Matériaux pour l'étude du lexique et de la lexicographie français du XVIe siècle: une concordance du Thresor de Nicot

Russon Wooldridge

University of Toronto

© 2001 R. Wooldridge

Première parution in Cahiers de lexicologie, 50 (1987): 245-60.

Abstract. The concordance of Jean Nicot's Thresor de la langue françoyse is a research tool for the historical study of French lexis and lexicography. It is different from the traditional concordance in that its tokens include both text tokens (used words) and lexical types (described words). The aim of the article is to give an idea of the possible applications of the concordance and to present a few findings concerning the hidden structures of the Thresor and the relationship of the latter to other texts.


La concordance du Thresor de la langue françoyse de Jean Nicot [1] est conçue comme un instrument de recherche pour l'étude historique des lexique et lexicographie français. Elle comporte une introduction méthodologique, des listes alphabétique, inverse et de fréquences par langue (mots français, mots latins, autres), une concordance globale, deux mini-concordances syntagmatiques des mots français de haute fréquence à fonctionnement syntagmatique intéressant, des tables de fréquence, des listes de mots-clés métalinguistiques, de marques d'usage et de sources nommées, le texte-machine et l'inventaire des têtes d'article du dictionnaire. Elle est fondamentalement différente de la concordance traditionnelle en ce qu'elle réunit un lexique traité et un vocabulaire employé, concordance d'un texte et dictionnaire d'un dictionnaire. Le but de cet article est de donner une idée des applications possibles de cet outil et de fournir un certain nombre de résultats, tantôt sommaires, tantôt détaillés. [2]

1. Le Thresor

Si on peut parler des items consultables (à travers la nomenclature) et des items cachées du dictionnaire, il y a aussi les structures consultables et les structures cachées. Les structures consultables sont en premier lieu la macrostructure et la microstructure. Les structures cachées sont ou bien révélées par la concordance ou bien sont observables à l'aide de celle-ci. Nous voudrions parler de six types de structures cachées: a) les champs: étymologiques, dérivationnels, affixaux, onomasiologiques, associatifs, hyponymiques; b) les définisseurs et les classes d'hyponymes; c) la distribution des lettres initiales; d) les articles plus complets ou nouveaux; e) le lexique marqué; f) les langues du Thresor.

1.1.1. Les champs étymologiques

Le vocable bref se trouve dans l'article des lexèmes suivants, entre autres: ABBREGER ("C'est rendre bref"), BRAGUES ("de cestuy Latin Brachae /./ lequel vient du Grec , qui signifie court, bref, et petit", BRETONNER ("Est parler bref") et BREVIAIRE ("compilation en bref"). Chair se rencontre, entre autres, s.v. ACHARNÉ ("Composé de A, preposition, et chair"), ACHARNER ("Acharner le leurre, c'est mettre de la chair dessus"), CHARNAGE ("Le temps qu'on mange chair"), DESCHARNER ("c'est oster la chair"). Catena/catenae/catenas latins se trouvent s.v. CADENAT, CADENE, CHAINE, CHAINON, CHENE, DESCHAINER, ENCHAINER, RENCHAINER.

1.1.2. Les champs dérivationnels

Les exemples suivants regroupent des vocables qui sont tous absents de la nomenclature du dictionnaire bien qu'employés ailleurs: metaphore (par –, – prinse de...), metaphorique (energie –, le –), metaphoriquement (use/dit/ prins/se prend –), metaphorisé (mot –), metaphoram (per –), metaphorica (locutio –), metaphorice; participe (– masculin/feminin/present/passif/ adjectif), participial (nom –), participialement (se prend –); adverbe (– local/congregatif/excitatif/negatif/comparatif/composé/de temps), adverbial(e) (signification/particule –), adverbialement (prins/dit/se prend –).

