1. Introduction

Dans le dictionnaire, les marques d'usage constituent une approche des vocabulaires thématiques. Dans le texte du Thresor de la langue françoyse (1606), l'on rencontre des « terme de maçon », « mot usité en maçonnerie », « en fait de maçons », « les maçons en usent par metaphore », « en massonnerie », « ainsi par les massons dit », « en matiere de menuiserie », « en cas de menuyserie », « en fait de charpenterie », « mot fort usité entre charpentiers », « les charpentiers par metaphore en usent », « que les architectes nomment », « en cas d'architecture ». Le vocabulaire des métiers de la construction et de l'art de construire, tel qu'il est représenté dans le Thresor, peut être appréhendé, dans un premier temps, à travers les articles qui contiennent une occurrence d'une des formes de maçon/maçonnerie, menuisier/menuiserie, charpentier/charpenterie ou architecte/architecture. [1] Les articles du Thresor renfermant au moins une de ces formes sont les suivants (la fréquence de chaque forme est indiquée entre parenthèses):

a) les formes maçon (12) / masson (12) / maçons (12) / massons (3) / maçonnerie (8) / massonnerie (16)

b) les formes menuisier (6) / menusier (3) / menuysier (3) / menuisiers (1) / menusiers (2) / menuysiers (2) / menuiserie (10) / menuyserie (1) c) les formes charpentier (22) / charpentiers (11) / charpenterie (16) d) les formes architecte (1) / architectes (4) / architecture (14) / architectures (2) À partir de la liste des cooccurrents thématiques, le recensement du vocabulaire se poursuit, dans un deuxième temps, dans les articles contenant une occurrence des termes de cette nouvelle liste -- et ainsi de suite. L'essentiel du vocabulaire du bâtiment et du discours métalinguistique qui le véhicule est consigné sous les adresses suivantes: Comme l'on sait depuis un célèbre article d'Oscar Bloch, [2] une bonne partie du vocabulaire français du Thresor n'est pas traitée dans la nomenclature; aussi ce texte est une riche source de datations. Le présent article en propose quelques-unes relevant du vocabulaire du bâtiment.

Les données du Thresor ont été comparées à celles de deux ensembles de dictionnaires. D'une part, elles n'ont été retenues que si elles complétaient ou corrigeaient le Godefroy (G), le Huguet (H), le Wartburg (FEW) et les dix premiers tomes du Trésor de la langue française (TLF); a été notée également leur présence éventuelle dans le Dictionarie (1611) de Cotgrave (C). Cette consultation a relevé quelques cas caractéristiques des déficiences de ces précieux outils de travail. Par exemple, le FEW entérine une fausse analyse faite par Cotgrave (voir traversant ci-dessous). Tandis que Godefroy signale l'existence dans le Thresor s.v. Menuisier de fringoteries, le FEW se contente de dire que le mot est dans le Nicot. Les définitions (interprétations) proférées par les dictionnaires sont souvent inadéquates en l'absence d'exemples d'emploi clairs (voir, par exemple, la définition inexacte que donne le FEW pour maison plate, la différence d'interprétation de pelle/pele, l'ambiguïté du Huguet à propos de bequillon, fantasie); d'autre part, les équivalents du Cotgrave peuvent, lorsqu'ils ne sont pas des paraphrases, être ambigus (voir debout). Le FEW reste pourtant un point de répère indispensable; l'on regrette les beaux développements historiques et étymologiques de la jeunesse du TLF.

D'autre part, quelques-unes des séquences du Thresor se retrouvent dans le Dictionaire françois-latin, d'où elles proviennent. La filiation des dictionnaires Estienne-Nicot est la suivante: [3]

Les dates données ci-dessous correspondent donc aux différentes éditions de ces séries. En ce qui concerne le détail du GDFL, la date de 1628 signifie que l'occurrence se prolonge jusqu'à la dernière parution de l'édition de Poille; « 1625 » indique que c'est l'édition de de Brosses qui retient l'occurrence; « 1614 » correspond à la deuxième impression de Poille; « 1599 », « 1603 » et « 1605 » marquent trois parutions de l'édition de Stoer.

Si la concordance du Thresor a été le principal point de départ de l'enquête, un autre en a été fourni par le Dictionarium latino-gallicum de 1552. [5] Ce volumineux ouvrage à courts items bilingues contient trois alinéas dans lesquels le texte français occupe plus de six lignes: ceux-ci se trouvent s.v. Exceptio (22 lignes de texte français), Chelonia (22) et Hypomochlium (8). Les deux derniers sont tirés de la traduction française, parue en 1547, du De Architectura de Vitruve. [6] L'article CHELONIA, reproduit in toto ci-dessous, a ajouté plusieurs mots à la liste de datations; l'existence de ces mots a été ensuite vérifiée dans le texte de Martin. [7]

