L’écologie du français canadien d’après Sylva Clapin (1894
et 1913)
©
2004 Gabrielle SAINT-YVES, Ph.D.
Stagiaire postdoctorale au CIRAL,
Trésor de la langue française au Québec
Université
Laval
Article déjà paru :
2003, «L'écologie du français canadien d'après Sylva Clapin (1894
et 1913)», dans Annette Boudreau, Lise Dubois, Jacques Maurais et Grant
McConnell (publié par), Colloque international sur l'Écologie des Langues,
Paris, L'Harmattan, p. 131-154. (C-103)
Résumé
D’après
la conception de Sylva Clapin, auteur du Dictionnaire
canadien-français (1894), le français canadien peut être défini à travers
les rapports qu’il entretient non seulement avec le français de référence, mais
aussi avec le français acadien et l’anglais; par ailleurs, les éléments
constitutifs du français canadien s’expliquent par les sources auxquelles il
s’est abreuvé: le français des XVIIe et XVIIIe siècles,
les parlers des régions de France, les langues amérindiennes et l’anglais.
Clapin a ainsi été le premier à décrire l’écologie du français canadien, tenant
compte à la fois des variétés avec lesquelles il a été en contact et de celles
dont il s’est nourri. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il ait également été le
premier à considérer le français canadien comme une variété complète en soi.
Cette conception devait avoir une incidence directe sur l’évaluation qu’il
ferait des canadianismes lexicaux. Sylva Clapin peut, pour ces raisons, être
considéré comme un représentant important d’une approche globale dans
l’évaluation du français canadien. Mais le paysage linguistique – où semblent
coexister harmonieusement éléments de culture et de civilisation et cohabiter
toute une gamme de variétés et sous-variétés de langue – s ‘assombrira
plus tard. Dans la mouvance de l’entreprise d’épuration linguistique lancée par
la Société du parler français au Canada,
Clapin prendra le relais de Raoul Rinfret (1896) dans le but de participer à
cet effort de standardisation. En 1913, il publiera un lexique correctif
intitulé Ne pas dire mais dire.
Inventaire de nos fautes les plus usuelles contre le bon langage, destiné à
un public de jeunes apprenants, manifestant une volonté d’intervenir sur la
langue. Des indices de nature épilinguistique, tels les commentaires évaluatifs
sur les usages, seront révélateurs du malaise éprouvé par cet auteur devant
l’obligation d’évaluer concrètement le français du Canada.
Introduction
Nous ne savons même pas, à cette
heure, de quelle main nous écrirons lorsque nous serons affublés de l’hémisphère
droit de l’un et du gauche de l’autre! Et quelle conscience aurons-nous? Quelle
mémoire? Les racines nerveuses remplaceront-elles nos racines nationales,
familiales, et sociales?
Jacques Godbout, Les têtes à
Papineau (1981: 28-29)
Dans la thèse de doctorat que nous
avons soutenue à l’Université de Toronto en janvier 2002, nous avons tenté de
dégager les critères d’évaluation des canadianismes chez les auteurs de manuels
correctifs et de répertoires lexicaux publiés de 1841 à 1881 (v. Saint-Yves
2002). Ce faisant, nous avons pris conscience que les opinions des auteurs
étaient fondées essentiellement sur une comparaison entre le français canadien
et d’autres variétés de français, voire d’autres langues. L’étude du Dictionnaire
canadien-français (1894) de Sylva Clapin nous a permis de dégager chez
ce lexicographe un système de relations qui correspond à une véritable écologie
du français canadien[1].
D’après la conception de Clapin, le français
canadien peut être défini à travers les rapports qu’il entretient non seulement
avec le français de référence[2],
mais aussi avec le français acadien et la langue anglaise; par ailleurs, les
éléments constitutifs du français canadien s’expliquent par les sources
auxquelles il s’est abreuvé: le français des XVIIe et XVIIIe
siècles, les parlers des régions de France, les langues amérindiennes et
l’anglais. Ainsi, ce polyvalent de la plume a été le précurseur d’une
description écologique du français canadien, tenant compte à la fois des
variétés avec lesquelles il a été en contact et de celles dont il s’est nourri.
Il ne faut donc pas s’étonner qu’il ait également été le premier à considérer
le français canadien comme une variété complète en soi. Cette conception devait
avoir une incidence directe sur l’évaluation qu’il s’apprêtait à faire des
canadianismes lexicaux. Sylva Clapin peut, pour ces raisons, être considéré
comme un promoteur d’une approche globale dans l’évaluation du français
canadien.
Munie d’une loupe, à l’instar du célèbre personnage
d’Agatha Christie, nous sommes aujourd’hui à la recherche d’indices qui nous
conduiraient sur une piste nouvelle pour explorer le microcosme dans lequel
s’est construite la conception du français canadien chez le prolifique
lexicographe Sylva Clapin (v. un aperçu de sa contribution lexicographique dans
la bibliographie). Le système écolinguistique tel que décrit par Louis-Jean
Calvet (1999) nous fournit un cadre utile pour cette étude qui doit tenir
compte d’allers-retours constants entre le changement et la recherche d’un
équilibre. Le premier volet de la communication permettra de présenter la
dimension écologique externe de la conception du français canadien de Clapin
dans les rapports d’inclusion qu’entretient le français du Canada avec le
français de référence, dans ses rapports de complémentarité avec le français
acadien et dans ses rapports de juxtaposition à la langue anglaise. Par le
biais de la dimension écologique interne, nous ferons par la suite voir les
racines du franco-canadien qu’a mises au jour Clapin: celles du français de
référence, celles des parlers des régions de France, celles des langues
amérindiennes et celles de l’anglais. Puisant dans toutes ces sources, le
français canadien a fini par acquérir une certaine autonomie qui se manifeste
par le développement d’un fonds lexical original qui conserve la marque de ses
origines. Cette analyse permettra de dégager le portrait valorisant du français
canadien que brosse l’auteur à travers l’examen de divers procédés utilisés
dans le métalangage et la définition, dans les exemples à contenu culturel et
les développements encyclopédiques et enfin dans le traitement discret de
l’anglicisme.
Mais le paysage linguistique – où
semblent coexister harmonieusement éléments de culture et de civilisation et
cohabiter toute une gamme de variétés et sous-variétés de langue –
s ‘assombrira plus tard. Dans la mouvance de l’entreprise d’épuration
linguistique lancée par la Société du
parler français au Canada, Clapin, sensible aux perturbations de son
milieu, tentera d’apporter sa propre contribution. Nous verrons, dans le second volet de
la communication, que l’auteur sera forcé de revoir sa représentation du
français canadien après avoir pris conscience des problèmes que posent
l’évaluation des usages par rapport au français de référence et la cohabitation
avec l’anglais. C’est ainsi qu’en
1913, il publiera un lexique correctif intitulé Ne pas dire mais dire. Inventaire de nos fautes les plus usuelles
contre le bon langage, où les accents épilinguistiques seront révélateurs
d’un malaise éprouvé devant l’obligation d’évaluer concrètement le français du
Canada.
1 Conception harmonieuse du français
canadien (Clapin 1894)
En somme, comme on voit, de quoi fournir amplement
matière à un nouveau glossaire, venant s’ajouter à la liste déjà longue de tous
ceux auxquels on a confié, en France, le dépôt des différents dialectes et
patois français. De fait, par le lien de la langue, le Canada n’est-il pas
toujours une province éloignée de la France? Et ce glossaire même, qu’est-ce,
après tout, sinon l’étude particulière d’une phase, traversée présentement par
la langue française en un certain coin d’Amérique? Sylva Clapin, Dictionnaire
canadien-français (1894: VIII)
Plus
de quatre mille mots sont recensés dans le Dictionnaire
canadien-français, accompagnés de nombreuses citations d’auteurs français[3],
mais aussi d’écrivains canadiens comme Louis Fréchette (s. v. arisée) et Joseph-Charles Taché (s. v. (petit) castor), d’historiens tels que
l’abbé Henri-Raymond Casgrain (s. v. barouche)
et Pierre-François-Xavier de Charlevoix[4],
du poète Pamphile Lemay (s. v. étirer)
et de l’auteur du Glossaire
franco-canadien, Oscar Dunn[5].
