[Page [iii]; en mode image]
PRÉFACE.
S'il y a quelque ouvrage qui doive être exécuté par une
Compagnie, c'est le Dictionnaire d'une Langue vivante. Comme il doit donner
l'explication des différens sens des mots qui sont en usage, il faut
que ceux qui entreprennent d'y travailler, ayent une variété
de connoissances, qu'il est impossible de trouver rassemblées dans
une seule personne. L'Académie a donc pensé dans tous les
temps, que sa principale occupation devoit être de composer un
Dictionnaire de la Langue Françoise. Elle s'en est occupée
sans discontinuation depuis son établissement, & tous ceux qui ont
été successivement membres de la Compagnie, ont eu part
à cet Ouvrage; ainsi on peut dire qu'il a pour Auteurs les
Poëtes, les Orateurs, & la plupart des Ecrivains célèbres
du dix-septième siècle & du dix-huitième, temps
où les Lettres Françoises ont eu le plus d'éclat.
Il est à propos de donner ici une
idée du plan que l'Académie a suivi dans tous les temps
où elle a travaillé, soit à la composition, soit
à la perfection de son Dictionnaire. L'exposition de ce plan oblige
à redire plusieurs choses qui ont déjà
été dites dans les Préfaces des trois Editions
précédentes: mais il vaut mieux les répéter, que
de les laisser ignorer à ceux qui n'ont pas lu ces
Préfaces.
L'Académie a toujours cru qu'elle
devoit se restraindre à la Langue commune, telle qu'on la parle dans
le monde, & telle que nos Poëtes & nos Orateurs l'emploient. Ainsi nous
n'avons pas fait entrer dans le Dictionnaire tous les mots dont on ne se
sert plus, & qu'on ne trouve aujourd'hui que dans les Auteurs qui ont
écrit avant la fin du seizième siècle. Si l'on y a
placé ceux de ces mots qui peuvent être encore de quelque
usage, ce n'est qu'en les qualifiant de termes vieux, ou qui vieillissent.
On a cru devoir garder ce tempérament dans un Ouvrage destiné
non-seulement à marquer la signification des mots qui sont
usités présentement, mais aussi celle de plusieurs termes
anciens qui se rencontrent dans des Livres qu'on lit encore, malgré
les changemens survenus dans la Langue, depuis qu'ils ont été
écrits.
A l'égard des expressions de la Langue
commune qui paroissent affectées à un certain genre de style,
ou a eu soin de dire auquel elles sont propres; si c'est au style
poëtique, au style soutenu, au style familier, &c.
Les sciences & les arts ayant
été plus cultivés & plus répandus depuis un
siècle qu'ils ne l'étoient auparavant, il est ordinaire
d'écrire en François sur ces matières. En
conséquence plusieurs termes qui leur sont propres, & qui
n'étoient autrefois connus que d'un petit nombre de personnes, ont
passé dans la Langue commune. Auroit-il été raisonnable
de refuser place dans notre Dictionnaire à des mots qui sont
aujourd'hui d'un usage presque général? Nous avons donc cru
devoir admettre dans cette nouvelle Edition, les termes
élémentaires des sciences, des arts, & même ceux des
métiers, qu'un homme de lettres est dans le cas de trouver dans des
ouvrages où l'on ne traite pas expressément des
matières auxquelles ces termes appartiennent.
[Page iv; en mode image]
Avant que de définir un mot, on a donné presque toujours ses
synonymes, c'est-à-dire, les mots qui paroissent signifier la
même chose. On croit néanmoins devoir avertir que les synonymes
ne répondent pas avec précision au sens du terme dont ils sont
réputés synonymes, & que ces mots ne doivent pas être
employés indistinctement.
Après les synonymes vient la
définition du mot. Pour achever d'en expliquer la signification, on
ajoute les exemples les plus propres à bien faire comprendre quel est
son vrai sens, & avec quels autres termes il peut être joint. Des
phrases composées exprès pour rendre sensible toute la force
d'un mot, & pour marquer de quelle manière il doit être
employé, donnent une idée plus nette & plus précise de
la juste étendue de sa signification, que des phrases tirées
de nos bons Auteurs, qui n'ont pas eu ordinairement une pareille vue en
écrivant. Voilà une des raisons qui ont porté
l'Académie à ne point emprunter ses exemples des Livres
imprimés.
On n'a point négligé de
rapporter les sens métaphoriques que certains mots reçoivent
quelquefois en vertu d'un usage établi; mais on n'a pas fait mention
des sens figurés que les Poëtes & les Orateurs donnent à
plusieurs termes, & qui ne sont point autorisés par un usage
reçu. Ces sortes de figures appartiennent à ceux qui les
hasardent, & non pas à la Langue.
Après chaque verbe, on trouve son
participe. Quand il ne s'emploie pas en d'autres sens que celui du verbe
dont il est le participe, le Dictionnaire n'ajoute rien. Mais lorsque ce
participe a quelque autre usage, comme Dénaturé par
rapport à Dénaturer, ou quand son sens est plus ou
moins étendu que celui du verbe, le Dictionnaire en instruit.
