Matériaux pour l'étude du lexique et de la lexicographie
français
du XVIe siècle: une concordance du Thresor de Nicot
Russon Wooldridge
University of Toronto
© 2001 R. Wooldridge
Première parution in Cahiers de lexicologie, 50 (1987):
245-60.
Introduction
1. Le Thresor
1.1.1. Les champs étymologiques
1.1.2. Les champs dérivationnels
1.1.3. Les champs affixaux
1.1.4. Les champs onomasiologiques
1.1.5. Les champs associatifs
1.1.6. Les champs hyponymiques
1.2. Hyperonymes et hyponymes
1.3. La distribution des lettres initiales
1.4. Les articles plus complets et les articles nouveaux
1.5. Les domaines lexicaux et lexicographiques marqués
1.6. Les langues du Thresor
2. Le Thresor et les autres textes
2.1. Le Thresor et ses prédecesseurs
2.2. Les sources non nommées
2.3. Les datations
Abstract. The concordance of Jean Nicot's Thresor de la langue
françoyse is a research tool for the historical study of French
lexis and lexicography. It is different from the traditional concordance
in that its tokens include both text tokens (used words) and lexical types
(described words). The aim of the article is to give an idea of the
possible applications of the concordance and to present a few findings
concerning the hidden structures of the Thresor and the relationship
of the latter to other texts.
La concordance du Thresor de la langue françoyse de Jean
Nicot [1] est conçue comme un instrument
de recherche pour l'étude historique des lexique et lexicographie
français. Elle comporte une introduction méthodologique, des
listes alphabétique, inverse et de fréquences par langue (mots
français, mots latins, autres), une concordance globale, deux
mini-concordances syntagmatiques des mots français de haute
fréquence à fonctionnement syntagmatique intéressant,
des tables de fréquence, des listes de mots-clés
métalinguistiques, de marques d'usage et de sources nommées,
le texte-machine et l'inventaire des têtes d'article du dictionnaire.
Elle est fondamentalement différente de la concordance traditionnelle
en ce qu'elle réunit un lexique traité et un vocabulaire
employé, concordance d'un texte et dictionnaire d'un dictionnaire.
Le but de cet article est de donner une idée des applications
possibles de cet outil et de fournir un certain nombre de résultats,
tantôt sommaires, tantôt détaillés. [2]
1. Le Thresor
Si on peut parler des items consultables (à travers la
nomenclature) et des items cachées du dictionnaire, il y a aussi les
structures consultables et les structures cachées. Les structures
consultables sont en premier lieu la macrostructure et la microstructure.
Les structures cachées sont ou bien révélées par
la concordance ou bien sont observables à l'aide de celle-ci. Nous
voudrions parler de six types de structures cachées: a) les champs:
étymologiques, dérivationnels, affixaux, onomasiologiques,
associatifs, hyponymiques; b) les définisseurs et les classes
d'hyponymes; c) la distribution des lettres initiales; d) les articles plus
complets ou nouveaux; e) le lexique marqué; f) les langues du
Thresor.
1.1.1. Les champs étymologiques
Le vocable bref se trouve dans l'article des lexèmes
suivants, entre autres: ABBREGER ("C'est rendre
bref"), BRAGUES ("de cestuy Latin Brachae /./
lequel vient du Grec , qui
signifie court, bref, et petit", BRETONNER ("Est
parler bref") et BREVIAIRE ("compilation en
bref"). Chair se rencontre, entre autres, s.v. ACHARNÉ ("Composé de A, preposition, et
chair"), ACHARNER ("Acharner le leurre, c'est
mettre de la chair dessus"), CHARNAGE ("Le temps
qu'on mange chair"), DESCHARNER ("c'est oster
la chair"). Catena/catenae/catenas latins se
trouvent s.v. CADENAT, CADENE, CHAINE, CHAINON, CHENE,
DESCHAINER, ENCHAINER, RENCHAINER.
1.1.2. Les champs dérivationnels
Les exemples suivants regroupent des vocables qui sont tous absents de
la nomenclature du dictionnaire bien qu'employés ailleurs:
metaphore (par , prinse de...), metaphorique
(energie , le ), metaphoriquement (use/dit/
prins/se prend ), metaphorisé (mot ),
metaphoram (per ), metaphorica (locutio ),
metaphorice; participe (
masculin/feminin/present/passif/
adjectif), participial (nom ), participialement (se
prend ); adverbe
( local/congregatif/excitatif/negatif/comparatif/composé/de
temps), adverbial(e) (signification/particule ),
adverbialement (prins/dit/se
prend ).