La présence d’auteurs canadiens est un élément de nouveauté quasiment propre à
Clapin et qu’on ne verra sérieusement exploité, par la suite, que dans le Dictionnaire du français Plus, en 1988 (v. Saint-Yves 2001, sous 2.2: Quebec
specificity). Quant à l’aspect esthétique de l’œuvre, on se rend compte que
le lexicographe a mis un grand soin aussi bien dans la production, la mise en
pages, la conception et la structure des articles que dans le choix et le
nombre des exemples. De plus, pour reprendre les mots de Georges Straka, dans son
avant-propos de la réimpression du Dictionnaire
canadien-français en 1974, Sylva Clapin a le mérite d’avoir incorporé à son
ouvrage un appendice original constituant «un groupement idéologique, sinon de
tous les mots, du moins des substantifs les plus employés».
Il faut noter,
de prime abord, un titre se subdivisant en quatre parties[6],
et dont toute l’originalité réside dans l’absence de termes négatifs, qui donne
les premiers indices d’une réelle orientation d’ouverture. La première partie,
soit le Dictionnaire canadien-français,
est mise en relief par une typographie noire et contrastive; on remarque
cependant que l’auteur utilise le terme dictionnaire
pour décrire un ouvrage auquel il a donné plutôt les caractéristiques d’un glossaire. La seconde partie du titre
comprend le mot composé Lexique-glossaire
et annonce une paraphrase du contenu. Dans
la troisième partie, des mots, expressions
et locutions ne se trouvant pas dans les dictionnaires courants et dont l’usage
appartient surtout aux Canadiens-français, l’auteur explique qu’il a
répertorié l’usage lexical particulier aux Canadiens mais absent des
dictionnaires usuels. La quatrième partie, intitulée avec de nombreuses citations ayant pour but d’établir les rapports
existant avec le vieux français l’ancien et le nouveau patois normand et
saintongeais, l’anglais, et les dialectes des premiers aborigènes, précise
que des citations serviront à démontrer les racines lexicales du patois canadien (s. v. âge, embêter) ou encore du dialecte canadien (s. v. aller, balier, ot). Soulignons ici que
ces deux appellations sont synonymes de façons
de parler au Canada et qu’elles sont valorisées sous la plume de Clapin,
puisqu’elles évoquent l’existence d’un lien de parenté avec la France.
Une préface substantielle où seront exposés les objectifs du
dictionnaire, accompagnés d’un discours élogieux à propos du français
canadien, permet à Clapin d’exprimer son souci de conserver les mots
en usage parmi les Canadiens français, qu’il classera en six catégories: a) les
mots du vieux français, b) les provincialismes, c) les mots français employés
dans une acception canadienne, d) les mots créés au Canada, e) les mots anglais
et amérindiens et f) les mots anglais et amérindiens adaptés[7].
Ce promoteur de la variété canadienne de français qualifiera son ouvrage d’acte
«d’agression» mené contre les puristes de l’époque ayant donné au français du
Canada le nom de «jargon canadien» – «sorte de caricature du français et un
parler tout-à-fait digne de mépris» (1894: VIII). L’auteur s’oppose ainsi à
ceux qui voudraient «faire, du langage des Français d’Amérique, un décalque
aussi exact que possible de la langue de la bonne société moderne en France»
(p. IX). De plus, il remettra en question les nombreuses guerres qui ont été
faites à des mots français sous prétexte qu’ils ne figurent pas dans le Dictionnaire de l’Académie[8].
Le dictionnaire de Clapin sera
généralement bien reçu par la presse canadienne (v. par ex. Revue Canadienne[9],
octobre 1894), mais certaines réserves seront exprimées par les journalistes
Laurent (v. Feuille d’Érable, mai) et
Louis Fréchette (v. La Minerve, 30
juillet). Quant au linguiste américain James Geddes (1902), il affirmera que ce dictionnaire
est le plus sérieux et ambitieux projet lexicographique ayant été réalisé au
Canada français. Il présentera l’auteur comme un être ouvert d’esprit et
nullement puriste en matière de néologie canadienne.
1.1 L’écologie
externe: les rapports avec les autres variétés
Sylva Clapin se représente, sous la forme d’un réseau
cohérent, trois types de rapports qu’entretient le français canadien avec
d’autres variétés de langue. Le premier rapport est inclusif en ce sens que le
français canadien fait partie du français de référence, conception conforme à
celle explicitée par Dunn
qui, en 1880, fit une sortie remarquée en prenant résolument la défense du
peuple dont la langue lui semblait correspondre, pour la plus grande part, au
«français académique», c’est-à-dire celui qui est décrit dans les dictionnaires
parisiens (v. Poirier et Saint-Yves 2002). Le second rapport est celui de complémentarité: la variété acadienne est présentée, par
l’entremise de toute une série d’appellations géolinguistiques, comme une
variété distincte, mais complémentaire, de la variété de langue canadienne. Le troisième est un rapport de
juxtaposition: l’auteur présente certains types d’emprunts à l’anglais sans
aucune marque prescriptive, lorsque le mot anglais n’est pas aveuglément
intégré à la langue, mais plutôt accolé au français canadien et qu’il garde la
mémoire de ses origines. Examinons quelques exemples répertoriés sous chacune
de ces rubriques.
1.1.1 Rapport d’inclusion au français de référence
De tout cela découle le droit strict que nous avons, nous
aussi Canadiens, habitant un pays bien différent de la France, non-seulement de
conserver précieusement les vieux mots qui s’adaptent à notre tempérament, mais
même d’en créer des nouveaux, c’est-à-dire de greffer sur le vieux tronc de la
langue française les jeunes pousses que nous avons en quelque sorte fait surgir
de notre sol. Inutile, pour cela, d’attendre le mot d’ordre de la mère patrie.
Une seule restriction s’impose: c’est que ces néologismes soient autant que
possible dans le génie de la langue française; en d’autres termes qu’ils soient
formés de telle sorte qu’ils auraient pu tout aussi bien avoir été mis en usage
en France. (1894: XI)
La
variété de français du Canada est présentée comme le prolongement de la
langue-mère française[10].
