Les vocabulaire et fréquence métalinguistiques du discours lexicographique des principaux dictionnaires généraux monolingues français des XVIe-XXe siècles

Russon Wooldridge

University of Toronto

© 2001 R. Wooldridge

Réédition partielle d'un article paru in La Lexicographie française du XVIIIe au XXe siècle (Actes d'un colloque tenu à l'Université de Düsseldorf en 1986), Paris: Klincksieck, 1988: 305-13.

Les grilles d'analyse n'ayant jamais été appliquées, car fort complexes, une grande partie du texte correspondant est supprimée dans la présente version. L'essentiel – la discussion de l'articulation de la microstructure par les copules – reste.


1. Si la métalangue, langue qui parle de la langue, a été analysée dans sa nature et son fonctionnement, par Josette Rey-Debove surtout, le vocabulaire et la fréquence métalinguistiques n'ont fait l'objet que d'examens ponctuels tel celui des verbes définisseurs dans un dictionnaire particulier (Robert Martin).

Le domaine privilégié de la métalangue est le dictionnaire. Une façon de rendre compte de l'évolution du discours lexicographique, ou plus exactement du discours dictionnairique, dans les dictionnaires appartenant à une tradition lexicographique donnée est d'étudier la fréquence des vocables qui le composent. Les variables de ce discours comprennent: 1) la nature de l'unité lexicale à décrire: mot grammatical ou mot lexical; verbe, nom, adjectif, adverbe, préposition, etc.; mot monosémique ou polysémique; 2) la nature de la composante linguistique à décrire – sens, graphie, prononciation, étymologie, etc.; 3) le degré de codification – copules linguistiques (est, signifie, etc.), copules typographiques (caractère d'imprimerie, ponctuation, etc.), copules positionnelles (la place du composamt dans la microstructure) et copules autonymiques (le composant est signalé par son signifiant). Cette typologie de la copule illustre la nature particulière du vocable métalinguistique, lequel peut être non seulement n'importe quel mot linguistique, mais aussi tout autre signe conventionnel tel que le signe typographique, le signe de ponctuation, le changement de caractère d'imprimerie, la position dans le texte ou le signifiant d'un autre vocable. C'est avant tout au niveau de la métalangue de base ordonnant les composants du discours dictionnairique qu'intervient progressivement la codification formelle. Le "se prononce" des premiers dictionnaires est finalement remplacé par les crochets; "comme", introduisant un exemple, disparaît au profit de l'italique.

Dans le but d'ébaucher une caractérisation du vocabulaire et de la fréquence métalinguistiques, je propose d'étudier les vocables métalinguistiques et leur fréquence dans les principaux dictionnaires généraux français du XVIe au XXe siècles (une vingtaine, de Nicot jusqu'au présent) à partir d'un échantillonnage d'articles choisis, découpés et codés en tenant compte des variables notés ci-dessus. En effet, la fréquence métalinguistique ne peut être cernée à partir de comptages globaux: il faudra parler du vocabulaire de la métalangue de base, de celui du terme générique de la définition (les définisseurs), de celui du reste de la définition, de celui de l'étymologie, et ainsi de suite. Certains segments de l'article dictionnairique ne seront pas comptés: les mots-vedettes, les synonymes, antonymes et homophones, les équivalents, les étymons, les exemples et les citations, étant tous des extraits de langue, seront délaissés. Alors qu'en principe le discours sur la chose ne relève pas de la métalangue, en pratique le passage du discours sur le mot au discours sur le monde est relatif plutôt qu'absolu (voir les définitions de noms; voir les premiers dictionnaires encyclopédiques qui ne divisaient pas leurs articles en une partie "LANGUE" et une partie "ENCYCL") – problème à résoudre; pour l'instant au moins, seul le terme générique sera retenu dans la définition. Parmi les aspects généraux à examiner, je mentionnerai ici l'évolution (Acad 1694, Acad 1762, Acad 1835), la différence méthodologique synchronique (Richelet, Furetière, Académie; Littré, Larousse; Petit Robert, Lexis) et la réduction/expansion (Acad 1762, Abrégé de l'Acad 1773; Robert, Petit Robert, Micro Robert; DFC, Lexis).

Si le corpus commence avec Nicot, c'est qu'avant lui le texte des dictionnaires français était essentiellement composé de listes d'items bilingues et appartenait à la tradition des glossaires; on peut donc parler, à propos des dictionnaires français de Robert Estienne ou encore, après 1606, de ceux du père Monet par exemple, d'un discours glossairique. Le discours dictionnairique s'en distingue par l'énumération des différentes propriétés des mots – signes, signifiants et signifiés – et non de leur seule traduction.

L'élément clef de l'énoncé dictionnairique est la copule, ordonnatrice de la microstructure. Par copule, j'entends le connecteur qui permet de passer du sujet de l'énoncé – l'adresse – au prédicat, le propos tenu sur le mot-adresse. C'est la copule qui permet de repérer la graphie, la prononciation, la catégorie grammaticale, l'étymologie, la définition, l'exemple, etc. Les premières copules étaient le plus souvent des mots de la langue – s'écrit, se prononce, est, vient de, signifie, comme, etc., mais déjà Nicot signalait la catégorie grammaticale et l'accentuation par leur position et l'abréviation. Dans les dictionnaires modernes, c'est l'aspect formel – place, typographie, signifiant normalisé – qui prédomine. Le repérage de certains types de composants – la catégorie grammaticale et la marque d'usage notamment – s'effectue, au moins en partie, par la reconnaissance de la forme familière du composant lui-même. C'est ce que j'appelle la copule autonymique: le composant se nomme, se présente par son signifiant codé.