1.1.3. Les champs affixaux
Le fonctionnement des préfixes est en partie observable dans la
nomenclature du dictionnaire. Dans l'ordre alphabétique, l'on peut
compter 157 lexèmes ayant le préfixe
entre/entre-/entr'/entr'-/entr et
ailleurs 40; par exemple, entreaiment, entr'aimer,
entre-appellent, entr'appeler, entrappellent,
entr'-allient. Les lexèmes en
contre/contre-/contr' sont 56 à leur place
alphabétique, 30 ailleurs. Le suffixe aille est marqué
dans ce sens que la plupart de ses occurrences soit dans des
unités de nomenclature, soit cachées (environ le tiers du
total) sont en mention: Nicot est conscient de leurs forme et
sémantisme; par exemple, buissonnaille s.v. BROUSSAILLE, goujataille, maraudaille et
marmaille s.v. HARPAIL. Un autre suffixe marqué est
resse, nominal. Il s'agirait, dans ce cas, de virtualités du
système: la presque totalité de ses occurrences (34 sur 35
lexèmes qui le contiennent sont dans la nomenclature) sont le pendant
de la forme du masculin; par exemple, "Acheteur //
Acheteresse", "Amasseur // Amasseresse",
"Tenteur // Tenteresse", "Tondeur //
Tonderesse". Seul maistresse jouit d'un usage non
marqué.
1.1.4. Les champs onomasiologiques
Un domaine lexical particulièrement caractéristique du
vocabulaire caché de Thresor est celui des termes de grammaire
ou, plus généralement, des termes du métalangage
dictionnairique (cf. 1.1.2, 1.5 et note 12). Le terme LOCUTION, dans la nomenclature du Thresor, est
simplement traduit "Locutio", qui aurait le sens de "parole" ou
"manière de s'exprimer". Les dictionnaires historiques modernes date
le sens "syntagme lexicalisé" de 1680. Pourtant, locution a
déjà ce sens dans les commentaires de Nicot. Les
différentes dénominations de "syntagme lexicalisé" sont
les suivantes: locution (f 12), locutio (f 1),
forme de parler (f 3), formule de parler (f 1),
façon de parler (f 11), phrase (f 38),
maniere de parler (f 65) et maniere de dire (f
3). [3]
1.1.5. Les champs associatifs
Dans la concordance, l'ensemble des références "Tête
d'article" données pour les occurrences d'un vocable constitue, dans
le cas des mots lexicaux à contenu sémantique et à
fréquence appréciables, une approximation du champ associatif
du vocable. Pour le vocable brebis, les articles où il se
rencontre comprennent les suivants: AGNEAU, BERGIER, BESTAIL,
BESTE, BESTIAIL, BREHAIGNE, CAPHARD, CHAIR, CLAVEAU, DARTRE, DOUVE, EGREGE,
LAICT, LAINE, METAIRIE, MOUTON, PELER, PETIT, PIS, PORTER, PORTIERE, REBUT,
TROUPPEAU.
Les adresses des articles
renfermant une ou plusieurs occurrences de viande/viandes
peuvent être réparties en sous-groupes: APPAREILLER, APPRESTER, BURRER, DRESSER, EMPOISONNER, ENTRELARDER,
ESPICER, HACHER, SERVIR, TRAICTER; AVALLER, DIGERER, MANGER, MASCHER,
SURBOIRE; APPAREIL, APPREST, DEGOUSTEMENT, DESBORDEMENT, EXCEZ, FOISON,
GOULARD, GRESSE, REMPLIR, SUFFOQUER, SUPERFLUITÉ,
TRENCHÉE; etc.
1.1.6. Les champs hyponymiques
Les articles de concordance oiseau/oyseau, en plus de
fournir le champ associatif d'oiseau, construisent partiellement,
à travers les références de tête d'article, le
champ hyponymique des noms d'espèces d'oiseaux. Oiseau/
oyseau se trouve ainsi s.v. AIGRETTE, ALOY,
ARNÉ, AUSTARDE, BATEMAERE, BECFIGUE, BERÉE, BERGERONNETTE,
BERICHOT, BIHOREAU, BONDRÉE, BRUANT, BRUTHIER, BUISART, BUTOR,
CAILLE, CALENDRE, CANEPETIERE, CAVE, CERCELLE, CHAHUANT, COCU, COQU,
CORBEAU, CORLIS, CRECERELLE, CUEILLIER, EFFRAYE, FAULCON, FAUPERDRIEU,
FOULQUE, FRANCOLIN, FRESAYE, FRIQUET, GALERAND, GERFAUT, GRIFFON, GRIVE,
GROLE, GROSBEC, GUESPIER, HIRONDELLE, HOBREAU, HOUTARDE, JAN LE BLANC,
LAVANDIERE, LITORNE, MARTINET, MAUVIS, MOËTTE, MOINEAU, MONTAIN,
MORILLON, MOUCHET, OFFRAYE, PALE, PIC, PIE, PINSON, PIVERD, PIVOINE,
PLONGEON, PLUVIER, ROUGE GORGE, ROUPIE, ROY, SACRE, SARCELLE, TERCOT,
TORCOL, TOURD, TOURET, VAULTOUR, VERDIER, VERDON.