Elle est le résultat de nouvelles conditions de vie: d’une faune, d’une flore,
d’un climat et d’une culture qui se greffent, de façon inclusive, au français
de référence. Cette conception repose sur le principe élaboré par Oscar Dunn
(v. sa Préface, XVIII-XIX, et s. v. chantier) du droit strict à sa propre variété de français, qui ressort comme
l’élément essentiel de la pensée de Clapin. En témoigne la citation claire et
détaillée reproduite ci-dessus, qui occupe une place centrale dans la préface
de l’ouvrage. Viennent en outre à l’appui les affirmations révélées à travers
la terminologie de l’auteur pour désigner la variété de français canadien: français du Canada, franco-canadien, langage des
Français d’Amérique, langue française
en un certain coin d’Amérique, langue
franco-canadienne, tout comme les termes dialecte canadien, notre patois et patois canadien qui évoquent, comme nous l’avons déjà signalé,
l’existence d’un lien de parenté direct avec les patois et dialectes de France,
sans aucune valeur épilinguistique négative. Certaines formulations pour
désigner l’usage canadien, comme bon
français ou encore langue nouvelle
ou même fidèle reflet de la nature
ambiante, sont, en outre, évocatrices de perceptions positives et sereines
du milieu dans lequel évolue la langue. Il ne faut pas oublier l’importance
attribuée par Clapin aux apports
anciens de la langue de référence. C’est souvent dans un langage
poétique qu’il revendiquera la légitimité de cet héritage, et ce, de façon
incitative, auprès de son lectorat[11]:
Vieux mots, vieux souvenirs, envolés dans le calme d’une
belle nuit d’été, combien j’aime ici à vous donner une forme quelque peu
tangible. (1894: XV)
1.1.2 Rapport de complémentarité avec le français
acadien
Clapin distinguera, dans la variété de français canadien,
des sous-variétés reflétant diverses facettes sociales et institutionnelles de
cette langue, telles que: langage des
chasseurs (des coureurs de bois, des
pêcheurs, des trappeurs, des
voyageurs), langage des vieux
Canadiens, langue du peuple ainsi que langue
du droit criminel, langue parlementaire et
langue politique. L’auteur ne
négligera pas non plus de présenter l’autre variété de français parlée au
Canada, soit le français acadien, qu’il identifiera, en 1902, dans A
New Dictionary of Americanisms, par l’abréviation Fr.
A. pour signifier French Acadian (s. v. aboideau), en parlant de
l’origine et de l’étymologie d’américanismes.
On verra,
parsemées dans le Dictionnaire
canadien-français, des remarques sur l’usage acadien envisagé dans un
rapport de complémentarité avec le français canadien, notamment avec les façons
de parler des Canadiens du «bas Saint-Laurent», de «l’Ile-aux-Coudres» ou
encore du «bas de Québec». Le traitement lexicographique des acadianismes et la
terminologie pour en parler comme expression
particulière aux Acadiens, ou
encore mot particulier aux Acadiens,
démontrent ainsi la sensibilité qu’a Clapin pour les variétés et sous-variétés
du français au Canada. Clapin
présente la variété acadienne comme s’harmonisant avec le français canadien en
montrant que les usages acadiens débordent sur le territoire québécois, par
exemple à propos des mots aboiteaux, amouneter, arrimer et
chantonner, comme on le voit dans les extraits suivants:
- s. v. aboiteaux: Sorte de remblai, ou digue, que l’on construit sur les
bords d’un rivage peu élevé, afin de s’opposer aux mouvements des eaux. Cette
expression est particulière aux Acadiens et à la région du bas de Québec. “Le
brave Acadien … me fait remarquer les aboiteaux
qui suivent les sinuosités de Memramcook.” Abbé
Casgrain, Pèlerinage au pays
d’Evangéline, p.20.
- s. v. amouneter: […] Cette expression est particulière aux Acadiens et à
la région du bas de Québec.
- s. v. arrimer: […] Les Acadiens, et ceux d’entre les riverains du bas
Saint. Laurent dont la pêche est l’industrie habituelle, ont des hardiesses
extraordinaires de langage à propos de ce même mot arrimer[12].
Ainsi, par exemple, ils diront: – Arrimer
l’autel, dans le sens de orner
l’autel.
- s. v. chatonner:
[…] Cette expression est particulière à la région du bas Saint-Laurent, et
surtout aux Eboulements, à l’Ile-aux-Coudres. On la rencontre aussi fréquemment
parmi les Acadiens.
Cette prise en compte de la variété acadienne sera par la
suite évoquée, mais de façon beaucoup plus floue, chez Narcisse-Eutrope Dionne
(1909); il faudra attendre le Dictionnaire
du français Plus (Poirier 1988) pour voir présentées, de façon
complémentaire à la
description de la réalité linguistique et culturelle québécoise, des références implicites et explicites à l'Acadie[13]
(v. à ce sujet Saint-Yves
1996).
1.1.3 Rapport de juxtaposition à la langue anglaise
- s. v. cash: Mot anglais qui signifie “argent comptant ,” c.-à-d.
l’argent réel et effectif qu’on reçoit ou qu’on donne au cours d’une
transaction: – Je vous paierai cash.
Il n’y a rien comme le cash, dans les
affaires. Cet anglicisme, d’une diffusion générale parmi les Canadiens
français, se fait pardonner son intrusion par un mérite réel: – il est à la
fois commode, bref et significatif.
La position de Clapin s’inscrit dans
le prolongement des travaux d’Oscar Dunn, qui avait posé le problème de la reconnaissance
nécessaire d'un certain nombre d'anglicismes confirmés dans l'usage. Ainsi on
observe chez l’auteur du Dictionnaire
canadien-français un assouplissement dans le traitement qu’il fait de
l’anglicisme, un comportement plus réaliste en somme. La langue anglaise est présentée dans
le dictionnaire comme cohabitant sur le même territoire que le français du
Canada; son apport n’est pas nécessairement négatif, mais il se doit, selon
l’auteur, d’être clairement identifié. La langue française n’a pas à assimiler
les éléments provenant de l’anglais; on doit plutôt les juxtaposer aux usages
français, de sorte qu’on puisse aisément reconnaître les apports, comme par
exemple les anglicismes formels (lexématiques), sans en perdre de vue
l’origine, comme c’est le cas pour les calques et les anglicismes de sens.
Clapin est ouvert à la reconnaissance des anglicismes qui
traduisent la réalité canadienne dans son fonctionnement, notamment sur les
plans politique (s. v. debater,
gerrymander), juridique (s. v. record,
subpoena) et administratif (s. v. ledger).
En somme, l’acceptation des emprunts à l’anglais, comme celle des emprunts aux
langues amérindiennes, découle d’une vision globale du pays où se côtoient
plusieurs nations qui sont en interaction y compris au plan culturel (s. v. reel). Voici quelques exemples qui
illustrent bien ce point de vue élargi sur la question:
- s. v. bay-window: Mot anglais d’acception
courante pour fenêtre-baie, ou fenêtre en saillie. Le bay-window est aussi l’équivalent du terme technique
″cul-de-lampe,″ désignant plus spécialement une fenêtre soutenue
par un encorbellement formant cul-de-lampe.
- s. v. debater: Mot anglais passé dans la langue politique, pour désigner
celui qui, dans une assemblée délibérante, fait preuve d’une forte
argumentation et d’une logique serrée.
- s. v. ledger:
Mot anglais servant à désigner le Grand-Livre d’une maison de commerce, d’une
banque, etc.
- s. v. record:
de l’ang. record. Dossier, registre,
archives. Demeurer de record :
Rester dans les archives. Mettre de
record : Consigner aux archives.
- s. v. reel: Mot anglais désignant une danse fort animée, à laquelle
peuvent prendre part plusieurs danseurs à la fois, et qui est très en vogue
dans les campagnes.
1.2
L’écologie interne: les racines du franco-canadien
L’image de l’arbre peut servir à
illustrer la conception qu’a Sylva Clapin du français-canadien comme variété en
soi. L’auteur expose en effet toute la complexité d’un système de racines qui
se subdivise en deux catégories: d’une part, les vieilles racines et, d’autre
part, les jeunes racines. Les premières ramifications, les racines profondes,
sont celles du français de référence ainsi que des parlers des régions de
France; les racines traçantes (de surface) sont liées aux langues amérindiennes
et à l’anglais. Ainsi alimenté, le français canadien a donné lui-même naissance
à des usages originaux qui en illustrent la vitalité.
