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PREFACE.
Ce n'est pas avoir une idée parfaite d'un Dictionnaire, que de ne
concevoir sous ce nom qu'un Recuëil de tous les mots d'une Langue avec
leur simple explication.
Il est vray que chaque Langue a ses mots qui luy sont propres,
& quelquefois
mesme de certaines pensées tellement attachées à ces
mots, qu'il est impossible de bien exprimer ces mesmes pensées dans
une autre Langue, & c'est ce qui est cause qu'il y a si peu de bonnes
Traductions.
Mais il est vray aussi qu'il n'y a presque aucun mot qui ne
change de valeur
& de signification, selon les differentes manieres dont il est
employé: c'est pour cela qu'il est si difficile d'apprendre
passablement une Langue qui nous est estrangere, & mesme de sçavoir
parfaitement celle qui est naturelle.
Il ne suffit donc pas qu'un Dictionnaire contienne tous les
mots d'une
Langue & leur explication: il doit encore sur chaque mot en particulier en
faire sentir tous les divers usages, déterminer s'il est du stile
soustenu, ou du stile familier; si on l'employe en escrivant, ou s'il n'est
que de la conversation; si les gens polis s'en servent, ou s'il n'est que
dans la bouche du Peuple: enfin il doit suppléer autant qu'il est
possible à tout ce qu'on ne pourroit acquerir qu'avec beaucoup de
peine par la lecture d'un grand nombre de Livres, & par le sejour de
plusieurs années dans le Pays dont on veut apprendre la Langue.
C'est ce que l'Académie Françoise a tousjours
eu en veuë
depuis qu'elle a commencé à travailler à son
Dictionnaire, & c'est ce qui paroistra encore plus particulierement dans
cette nouvelle Edition.
Les Estrangers qui aiment nostre Langue, & qui se font un
honneur de la
sçavoir, verront qu'on n'a rien négligé de tout ce qui
peut diminuer la peine qu'ils avoient à l'apprendre, & ceux des
François qui la sçavent le mieux, ne laisseront pas d'y
trouver des Décisions utiles sur plusieurs difficultez qui les
embarrassent quelquefois en parlant & en escrivant.
Il y a donc lieu d'esperer que cette nouvelle Edition ne sera
pas
receuë moins favorablement que celle qui fut publiée en 1694.
mais ceux qui voudront les comparer, connoistront aisément combien
celle-cy est differente de la premiere.
On en a changé toute la forme, on y a adjousté
beaucoup de
mots, on a retouché & esclairci presque toutes les
Définitions, & l'on peut dire que ce que l'on donne aujourd'hui au
Public, est plustost un Dictionnaire nouveau qu'une nouvelle Edition de
l'ancien.
Ainsi il ne faut pas s'estonner que ce travail ait occupé
durant tant
d'années les séances de l'Académie; & quoiqu'on ne
puisse bien juger de tout le temps qu'il a deu couster, à moins que
d'y avoir esté employé soy-mesme, les personnes raisonnables
sentiront assez que rien ne convenoit
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moins à un Ouvrage de cette nature, que d'estre fait avec
rapidité.
Si quelque chose peut contribuer à mettre un
Dictionnaire dans toute
la perfection dont il est susceptible, c'est d'y travailler avec cette
lenteur tant recommandée par les Anciens; lenteur qui n'exclud point
la diligence, mais qui est absolument necessaire pour tout ce qui demande
de l'exactitude & de la precision.
La premiere Edition avoit esté disposée par
Racines,
c'est-à-dire, en rangeant tous les mots derivez ou composez
après les mots dont ils descendent; mais cet ordre qui dans la
speculation avoit esté jugé le plus instructif, s'est
trouvé très incommode dans la pratique.
Il est aisé de se représenter l'impatience d'un
Lecteur, qui
après avoir cherché un mot dont il a besoin, Absoudre
par exemple, au commencement du premier Volume, où naturellement il
doit estre, y trouve pour toute instruction qu'il faut aller à la fin
du second Volume chercher le mot Soudre, dont il n'a pas besoin, mais
qui est le primitif de celui qu'il cherche. Dans cette nouvelle Edition les
mots ont esté rangez avec un très grand soin dans l'ordre de
l'alphabet; en sorte qu'il n'y en a point que l'on ne trouve d'abord, et
sans aucune peine.
