoit fort peu.
Cette interruption dura jusqu'en l'année 1651. que Monsieur le
Chancelier revint à Paris, où il fut receu avec un
applaudissement universel. Ce fut luy-mesme qui proposa à
l'Académie de s'assembler deux fois la semaine, pour haster le
travail du Dictionnaire qui n'en estoit encore qu'à la moitié
de la troisiéme Lettre, & ainsi on peut dire que c'est seulement
depuis l'année 1651. que l'on y a travaillé serieusement. La
premiere composition en fust achevée vers le temps de la mort de
Monsieur le Chancelier, qui arriva le premier jour de l'année 1673.
Ce fut alors que le Roy ayant bien voulu se declarer le Protecteur de
l'Académie, & luy donner dans le Louvre l'appartement où elle
tient ses assemblées, elle se vit élever au comble du bonheur
dont elle jouït presentement. Elle a depuis travaillé
regulierement trois fois la semaine deux heures par chaque seance, & elle
ne s'est occupée à autre chose qu'à revoir ce qui avoit
esté fait. Ce second travail n'a pas moins cousté de temps
à l'Académie que le premier, & cela ne se peut pas faire
autrement, à cause de la maniere de travailler des Compagnies en
general & de l'Académie en particulier, où tous ceux qui la
composent disent successivement leur avis sur chaque mot & ou la
diversité des opinions apporte necessairement de grands retardemens.
La celebre Académie de Florence connuë sous le nom della
Crusca en est une preuve convaincante. Elle a employé quarante
ans à composer le Dictionnaire dont elle a enrichi la Langue
Italienne & plus encore à l'augmenter & à le perfectionner,
ce qui l'a mis en Estat de servir de regle pour toutes les difficultez de
cette Langue. Et c'est en cela que la lenteur du travail d'une Compagnie est
avantageusement recompensée par l'authorité de ses
Décisions.
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Monsieur Colbert qui estoit de l'Académie, & qui desiroit fort de
voir le Dictionnaire achevé, estant persuadé comme l'ont
esté les plus sages Politiques, que ce qui sert à former
l'Eloquence contribuë beaucoup à la gloire d'une Nation; Peu de
temps aprés qu'il eut esté receu dans cette Compagnie, il y
vint sans qu'on l'y attendist, pour estre tesmoin de la maniere dont on
travailloit. Il y arrive lors qu'on revoyoit le mot, AMY, & comme
il falloit avant toutes choses regler la définition de ce mot, il vit
combien il s'esleva de difficultez avant que d'en convenir. On demanda si
le mot d'AMY supposoit une Amitié reciproque;
c'est-à-dire, si un homme pouvoit estre appellé l'AMY
d'un autre qui n'auroit pas les mesmes sentimens pour luy. Cette question
qui est plus de Morale que de Grammaire, & que neanmoins on doit resoudre
avant que de definir le mot, occupa l'Académie assez long-temps. Il
fallut que chacun dist son avis; & enfin la définition de ce mot fut
arrestée comme elle est presentement imprimée dans le
Dictionnaire. On y adjousta les Epithetes qui se joignent naturellement
à ce mot, & ensuite on examina les Phrases & les Proverbes où
il s'employe. Monsieur Colbert qui assista à toute la seance, & qui
avoit veu l'Attention & l'Exactitude que l'Académie apportoit
à la composition de ce Dictionnaire, dit en se levant, qu'il estoit
convaincu, qu'elle ne l'avoit pas pu faire plus promptement, & son
tesmoignage doit estre d'autant plus consideré, qu'on sçait
que jamais homme dans sa place, n'a esté plus laborieux ny plus
diligent.
Cependant quelque soin que l'Académie ait
apporté à ce
travail, il est bien difficile qu'il ne luy soit eschappé quelques
fautes; Mais comme elle ne s'en est chargée que dans la pensée
de contribuër à la Perfection de la Langue, elle recevra avec
plaisir tous les avis qu'on voudra bien luy donner, & s'en servira dans les
Editions suivantes de ce Dictionnaire, afin de le rendre plus utile & de
respondre plus dignement à l'attente du Public.
L'Académie n'ayant pas jugé à
propos de donner place
dans son Dictionnaire aux termes particulierement attachez aux Sciences &
aux Arts pour les raisons qui ont esté dites, quelques
Académiciens ont creu qu'ils feroient un ouvrage utile & agreable
d'en composer un Dictionnaire à part: Et comme ils l'ont fait avec
beaucoup de soin, il y a lieu de croire que le Public sera content de leur
travail.
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