1.1.3. Les champs affixaux

Le fonctionnement des préfixes est en partie observable dans la nomenclature du dictionnaire. Dans l'ordre alphabétique, l'on peut compter 157 lexèmes ayant le préfixe entre/entre-/entr'/entr'-/entr et ailleurs 40; par exemple, entreaiment, entr'aimer, entre-appellent, entr'appeler, entrappellent, entr'-allient. Les lexèmes en contre/contre-/contr' sont 56 à leur place alphabétique, 30 ailleurs. Le suffixe aille est marqué dans ce sens que la plupart de ses occurrences – soit dans des unités de nomenclature, soit cachées (environ le tiers du total) – sont en mention: Nicot est conscient de leurs forme et sémantisme; par exemple, buissonnaille s.v. BROUSSAILLE, goujataille, maraudaille et marmaille s.v. HARPAIL. Un autre suffixe marqué est resse, nominal. Il s'agirait, dans ce cas, de virtualités du système: la presque totalité de ses occurrences (34 sur 35 lexèmes qui le contiennent sont dans la nomenclature) sont le pendant de la forme du masculin; par exemple, "Acheteur // Acheteresse", "Amasseur // Amasseresse", "Tenteur // Tenteresse", "Tondeur // Tonderesse". Seul maistresse jouit d'un usage non marqué.

1.1.4. Les champs onomasiologiques

Un domaine lexical particulièrement caractéristique du vocabulaire caché de Thresor est celui des termes de grammaire ou, plus généralement, des termes du métalangage dictionnairique (cf. 1.1.2, 1.5 et note 12). Le terme LOCUTION, dans la nomenclature du Thresor, est simplement traduit "Locutio", qui aurait le sens de "parole" ou "manière de s'exprimer". Les dictionnaires historiques modernes date le sens "syntagme lexicalisé" de 1680. Pourtant, locution a déjà ce sens dans les commentaires de Nicot. Les différentes dénominations de "syntagme lexicalisé" sont les suivantes: locution (f 12), locutio (f 1), forme de parler (f 3), formule de parler (f 1), façon de parler (f 11), phrase (f 38), maniere de parler (f 65) et maniere de dire (f 3). [3]

1.1.5. Les champs associatifs

Dans la concordance, l'ensemble des références "Tête d'article" données pour les occurrences d'un vocable constitue, dans le cas des mots lexicaux à contenu sémantique et à fréquence appréciables, une approximation du champ associatif du vocable. Pour le vocable brebis, les articles où il se rencontre comprennent les suivants: AGNEAU, BERGIER, BESTAIL, BESTE, BESTIAIL, BREHAIGNE, CAPHARD, CHAIR, CLAVEAU, DARTRE, DOUVE, EGREGE, LAICT, LAINE, METAIRIE, MOUTON, PELER, PETIT, PIS, PORTER, PORTIERE, REBUT, TROUPPEAU. Les adresses des articles renfermant une ou plusieurs occurrences de viande/viandes peuvent être réparties en sous-groupes: APPAREILLER, APPRESTER, BURRER, DRESSER, EMPOISONNER, ENTRELARDER, ESPICER, HACHER, SERVIR, TRAICTER; AVALLER, DIGERER, MANGER, MASCHER, SURBOIRE; APPAREIL, APPREST, DEGOUSTEMENT, DESBORDEMENT, EXCEZ, FOISON, GOULARD, GRESSE, REMPLIR, SUFFOQUER, SUPERFLUITÉ, TRENCHÉE; etc.

1.1.6. Les champs hyponymiques

Les articles de concordance oiseau/oyseau, en plus de fournir le champ associatif d'oiseau, construisent partiellement, à travers les références de tête d'article, le champ hyponymique des noms d'espèces d'oiseaux. Oiseau/ oyseau se trouve ainsi s.v. AIGRETTE, ALOY, ARNÉ, AUSTARDE, BATEMAERE, BECFIGUE, BERÉE, BERGERONNETTE, BERICHOT, BIHOREAU, BONDRÉE, BRUANT, BRUTHIER, BUISART, BUTOR, CAILLE, CALENDRE, CANEPETIERE, CAVE, CERCELLE, CHAHUANT, COCU, COQU, CORBEAU, CORLIS, CRECERELLE, CUEILLIER, EFFRAYE, FAULCON, FAUPERDRIEU, FOULQUE, FRANCOLIN, FRESAYE, FRIQUET, GALERAND, GERFAUT, GRIFFON, GRIVE, GROLE, GROSBEC, GUESPIER, HIRONDELLE, HOBREAU, HOUTARDE, JAN LE BLANC, LAVANDIERE, LITORNE, MARTINET, MAUVIS, MOËTTE, MOINEAU, MONTAIN, MORILLON, MOUCHET, OFFRAYE, PALE, PIC, PIE, PINSON, PIVERD, PIVOINE, PLONGEON, PLUVIER, ROUGE GORGE, ROUPIE, ROY, SACRE, SARCELLE, TERCOT, TORCOL, TOURD, TOURET, VAULTOUR, VERDIER, VERDON.