On a eu aussi une attention particuliere à expliquer,
à
déterminer, et à bien faire sentir la veritable signification
de chaque mot par des Définitions exactes & par des Exemples:
c'est-là peut-estre ce qu'il y a de plus important dans un
Dictionnaire; mais c'est aussi ce qu'il y a de plus difficile à bien
executer.
En effet rien n'est plus penible que d'avoir à
déterminer sur
un mesme mot les idées diverses & souvent tout opposées, qu'il
doit exciter en nous, suivant les differentes manieres dont il peut estre
lié avec tous les autres mots de la mesme Langue.
Mais cette difficulté ne peut estre connuë, ni
mesme sentie que
par ceux qui se sont appliquez à la surmonter: on en jugera par cet
exemple, Bon est un des mots les plus communs et les plus courts de
nostre Langue; il n'y a personne qui en l'entendant prononcer, ne s'imagine
que c'est aussi le plus simple, & que l'on en penetre d'abord la
signification dans toute son estenduë, sans qu'il soit besoin de le
définir, ni mesme d'en donner des Exemples: mais si l' on consulte
le Dictionnaire, on sera tout estonné de voir qu'il a soixante &
quatorze significations toutes differentes: C'est un Eloge quand il est
placé avec de certains mots, comme bon Homme, bon Mari,
bon Peintre: c'est un terme de Dénigrement, quand il est joint
avec d'autres, & quelquefois avec les mesmes, comme bon homme, bon
idiot, bon badaut: c'en est un de mépris outré, &
d'indignation très amere, lorsqu'on le joint avec d'autres, comme
bon coquin, bon insolent, bon scelerat, & ainsi du
reste: cependant il est certain qu'on ne peut pas se flater de
sçavoir une Langue ni mesme de l'entendre passablement, si l'on n'est
instruit de toutes ces differentes significations; & il n'y a aucun
Dictionnaire de Langues mortes ni de Langues vivantes, où ce
détail si necessaire soit expliqué avec tant de soin &
d'exactitude qu'il l'est dans celui-ci.
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L'Académie n'a pas crû en devoir exclurre certains mots,
à qui la bizarrerie de l'usage, & peut-estre celle de nos moeurs a
donné cours depuis quelques années, comme par exemple;
falbala, fichu, battant-l'oeil, ratafia,
sabler, & un grand nombre d'autres. Dès qu'un mot s'est une
fois introduit dans nostre Langue, il a sa place acquise dans le
Dictionnaire, & il seroit souvent plus aisé de se passer de la chose
qu'il signifie, que du mot qu'on a inventé pour la signifier, quelque
bizarre qu'il paroisse.
Il semble en effet qu'il y ait entre les mots d'une Langue, une
espece
d'égalité comme entre les Citoyens d'une Republique, ils
joüissent des mesmes privileges, & sont gouvernez par les mesmes loix;
et comme le General d'Armée & le Magistrat ne sont pas plus Citoyens
que le simple Soldat, ou le plus vil Artisan, nonobstant la difference de
leurs emplois; de mesme les mots de Justice & de Valeur, ne
sont pas plus des mots François ni plus François, quoiqu'ils
representent les premieres de toutes les vertus, que ceux qui vent destinez
à representer les choses les plus abjectes & les plus
méprisables.
On a mis après chaque verbe le participe qui en est
formé, &
on s'est contenté de marquer qu'il a les significations de son verbe
sans en donner d'exemple; mais quand il a quelqu'autre usage ou un sens
moins estendu, on a eu soin de le remarquer. Les Participes passifs ont les
deux genres, & se déclinent comme les autres noms aimé
aimée. Il n'en est pas de mesme des Participes actifs qui
n'ont point de genre & qui sont indéclinables: on appelle Participes
actifs ceux qui se terminent en ant, comme changeant,
donnant, faisant; & parce que ces participes ont tousjours le
mesme sens & le mesme regime que leurs Verbes, on a cru qu'il n'estoit pas
nécessaire d'en faire mention. Ces mesmes Participes actifs tiennent
aussi lieu de Gerondifs quand ils sont construits avec la Particule
En, En donnant on se fait honneur. Ils font aussi la mesme
fonction sans cette Particule, Il luy dit changeant de discours.