Il a paru qu'il n'étoit pas
nécessaire de rapporter le réduplicatif de chaque verbe,
lorsque ce réduplicatif ne signifie que la réitération
de la même action, comme Reparler, qui ne veut dire que
Parler une seconde fois. Mais lorsqu'un verbe qui dans un sens est
réduplicatif, a un autre sens dans lequel il ne l'est point, comme
Redire, qui signifie souvent autre chose que Dire une seconde
fois, on lui donne place dans son rang alphabétique.
Si dans le Dictionnaire le même mot se
trouve écrit de deux manières différentes,
malgré l'attention qu'on a eue à prévenir cet
inconvénient, l'Académie déclare que la seule
manière qu'elle adopte, est celle dont le mot est écrit en
lettres capitales au commencement de son article.
Comme elle auroit été
obligée d'entrer dans des détails très-longs, si en
faveur des Etrangers elle avoit voulu donner les règles de la
prononciation, elle a jugé qu'il lui convenoit de s'en dispenser.
Quiconque veut savoir la prononciation d'une Langue étrangère,
doit l'apprendre dans le commerce de ceux dont elle est la Langue naturelle.
Toute autre voie égare trop souvent. Nous ne laissons pas de marquer
quelles sont les diverses prononciations des lettres de l'Alphabet
François, & même quelle est la prononciation de certains mots,
lorsqu'elle s'éloigne trop de la manière de les écrire.
Nous avertissons, par exemple, qu'on prononce Kiromancie, quoiqu'on
écrive Chiromancie; & Pan, quoiqu'on écrive
Paon.
Quand l'Académie travailloit à
la première Edition de son Dictionnaire,
[Page v; en mode image]
laquelle parut en mil six cent quatre-vingt-quatorze, nos
Prédécesseurs crurent le rendre plus instructif en rangeant
les mots par racines, c'est-à-dire, en plaçant tous les mots
dérivés ou composés à la suite du mot primitif
dont ils viennent, soit que ce primitif ait son origine dans la Langue
Françoise, soit qu'il la tire du Latin, ou de quelque autre Langue.
On crut encore devoir s'attacher à l'orthographe qui pour lors
étoit généralement reçue, & qui servoit à
faire reconnoître l'étymologie des mots.
La seconde Edition du Dictionnaire parut en
mil sept cent dix-huit, mais sous forme si différente de la
première, qu'on peut dire qu'alors l'Académie donna
plutôt un Dictionnaire nouveau, qu'une nouvelle Edition de l'ancien.
On vient de voir par quelle raison les mots y avoient été
rangés par racines: mais cet ordre, qui dans la spéculation
avoit paru le plus convenable, se trouva d'un usage fort incommode. Les mots
furent donc rangés dans la seconde Edition suivant leur ordre
alphabétique, en sorte qu'il n'y en eut plus aucun qu'on ne pût
trouver d'abord & sans peine: mais on y suivit à peu près
l'orthographe de la première Edition.
Les changemens faits dans la troisième
qui parut en mil sept cent quarante, sont d'une autre nature, mais ils ne
sont guère moins importans. On y a perfectionné les
définitions des mots; on a tâché de marquer encore plus
précisément l'étendue de leur signification, en
ajoutant de nouveaux exemples; on a mis aux verbes irréguliers les
temps de leurs conjugaisons qui sont en usage, afin d'épargner
à ceux qui consulteront le Dictionnaire, la peine d'aller les
chercher dans des Grammaires.
Nous nous sommes proposé les
mêmes objets, & nous avons tâché de les remplir dans la
quatrième Edition que nous donnons aujourd'hui; elle est d'ailleurs
augmentée d'un très-grand nombre de mots qui appartiennent,
soit à la Langue commune, soit aux arts & aux sciences. De plus,
l'Académie a fait dans cette Edition un changement assez
considérable, que les gens de lettres demandent depuis long-temps.
On a séparé la voyelle I de la consonne J, la voyelle U de la
consonne V, en donnant à ces consonnes leur véritable
appellation; de manière que ces quatre lettres qui ne formoient que
deux classes dans les Editions précédentes, en forment quatre
dans celle-ci; & que le nombre des lettres de l'Alphabet François qui
étoit de vingt-trois, est aujourd'hui de vingt-cinq. Si le même
ordre n'a pas été suivi dans l'orthographe particulière
de chaque mot, c'est qu'une régularité plus scrupuleuse auroit
pu embarrasser quelques lecteurs, qui ne trouvant pas les mots où
l'habitude les auroit fait chercher, auroient supposé des omissions.
On est obligé de faire avec ménagement les réformes les
plus raisonnables. A l'égard des autres lettres, on a observé
dans cette Edition le même ordre alphabétique que dans la
précédente; & si quelques mots ont changé de place,
c'est que la manière de les écrire ayant changé, il
étoit devenu nécessaire de les tirer du rang où ils
étoient, pour les mettre dans un autre. La profession que
l'Académie a toujours faite de se conformer à l'usage
universellement reçu, soit dans la manière d'écrire les
mots, soit en les qualifiant, l'a forcée d'admettre des changemens
que le Public avoit faits.