1.2. Hyperonymes et hyponymes

Nicot pratique, entre autres procédés de description sémantique (méthodologie mixte et données héritées d'Estienne), la définition logique par genre prochain et différences spécifiques, la traduction en latin (celle-ci, dans beaucoup de cas, le résultat de l'inversion du dictionnaire latin-français) et la parasynonymie. Le défini est le plus souvent un lexème français, mais peut être un lexème de n'importe quelle langue. Ainsi coffret est utilisé: a) comme genre prochain de: BIERE "Signifie /./ ce coffret de bois, large par un bout /./", BOUGETE "ce petit coffret de bois de bahu, et tenve couvert de cuyr /./", CAYSSON et CAYSSERON "ce coffret /./ lequel le Languedoc nomme Caysson, et Caysseron" (s.v. CHÁSSE), CHESTRON "Chestron, acut. Pour ce coffret qui /./" (s.v. CHÁSSE); b) comme équivalent de: (grec) "signifie un coffret ou petite caisse, Arcula, ou une boiste" (s.v. CIBOIRE), ARCULA (latin) "Petite arche, ou coffret, Arcula" (s.v. ARCHE) et "Coffrets et comme petits trous où les peintres mettent leurs couleurs, Arculae loculatae pictorum" (s.v. PEINTRE), SCRINIUM (latin) "Un ESCRAIN, Coffret, ou cabinet, Scrinium" (s.v. ESCRAIN); c) comme parasynonyme [5] de escrain et de cabinet s.v. ESCRAIN. Sub verbo, COFFRET ("m. acut. diminutif") est traduit: arcula, capsula, cistella, cistula, loculamentum, loculus, scrinium; une façon d'explorer le champ onomasiologique français de "coffret" est de faire un relevé des articles dans lesquels ces mots latins sont donnés comme équivalents. La liste est la suivante: ARCHE, BOISTE, BOUGETE, BOURSE, CABINET, CASSE, CASSETIN, CHATON, CIBOIRE, COFFRET, ESCRAIN, GIBBECIERE, LAYETTE, LIEU, MANNEQUIN, PICOTIN, QUESSE, RUCHE, SAC, SACHET, SARCUEIL, TESTE, TOLLIEU. Les occurrences des vocables caisse et coffre permettent d'allonger la liste en y ajoutant: BAHU, CAISSE, CHÁSSE, CHETRON, COFFRE, HUCHE. Dans l'ensemble de ces articles, lorsqu'il y a une définition français, les hyperonymes les plus souvent donnés en genre prochain sont caisse, coffre et coffret: CHÁSSE "les caisses d'or ou d'argent, ou d'autre matiere, esquelles /./", CHETRON "Est cette petite caisse qui /./", COFFRE "nom general à toute maniere de caisse où /./", HUCHE "C'est une caisse de bois à /./"; BAHU "est un coffre couvert de /./", CAYSSA "Le Languedoc dit Cayssa /./ pour un coffre de bois /./" (s.v. CHÁSSE), QUESSE [6] "C'est un coffre quarré /./", SARCUEIL "coffre en quoy on garde /./"; (coffret voir ci-dessus). L'hyperonymie n'atteint pas un degré plus haut d'abstraction, puisqu'un coffre est considére comme une espèce de caisse, et vice versa.