Enfin ces Participes deviennent aussi adjectifs verbaux, & alors ils ont les
deux genres, & se construisent selon le nombre & le genre du Substantif
auquel ils sont joints. II y a des esprits changeants, des couleurs
changeantes, & quand ces sortes de mots se trouvent dans le Dictionnaire
avec les deux genres, ils y sont mis non pas comme Participes actifs, mais
comme Adjectifs verbaux; ainsi le mot changeant n'est point dans le
Dictionnaire comme Participe actif, mais comme Adjectif verbal,
changeant, changeante; & cela suffit pour faire entendre la
nature de ces mots, & quelle a esté la conduite de l'Académie
à cet esgard: on n'a pas jugé à propos de marquer le
reduplicatif de chaque Verbe, quand il ne signifie que la mesme action
reiterée, comme reparler, à l'esgard de parler; mais
quand le reduplicatif a un autre sens comme le verbe representer,
à l'esgard de presenter, on lui a donné une place
particuliere.
Par la mesme raison, dans certains mots composez de deux
mots, on n'a
marqué que ceux où les differents mots qui les composent
changent de signification, comme garde-robe.
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En general il y a plusieurs sortes de Verbes, le Verbe Actif, le Verbe
Passif, le Verbe Neutre, & le Verbe Neutre Passif: à proprement
parler il n'y a point de Verbe Passif dans nostre langue, mais pour
s'accommoder au langage des anciens Grammairiens, on appelle Verbe
Passif, le Verbe composé de l'auxiliaire estre, & du
Participe Passif, aimer est l'Actif, & estre aimé est
le Passif, ou tient lieu de Passif.
Le Verbe Neutre est celui qui n'a aucun regime, comme
partir,
dormir, veiller, tascher, exceller,
marcher.
Et le Verbe Neutre Passif est celui qui se construit avec le
Pronom
personnel sans le regir, ou qui n'exerce son regime que sur le mesme Pronom
qui le regit, comme se repentir, se souvenir, je me
repens, je me souviens; car on ne dit point, je repens
moy, je souviens moy.
Il y a une autre nature de Verbes que le Dictionnaire de
l'Académie
a compris dans le nombre des Verbes Neutres Passifs, parce-qu'ils se
construisent de mesme avec le Pronom personnel, avec cette différence
que le Pronom personnel est regi par le Verbe. Se promener,
s'establir, s'appliquer, &c.
Dans ces Verbes, le Pronom Se est un veritable
Accusatif regi par le
Verbe. L'Académie ne les a pourtant pas distinguez des veritables
Neutres Passifs, parce qu'ils ont la mesme construction, & qu'on ne peut pas
dire, Je promene moy, j'estably moy, j'applique moy.
Dans le Traité de la Grammaire, on examinera les
raisons des
Grammairiens modernes, qui veulent les distinguer, & qui prétendent
donner des Verbes Neutres Passifs une idée differente de celle qu'en
donne l'Académie.
Pour ce qui est des termes d'Art, l'Académie a cru
ne devoir admettre
dans son Dictionnaire que ceux qui sont extremement connus & d'un grand
usage, à moins qu'ils ne soient amenez par le mesme mot de la langue,
qui a dans la langue une signification differente; par exemple, à la
suite du mot travail, qui signifie labeur, peine, &c.
on trouve travail, qui signifie, une machine qui sert aux
Maréchaux pour contenir les chevaux difficiles à ferrer.
Quant à l'Orthographe, l'Académie dans cette
nouvelle
édition, comme dans la précedente, a suivi en beaucoup de mots
l'ancienne maniere d'escrire, mais sans prendre aucun parti dans la dispute
qui dure depuis si long-temps sur cette matiere.