1.2. Hyperonymes et hyponymes
Nicot pratique, entre autres procédés de description
sémantique (méthodologie mixte et données
héritées d'Estienne), la définition logique par genre
prochain et différences spécifiques, la traduction en latin
(celle-ci, dans beaucoup de cas, le résultat de l'inversion du
dictionnaire latin-français) et la parasynonymie. Le défini
est le plus souvent un lexème français, mais peut être
un lexème de n'importe quelle langue. Ainsi coffret est
utilisé: a) comme genre prochain de: BIERE
"Signifie /./ ce coffret de bois, large par un bout /./",
BOUGETE "ce petit coffret de bois de bahu, et tenve
couvert de cuyr /./", CAYSSON et CAYSSERON "ce coffret /./ lequel le Languedoc nomme
Caysson, et Caysseron" (s.v. CHÁSSE), CHESTRON "Chestron, acut. Pour ce coffret qui
/./" (s.v. CHÁSSE); b) comme équivalent
de: (grec) "signifie un coffret ou
petite caisse, Arcula, ou une boiste" (s.v. CIBOIRE), ARCULA (latin) "Petite
arche, ou coffret, Arcula" (s.v. ARCHE) et "Coffrets et comme petits
trous où les peintres mettent leurs couleurs, Arculae loculatae
pictorum" (s.v. PEINTRE), SCRINIUM (latin) "Un ESCRAIN, Coffret,
ou cabinet, Scrinium" (s.v. ESCRAIN); c) comme parasynonyme [5] de escrain et de cabinet s.v. ESCRAIN.
Sub verbo, COFFRET ("m. acut. diminutif") est traduit: arcula,
capsula, cistella, cistula, loculamentum,
loculus, scrinium; une façon d'explorer le champ
onomasiologique français de "coffret" est de faire un relevé
des articles dans lesquels ces mots latins sont donnés comme
équivalents. La liste est la suivante: ARCHE, BOISTE, BOUGETE,
BOURSE, CABINET, CASSE, CASSETIN, CHATON, CIBOIRE, COFFRET, ESCRAIN,
GIBBECIERE, LAYETTE, LIEU, MANNEQUIN, PICOTIN, QUESSE, RUCHE, SAC, SACHET,
SARCUEIL, TESTE, TOLLIEU. Les occurrences des vocables caisse et
coffre permettent d'allonger la liste en y ajoutant: BAHU, CAISSE,
CHÁSSE, CHETRON, COFFRE, HUCHE. Dans l'ensemble de ces articles,
lorsqu'il y a une définition français, les hyperonymes les
plus souvent donnés en genre prochain sont caisse,
coffre et coffret: CHÁSSE "les caisses d'or ou
d'argent, ou d'autre matiere, esquelles /./", CHETRON "Est cette
petite caisse qui /./", COFFRE "nom general à toute maniere
de caisse où /./", HUCHE "C'est une caisse de bois
à /./"; BAHU "est un coffre couvert de /./", CAYSSA "Le
Languedoc dit Cayssa /./ pour un coffre de bois /./" (s.v. CHÁSSE), QUESSE [6] "C'est un coffre quarré /./", SARCUEIL "coffre en quoy on garde /./";
(coffret voir ci-dessus). L'hyperonymie n'atteint pas un
degré plus haut d'abstraction, puisqu'un coffre est considére
comme une espèce de caisse, et vice versa.
Dans le Thresor en général, les définisseurs les
plus fréquents sont des termes très généraux
comme tout (tout ce qui, tout ce que), toute
chose, chose (chose qui, chose que, chose
+ adj.), ce qui, ce que, celuy, celle,
qui. Leur emploi est plus fréquent dans les traductions
(paraphrases) de mots latins que dans les définitions de mots
français; les paraphrases traductives fonctionnent, en fait, de la
même manière que les définitions proprement dites:
"Toute chose aguë ou pointuë, soit de bois, ou de fer, ou autre
matiere, Stylus" (s.v. AGU), "FOURC, m. C'est toute chose qui fait
un angle aigu". L'hyperonymie réduite s'explique et se
supplée de plusieurs façons. D'une part, les
définitions françaises ne sont données
qu'occasionnellement par Nicot; lorsqu'elles font défaut, il n'y a
comme équations sémiques que les équivalences bilingues
("Coffret, Loculus") et, parfois, les mises en (para)synonymie
("ESCRAIN, Coffret, ou cabinet") d'Estienne.
