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PRÉFACE.
S'IL y a quelque ouvrage qui demande d'être
éxécuté par une Compagnie, c'est le Dictionnaire d'une
Langue vivante. Comme il doit donner l'explication des sens différens
des mots qui sont en usage, il faut que ceux qui entreprennent d'y
travailler, ayent une multitude & une variété de
connoissances, qu'il est comme impossible de trouver rassemblées dans
une même personne. L'Académie a donc pensé dans tous les
temps, que le plus grand service qu'elle fut capable de rendre au Public,
c'étoit de composer & de perfectionner un Dictionnaire de la Langue
Françoise. Elle s'en est occupée sans discontinuation depuis
son Etablissement, & toutes les personnes qui ont été
successivement Membres de la Compagnie, ont eu part à cet Ouvrage.
Les Poëtes, les Orateurs & les autres Ecrivains célèbres
qui ont vécu dans le dix-septième siècle & dans le
dix-huitième, temps où les Lettres Françoises ont
fleuri davantage & donné les meilleurs fruits, en sont les
Auteurs.
Il ne sera point hors de propos de tracer ici
un crayon du plan que l'Académie s'est proposé de suivre dans
tous les temps où elle a travaillé soit à la
composition, soit à la perfection de son Dictionnaire; quoique ce
dessin oblige à redire plusieurs choses qui ont été
dites déja dans les Préfaces des deux Editions
précédentes: mais il vaut mieux les répéter, que
de les laisser ignorer à ceux qui n'ont point lu ces
Préfaces.
En premier lieu, l'Académie a
toûjours cru qu'elle devoit se restraindre à la Langue commune,
telle qu'on la parle dans le monde, & telle que nos Poëtes & nos
Orateurs l'emploient. Ainsi nous n'avons pas fait entrer dans le
Dictionnaire tous les mots dont on ne se sert plus, & qu'on ne trouve
aujourd'hui que dans les Auteurs qui ont écrit avant la fin du
seizième siècle. Si l'on y a placé ceux de ces mots qui
peuvent être encore de quelque usage, ce n'est qu'en les qualifiant
de termes vieux, ou de termes qui vieillissent. On a cru devoir garder ce
tempérament dans un Livre destiné non seulement à
marquer la signification des mots qui sont usitez présentement, mais
aussi à faire entendre plusieurs termes anciens qui se rencontrent
dans des livres qu'on lit encore tous les jours, malgré les
changemens survenus dans la Langue depuis qu'ils sont écrits.
A l'égard des expressions de la Langue
commune qui paroissent affectées à un certain genre de style,
on a eu soin de dire auquel elles sont propres; si c'est au style
poëtique, au style soûtenu, ou bien au style familier. Comme les
honnêtes gens évitent de se servir des termes que dicte
l'emportement ou qui blessent la pudeur, on les a exclus du Dictionnaire.
L'Académie a jugé encore à propos de n'y faire entrer
que ceux des termes d'art & de science que l'usage a introduits dans la
Langue commune, ou ceux qui sont amenez par quelque mot de cette même
Langue. Ainsi à la suite de Parabole, qui signifie une
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Allégorie sous laquelle on cache quelque vérité
importante, on trouvera Parabole, terme de Géometrie & qui
signifie une certaine ligne courbe.
Avant que de définir un mot, on a
donné presque toûjours ses synonymes, ou les mots qui
paroissent signifier la même chose. On croit néanmoins devoir
avertir que les synonymes répondent rarement avec précision
au sens du terme dont ils sont réputez synonymes, & que ces mots ne
doivent pas être employez indistinctement.
Après les synonymes vient la
définition du mot. Pour achever d'en expliquer la signification, on
ajoûte les éxemples les plus propres à bien faire
comprendre quel est son vrai sens, & avec quels autres termes il se
plaît, pour ainsi dire, à être joint. Des phrases
composées exprès pour rendre sensible toute l'énergie
d'un mot, & pour marquer de quelle manière il veut être
employé, donnent une idée plus nette & plus précise de
la juste étendue de sa signification, que des phrases tirées
de nos bons Auteurs, qui n'ont pas eu ordinairement une pareille vûe
en écrivant. Voilà une des raisons qui ont porté
l'Académie à ne point emprunter ses éxemples des livres
imprimez.
On n'a point négligé de
rapporter les sens métaphoriques que certains mots reçoivent
quelquefois en vertu d'un usage établi; mais on n'a pas fait mention
des sens figurez que les Poëtes & les Orateurs donnent à
plusieurs termes, & qui ne sont point autorisez par un usage
reçû. Ces sortes de Figures appartiennent à ceux qui les
hasardent, & non pas à la Langue.
Après chaque verbe, on trouve son
participe passif. Quand il ne s'emploie pas en d'autres sens que celui du
verbe dont il est le participe, le Dictionnaire se contente de marquer:
qu'Il a les significations de son verbe, sans en donner
d'éxemples. Mais lorsque ce participe a quelque autre usage, comme
Dénaturé par rapport à Dénaturer,
ou quand son sens est moins étendu que celui du verbe, le
Dictionnaire a soin d'en instruire.