Dans le Thresor en général, les définisseurs les plus fréquents sont des termes très généraux comme tout (tout ce qui, tout ce que), toute chose, chose (chose qui, chose que, chose + adj.), ce qui, ce que, celuy, celle, qui. Leur emploi est plus fréquent dans les traductions (paraphrases) de mots latins que dans les définitions de mots français; les paraphrases traductives fonctionnent, en fait, de la même manière que les définitions proprement dites: "Toute chose aguë ou pointuë, soit de bois, ou de fer, ou autre matiere, Stylus" (s.v. AGU), "FOURC, m. C'est toute chose qui fait un angle aigu". L'hyperonymie réduite s'explique et se supplée de plusieurs façons. D'une part, les définitions françaises ne sont données qu'occasionnellement par Nicot; lorsqu'elles font défaut, il n'y a comme équations sémiques que les équivalences bilingues ("Coffret, Loculus") et, parfois, les mises en (para)synonymie ("ESCRAIN, Coffret, ou cabinet") d'Estienne. On peut supposer aussi que Nicot n'avait pas le même souci que les modernes d'établir une hiérarchisation des définisseurs. En revanche, la pauvreté hyperonymique est compensée dans nombre de définitions par la richesse des traits spécifiques: BOUGETE "ce petit coffret de bois de bahu, et tenve couvert de cuyr, feutré ou bourré entre cuyr et bois par dessous, afin qu'il ne blesse le cheval, et ferré de petites listes de fer blanc par dessus le couvercle qui est vouté, et d'un pied et demi de long ou environ, quelque peu moins de large, fermant à serrure et à clef, que les femmes portoient anciennement penduë à courroyes de cuyr double, à l'arçon de devant de la selle de leur palefroy quand elles alloient aux champs, en laquelle elles portoient leurs bagues, joyaux et menus affiquets".

La mise en parallèle, dans le texte du Thresor, de mots français et mots latins favorise l'énumération de diminutifs et de lexèmes de base. Par exemple, COFFRE est traduit "Arca, Capsa, Cista" et COFFRET "/./ Arcula, Cistula, Cistella, Capsula"; de même, on trouve CASSE "Capsa", CASSETIN "Capsula", CHASSE "Capsa" (s.v. CHATON), CHASSETON/CHASTON/CHATON "Capsula" (ibid.), MANNE "Cista", MANNEQUIN "Cistula". Il y a aussi des neutralisations: QUESSE "Capsa, Capsula, Arca, Arcula"; BOISTE "Cista, Cistula"; LAYETTE "Capsa, Capsula". Les lexèmes de base et les diminutifs sont parfois mis en relation explicite: [7] "CHATON /./ semble estre sous-diminutif de chasse, Capsa, dont l'aisné diminutif est chasseton, Capsula /./ Et par syncope Chaston, que le François prononce Chaton, duquel le sous-diminutif est Chasseteron, et par double syncope, Chastron /./ les Latins /./ disans Cista, et en diminutif Cistula, et en sous-diminutif Cistella, et en arriere-diminutif Cistellula"; "Chestron /./ lequel le Languedoc nomme Caysson, et Caysseron, acut. Qui est diminutif de Caysse" (s.v. CHÁSSE).