On peut supposer aussi que Nicot n'avait pas le même souci que les
modernes d'établir une hiérarchisation des
définisseurs. En revanche, la pauvreté hyperonymique est
compensée dans nombre de définitions par la richesse des
traits spécifiques: BOUGETE "ce petit coffret
de bois de bahu, et tenve couvert de cuyr, feutré ou bourré
entre cuyr et bois par dessous, afin qu'il ne blesse le cheval, et
ferré de petites listes de fer blanc par dessus le couvercle qui est
vouté, et d'un pied et demi de long ou environ, quelque peu moins de
large, fermant à serrure et à clef, que les femmes portoient
anciennement penduë à courroyes de cuyr double, à
l'arçon de devant de la selle de leur palefroy quand elles alloient
aux champs, en laquelle elles portoient leurs bagues, joyaux et menus
affiquets".
La mise en parallèle, dans le texte du Thresor, de mots
français et mots latins favorise l'énumération de
diminutifs et de lexèmes de base. Par exemple, COFFRE est traduit "Arca, Capsa, Cista" et COFFRET "/./ Arcula, Cistula, Cistella, Capsula"; de
même, on trouve CASSE "Capsa", CASSETIN "Capsula", CHASSE "Capsa"
(s.v. CHATON), CHASSETON/CHASTON/CHATON "Capsula" (ibid.), MANNE "Cista", MANNEQUIN "Cistula". Il
y a aussi des neutralisations: QUESSE "Capsa, Capsula,
Arca, Arcula"; BOISTE "Cista, Cistula"; LAYETTE "Capsa, Capsula". Les lexèmes de base et les
diminutifs sont parfois mis en relation explicite: [7] "CHATON /./ semble estre
sous-diminutif de chasse, Capsa, dont l'aisné diminutif est
chasseton, Capsula /./ Et par syncope Chaston, que le François
prononce Chaton, duquel le sous-diminutif est Chasseteron, et par double
syncope, Chastron /./ les Latins /./ disans Cista, et
en diminutif Cistula, et en sous-diminutif Cistella, et en
arriere-diminutif Cistellula"; "Chestron /./ lequel le
Languedoc nomme Caysson, et Caysseron, acut. Qui est diminutif de
Caysse" (s.v. CHÁSSE).
1.3. La distribution des lettres initiales
Le tableau 2 figure le nombre de mots français du
Thresor par lettre. [8] Les colonnes [1]
et [2] donnent respectivement le nombre de mots de texte (N) et le
pourcentage de N par lettre; [3] et [4] le nombre de mots différents
(V) et le pourcentage de V. La colonne [5] indique la fréquence
moyenne des vocables de chaque classe alphabétique; [6] la
fréquence de chaque classe de V relative à la fréquence
moyenne globale rapportée à 1. La colonne [7] chiffre la
nomenclature du dictionnaire en lignes de texte (L) par lettre; [8] indique
le pourcentage de L par lettre. La colonne [9] figure, sur une base de 1,
la représentativité quantitative de chaque lettre de la
nomenclature à l'égard du vocabulaire du texte.
Une mesure du poids exercé à l'intérieur de chaque
lettre par les mots outils est fournie par la colonne [6], qui est
reclassée ci-dessous par ordre de grammaticalité
décroissant (lexicalité croissant):
Q | 7,452 | N | 1,447 | F | 0,811 | B | 0,422 |
L | 3,057 | E | 1,246 | M | 0,726 | R | 0,301 |
Y | 2,604 | A | 1,003 | C | 0,703 | K | 0,116 |
O | 1,738 | S | 0,940 | T | 0,674 | X | 0,108 |
D | 1,526 | P | 0,934 | G | 0,497 | Z | 0,097 |
UVW | 1,484 | IJ | 0,899 | H | 0,483 |
La lettre Q (mots de texte: rang 9; mots différents: rang 19) est
dominée par qui (f 9644, rang 8), que (f
6632, rang 15), qu' (f 5613, rang 19), quelque
(f 3017, rang 30) et quand (f 1433, rang 57); L (rangs
4 et 15) par la (f 11979, rang 5), le (f 11591,
rang 7), l' (f 8060, rang 12) et les
(f 7879, rang 13); Y par y (f 1425, rang 58); O par
ou (f 8567, rang 10), on (f 5760, rang 17) et
où (f 1100, rang 69); D par de (f 28477,
rang 1), d'
(f 9029, rang 9), du (f 4268, rang 22), des
(f 3775, rang 26) et dit
(f 2898, rang 32); UVW par un (f 8145, rang 11),
une (f 5766, rang 16) et voyez (f 2260, rang
37); N par ne (f 4114, rang 23) et n' (f 2784,
rang 33); E par et (f 24195, rang 2), en (f
12373, rang 4) et est (f 11971, rang 6); A par à
(f 12493, rang 3), a (f 4031, rang 25) et au
(f 3378, rang 27). [9]
La colonne [9] est réorganisée ci-dessous pour mieux montrer
les écarts des lettres de la nomenclature en ce qu'elle est
(sur-/sous-)représentative du vocabulaire du texte du dictionnaire:
L'importance, dans la nomenclature, de Q est due surtout au volume anormal
de l'article QUEUË (119 lignes); de Y à
YEUX (82); de P à PROCES
(566) et à PARLER-PAROLE (504); de O à
OPINION (233); de M à METTRE (282) et à MAIN (243).