1.2.1 Le français de référence
Clapin dresse une image cohérente de la variété canadienne,
eu égard à ses origines et à ses sources de renouvellement. Le français de
référence est le fondement de cette variété puisque le lexicographe a montré
que l’essentiel des éléments constitutifs du français canadien relèvent de ce
dernier. Toutefois Clapin ne dévoile pas explicitement cette source mais se
contente de mettre en évidence le stock lexical caractéristique; le français de
référence sert de base de comparaison pour établir ce qui est proprement
canadien, dans un appendice regroupant les Substantifs employés
le plus communément au Canada et groupés par catégories (soit une vingtaine, touchant à
l’habitation, à la parenté, à l’immobilier, au vestimentaire, aux lieux, aux
outils, aux jeux, etc.).
Du reste, il n’avait pas à refaire cette démonstration puisqu’il est l’héritier
de Dunn, qui, lui, l’avait exposée en termes clairs. Comme nous l’avons vu plus
haut (sous 1.1), Oscar Dunn estime que le français canadien est identique, pour
l’essentiel, au français de référence, qu’il dénomme le français
académique.
1.2.2 Les parlers des régions de France
Il s’agit dans ce
cas aussi d’un héritage reçu, mais qui ne se renouvelle pas directement puisque
cette source d’apport est tarie depuis la Conquête du Canada par les Anglais.
Il importait donc à cette époque pour Clapin de bien marquer la filiation
directe entre les parlers des régions de France et le français canadien[14]. L’auteur aime à préciser
l’origine dialectale ou régionale d’un particularisme canadien; il définit
cette catégorie de mots dans la partie liminaire (1894: VII): «[l]es
différentes formes particulières à celles des provinces de France, qui ont
fourni autrefois les plus forts contingents de colons pour le Canada». Dunn avait déjà amorcé le travail,
mais l’auteur du Dictionnaire
français-canadien illustrera mieux que son prédécesseur, dans sa préface,
l’harmonie qui se dégage de la mise ensemble des apports du français de France
et du noyau que constitue le français de référence; les deux sources ont
contribué à former la variété canadienne. Selon une conception dominante à l’époque, le Canada est
pour Clapin une province de France (v. à ce sujet Poirier et Saint-Yves 2002),
ce qui justifie justement certains traits langagiers régionaux de la mère
patrie qui se sont conservés dans le langage des Canadiens. Les traits ‘dialectaux’
du français canadien deviennent des atouts plutôt que des tares, bien que
l’auteur reconnaisse qu’il y a un ménage à faire dans le fonds populaire. Cette
conception est celle que véhicule encore le Glossaire
du parler français au Canada en 1930.
Clapin, à la manière
d’un tisserand de catalogne, fera ainsi plusieurs rapprochements avec des usages
anciens, dialectaux, bien illustrés dans les exemples ci-dessous, s’appuyant
sur des dictionnaires du français régional et dialectal, pour mettre en valeur
la riche confection artisanale et multicolore des «formes du franco-canadien»
(p. XVII-XXV) et de la «langue franco-canadienne» (p. XLII). Par ailleurs, ces mots régionaux qui sont arrivés au
Canada connaissent une faveur qui contraste avec leur étiolement en
France:
- s. v. accreire (faire): Faire accroire. Au XVIIe siècle, la
forme normande accreire subsistait
encore, en France, dans la langue parlée.
- s. v. adonner: Convenir, s’adapter, favoriser: – Le vent adonne, c.-à-d. le vent est favorable.
Cette expression est encore fort usitée en Saintonge.
- s. v. affiquiots: […] En Normandie, on dit encore affutiaux, pour "petits ustensiles, outils et meubles
personnels."
- s. v. créyable: Croyable. dér. de creire.
L’ancienne forme dialectale, en France, est creable.
1.2.3 Les langues amérindiennes
Identifier l’origine des mots amérindiens, qui ont
complété les lacunes lexicales du français canadien, est pour Clapin une
préoccupation majeure qui le caractérise. Il utilise, à cet effet, une riche
terminologie répartie en plusieurs catégories. Une première classe, de
type plutôt général, englobe toutes les langues amérindiennes; on y trouve des
termes et des qualificatifs du genre:
ancien mot sauvage, mot d’origine sauvage, mots empruntés aux dialectes des
premiers aborigènes, terme indien, traduction d’une expression sauvage.
Clapin se sert aussi d’appellations plus spécifiques pour qualifier certaines
langues amérindiennes, telles que l’algonquin (du sauvage algonquin, mot d’origine algonquine), le cri (du dialecte cri, du
sauvage cri, mot d’origine Cree), l’iroquois (d’origine iroquoise, mot iroquois), le huron (d’origine huronne, du sauvage huron), le micmac (mot micmac) et le montagnais (mot d’origine montagnaise).
On pourra voir,
dans les exemples donnés ci-dessous, que le qualificatif sauvage n’a pas chez Clapin de valeur épilinguistique[15],
mais plutôt une valeur historique. Par ailleurs, ce mot n’est plus le seul,
nous l’avons vu, à désigner les emprunts aux langues amérindiennes. On commence
donc à avoir des formulations concurrentes ou plus spécifiques que l’expression
mot sauvage; les autres dénominations
font la promotion d’une reconnaissance explicite de l’influence linguistique
des premières nations sur le lexique canadien. La terminologie très élaborée pour
parler des amérindianismes montre clairement l’influence exercée sur Clapin par
les linguistes américains Alexander Chamberlain (1888-1889), Aaron M. Elliott
(1885, 1887, 1889) et celle d’Albert Lacombe, auteur du Dictionnaire de la langue des Cris (v. p. XLII et la liste des
ouvrages consultés p. XLII-XLIV). Nous reproduisons ici certains extraits
illustrant la préoccupation philologique du lexicographe pour la description
précise des origines amérindiennes d’un ensemble de mots qui constitue, à ses yeux,
une partie intégrante du français canadien:
- s. v. chichikois: Instrument de musique en usage chez les sauvages, et
servant à battre la mesure. […] Le vrai mot sauvage de cet instrument étrange
est chichigouane, de chichigoué signifiant serpent à sonnettes,
sans doute par analogie avec le bruit de grelots de la queue de ce reptile.
- s. v. piroque: Mot sauvage francisé, et désignant soit un canot d’écorce,
ou un canot fait d’un tronc d’arbre
creusé.
- s. v. tamarac: Mot algonquin désignant l’arbre plus connu sous le nom
d’épinette rouge. Certains étymologistes rattachent ce mot à l’arme dite tomahawk, laquelle était surtout faite
avec le bois du tamarac.
- s. v. tomahawk: Arme de guerre des sauvages, en forme de casse-tête.
Lacombe fait dériver ce mot du dialecte Cri otomahuk,
assommez-le, ou otâmahwaw, il est
assommé.
- s. v. touladi,
touradi: Mot montagnais désignant une
grosse truite particulière aux lacs du nord de Québec.
Clapin s’évertue donc à illustrer tous les aspects de l’originalité du lexique canadien; les influences amérindiennes dans le domaine de la faune et de la flore méritaient à ce titre d’être mises en évidence. Le souci d’inclusion de ce type d’emprunts est en fait présent depuis la préface jusqu’aux parties annexes[16]. Cette attitude est aux antipodes de celle de Thomas Maguire, auteur du premier Manuel des difficultés les plus communes de la langue française, en 1841, dont la préoccupation consistait à éliminer des écarts par rapport au français de référence, notamment tous les «mots indiens» (s. v. atoca et pémina).