La nature mixte de bon nombre de copules – copule à la fois autonymique et typographique, par exemple – pose le problème du recensement du vocabulaire dictionnairique. Les vocables copulatifs sont certes en nombre limité; leurs signifiés sont "s'écrit", "se prononce", "appartient à la catégorie de", "vient de", "signifie", "s'exemplifie dans", etc.; leurs signifiants varient selon l'époque, le genre ou la méthode de description et les aléas de la rédaction. Cependant on ne doit pas prendre modèle sur la pratique courante, dans la quantification de textes linguistiques, qui consiste, par exemple, à ne retenir qu'un vocable pour l'article défini féminin singulier (dont les formes sont la ou l'), un pour l'adjectif pauvre et un pour l'adverbe aussi, quelle que soit leur place dans l'énoncé. Une telle réduction au niveau de la métalangue dictionnairique serait absurde: conclure que tous les dictionnaires ont les mêmes copules serait une constatation sans intérêt. La solution de polysémie, sagement adoptée dans les meilleurs comptages de vocabulaires linguistiques, est à rejeter, dans le cas des copules métalinguistiques, en faveur d'une solution d'homonymie, puisque les signifiés sont nettement distincts et constants. Le signifiant est au sens de "signifie" n'est pas à confondre avec est voulant dire "appartient à la catégorie de" (par exemple, dans manger est un verbe); de même, l'italique de la catégorisation grammaticale est à distinguer de l'italique de l'exemple d'emploi. L'on posera donc que le vocabulaire de la copule adresse-définition, par exemple, est composé de vocables tels signifie, se prend pour, est plus romain à initiale majuscule, le seul caractère romain avec initiale majuscule, le caractère romain plus la position de la définition dans l'article, etc.

La copule est également l'élément clef de la consultabilité du texte dictionnairique. La codification progressive du discours lexicographique, depuis le XVIIe siècle jusqu'à nos jours, a pour but d'améliorer l'économie du texte et donc de le rendre plus consultable. Les copules linguistiques disparaissent peu à peu, les copules positionnelles deviennent plus nombreuses et plus autonomes, les copules autonymiques se normalisent et s'abrègent (voir les listes d'abréviations données en tête des dictionnaires modernes), le vocabulaire des copules typographiques s'enrichit.

2. Je voudrais vous soumettre une grille d'analyse partielle et provisoire et son application à un échantillon d'articles pris dans différents textes du corpus. Il s'agit d'articles concernant un mot lexical, le nom louvetier, et un mot grammatical, que. Je ne donne que le début de l'article de ce dernier. (La transcription donnée ici représente une perte typographique par rapport à l'original, mais sans que cela nuise à la démonstration.)

2.1. Grille d'analyse provisoire.

2.1.1. Champ du numéro de texte.

[...]

2.1.2. Champ de la partie du discours.

[...]

2.1.3. Champ du composant lexicographique.

2.1.4. Champ du signifiant de la copule. 2.1.4.1. Champ de la copule autonymique.

[...]

2.1.4.2. Champ de la copule linguistique.

[...]

2.1.4.3. Champ de la copule positionnelle.

[...]

2.1.4.4. Champ de la copule typographique.

[...]

2.1.4.4.1. Champ du caractère .

[...]

2.2. Échantillon d'articles [et analyse codée].

2.2.1. Nicot 1606

2.2.2. Acad 1762 2.2.3. Acad 1835 2.2.4. Littré 1863-72 2.2.5. GLLF 1971-8 2.2.6. PR 1977 2.2.7. Trévoux 1743 2.2.8. DG 1890-1900 2.3. Observations.

2.3.1. Si certains types de copules se codifient progressivement (définition, étymologie), d'autres ont déjà trouvé leur forme moderne (voir la catégorie grammaticale dans Nicot). Pour DG, la codification s'illustre, dans l'exemple donné, par le fait que toutes les copules (sauf celle du renvoi) sont, au moins en partie, positionnelles.

2.3.2. Copules défectueuses.

2.3.2.1. Alternance de caractère. Le caractère des marques d'usage peut dépendre de celui du composant précédent ou suivant: voir GLLF et PR (Vx. en romain, Mod. en italique dans PR).

2.3.2.2. Insuffisance de la copule adresse-définition purement positionnelle: voir Littré (il n'y a ni changement de caractère, ni initiale majuscule). La longueur de la séquence de l'étymologie dans le GLLF fait que dans le cas des mots monosémiques, la copule adresse-définition est très faible – seulement positionnelle – en l'absence d'un chiffre.

2.3.2.3. Absence de copule. Dans Littré, la sous-adresse Grand louvetier n'a rien pour la distinguer d'une définition; c'est la même chose, dans PR, pour le synonyme Lieutenant de louveterie. Dans Trévoux, Littré et DG, rien n'introduit les exemples signés pour les distinguer des exemples forgés (Littré 1967 ajoute les guillemets). L'absence de copule est compensée, dans le deuxième cas, par la mention de nom d'auteur; en revanche, il faut lire la suite de l'article de Littré pour désambiguïser Grand louvetier, et consulter l'article louveterie pour comprendre PR.