La pauvreté apparente de R (X, K et Z sont statistiquement
insignifiantes) est due au grand nombre de dérivés en RE- à valeur grammaticale (exemple "REBAPTIZER, Aidez vous de Baptizer"); de I aux
nombreux dérivés en IM-/IN-/IR- miroirs
du latin (ex. "Impudicité, Impudicitia. // IMPUGNER, Impugnare. // Impugnation, Impugnatio. //
IMPUISSANT, Impotens. // Impuissance,
Impotentia. // IMPULSEUR, Impulsor. //
Impulsion, Impulsio. // IMPUNI, Impunitas.");
de E en grande partie aux dérivés en ENTR- transparents ("s'ENTREMIGNARDER.
// s'ENTREMOCQUER. // s'ENTREMORDRE. // s'ENTREMOÜILLER.")
et aux dérivés miroirs en EX- ("EXACTEUR, Exactor. // Exaction, Exactio. // EXAGGERER, Exaggerare. // Exaggeration, Exaggeratio.
// EXAGITER, Exagitare. // Exagitation,
Exagitatio."; de S aux cognates miroirs ("Spectateur, Spectator. //
Spectatrice, Spectatrix. // SPECULER, Speculari.
// Speculation, Speculatus. // Speculateur, Speculator. //
Speculatrice, Speculatrix. // SPHERE, Sphaera.").
1.4. Les articles plus complets et les articles nouveaux
La microstructure consultable de BELIER est la
suivante: "un BELIER, ou BELIN, Aries. // Qui est d'un belier, Arietinus.".
La concordance permet de la développer (voir les sept occurrences de
belier):
BELIER ou BELIN, n.m. (Latin) Aries, (Picard) Ran.
Qui est d'un belier. (Latin) Arietinus.
La femelle du belier. Brebi ou Brebis.
En forme de teste de belier, en belier. "grosses
poutres
suspendues entestées de fer en forme de teste de
belier". "Buffle /./ espece de beuf /./ ayant
les cornes
courbées en arriere en belier".
Pois ciche de belier. (Latin) Cicer arietinum.
Dans la nomenclature du dictionnaire, DOMESTIQUE est
simplement traduit en latin ("DOMESTIQUE, Familiaris,
Domesticus. // Domestique, Cicur."). Les 24 occurrences de
domestique/domestiques rendent les informations suivantes:
DOMESTIQUE, adj. et n.
1. (Adj.) (Latin) Familiaris, Domesticus, Cicur.
SYN. Familier, Privé.
(En parlant d'une personne.) SYN.
Familier. CONTR. Estranger.
Serviteurs -s.
Office .
Affaires -s (SYN.
Particulier, Privé).
Empeschemens -s (SYN.
Privé).
Bestes -s. "toute sorte de bestes
domestiques paissans aux
champs, comme moutons, brebis, beufs, vaches,
pourceaux".
Chienne, verrate, truye .
2. (Nom) PARASYN. (au plur.). Commensaux,
Officiers
(ordinaires), Serviteurs.
La livrée d'un .
Les commensaux et -s. (Latin) Contubernales,
Sodales.
Les s d'un seigneur, du Roy. "le
bernage d'un seigneur, est
proprement la suyte, train, et compagnie de ses
domestiques". "officiers ordinaires et domestiques du
Roy, de la Roine, des enfans de France". "Maistre
d'hostel, est celuy des serviteurs et domestiques qui a
maistrise, commandement et surintendance sur la maison
et famille d'un grand seigneur".
Toutes les informations concernant domestiquement se trouvent s.v.
OFFICIER:
DOMESTIQUEMENT, adv.
SYN. En privé. CONTR. En public.
"Officier /./ signifie celuy qui a office exercé
en public
/./ ou en privé et domestiquement, comme quand on
parle
des menus officiers de l'hostel du Roy".