1.2.4 L’anglais
La seconde section comprendra la série des anglicismes,
et nous entendons par là non-seulement les expressions où "une
signification anglaise est donnée à un mot français," tels par exemple que
application pour demande, emphatiquement
pour catégoriquement, mais en outre
tous les mots anglais mêmes tant soit peu francisés, boodleur dérivé de "boodler," poutine de "pudding," etc. (1894: XXVI-XXVII)
C’est avec Sylva Clapin que le sens d’anglicisme se modernise et prend une
autre valeur que celle de terme à proscrire. L’auteur emploiera anglicisme pour regrouper des mots
d’emprunt à l’anglais de trois types: les anglicismes de sens, les anglicismes
adaptés et les calques. Le terme prendra ainsi une valeur technique qui n’est
pas forcément épilinguistique. Cet effort de typologie est encore une fois
révélateur d’une volonté de décrire avec précision les composantes du lexique
canadien et de caractériser le phénomène de l’emprunt dans la variété
canadienne de français. Mais cette approche permet surtout de montrer que ces
emprunts à l’anglais fonctionnent à l’intérieur du lexique canadien. Sur la base formée d’éléments du
français et des parlers régionaux, ou empruntés aux langues amérindiennes et à
l’anglais, s’est développée un fonds proprement canadien.
1.2.5 Les créations canadiennes
Nos puristes sont
sans pitié pour ces archaïsmes, comme pour ces nouveaux venus, et ne veulent
voir là que ramage de populace illettrée. Mais tout cela, pourtant, aide à
constituer cette chose si prisée par les écrivains européens, et qui se nomme,
en littérature, de la "couleur locale," ou bien encore de la
"saveur de terroir." (1894: XI)
Sur le tronc solide de la langue française se greffent,
d’après Clapin, les innovations, les «nouveaux mots créés de toutes pièces au
Canada», c’est-à-dire les canadianismes
proprement dits (p. VII). Dans une partie annexe, bien conçue, le
lexicographe consacrera plus d’une vingtaine de pages à regrouper les plus
importants substantifs canadiens selon un classement onomasiologique, tout en fournissant un
équivalent en français de référence pour chacun des termes. La terminologie employée pour désigner ces
créations laisse entrevoir la légitimité de cette composante du lexique
canadien: acceptions au Canada, expressions
locales, forme ou locution canadienne et nouveau mot. L’auteur se sert en outre
de termes techniques,
tels que canadianisme et
néologisme, qui n’évoquent pas le discours désapprobateur des puristes de
son époque. Enfin, il a recours à des formulations exprimant des connotations
positives, comme dans le cas de couleur
locale, jeunes pousses, termes empreints d’une forte originalité. Voici
deux exemples qui illustrent, l’un, l’autonomie que Clapin attribue à la
variété canadienne, et l’autre, la légitimité reconnue de ses propres
créations:
- s. v. chèferie, chefferie: Néologisme politique servant à désigner
l'ensemble des fonctions, privilèges, devoirs, etc., appartenant au chef
reconnu, c.-à-d. au porte-drapeau d'une des races, provinces, ou factions
politiques du Dominion: – La Chèferie
de la province de Québec.
- s. v. clavigraphe: Néologisme dû à M. Louis
Fréchette, et qui sert à désigner la machine à écrire, d’origine américaine,
dite type-writer.
Par ailleurs, dans
un cahier de type bibliographique intitulé France-Canada: bibliographie canadienne, établi à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en
1900, nous avons trouvé une description du Dictionnaire
canadien-français de Sylva Clapin qui aiguise la curiosité. Notre recherche
permet de supposer que c’est Clapin lui-même qui aurait préparé ce livre de
présentation d’ouvrages canadiens, ou du moins qu’il y aurait collaboré. On
reconnaît aisément, dans l’extrait suivant, la conception positive qu’a le
lexicographe du français canadien:
Partout se créent des expressions, des mots, des
tournures répondant aux besoins
de la conversation. Du moment que les mots créés ou employés sont conformes au
génie de la langue, sont français d’essence, pourquoi les proscrire, nous
refuser un peu d’originalité? Le titre de ce dictionnaire, dictionnaire
canadien-français, indique que nous prétendons avoir un idiome
canadien-français, dont nous n’avons pas honte et qui a sa saveur. ([Sylva Clapin], France-Canada, Bibliographie canadienne, 1900: 60)
1.3 Incidence sur
l’évaluation des canadianismes
Dans
sa pratique lexicographique, l’auteur se servira de divers procédés de
valorisation qui
transparaissent, entre autres, dans la neutralité du métalangage, dans les
définitions, dans le choix des exemples, à travers les développements
encyclopédiques et dans le traitement discret de l’anglicisme.
1.3.1 Le métalangage et la définition
Un style définitoire neutre est employé dans l’ensemble
du dictionnaire pour décrire le lexique canadien, voire même les mots
d’emprunt. La recherche de tous les sens possibles, pour chacun des mots
canadiens, reflète une volonté de poursuivre une démarche véritablement
philologique[17]. Le style
rencontré ressemble souvent à celui d’une défense et illustration du français
canadien. On observera, en outre, que le lexicographe définit un certain nombre
de canadianismes sans faire aucunement référence à ce qui les distingue de
l’usage de France:
- s. v. fléchée (ceinture):
Ceinture de laine autrefois fort portée, surtout en hiver, et qui est ainsi
nommée parce que, dans la trame, de nombreux fils de couleur se dirigent en
tous sens en formes de flèches.
- s. v. gadelle:
Variété de groseille, venant par grappes, et qui se partage en trois espèces:
la rouge, la blanche et la noire. La gadelle rouge se distingue par sa plus
grande acidité, et la blanche par sa saveur sucrée. Enfin, avec la gadelle
noire, aussi appelée cassis, on
fabrique une liqueur fort estimée.
La valorisation de l’usage est perceptible à travers la fierté communiquée
par l’auteur dans son discours sur les canadianismes. Par exemple, le
particularisme est présenté dans la préface comme étant très joli ou pittoresque et
n’évoquant pas de connotation négative: le sémantisme du mot canadien est, dans
certains contextes, moralement ‘supérieur’ à l’acception française car il n’est
pas «désobligeant» (s. v. faraud),
«grossier» (s. v. fichtre) ou encore
«malhonnête» (s. v. filles). Il
arrive aussi à l’auteur de donner à son style une note de lyrisme, de poésie et
de nostalgie pour illustrer les qualités évocatrices, analogiques et
littéraires de la langue du Canada. C’est ici qu’on voit poindre le littéraire
régionaliste qu’est aussi Clapin. L’époque ancienne est vénérée à travers
l’usage qu’on faisait de certains mots[18].
Le contenu canadien de la définition est très varié; on y
rencontre des gentilés et des éléments de toponymie, par exemple des noms de
ville. S’ajoutent à cela des renseignements d’ordre géolinguistique qui sont
des précisions à propos de la région où s’emploient ces termes. Clapin fait ici
figure de dialectologue, soucieux d’attirer l’attention sur les usages
linguistiques des principales villes, Québec et Montréal, sans négliger les
régions:
- s. v. bombe: Se dit, dans la région de Québec, de la bouilloire ordinaire
dont les ménagères se servent pour faire chauffer leur eau. A Montréal, on dit
un canard.
- s. v. travail:
Brancard d’une voiture, c.-à-d. prolonges de bois d’une voiture, et entre
lesquelles on attelle le cheval. Le mot travail
est particulier à la région de Montréal. A Québec et dans les environs, on dit
les menoires.
1.3.2
Les
exemples culturels et les développements encyclopédiques
- s. v. épluchette: Réunion à la veillée de voisins, d’amis, surtout de
jeunes garçons et jeunes filles, pour éplucher la provision de blé-d’Inde d’une
famille. L’heureux “cavalier” qui, le premier, peut présenter un bel épi rouge
à sa belle, est le héros de la soirée. Ces réunions sont aussi, la plupart du
temps, l’occasion de divertissements divers, de danses, se prolongeant fort
avant dans la nuit.