Il est certain que l'ancienne maniere d'escrire estoit
fondée en
raison, mais l'usage, qui en matiere de langue est plus fort que la raison,
introduit peu à peu une maniere d'escrire toute nouvelle, l'ancienne
nous eschape tous les jours, & comme il ne faut point se presser de la
rejetter, on ne doit pas non plus faire de trop grands efforts pour la
retenir.
Elle a pourtant encore des partisans rigides qui soustiennent
qu'elle est
absolument nécessaire pour conserver l'analogie &
l'étimologie.
Mais comme l'analogie & l'étimologie ne sont que
des rapports qu'on
a observez, & quelquefois mesme imaginez entre les mots d'une langue desja
faite & ceux d'une autre, ils peuvent bien fournir matiere
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à quelques observations curieuses, & plus souvent encore à des
disputes inutiles; mais ils ne déterminent pas tousjours la veritable
signification d'un mot, parce qu'elle ne despend que de l'usage. Rien n'est
en effet plus commun que de voir des mots qui passent tout entiers d'une
langue dans une autre, sans rien conserver de leur premiere signification:
mais s'il n'est pas raisonnable de vouloir dans certains mots retenir les
lettres que l'usage en a bannies, il l'est encore moins de vouloir en bannir
par avance celles qu'il y tolere encore.
Tout ce que l'Académie a cru devoir faire au sujet des
lettres, dont
les unes se prononcent, les autres ne se prononcent pas, c'est que quand une
lettre se prononce ordinairement dans les mots où elle se trouve, on
a remarqué ceux où elle ne se prononce pas; & au contraire,
comme l's ne se prononce pas dans le plus grand nombre des mots
où elle est jointe avec un autre consonne, comme hospital; on
a marqué ceux où elle se prononce, comme
hospitalité, & cela a paru plus convenable que d'entreprendre
une reformation d'ortographe: car on auroit beau dire aux hommes qu'il leur
sera plus commode de retrancher un grand nombre de lettres inutiles, & d'en
substituer d'autres qui exprimeront plus exactement la prononciation, leurs
yeux & leurs oreilles sont accoustumez à un certain arangement de
lettres, & à de certains sons attachez à cet arrangement. Il
ne faut pas compter qu'une habitude de cette nature puisse se destruire par
des raisonnemens ni par des methodes, & le peu de succès de toutes
celles qu'on a proposées jusqu'à present ne doit pas donner
envie d'en inventer de nouvelles.
Le plus seur est de s'en rapporter à l'usage, qui,
à la
vérité, ne connoist pas tousjours les methodes ni les regles;
mais qui n'est pas aussi tousjours si déraisonnable qu'on se
l'imagine. Souvent l'ignorance & la corruption introduisent des manieres
d'escrire; mais souvent c'est la commodité qui les establit. L'usage
n'est autre chose que le consentement tacite des hommes qui se trouvent
determinez à une chose plustost qu'à une autre, par des causes
souvent inconnuës, mais qui n'en sont pas moins réelles: ainsi
quand les Romains ont cessé de prononcer fircus, pour dire un
bouc, foedus pour dire un chevreau, & qu'ils en ont fait hircus
& hoedus; comme de fuzer & de fermosura, les Castillans
ont fait hazer & hermosura on ne peut pas douter qu'ils n'y
aïent esté déterminez, quoique peut-estre sans s'en
appercevoir, par la douceur & par la facilité de cette derniere
prononciation. La mesme chose nous est arrivée, sans doute, à
l'esgard de pourroient & de feroient, j'envoyerai,
Laon, Paon, & de tant d'autres mots que nous avons
cessé de prononcer comme les prononçoient nos peres, quoique
nous les escrivions encore comme eux. Peut-estre ne seroit-il pas impossible
de trouver aussi seurement la raison des changements qui arrivent tous les
jours dans les Langues vivantes, soit par rapport à l'orthographe,
ou à la maniere de prononcer; soit mesme par rapport à la
signification des mots; mais ce seroit un travail inutile: & comme dit
Quintilien, il y a des choses si frivoles dans certaines parties de la
Grammaire, qu'un Grammairien sage doit se faire un merite de les ignorer.
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