1.3. La distribution des lettres initiales

Le tableau 2 figure le nombre de mots français du Thresor par lettre. [8] Les colonnes [1] et [2] donnent respectivement le nombre de mots de texte (N) et le pourcentage de N par lettre; [3] et [4] le nombre de mots différents (V) et le pourcentage de V. La colonne [5] indique la fréquence moyenne des vocables de chaque classe alphabétique; [6] la fréquence de chaque classe de V relative à la fréquence moyenne globale rapportée à 1. La colonne [7] chiffre la nomenclature du dictionnaire en lignes de texte (L) par lettre; [8] indique le pourcentage de L par lettre. La colonne [9] figure, sur une base de 1, la représentativité quantitative de chaque lettre de la nomenclature à l'égard du vocabulaire du texte. Une mesure du poids exercé à l'intérieur de chaque lettre par les mots outils est fournie par la colonne [6], qui est reclassée ci-dessous par ordre de grammaticalité décroissant (lexicalité croissant): La lettre Q (mots de texte: rang 9; mots différents: rang 19) est dominée par qui (f 9644, rang 8), que (f 6632, rang 15), qu' (f 5613, rang 19), quelque (f 3017, rang 30) et quand (f 1433, rang 57); L (rangs 4 et 15) par la (f 11979, rang 5), le (f 11591, rang 7), l' (f 8060, rang 12) et les (f 7879, rang 13); Y par y (f 1425, rang 58); O par ou (f 8567, rang 10), on (f 5760, rang 17) et (f 1100, rang 69); D par de (f 28477, rang 1), d' (f 9029, rang 9), du (f 4268, rang 22), des (f 3775, rang 26) et dit (f 2898, rang 32); UVW par un (f 8145, rang 11), une (f 5766, rang 16) et voyez (f 2260, rang 37); N par ne (f 4114, rang 23) et n' (f 2784, rang 33); E par et (f 24195, rang 2), en (f 12373, rang 4) et est (f 11971, rang 6); A par à (f 12493, rang 3), a (f 4031, rang 25) et au (f 3378, rang 27). [9]

La colonne [9] est réorganisée ci-dessous pour mieux montrer les écarts des lettres de la nomenclature en ce qu'elle est (sur-/sous-)représentative du vocabulaire du texte du dictionnaire:

L'importance, dans la nomenclature, de Q est due surtout au volume anormal de l'article QUEUË (119 lignes); de Y à YEUX (82); de P à PROCES (566) et à PARLER-PAROLE (504); de O à OPINION (233); de M à METTRE (282) et à MAIN (243). La pauvreté apparente de R (X, K et Z sont statistiquement insignifiantes) est due au grand nombre de dérivés en RE- à valeur grammaticale (exemple "REBAPTIZER, Aidez vous de Baptizer"); de I aux nombreux dérivés en IM-/IN-/IR- miroirs du latin (ex. "Impudicité, Impudicitia. // IMPUGNER, Impugnare. // Impugnation, Impugnatio. // IMPUISSANT, Impotens. // Impuissance, Impotentia. // IMPULSEUR, Impulsor. // Impulsion, Impulsio. // IMPUNI, Impunitas."); de E en grande partie aux dérivés en ENTR- transparents ("s'ENTREMIGNARDER. // s'ENTREMOCQUER. // s'ENTREMORDRE. // s'ENTREMOÜILLER.") et aux dérivés miroirs en EX- ("EXACTEUR, Exactor. // Exaction, Exactio. // EXAGGERER, Exaggerare. // Exaggeration, Exaggeratio. // EXAGITER, Exagitare. // Exagitation, Exagitatio."; de S aux cognates miroirs ("Spectateur, Spectator. // Spectatrice, Spectatrix. // SPECULER, Speculari. // Speculation, Speculatus. // Speculateur, Speculator. // Speculatrice, Speculatrix. // SPHERE, Sphaera.").

1.4. Les articles plus complets et les articles nouveaux

La microstructure consultable de BELIER est la suivante: "un BELIER, ou BELIN, Aries. // Qui est d'un belier, Arietinus.". La concordance permet de la développer (voir les sept occurrences de belier): Dans la nomenclature du dictionnaire, DOMESTIQUE est simplement traduit en latin ("DOMESTIQUE, Familiaris, Domesticus. // Domestique, Cicur."). Les 24 occurrences de domestique/domestiques rendent les informations suivantes: Toutes les informations concernant domestiquement se trouvent s.v. OFFICIER: La clé des articles plus complets est parfois le latin. Ainsi, par exemple, l'une des deux occurrences de diuortium (l'autre se trouve s.v. DIVORSE) ajoute à DIVORSE une définition en français; l'article complet devient le suivant: Georgiques (quatre occurrences cachées) est défini en français par l'intermédiaire du latin: "Livres traictans du labeur des terres, Georgica".