Sylva Clapin, Dictionnaire
canadien-français (1894)
Dans
ce lexique-glossaire, Sylva Clapin ouvre véritablement les portes de sa
bibliothèque de mots canadiens. La lecture des articles est empreinte des
couleurs locales de la culture nord-américaine, de son milieu, d’une faune et
d’une flore particulières. Ce littéraire[19],
cet amusant conteur et farfelu personnage dans le théâtre du quotidien
journalistique apporte la saveur du terroir dans le choix de ses mots, en
passant par des définitions descriptives accompagnées de riches exemples et de
développements encyclopédiques qui font rêver à la chasse-galerie, danser aux épluchettes
et, pour les gourmands, goûter aux tourtières,
beignes, croquignoles et autres sucreries. On ne néglige pas, en outre, de présenter
la diversité culturelle acadienne et amérindienne dans certains développements.
Clapin est un auteur fort intéressant et ses développements multiples
donnent à ce dictionnaire une riche dimension historique et culturelle. Nous
nous limiterons dans l’exemplification de cet aspect, à l’article beluet dont la définition marie
lexicologie et encyclopédie:
- s. v. beluet: Sorte d’airelle à la baie bleu foncé, et qui est très
répandue au Canada, surtout dans la région du Saguenay, où il s’en fait à
chaque saison une cueillette énorme. On dit aussi Bluet.
1.3.3
Traitement discret de l’anglicisme
- s. v. bill: Mot anglais qui désigne tout projet de
loi présenté en Chambre, et, par extension, toute loi quelconque déjà
promulguée. Bill public: – Bill
émanant directement de la Couronne. Bill
privé: – Bill se rapportant à des questions locales ou à des intérêts
particuliers. Le mot bill est aussi
usité, dans les relations usuelles et commerciales ordinaires, dans le sens de
"Facture de marchandises, note ou mémoire de choses fournies, etc.":
– J’viens vous payer votre bill.
Clapin n’a pas voulu attirer l’attention sur les
anglicismes dans son dictionnaire; ce souci de discrétion est perceptible à
travers différentes techniques. Tout d’abord, l’auteur donne une définition
plutôt savante de l’anglicisme, bien différente de celle des puristes; il
explique clairement les emplois et donne des exemples de l’usage, comme pour
les autres mots. Il ne s’empresse pas, non plus, d’identifier l’origine de tous
les mots d’emprunt à l’anglais: affidavit,
amalgamation, change, charger, chèquer, cocktail, cow-boy, cracker,
know-nothinghisme, moonshiner, motto, steak, steamboat, stock, track passent
ainsi incognito pour quiconque
n’étant pas aux aguets. De
plus, le métalangage pour décrire les anglicismes est très neutre, l’approche
étant ici encore essentiellement descriptive (s. v. anxieux, bacon).
Le lexicographe
illustre même par des exemples l’usage d’anglicismes de la langue parlée: «I
s’en est fait donner un black-eye,
j’vous assure» (s. v. black-eye). Finalement, Clapin corrige, tout comme
Oscar Dunn d’ailleurs, ce qui avait été erronément qualifié d’anglicisme. Il en
profite, à cet égard, pour faire des rapprochements avec des emplois du
français contemporain ou ancien, avec le latin, avec des dialectalismes. Il va
même jusqu’à rappeler l’origine française antérieure de certains emplois
que les Canadiens français ont pris à l’anglais:
- s. v.
marchandises sèches: de l’ang. dry
goods. Désignation courante On trouve cette locution dans les Voyages de Champlain, ce qui semblerait
assez indiquer que le mot anglais dry
goods n’est que la traduction d’une vieille expression française.
2 Le choc de la réalité: une écologie
perturbée (Clapin 1913)
Les progrès réalisés, depuis quelques années, afin de
débarrasser notre Parler Français de tous les termes impropres et vicieux, ont
été considérables. Sylva Clapin, Inventaire de nos fautes (1913: 5)
En 1892, Sylva Clapin devient libraire-éditeur à Boston.
Des séjours aux États-Unis et le poste de traducteur qu’il occupera à Ottawa
(1902-1921) lui feront prendre conscience de la menace de l’anglais. Ne pas dire mais dire, Inventaire de nos fautes les plus usuelles
contre le bon langage, publication
de 1913 (rééditée par Clapin en 1918), est un répertoire de fautes né
véritablement de cette double expérience.
2.1 Pourquoi la publication d’un inventaire de
fautes?
Le titre annonce un ouvrage de type correctif dont l'orientation est prescriptive,
mais qui représente un courant de tolérance. Il se dégage de cet inventaire de fautes des
manifestations qui illustrent une nouvelle orientation prise par Clapin, à
savoir une certaine tendance à s'aligner sur l'usage de France, caractérisée,
de façon occasionnelle, par un manque d'à propos ou de réalisme dans certaines
propositions et par le refus, dans certains cas, de reconnaître une forme
quelconque d'identité canadienne. Cependant, il est à noter que, parmi les glossairistes
de l’époque, chez lesquels les préoccupations correctives cèdent en principe la
place à la description des usages, la doctrine n’est pas uniforme non plus. Il
arrive qu’on remarque une certaine instabilité chez un auteur. L’étude
systématique du texte de Dunn (1880) a ainsi permis de constater que le
lexicographe a modifié sa méthode et sa terminologie dans le cours de la
rédaction de son Glossaire
franco-canadien. Clapin ne fait pas exception; en comparant son Inventaire de nos fautes les plus usuelles
contre le bon langage (1913) avec son Dictionnaire
canadien-français (1894), on en arrive à la conclusion qu’il a pu être
influencé par le travail d’épuration entrepris par Raoul Rinfret dans son Dictionnaire de nos fautes contre la langue
française (1896) – son titre de 1913 paraphrase celui de son prédécesseur –
et qu’il n’est pas parvenu à une position cohérente en ce qui a trait à la
norme du français canadien (v. Poirier et Saint-Yves 2002).
2.2 Les principes qui demeurent
En 1913, Clapin déclare n'avoir introduit dans son recueil
de fautes «aucun canadianisme de bon aloi et frappé à la bonne marque», tels
que brunante, portage ou poudrerie, non
plus que les mots du français ancien qui se sont maintenus au Canada dans les
parlers de France, comme par exemple espérer
«attendre» et aveindre «tirer». De
même, il met à l'abri de ses condamnations des expressions comme être flush «être prodigue», être fair «être juste, loyal»,
quoiqu’elles proviennent de l'anglais, parce qu'elles «ne sont pas, à proprement
parler, vicieuses, et celui qui s'en sert ne fait que glisser dans son langage
un mot anglais qu'il sait parfaitement être anglais». Il laisse en outre de
côté un bon nombre de fautes de prononciation, prétextant que «[t]out cela se
rencontre en France aussi bien qu'ici, et n'aurait fait du reste qu'alourdir
inutilement notre lexique» (Préface,
1913 : 6-7). Ces principes d'exclusion reprennent, grosso modo, le message d'ouverture qu'il livrait dans son Dictionnaire canadien-français, une
vingtaine d'années plus tôt.
2.3 Manifestations du déséquilibre et de l’hésitation
perçues dans les critères
Les hésitations, source de confusion dans le lexique
correctif, sont en revanche nombreuses; on arrive à formuler des principes,
mais la cohérence des jugements de détail n'est pas toujours assurée. Il est,
de ce point de vue, fort instructif de comparer le Dictionnaire de 1894 et
l'Inventaire de 1913. L'analyse du second fait voir que Clapin a eu beaucoup de
mal à dégager ce qu'il considérait appartenir au bon usage. Dans la pratique,
il est souvent difficile d'interpréter le sens que Clapin a voulu donner à
certains des articles de son inventaire. On se rend compte, par exemple, que
l'évocation des parlers de France, qui était valorisante dans le Dictionnaire canadien-français, est
faite à propos de mots qu'il suggère de ne pas dire (par ex. achaler, bauche, berdasser, gosser); il semble que ce soit là une
façon d'atténuer la critique, mais la position est loin d’être claire.