Il a paru qu'il n'étoit pas
nécessaire de rapporter le réduplicatif de chaque verbe,
lorsque ce réduplicatif ne signifie que la réitération
de la même action, comme Reparler, qui ne veut dire, que
Parler une seconde fois. Mais lorsqu'un verbe qui n'est que
réduplicatif dans un sens, a un autre sens dans lequel il ne l'est
point, comme Redire qui signifie souvent autre chose que Dire une
seconde fois, on lui donne place dans son rang alphabétique.
Si dans le Dictionnaire le même mot se
trouve écrit de deux manières différentes,
malgré l'attention qu'on a eue à prévenir cet
inconvénient, l'Académie déclare, que la seule
manière qu'elle aprouve, est celle dont le mot est écrit en
lettres Capitales, au commencement de son article.
Comme elle auroit été
obligée d'entrer dans des détails très-longs, si en
faveur des Etrangers, elle avoit voulu donner les règles de la
prononciation, elle a jugé qu'il lui convenoit de s'en dispenser.
Véritablement, quiconque veut savoir la prononciation d'une Langue
étrangère, doit l'apprendre dans le commerce de ceux dont elle
est la Langue naturelle. Toute autre voie égare trop souvent. Nous
ne laissons
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pas de marquer quelles sont les diverses prononciations des vingt-trois
lettres de l'Alphabet François, & même quelle est la
prononciation de certains mots, lorsqu'elle est éloignée de
la manière de les écrire. Nous avertissons par éxemple,
qu'on prononce Cangrène, quoiqu'on écrive
Gangrène, & Pan, quoiqu'on écrive
Paon.
Quand l'Académie travailloit à
la premiére Edition de son Dictionnaire, laquelle parut en mil six
cent quatre-vingt-quatorze, nos Prédécesseurs crurent qu'il
seroit instructif d'y ranger les mots par racines, c'est-à-dire, de
placer tous les mots dérivez ou composez, à la suite du mot
primitif dont ils viennent, soit que ce primitif ait son origine dans la
Langue Françoise, soit qu'il la tire du Latin, ou de quelque autre
Langue. On crut encore devoir s'attacher à l'orthographe qui pour
lors étoit généralement reçûe, & qui
servoit à faire reconnoître l'étymologie des mots.
La seconde Edition du Dictionnaire parut en
mil sept cent dix-huit, mais sous une forme si différente de la
première, qu'on peut dire qu'alors l'Académie donna
plustôt un Dictionnaire nouveau, qu'une nouvelle Edition de l'ancien.
On vient de voir par quelle raison les mots y avoient été
rangez par racines: mais cet ordre qui dans la spéculation avoit paru
le plus convenable, se trouva d'un usage fort incommode. Les mots furent
donc rangez dans la nouvelle Edition suivant leur ordre alphabétique,
ensorte
qu'il n'y en eut plus aucun, qu'on ne put trouver d'abord & sans peine: mais
l'on y suivit à peu près l'orthographe de la première
Edition.
Les changemens faits dans la troisième
que nous donnons aujourd'hui, sont d'une autre nature, mais ils ne sont
guère moins importans. Nous y avons perfectionné les
définitions des mots, & nous avons tâché de marquer
encore plus précisément l'étendue de leur
signification, en ajoûtant de nouveaux éxemples. Quant à
l'ordre alphabétique, il y a été observé comme
dans la précédente; & si quelques mots ont changé de
place, c'est que la manière de les écrire ayant
été changée, il étoit devenu nécessaire
de les tirer du rang où ils étoient, pour les mettre dans un
autre. La profession que l'Académie a toûjours faite de se
conformer à l'usage universellement reçû, soit dans la
manière d'écrire les mots, soit en les qualifiant, l'a
forcée d'admettre des changemens que le Public avoit faits.
On entreprendroit en vain de
l'assujétir à une orthographe systématique, & dont les
règles fondées sur des principes invariables, demeurassent
toûjours les mêmes. L'usage qui en matière de Langue, est
plus fort que la raison, auroit bientôt transgressé ces
loix.
Il est comme impossible que dans une Langue
vivante, la prononciation des mots reste toûjours la même:
cependant le changement qui survient dans la prononciation d'un terme, en
opère un autre dans la manière de l'écrire. Par
éxemple, quelque tems après avoir cessé de prononcer
le B dans Obmettre, & le D dans Adjoûter;
on les a supprimez en écrivant. En effet l'on ne pourroit apprendre
qu'avec peine, à lire les livres écrits dans sa Langue
naturelle, si l'usage ne changeoit pas quelque chose dans l'orthographe des
mots dont il a changé la prononciation. Toute variable qu'elle est,
elle ne laisse donc pas de
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donner en quelques rencontres, la loi à l'orthographe. Il est vrai
seulement que cela n'arrive que par degrez. Voici quelle est, suivant les
apparences, la cause de la lenteur du progrès dont nous parlons.