Le nom de Vitruve est cité dans le Thresor aux articles ACROTERES, AIRE, ALIGNÉ, ARC (via Budé), ARESTE, BARRIERE, BASTARD (Budé), CANON, CHACE (Budé), CHARPENTERIE (Budé), CHAUSSÉE (Budé), CHEVRON, CONTREFORT, CORRESPONDANCE, CROYE (Budé), CYMAISES, DOULCINE, DOUR, ENCRE, ENTREDEUX, EOLIPILE, ESMAILLEUR, FRIZE, HOSTEL (Budé), MAISON (Budé), METOPE, METTRE (Budé), PARER, PILIER (Budé), POULTRE (Budé), QUARREAU (Budé), RETRAICTE (Budé), SALLE (Budé), SALPESTRE (Budé), SEVERONDE, SOMMIER, SOUSTENIR (Budé), TRINGLE, VERD et VIROLE. Les autres sources (auteurs et écrits) nommées dans le Thresor à propos du vocabulaire du bâtiment sont les suivantes: Budé (ARCHE, AUGIVE, CHABLE, HALE, JAMBE, LARMIER, LICT, PIÉ, REZ, VIGNETTES); Budé citant Quintilien (COLLER), citant Vitruve (v. ci-dessus); César (HERCE); Cicéron (EDIFICE, LIGNE); Claudien (CRESPIR); Columelle (CRESPIR); Coustumes de Paris (DOSSERASSE, ESTAGE, MOITOYEN, PARPAIGNE, REZ); Feste (TRAVÉE); Gilles (PORTAIL); Hermolaus Barbarus (CRENEAUX); Hésiode (DOUR); Homère (DOUR); Lampride (HALE, PLACE); Loy salique (MARREIN); Monstrelet (BAFFROY, MUEL); Paule Jurisconsulte (LIGNE); Pline (BRIQUERIE, CRENEAUX, CRESPIR, DOUR, DURILLON, ENTREBAAILLER, PLANCHE, TUILERIE); Pollux (DOUR); Quintilien via Budé (COLLER); Thomas Magister (ESTAGE); Tite-Live (ESTAGE, TRAVÉE); Valère (CRESPIR); Varron (SEVERONDE); Virgile (COMBLE). On y trouve également les délimitations régionales suivantes: aucunes contrées de France (TRAVÉE), Dauphiné (CHAPUIS, PLANE), gens de village (BACLER, TRAVÉE), Languedoc (BACLER, HALE, PAROY), Lyonnais (CHAPUIS).

Il est intéressant d'observer le sort de certains mots ou séquences qui se modifient d'une édition à l'autre du corpus Vitruve-Estienne-Nicot: par exemple, bizeau/biseau, blanchissage/blanchissure, debout/de bout, endentant/adentant, entorteiller/entortiller, moulinet/molinet, pelle/pele, pile/pilet, rodelle/rondelle, siage/sciage, traversans/traversants, traversans/ais de travers (voir ci-après).

[Suite]


Notes

1. L'outil nous permettant de faire cette investigation est une concordance du Thresor: T.R. Wooldridge, Concordance du Thresor de la langue françoyse de Jean Nicot (1606): matériaux lexicaux, lexicographiques et méthodologiques, Toronto, Éditions Paratexte, 1985 (collection « Trésor des dictionnaires français » de l'INaLF-CNRS). Les travaux de confection de la concordance ont été subventionnés en partie par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et l'Institut national de la langue française. [Nota, août 1998: une base interactive du Thresor peut être interrogée sur Internet depuis le projet ARTFL; cf. aussi le site Nicot.]

2. O. Bloch, « Étude sur le Dictionnaire de J. Nicot (1606) », in Mélanges de philologie offerts à F. Brunot, Paris, Société Nouvelle de Librairie et d'Édition, 1904, pp. 1-13.

3. Voir T.R. Wooldridge, Les Débuts de la lexicographie française: Estienne, Nicot et le Thresor de la langue françoyse (1606), 1ère éd., University of Toronto Press, 1977 (2e éd., EDICTA, 1997); id., « Pour une exploration du français des dictionnaires d'Estienne et de Nicot (1531-1628) », in Le français moderne, XLVI, 3 (juillet 1978).

4. Dans les datations, ces intitulés sont abrégés comme suit: Thes (Thesaurus), DLG (Dictionarium latino-gallicum), DFL (Dictionaire françois-latin), Thresor, DFL-T (DFL et Thresor), GDFL (Grand dictionnaire françois-latin). Des références de page-colonne-ligne sont données pour les occurrences du Thresor (par ex., 573.241: page 573, colonne 2, ligne 41). Les références à l'article CHELONIA de DLG 1552 indiquent le numéro de ligne. Lorsqu'une même occurrence se retrouve dans plusieurs éditions du corpus Estienne-Nicot et que le Thresor la donne, c'est le texte de celui-ci qui est cité; dans le cas contraire, c'est la première édition de la série qui est citée. L'italique est celui du texte cité.

5. Une concordance de DLG 1552 est en préparation. [Nota, août 1998: une base interactive de DLG 1552 sera mise sur Internet au centre ARTFL à l'automne 1998.]

6. Architecture ou Art de bien bastir, de Marc Vitruve Pollion autheur Romain antique: mis de Latin en Francoys, par Jan Martin [...] et enrichye de figures nouvelles concernantes l'art de massonnerie, par maistre Jehan Goujon, Paris, chez J. Gazeau, 1547 (exemplaire consulté au Centre for Reformation and Renaissance Studies, Victoria College, Université de Toronto). DFL 1549 avait déjà exploité cet ouvrage, sans toujours citer sa source; par exemple, l'équivalent de l'article HYPOMOCHLIUM y est donné s.v. Orgueil. Il s'agit, dans les deux cas, d'un emprunt à l'article HIPOMOCLION du glossaire donné à la fin de l'ouvrage de Martin. [Nota, août 1998: cf. le site Vitruve.]

7. Le texte (divisé en livres et chapitres) comporte 155 folios numérotés, suivis d'un glossaire alphabétique et d'une postface (celle-ci de Goujon) non foliotés.