Clapin tombe à l'occasion dans le piège
des équivalents de registres différents; il propose de ne pas dire c'est un marabout (s. v. marabout), qui relève de la langue
familière (sans qu'il ne le mentionne), mais plutôt c'est un homme désobligeant, bourru, c'est un homme d'un caractère hargneux,
équivalents qu'on ne trouverait que dans le registre soigné au Québec et qui,
du reste, ne rendent pas bien le sens de marabout.
Selon le même auteur, il ne faudrait pas dire il y a du monde en masse (s. v. masse),
qui est une façon expressive de parler, mais plutôt il y a beaucoup de monde, il y a une foule considérable, qui sont
des façons plus neutres d'exprimer la chose: à ces exemples, on peut ajouter
encore être sans dessein (s. v. dessein), qui relève de la langue
familière, qu'il propose de remplacer par n'avoir
d'aptitude à rien, être sans volonté, n'avoir aucun plan arrêté; faire des magies (s. v. magie), qui est de souche populaire, qui
devrait céder la place à faire de la
prestidigitation; la locution expressive être en démon (s. v. démon),
qui est rejetée au profit de être en
colère, être irrité ou encore fâché.
À propos d'un bon nombre de
canadianismes lexématiques, présentant une forme nouvelle par rapport au
français des dictionnaires, Clapin se contente de demander de ne pas en
confondre l'emploi avec celui d'un mot standard, de sorte que le lecteur ne
sait plus que penser: est-ce que bette
(«n[e] p[as] c[onfondre] avec betterave»), brou
(«n.p.c. avec écume, mousse»), brumasser
(«n.p.c. avec bruiner»), plombeur
(«n.p.c. avec plombier») peuvent s'employer au Canada, compte tenu que leur
sens est précisément celui dont parle Clapin dans sa réserve? Le problème ne se
pose pas quand le mot présente deux sens, l'un en usage en France et l'autre
canadien puisqu'on voit clairement que l'auteur corrige tel emploi du mot (voir
par ex. chaque «n.p.c. avec chacun», prelart «n.p.c. avec toile cirée,
linoléum», tombe «n.p.c. avec bière,
cercueil»).
Clapin remet ainsi en question des principes d’écologie
interne et d’écologie externe qu’il avait clairement exprimés, dans le contexte
peut-être plus favorable qu’a représenté la fin du XIXe siècle au
Canada. Dans son inventaire de fautes, l’infrastructure de la langue est
atteinte jusque dans ce qui constituait naguère ses racines; les principes
prônés dans le dictionnaire s’effilochent. Pour ce qui est du fonds ancestral,
représenté par les parlers des régions de France, on ne comprend plus pourquoi
Clapin indique, dans ses observations sur l’usage qu’il proscrit, le fait qu’on
se serve toujours en Normandie, en Lorraine ou en Saintonge de mots comme approchant, arce, bauche, débriscaillé.
Il en est de même pour les archaïsmes qui avaient pourtant été bien défendus
dans le dictionnaire; on les voit ici dépouillés de leur statut de prestige,
puisqu’ils ne sont plus utilisés en France (voir s. v. abrier, amancher, ber, escarre, escouer, étriver). Au cours de cet
exercice, l’auteur se tourne vers la France où il cherche des repères
normatifs; cependant, il n’arrive pas à construire un système qui se tienne. Il
hésite, se confond et trouble le lecteur par ses contradictions. L’arbre du
français canadien, en harmonie avec son environnement, a commencé à se déparer,
comme si l’automne était déjà là, et comment sera-t-il en hiver? On n’ose
encore l’imaginer!
Conclusion
Un système écolinguistique est donc en constant changement
sous la pression d’une évolution
permanente, fruit des pratiques et des représentations, et cette évolution, qui affecte à la fois la
forme et les fonctions des langues, peut brusquement s’accélérer sous l’effet
d’une révolution: les systèmes se
transmettent et changent en même temps. Il est possible de déceler et de
décrire les facteurs de changement, par une analyse interne (l’autorégulation
du système linguistique) et externe (les modifications dans la niche
écolinguistique), mais toute la difficulté d’une analyse prospective tient à
l’imprévisibilité de ce type de révolutions.
Louis-Jean Calvet, L’écologie des langues du monde (1999:
228)
L’opinion des Canadiens français à
propos de leur langue a constamment oscillé, tel un balancier, entre
l’alignement sur la norme de France et le libéralisme linguistique.
L’opposition des points de vue entre les tenants de ces deux grandes tendances
et les difficultés d’application des critères ont eu pour effet de rendre
quelque peu confuses les propositions de correction que l’on a adressées à la
population au début du XXe siècle, à l’époque où Clapin s’engageait
à son tour dans la campagne de correction[20].
La publication par un même auteur, à
quelque vingt ans d’intervalle, d’un dictionnaire culturel, puis d’un
inventaire de fautes, portant sur la même langue, sur les mêmes mots, ne peut
manquer d’étonner au premier abord. En y réfléchissant un peu plus, on se rend
compte que Clapin a incarné dans sa démarche les deux attitudes apparemment
contradictoires qui ont, d’une certaine façon, équilibré les débats sur la
langue depuis le XIXe siècle au Québec. Les Québécois continuent de
vivre cette dualité, mais de moins en moins difficilement. Ils ressentent beaucoup
mieux maintenant, sans pouvoir encore le démontrer, que leur langue est saine.
Ils ont appris à ne pas trop s’en faire avec les dénonciations intempestives de
leurs façons de parler, à ne pas trop se prendre au sérieux, en somme.
Obnubilée que nous étions par cette
réflexion, alors que nous assistions sur les Plaines d’Abraham (dans le cadre
du festival d’été de Québec) au spectacle du «poète des temps gris», Daniel
Boucher, qui avait été au centre d’une controverse à propos d’une chanson
écrite soi-disant en joual à l’occasion de la fête de la Saint-Jean-Baptiste[21],
nous avons cru comprendre pourquoi les jeunes participants et aussi les moins
jeunes avaient eu tant de plaisir à reprendre inlassablement, à l’invite du
chanteur éblouissant d’authenticité, comme s’ils parlaient d’eux-mêmes, sa
ritournelle à succès: Ma gang de malades[22]…
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VI-306 p.
SAINT-YVES,
Gabrielle, 1996, «La prise en compte de l’Acadie
dans les nouveaux dictionnaires québécois», dans Les Acadiens et leur(s) langue(s): quand le
français est minoritaire, Actes du colloque sous la dir. de Lise Dubois et
Annette Boudreau, Centre de recherche en linguistique appliquée, Université de
Moncton, Éditions d’Acadie, p. 175-188. Article en ligne sur le site de Russon Wooldridge, Université de Toronto.
SAINT-YVES,
Gabrielle, 2001, «Lexicographic revolution in
Quebec», communication faite au congrès de la Modern Language Association Convention, San Diego, décembre 1994. Article en ligne
sur le site de Russon Wooldridge,
Université de Toronto.
SAINT-YVES,
Gabrielle, 2002, La conception du
français canadien et de ses particularismes lexicaux vue à travers la recherche
de critères d’évaluation: Bilan de la réflexion sur la norme du lexique au XIXe
siècle dans la production lexicographique depuis Thomas Maguire (1841) jusqu’à
Joseph Amable Manseau (1881), Thèse de doctorat sous la direction
de Russon Wooldridge, Toronto, Université de Toronto, 493 p.