1.5. Les domaines lexicaux et lexicographiques marqués

Le chapitre 5 du premier volume de la concordance du Thresor contient des listes de marques d'usage et de sources nommées. La consultation, dans la concordance, des occurrences de ces marques permet de construire la liste des articles du dictionnaire qui parlent d'un domaine donné. Ainsi, par exemple, les différentes formes de maçon, maçonnerie, menuisier, menuiserie, charpentier, charpenterie, architecte et architecture sont la clé du lexique du bâtiment. [10] Dans le domaine de l'ornithologie, les différentes formes de oiseau, oiseler, oiselet, oiseleur, oiseliere et auis ont un nombre d'occurrences total de 245. Les formes françaises et latines de normand et de normandie donnent accès à une quarantaine de lexèmes normands. [11] Le vocable ronsard révèle que le nom de Ronsard cautionne 95 unités de la nomenclature du Thresor; le nom de Du Bellay (bellay, dubellay) est invoqué treize fois.

Si le dictionnaire moderne est un texte récursif, le Thresor ne l'est que partiellement. Seule une partie des unités de la nomenclature a droit à une définition en français, à l'indication de la catégorie grammaticale, à un commentaire étymologique, etc. [12] Les différentes formes de prononcer et de prononciation (312 occurrences) non seulement regroupent, dans la concordance, la plupart des lexèmes dont Nicot commente la prononciation, mais donnent également un aperçu du système qui sous-tend celle-ci. [13]

1.6. Les langues du Thresor

Telle que nous avons pu l'établir, l'appartenance linguistique des mots de texte est la suivante: français (650.973 mots), latin (252.325), grec (1.357), espagnol (972), italien (951), allemand (137), hébreu (101), turc (46), portugais (25), arabe (23), flamand (19), moresque (17), chaldéen (9), gaulois (7), tartaresque (7), anglais (6), barbare (5), russe (4), syriaque (4), hongrois (3), suisse (2), danois (1), persien (1), punique (1), scythique (1), incertain (37). [14] Dans la concordance, les vocables sont classés en trois groupes: français, latin, autres langues. Un classement par langue des vocables du dernier groupe est donné en appendice de cet article.

2. Le Thresor et les autres textes

2.1. Le Thresor et ses prédecesseurs

Si le Thresor a été imprimé en synchronie, son texte est la somme de cinq dictionnaires publiés en 1539, 1549, 1564, 1573 (les quatre éditions du Dictionaire françois-latin) et 1606. Une information maintenue telle quelle d'une édition à l'autre peut être considérée, ou bien comme ayant reçue l'approbation tacite de l'auteur de la nouvelle édition, ou bien comme n'ayant pas retenu son attention. Comme exemple du deuxième cas, citons deux occurrences de soldat (soldat/soldats ont une fréquence dans le Thresor de 27) qui se contredisent clairement: "Ceux qui parlent bien dient, Un soldat" (s.v. SOULDART), "le François ne peut bonnement dire soldat, sans Italienniser ou Espagnoliser" (s.v. SOUDARD); la première date de 1549, la seconde de 1606. [15] Comme exemple du premier cas, les 96 mentions du nom de Ronsard (cf. ci-dessus [16]) remontent toutes à 1564; Nicot 1606 ajoute s.v. ENAMERER et ENCORONNER une précision concernant l'usage de Ronsard et corrige, pour le deuxième lexème, la forme donnée par Thierry 1564 (ENCOTONNER). En revanche, Du Bellay, cité neuf fois en 1564, cautionne un dixième lexème en 1573 et encore trois autres mots en 1606.

La graphie des items hérités fournit une illustration de l'(in)attention du lexicographe/imprimeur. Les nombres ordinaux correspondant à deux, trois et quatre serviront d'exemple. Le texte du Thresor contient deuxieme (f 7), deuxiéme (3), deuxiesme (20), troisieme (14), troisiéme (9), troisiesme (19), quatrieme (11), quatriéme (6) et quatriesme (21); dont DEUXIÉME (1), TROISIEME (4) et QUATRIÉME (4) à leur place alphabétique dans la nomenclature. Pour ce qui est de cette dernière, plus visible que l'intérieur des articles, les cinq occurrences en -ÉME remplacent les cinq en -EME de 1573, alors que les quatre en -EME restent inchangées. L'ensemble des occurrences connaît un sort semblable:

Pour les éditions du Dictionaire françois-latin, les statistiques sont les suivantes: Pour ce qui est de la concurrence avec les ordinaux second (f 48), seconde (39), seconds (5), secondes (1), tiers (56) tierce (29), tierces (2), quart (39), quarte (20), quarts (2) et quartes (5), [17] on peut observer les séries suivantes: "QUART /./ Est ce qu'on dit aussi Quatrieme, contant ainsi, Premier, second, tiers, quart, quint. Car autrement on dit, Premier, deuxiesme, troisieme, quatriesme, cinquiesme, etc." (1606 s.v. QUART); "quatorze vers, dont le premier rime aux quatrieme, cinquiesme et huictiesme, et le second aux troisieme, sixieme et septieme" (1606 s.v. SONNET); "six cas, dont le premier est appelé Nominatif, le second Genitif, Le tiers Datif, Le quatriesme, Accusatif, Le cinquiesme Vocatif" (1606 s.v. ABLATIF). Les termes des deux séries de départ peuvent qualifier un même nom: deuxie(s)me livre (1 fois depuis 1539, 1 dep. 1573, 1 en 1606), troisie(s)me livre (4 dep. 1573, 1 en 1606), second livre (2 dep. 1573, 4 en 1606), tiers livre (1 en 1606). [18] Pour les rois, le choix peut sembler dépendre du nom: Henry deuxie(s)me (1 fois dep. 1549, 1 en 1606), Henry troisiesme (1 fois en 1606), Loys troisiesme (3 en 1606), Clodio second (1 en 1606), Hlodio second (1 en 1606), Hlovis tiers (1 en 1606); cependant on lit ailleurs "le François dit Charles le quint, et Charles cinquiéme, pour un Roy mesmes" (s.v. QUINT). Alors que quatrieme qualifie autant de noms que deuxieme et troisieme, quart ne détermine que le seul nom de partie: troisieme partie (1 fois dep. 1539), quatrie(s)me partie (4 dep. 1539, 5 en 1606); tierce partie (1 dep. 1539, 1 dep. 1573), quarte partie (7 dep. 1539, 3 en 1606). La spécialisation nominale des formes issues du latin est commentée: "Le quart ou la quatriesme partie, Quarta pars" (s.v. QUART), "Quint aussi se prent pour une part, et portion d'une chose /./ le quint /./ la quinte, par subaudition de partie" (s.v. QUINT).

2.2. Les sources non nommées

Rabelais, néologiste et lexicographe, n'est pas nommé dans le Thresor; il y est pourtant. Dans le Tiers livre, on lit: "celle espece d'arbre /./. Vous la nommez Larrix en Grec & Latin: les Alpinois la nomment Melze: les Antenorides & Venetians, Larege"; [19] cela devient, à partir du Dictionaire françois-latin de 1549: "LAREGE, Une arbre retirant a ung Pin ou Sapin, Larix laricis. Les Venitiens l'appellent Larege, les montagnars la nomment Melze". Vitruve est la source de plus que la quarantaine d'items qui portent son nom dans le Thresor; par exemple, "ASTRAGALE, Est un membre rond en massonnerie, qu'on dit autrement, Fuzée avec ses pezons" (dep. 1549) vient de "Astragale est un membre rond en massonnerie, que l'on dict autrement fuzée avec ses pezons". [20]

2.3. Les datations

Le vocabulaire à moitié caché du Thresor est un terrain fertile pour l'historien de la langue. Dans le domaine de la maçonnerie, par exemple, cueillerée (s.v. MUEL) et cueill(e)ure (s.v. CHAAS et PLOMB À CHAAS) ne sont pas attestés dans les autres dictionnaires; cueillir (s.v. EMBRASURE) date, dans le FEW, de 1690. [21] Le Thresor est la source de nombre d'items lexicaux attribués par les dictionnaires historiques à Cotgrave; par exemple, reliquateur, repatrier, rere, resomption, se retrahir. [22]


Notes

1. T.R. Wooldridge, Concordance du Thresor de la langue françoyse de Jean Nicot (1606): matériaux lexicaux, lexicographiques et méthodologiques, collection "Trésor des dictionnaires français" (CNRS-INaLF), Toronto, Éditions Paratexte, Trinity College, 1985, 2 vols, iv-269 et 78 microfiches. Les travaux de confection de la concordance ont éte subventionnés en partie par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et l'Institut national de la langue française.