La clé des articles plus complets est parfois le latin. Ainsi,
par exemple, l'une des deux occurrences de diuortium (l'autre se
trouve s.v. DIVORSE) ajoute à DIVORSE une définition en français; l'article
complet devient le suivant:
DIVORSE, n. Séparation entre le mari et la femme.
(Latin)
Diuortium.
Faire divorse avec une femme. (Latin) Exigere vxorem,
Diuortium facere cum vxore, Diuertere ab vxore.
Georgiques (quatre occurrences cachées) est défini en
français par l'intermédiaire du latin: "Livres traictans
du labeur des terres, Georgica".
1.5. Les domaines lexicaux et lexicographiques marqués
Le chapitre 5 du premier volume de la concordance du Thresor
contient des listes de marques d'usage et de sources nommées. La
consultation, dans la concordance, des occurrences de ces marques permet de
construire la liste des articles du dictionnaire qui parlent d'un domaine
donné. Ainsi, par exemple, les différentes formes de
maçon, maçonnerie, menuisier,
menuiserie, charpentier, charpenterie,
architecte et architecture sont la clé du lexique du
bâtiment. [10] Dans le domaine de
l'ornithologie, les différentes formes de oiseau,
oiseler, oiselet, oiseleur, oiseliere et
auis ont un nombre d'occurrences total de 245. Les formes
françaises et latines de normand et de normandie
donnent accès à une quarantaine de lexèmes
normands. [11] Le vocable ronsard
révèle que le nom de Ronsard cautionne 95 unités de la
nomenclature du Thresor; le nom de Du Bellay (bellay,
dubellay) est invoqué treize fois.
Si le dictionnaire moderne est un texte récursif, le Thresor
ne l'est que partiellement. Seule une partie des unités de la
nomenclature a droit à une définition en français,
à l'indication de la catégorie grammaticale, à un
commentaire étymologique, etc. [12] Les
différentes formes de prononcer et de prononciation
(312 occurrences) non seulement regroupent, dans la concordance, la plupart
des lexèmes dont Nicot commente la prononciation, mais donnent
également un aperçu du système qui sous-tend
celle-ci. [13]
1.6. Les langues du Thresor
Telle que nous avons pu l'établir, l'appartenance linguistique
des mots de texte est la suivante: français (650.973 mots), latin
(252.325), grec (1.357), espagnol (972), italien (951), allemand (137),
hébreu (101), turc (46), portugais (25), arabe (23), flamand (19),
moresque (17), chaldéen (9), gaulois (7), tartaresque (7), anglais
(6), barbare (5), russe (4), syriaque (4), hongrois (3), suisse (2), danois
(1), persien (1), punique (1), scythique (1), incertain (37). [14] Dans la concordance, les vocables sont
classés en trois groupes: français, latin, autres langues.
Un classement par langue des vocables du dernier groupe est donné en
appendice de cet article.
2. Le Thresor et les autres textes
2.1. Le Thresor et ses prédecesseurs
Si le Thresor a été imprimé en synchronie,
son texte est la somme de cinq dictionnaires publiés en 1539, 1549,
1564, 1573 (les quatre éditions du Dictionaire
françois-latin) et 1606. Une information maintenue telle quelle
d'une édition à l'autre peut être
considérée, ou bien comme ayant reçue l'approbation
tacite de l'auteur de la nouvelle édition, ou bien comme n'ayant pas
retenu son attention. Comme exemple du deuxième cas, citons deux
occurrences de soldat (soldat/soldats ont une
fréquence dans le Thresor de 27) qui se contredisent
clairement: "Ceux qui parlent bien dient, Un soldat" (s.v. SOULDART), "le François ne peut bonnement dire
soldat, sans Italienniser ou Espagnoliser" (s.v. SOUDARD); la première date de 1549, la seconde de
1606. [15] Comme exemple du premier cas, les
96 mentions du nom de Ronsard (cf. ci-dessus [16]) remontent toutes à 1564; Nicot 1606 ajoute
s.v. ENAMERER et ENCORONNER une
précision concernant l'usage de Ronsard et corrige, pour le
deuxième lexème, la forme donnée par Thierry 1564
(ENCOTONNER). En revanche, Du Bellay, cité neuf
fois en 1564, cautionne un dixième lexème en 1573 et encore
trois autres mots en 1606.