L'Académie n'ignore pas les
défauts de notre orthographe; mais on
[Page vi; en mode image]
entreprendroit en vain d'assujettir la Langue à une orthographe
systématique, dont les règles fondées sur des principes
invariables, demeurassent toujours les mêmes. L'usage qui, en
matière de Langue, est plus fort que la raison, auroit bientôt
transgressé ces lois.
Il est comme impossible que dans une Langue
vivante la prononciation des mots reste toujours la même: cependant
le changement qui survient dans la prononciation d'un terme, en opère
un autre dans la manière de l'écrire, Par exemple, quelque
temps après avoir cessé de prononcer le B dans
Obmettre, & le D dans Adjoûter, on les a
supprimés en écrivant. En effet l'on ne pourroit apprendre
qu'avec peine à lire les Livres écrits dans sa Langue
naturelle, si l'usage ne changeoit pas quelque chose dans l'orthographe des
mots dont il a changé la prononciation. Toute variable qu'est la
prononciation, elle ne laisse donc pas de donner en quelques rencontres la
loi à l'orthographe. Il est vrai seulement que cela n'arrive que par
degrés. Voici quelle est, suivant les apparences, la cause d'un
progrès si lent.
Dès qu'une nouvelle manière de
prononcer un mot s'est généralement établie, on est
obligée de se conformer à l'usage reçu. On
mériteroit des reproches, si l'on s'obstinoit à conserver la
prononciation qui a vieilli. Il n'en est pas de même des changemens
que l'usage introduit dans l'orthographe. On peut garder l'ancienne sans de
grands inconvéniens, & les hommes faits ont de la répugnance
à changer quelque chose dans celle qu'ils se sont formée
dès leur première jeunesse, soit sur les leçons d'un
maître beaucoup plus âgé qu'eux, soit par la lecture des
Livres imprimés depuis plusieurs années. D'ailleurs il leur
faudrait une attention pénible pour se conformer toujours aux
règles d'une orthographe qu'ils n'auroient adoptée que dans
un âge avancé. Ils prennent donc le parti de conserver celle
à laquelle ils sont accoutumés, & ils la gardent, quoiqu'on
en suive déjà une différente. Ce n'est qu'après
qu'ils ne seront plus, que les changemens dont nous parlons, & qu'ils
avoient refusé d'adopter, se trouveront généralement
reçus.
D'autres raisons introduisent aussi divers
changemens dans l'orthographe. Si l'ignorance & la paresse mettent
quelquefois en vogue certaines manières d'écrire, quelquefois
c'est la raison qui les établit. On les adopte, soit pour adoucir la
prononciation de quelque mot, soit afin de n'être pas réduit
à se servir d'un même caractère pour exprimer des sons
différens, ou de caractères différens pour exprimer le
même son.
L'Académie s'est donc vue contrainte
à faire à son orthographe plusieurs changemens qu'elle n'avoit
point jugé à propos d'adopter, lorsqu'elle donna l'Edition
précédente. Il n'y a guère moins d'inconvéniens
dans la pratique, à retenir obstinément l'ancienne
orthographe, qu'à l'abandonner légèrement pour suivre
de nouvelles manières d'écrire, qui ne font que commencer
à s'introduire. Si l'Académie avoit
persévéré dans sa première résolution,
les Etrangers, & même les François, auroient-ils pu se servir
commodément d'un Dictionnaire où plusieurs mots auroient
été écrits autrement qu'ils ne le sont
communément aujourd'hui, & par conséquent placés
ailleurs que dans les endroits où l'on iroit naturellement les
chercher? On ne doit point en matière de Langue, prévenir le
Public; mais il convient de le suivre, en se soumettant, non pas à
l'usage qui commence, mais à l'usage généralement
établi.
[Page vii; en mode image]
Nous avons donc supprimé dans plusieurs mots les lettres doubles qui
ne se prononcent point. Nous en avons ôté les lettres B,
D, H, S, qui étoient inutiles. Dans les mots
où la lettre S marquoit l'allongement de la syllabe, nous
l'avons remplacée par un accent circonflèxe. Nous avons encore
mis, comme dans l'Edition précédente, un I simple
à la place de l'Y, par tout où il ne tient pas la place
d'un double I, ou ne sert pas à conserver la trace de
l'étymologie. Ainsi nous écrivons Foi, Loi,
Roi, &c. avec un I simple; Royaume,
Moyen, Voyez, &c. avec un Y, qui tient la place
du double I; Physique, Synode, &c. avec un
Y, qui ne sert qu'à marquer l'étymologie. Si l'on ne
trouve pas une entière uniformité dans ces retranchemens, si
nous avons laissé dans quelques mots la lettre superflue que nous
avons ôtée dans d'autres, c'est que l'usage le plus commun ne
nous permettoit pas de la supprimer.
|