Une adaptation de l'introduction méthodologique de la Concordance est disponible en ligne sous le titre: Introduction méthodologique à la saisie philologique des textes anciens.

2. Conventions:
     LEXÈME Le terme de lexème réfère aux unités de traitement du dictionnaire; hors citation ou en grand romain dans l'original d'une citation, elles sont imprimées en majuscules.
vocable Le terme de vocable réfère aux formes recensées dans la concordance et sont imprimées en minuscules italiques.
// Frontière entre deux alinéas successifs ou distants.

3. Cf. T.R. Wooldridge, "La locution et les premières dénominations de `locution' dans le métalangage dictionnairique français", in Le Moyen français, 14/15 (1984), 437-49; édition en ligne.

4. Légende:
     21.205 = page 21, colonne 2, ligne 5
F1 = mot français en italique; F3 = en romain moyen; F4 = en grand romain
| = début d'alinéa

5. Le degré de synonymie de deux termes mis en équation sémantique dans le Thresor étant variable, nous préférons parler de parasynonymie.

6. CAISSE et QUAISSE renvoient à QUESSE.

7. Le vocable diminutif/diminutifs a une fréquence dans le Thresor de 173.

8. Les lettres sont celles de l'alphabet de la nomenclature. Il n'a pas été tenu compte des chiffres romains; les formes à trait d'union initial, type -il, ont été assimilées aux formes libres correspondantes (sauf -mon).

9. Les autres vocables français parmi les 30 les plus fréquents sont: il (f 7571, rang 14), par (5756, 18), pour (4822, 20), ce (4597, 21), se (4105, 24), faire (3343, 28) et comme (3219, 29).

10. Voir T.R. Wooldridge, "Le vocabulaire du bâtiment chez Nicot: quelques datations", in Revue de linguistique romane, 49 (1985): 327-57; version en ligne (1998).

11. Voir T.R. Wooldridge, "Jean Nicot, lexicographe, vu à travers une concordance du Thresor de la langue françoyse", in J. Baudry, Jean Nicot, Lyon, La Manufacture, 1988: 173-86.

12. Le chapitre 5 du premier volume de la concordance donne des listes de mots-clefs du métalangage des informations: catégorie grammaticale; caractérisation accentuelle; orthographe et prononciation; étymologie; variante, synonyme et antonyme; traitement sémantique; exemple; équivalent; renvoi. Version en ligne.

13. Cf. T.R. Wooldridge, "Jean Nicot, lexicographe". o.c.

14. Les bases de ce classement sont principalement textuelles et géographiques. "Français" regroupe le français et les dialectes de France. Un mot de texte peut appartenir à plusieurs langues à la fois. (Voir la section 2.3 du premier volume de la concordance.)

15. Cf. T.R. Wooldridge, Les Débuts de la lexicographie française: Estienne, Nicot et le Thresor de la langue françoyse (1606), University of Toronto Press, 1977, p. 245; 2e édition en ligne Toronto, EDICTA, 1997): section 2.4.

16. Ronsard est cité deux fois s.v. EMPOURPRER.

17. Emplois adjectivaux et nominaux confondus.

18. Cf. aussi personne, jour, fois, façon, partie.

19. Ch. LII, éd. Marty-Laveaux, t. II, p. 243.

20. Architecture ou Art de bien bastir, de Marc Vitruve Pollion /./ mis de Latin en Françoys, par Jan Martin, Paris, chez J. Gazeau, 1547, glossaire. Cf. T.R. Wooldridge, "Le vocabulaire du bâtiment chez Nicot", o.c.

21. Cf. T.R. Wooldridge, "Le vocabulaire du bâtiment chez Nicot", o.c.

22. Cf. T.R. Wooldridge, "Le FEW corrigé par Nicot et Cotgrave", in Revue de linguistique romane, 50 (1986): 383-422.