La graphie des items hérités fournit une illustration de
l'(in)attention du lexicographe/imprimeur. Les nombres ordinaux
correspondant à deux, trois et quatre serviront
d'exemple. Le texte du Thresor contient deuxieme (f
7), deuxiéme (3), deuxiesme (20), troisieme
(14), troisiéme (9), troisiesme (19), quatrieme
(11), quatriéme (6) et quatriesme (21); dont DEUXIÉME (1), TROISIEME (4) et
QUATRIÉME (4) à leur place
alphabétique dans la nomenclature. Pour ce qui est de cette
dernière, plus visible que l'intérieur des articles, les cinq
occurrences en -ÉME remplacent les cinq en -EME de 1573, alors que les quatre en -EME restent inchangées. L'ensemble des occurrences
connaît un sort semblable:
| -eme | -éme | -esme |
héritées | 22 | 0 | 5 |
remplacent -eme | | 16 | 10 |
ajoutées | 10 | 2 | 45 |
s
Pour les éditions du Dictionaire françois-latin, les
statistiques sont les suivantes:
1539 | -eme |
| 32 | |
|
1549 | -eme | -esme |
héritées | 32 | |
ajoutées | 4 | 1 |
|
1564 | -eme | -esme |
héritées | 33 | 1 |
pour -eme | | 3 |
ajoutées | 1 | 0 |
|
1573 | -eme | -esme |
héritées | 33 | 3 |
pour -eme | | 1 |
pour -esme | 1 | |
ajoutées | 14 | 1 |
Pour ce qui est de la concurrence avec les ordinaux second
(f 48), seconde (39), seconds (5), secondes (1),
tiers (56) tierce (29), tierces (2), quart (39),
quarte (20), quarts (2) et quartes (5), [17] on peut observer les séries suivantes: "QUART /./ Est ce qu'on dit aussi Quatrieme, contant ainsi,
Premier, second, tiers, quart, quint. Car autrement on dit, Premier,
deuxiesme, troisieme, quatriesme, cinquiesme, etc." (1606 s.v. QUART); "quatorze vers, dont le premier rime aux
quatrieme, cinquiesme et huictiesme, et le second aux troisieme, sixieme et
septieme" (1606 s.v. SONNET); "six cas, dont le
premier est appelé Nominatif, le second Genitif, Le tiers Datif, Le
quatriesme, Accusatif, Le cinquiesme Vocatif" (1606 s.v. ABLATIF). Les termes des deux séries de départ
peuvent qualifier un même nom: deuxie(s)me livre
(1 fois depuis 1539, 1 dep. 1573, 1 en 1606), troisie(s)me
livre (4 dep. 1573, 1 en 1606), second livre (2 dep. 1573, 4 en
1606), tiers livre (1 en 1606). [18] Pour
les rois, le choix peut sembler dépendre du nom: Henry
deuxie(s)me (1 fois dep. 1549, 1 en 1606), Henry
troisiesme (1 fois en 1606), Loys troisiesme (3 en 1606),
Clodio second (1 en 1606), Hlodio second (1 en 1606),
Hlovis tiers (1 en 1606); cependant on lit ailleurs "le
François dit Charles le quint, et Charles cinquiéme, pour un
Roy mesmes" (s.v. QUINT). Alors que
quatrieme qualifie autant de noms que deuxieme et
troisieme, quart ne détermine que le seul nom de
partie: troisieme partie (1 fois dep. 1539),
quatrie(s)me partie (4 dep. 1539, 5 en 1606); tierce
partie (1 dep. 1539, 1 dep. 1573), quarte partie (7 dep. 1539,
3 en 1606). La spécialisation nominale des formes issues du latin
est commentée: "Le quart ou la quatriesme partie, Quarta pars"
(s.v. QUART), "Quint aussi se prent pour une part,
et portion d'une chose /./ le quint /./ la quinte, par
subaudition de partie" (s.v. QUINT).
2.2. Les sources non nommées
Rabelais, néologiste et lexicographe, n'est pas nommé dans
le Thresor; il y est pourtant. Dans le Tiers livre, on lit:
"celle espece d'arbre /./. Vous la nommez Larrix en Grec & Latin: les
Alpinois la nomment Melze: les Antenorides & Venetians, Larege"; [19] cela devient, à partir du Dictionaire
françois-latin de 1549: "LAREGE, Une
arbre retirant a ung Pin ou Sapin, Larix laricis. Les Venitiens
l'appellent Larege, les montagnars la nomment Melze". Vitruve est la
source de plus que la quarantaine d'items qui portent son nom dans le
Thresor; par exemple, "ASTRAGALE, Est un
membre rond en massonnerie, qu'on dit autrement, Fuzée avec ses
pezons" (dep. 1549) vient de "Astragale est un membre rond en
massonnerie, que l'on dict autrement fuzée avec ses pezons". [20]
2.3. Les datations
Le vocabulaire à moitié caché du Thresor est
un terrain fertile pour l'historien de la langue. Dans le domaine de la
maçonnerie, par exemple, cueillerée (s.v. MUEL) et cueill(e)ure (s.v. CHAAS et PLOMB À CHAAS) ne sont
pas attestés dans les autres dictionnaires; cueillir (s.v.