Dès qu'une nouvelle manière de
prononcer un mot s'est généralement établie, on est
obligé de se conformer en le prononçant, à l'usage
reçû dans le monde. On auroit l'air antique; on s'exposeroit
à de fréquens reproches, si l'on s'obstinoit à
conserver la prononciation qui a vieilli. Il n'en est pas de même des
changemens que l'usage introduit dans l'orthographe. On peut garder
l'ancienne sans de grands inconvéniens, & les hommes faits ont de la
répugnance à changer quelque chose dans celle qu'ils se sont
formée dès leur première jeunesse, soit sur les
leçons d'un maître plus âgé qu'eux, soit par la
lecture des livres imprimez depuis plusieurs années. D'ailleurs, il
leur en coûteroit une attention pénible pour être
toûjours conformes aux règles d'une orthographe, qu'ils
n'auroient adoptée que dans un âge avancé. Ils prennent
donc le parti de conserver celle à laquelle ils sont
accoûtumez; & ils la gardent, quoique la génération qui
vient après eux, en suive déjà une différente.
Ce n'est qu'après qu'ils ne sont plus, que les changemens dont nous
parlons, & qu'ils avoient refusé d'adopter, se trouvent
généralement reçûs.
D'autres motifs introduisent aussi divers
changemens dans l'orthographe. Si l'ignorance & la paresse mettent en vogue
quelquefois certaines manières d'écrire, quelquefois c'est la
raison qui les établit. On les adopte, soit pour adoucir la
prononciation de quelque mot, soit afin de n'être pas réduit
à se servir d'un même caractère pour exprimer des sons
différens, ou de caractères différens, pour exprimer
le même son.
L'Académie s'est donc vûe
contrainte à faire dans cette nouvelle Edition, à son
orthographe, plusieurs changemens qu'elle n'avoit point jugé à
propos d'adopter, lorsqu'elle donna l'Edition précédente. Il
n'y a guère moins d'inconvéniens dans la pratique, à
retenir obstinément l'ancienne orthographe, qu'à l'abandonner
légèrement pour suivre de nouvelles manières
d'écrire, qui ne font que commencer à s'introduire. Si
l'Académie avoit persévéré dans sa
première résolution, les Etrangers & même les
François, auroient-ils pu se servir commodément d'un
Dictionnaire où plusieurs mots auroient été
écrits autrement qu'il ne le sont communément aujourd'hui, &
par conséquent placez ailleurs que dans les endroits où l'on
iroit naturellement les chercher. L'on ne doit point en matière de
Langue, prévenir le Public, mais il convient de le suivre, en se
soûmettant, non pas à l'usage qui commence, mais à
l'usage généralement reçû.
Nous avons donc supprimé dans plusieurs
mots les lettres doubles qui ne se prononcent pas. Nous en avons
ôté le B, le D, l'H, & l'S
inutiles. Dans les mots où l'S marquoit l'allongement de la
syllabe, nous l'avons remplacée par un accent circonflêxe. Nous
avons encore mis un I simple à la place de l'Y,
par-tout où il ne tient pas la place d'un double I, ou ne sert
pas à conserver la trace de l'étymologie. Si l'on ne trouve
pas une entière uniformité dans ces retranchemens; si nous
avons laissé dans quelques mots la lettre superflue que nous avons
ôtée dans d'autres, par éxemple, si nous avons
conservé dans Méchanique, l'H
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inutile que nous avons ôtée de Monacal; c'est que
l'usage le plus commun, en ôtant l'H de Monacal, l'a
laissée dans Méchanique.
On a ajoûté dans cette Edition
aux verbes irréguliers, les temps de leurs conjugaisons qui sont en
usage, afin d'épargner à ceux qui se serviront du
Dictionnaire, la peine d'aller les chercher dans des Grammaires.
Le Public ne manquera pas de remarquer qu'il
se trouve dans la nouvelle Edition, un bien plus grand nombre de termes
d'art & de science, que dans les deux précédentes. Nous ne
nous sommes pas écartez néanmoins de la règle
générale que nos Prédécesseurs s'étoient
prescrite, de n'admettre que ceux des termes qui sont d'un usage si
général, qu'ils peuvent être regardez comme faisant
partie de la Langue commune, ou qui sont amenez par un mot de cette Langue.
Mais depuis environ soixante ans qu'il est ordinaire d'écrire en
Français sur les arts & sur les sciences, plusieurs termes qui leur
sont propres, & qui n'étoient connus autrefois que d'un petit nombre
de personnes, ont passé dans la Langue commune. Auroit-il
été raisonnable de refuser place dans notre Dictionnaire,
à des mots qui sont aujourd'hui dans la bouche de tout le monde?
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