EMBRASURE) date, dans le FEW, de 1690. [21] Le Thresor est la source de nombre d'items
lexicaux attribués par les dictionnaires historiques à
Cotgrave; par exemple, reliquateur, repatrier, rere,
resomption, se retrahir. [22]
Notes
1. T.R. Wooldridge, Concordance du Thresor de la langue
françoyse de Jean Nicot (1606): matériaux lexicaux,
lexicographiques et méthodologiques, collection "Trésor
des dictionnaires français" (CNRS-INaLF), Toronto, Éditions
Paratexte, Trinity College, 1985, 2 vols, iv-269 et 78 microfiches. Les
travaux de confection de la concordance ont éte subventionnés
en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et
l'Institut national de la langue française.
Une adaptation de l'introduction méthodologique de la Concordance est disponible en ligne sous le titre: Introduction méthodologique à la saisie philologique des textes anciens.
2. Conventions:
| LEXÈME | Le terme de lexème réfère
aux unités de traitement du
dictionnaire; hors citation ou en grand romain dans
l'original d'une citation, elles sont imprimées en
majuscules. |
| vocable | Le terme de vocable réfère aux
formes recensées dans la
concordance et sont imprimées en minuscules italiques. |
| // | Frontière entre deux alinéas successifs ou
distants. |
3. Cf. T.R. Wooldridge, "La locution et les premières
dénominations de `locution' dans le métalangage
dictionnairique français", in Le Moyen français, 14/15 (1984), 437-49; édition en ligne.
4. Légende:
| 21.205 = page 21, colonne 2, ligne 5 |
| F1 = mot français en italique; F3 = en romain moyen; F4 = en
grand romain |
| | = début d'alinéa |
5. Le degré de synonymie de deux termes mis en équation
sémantique dans le Thresor étant variable, nous
préférons parler de parasynonymie.
6. CAISSE et QUAISSE renvoient
à QUESSE.
7. Le vocable diminutif/diminutifs a une fréquence dans
le Thresor de 173.
8. Les lettres sont celles de l'alphabet de la nomenclature. Il n'a pas
été tenu compte des chiffres romains; les formes à
trait d'union initial, type
-il, ont été assimilées aux formes libres
correspondantes (sauf -mon).
9. Les autres vocables français parmi les 30 les plus
fréquents sont:
il (f 7571, rang 14), par (5756, 18), pour
(4822, 20), ce (4597, 21),
se (4105, 24), faire (3343, 28) et comme (3219, 29).
10. Voir T.R. Wooldridge, "Le vocabulaire du bâtiment chez Nicot:
quelques datations", in Revue de linguistique romane, 49 (1985): 327-57; version en ligne (1998).
11. Voir T.R. Wooldridge, "Jean Nicot, lexicographe, vu à travers une concordance
du Thresor de la langue françoyse", in J. Baudry, Jean Nicot, Lyon, La Manufacture, 1988: 173-86.
12. Le chapitre 5 du premier volume de la concordance donne des listes de
mots-clefs du métalangage des informations: catégorie
grammaticale; caractérisation accentuelle; orthographe et
prononciation; étymologie; variante, synonyme et antonyme; traitement
sémantique; exemple; équivalent; renvoi. Version en ligne.
13. Cf. T.R. Wooldridge, "Jean Nicot, lexicographe". o.c.
14. Les bases de ce classement sont principalement textuelles et
géographiques. "Français" regroupe le français et les
dialectes de France. Un mot de texte peut appartenir à plusieurs
langues à la fois. (Voir la section 2.3 du premier volume de la
concordance.)
15. Cf. T.R. Wooldridge, Les Débuts de la lexicographie
française: Estienne, Nicot et le Thresor de la langue
françoyse (1606), University of Toronto Press, 1977, p. 245; 2e édition en ligne Toronto, EDICTA, 1997): section 2.4.
16. Ronsard est cité deux fois s.v. EMPOURPRER.
17. Emplois adjectivaux et nominaux confondus.
18. Cf. aussi personne, jour, fois,
façon, partie.
19. Ch. LII, éd. Marty-Laveaux, t. II, p. 243.
20. Architecture ou Art de bien bastir, de Marc Vitruve Pollion /./
mis de Latin en Françoys, par Jan Martin, Paris, chez J.
Gazeau, 1547, glossaire. Cf. T.R. Wooldridge, "Le vocabulaire du
bâtiment chez Nicot", o.c.
21. Cf. T.R. Wooldridge, "Le vocabulaire du
bâtiment chez Nicot", o.c.
22. Cf. T.R. Wooldridge, "Le FEW corrigé par Nicot et Cotgrave", in Revue de linguistique romane, 50 (1986): 383-422.