[1]
C'est grâce au travail et à la gentillesse de notre collègue et ami Russ
Wooldridge que nous avons pu mettre cet article en ligne. Nous aimerions
remercier cordialement Fouzia Benzakour, professeure à l’Université de Rabat,
et Steve Canac-Marquis du Trésor de la langue français au Québec, qui ont lu
cet article et discuté de son contenu avec nous et qui nous ont fait des
suggestions pertinentes.
[2] «Par français de référence, nous entendons la variété française
constituée par l’ensemble des emplois répertoriés dans les grands dictionnaires
du français (Trésor de la langue
française, Le Grand Robert de la
langue française, le Grand Larousse
de la langue française, le Dictionnaire
de l’Académie française) et dans
les dictionnaires usuels (le Lexis, Le Petit Robert, Le Dictionnaire Hachette encyclopédique, le Petit Larousse, etc.); font également partie du corpus du français
de référence les grammaires qui font autorité, par exemple Le bon usage. Cette variété est considérée ici comme un corpus d’emplois, et non pas comme un modèle normatif.» (Claude Poirier, 2001:
150-151).
[3] Voir, par exemple, les citations sous
les vocables – nous utiliserons désormais l’abréviation s. v. – abrier (Montaigne), aculer
(Rabelais), âge (Baïf, Ronsard,
Vauquelin), artifailles (Sand), arupiaux (Rabelais), autant (Corneille), brin (Mme
de Sévigné), chrétien (Sand,
Molière), dessous (Malherbe), devant que (Boileau, Molière, Racine), gestes (Flaubert), ici (De Morenne), incomprenable
(Montaigne), mitan (Sand), (se) tasser (Flaubert).
[4] - s. v. branchu
(canard): «Canard sauvage, remarquable par la magnificence de son plumage,
et ainsi nommé parce que, à l’encontre de ses congénères, il aime surtout à
percher sur les arbres. Le P. Charlevoix a été l’un des premiers à se servir de
cette expression, dans une de ses célèbres Lettres sur la Nouvelle-France.»
(Clapin 1894)
[5] Voici un exemple où Clapin reproduit
de façon intégrale la définition de l’auteur du Glossaire franco-canadien (sous le vocable boulin): «Tronçon d'arbre brut, ou fendu par la moitié dans sa longueur, qui sert
à faire les clôtures de nos champs. (OSCAR DUNN).» Voir aussi sous les vocables
bourdignons/ bouguignons, encaver, machouiller,
mitasse, porte-faix et
traîneau.
[6] Titre complet de l’ouvrage: Dictionnaire canadien-français ou
Lexique-glossaire des mots, expressions et locutions ne se trouvant pas dans
les dictionnaires courants et dont l’usage appartient surtout aux
Canadiens-français, avec de
nombreuses citations ayant pour but d’établir les rapports existant avec le
vieux français, l’ancien et le nouveau patois normand et saintongeais,
l’anglais, et les dialectes des premiers aborigènes.
[7] «1◦ Les termes "vieux
français," tombés en désuétude en France, et conservés au Canada, soit
dans toute leur intégrité, ou avec quelques légères modifications;
2◦ Les différentes formes particulières à celles
des provinces de France, qui ont fourni autrefois les plus forts contingents de
colons pour le Canada. Nommons ici entr’autres la Normandie et la Saintonge.
Ainsi que pour le vieux français, plusieurs de ces formes sont encore intactes,
tandis que beaucoup d’autres ont été plus ou moins remaniées;
3◦ Les mots absolument français, si l’on s’en tient
à leur forme écrite ou parlée, mais ayant au Canada une acception différente du
français moderne. Ces interversions, dont plusieurs sont des plus curieuses,
sont surtout la conséquence directe du contact avec la population anglaise;
4◦ Les canadianismes proprement dits, c’est-à-dire
les nouveaux mots créés de toutes pièces au Canada;
5◦ Les termes anglais et sauvages, écrits et
prononcés tels que dans les langues originelles;
6◦ Les termes anglais et sauvages, plus ou moins
francisés.» (Clapin, 1894: VII-VIII)
[8] Clapin relativise aussi le rôle du Dictionnaire de l’Académie, ce que l’on
perçoit très bien dans l’extrait suivant: «[…] il n’est pas moins évident, d’un
autre côté, que nous serions les perdants à laisser tomber dans l’oubli un
grand nombre de mots, qu’on ne trouve pas, il est vrai, dans le Dictionnaire de
l’Académie, mais qui n’en sont pas moins, pour cela, essentiellement corrects
au point de vue du génie de la langue et de la grammaire.» (Clapin, 1894: IX)
[9] «Il n’existe pas de patois canadien. Il n’en est pas
moins certain que notre langage parlé diffère du français contemporain sur une
multitude de points. Avant que ces particularités ne viennent qu’à disparaître,
grâce aux communications de plus en plus fréquentes entre le Canada et son
ancienne mère-patrie, un de nos compatriotes, érudit et linguiste de haute
marque a voulu les conserver à l’histoire. Il a tenu aussi à revendiquer pour
un grand nombre de termes tombés en désuétude en France, mais qui n’en ont pas
moins leur étymologie et leur valeur réelle, la légitimité d’origine.» (Anonyme, Revue canadienne, octobre 1894: 656)
[10] «On oublie trop, d’ailleurs, en ces sortes de
dissertations, une chose capitale: c’est que le Canada n’est pas la France, et
que, quand bien même celle-ci eût continué à posséder son ancienne colonie, une
foule d’expressions locales auraient quand même surgi parmi nous, servant ainsi
comme de prolongement à la langue-mère venue d’Europe.» (Clapin, 1894: X-XI)
[11] «Seulement, si j’avais une prière à lui adresser, à ce
lecteur, ce serait de ne pas toucher à un seul de nos vieux mots d’autrefois,
mots en usage dans le bon vieux temps.» (Clapin, 1894: XIII)
[12] Cet exemple, où l’auteur aurait dû
employer l’italique pour arrimer, nous permet de signaler que les
passages cités sont reproduits ici intégralement.
[13] Sous le vocable Acadien, ienne, Clapin écrivait déjà: «Qui est né en Acadie; qui est propre à l’Acadie ou à ses
habitants. D’abord circonscrit à la population de l’Acadie proprement dite
(aujourd’hui la Nouvelle-Ecosse), ce terme s’applique maintenant à toute la
race d’origine française, disséminée dans les Provinces Maritimes.» (Clapin
1894)
[14] «Dans la bouche de mon aïeul, les j’allions, les je n’avons
point, etc., et autres modalités normandes, donnaient du relief à ses
phrases les plus ordinaires.» (Clapin, 1894: XV). Voir aussi sous le vocable drette: «Droit. En patois normand de nos
jours, dreit et dreite, dret et drète. Cette forme, essentiellement
normande, subsistait encore, en France, au XVIIe siècle, dans la
langue parlée et dans la langue écrite, concurremment avec droit.»
[15] Voir à ce sujet, l’explication
sémantique et historique que donne le Dictionnaire
historique du français québécois (DHFQ) à propos du vocable sauvage.
[16] Le qualificatif sauvage
est employé par Clapin, dans la préface, pour deux catégories de mots recensés:
les termes sauvages intacts (qui
n’ont subi aucune transformation au niveau de la prononciation et de
l’orthographe) et les termes sauvages
francisés (c’est-à-dire ceux qui ont subi une adaptation). Dans le
classement onomasiologique qu’il présente des mots canadiens, aux pages
XXVI-XL, Clapin donne la première place aux Mots
empruntés aux dialectes des premiers aborigènes. Il recense 85
amérindianismes dont plusieurs ont été ajoutés dans la partie annexe (p.
343-365), par exemple: achigan, agohanna,
almouchiche, atoca, atosset, autmoin, babiche, kini-kinik, machicoté, mackinaw,
malachigan, mascouabina, maskeg, maskinongé, matachias, micouenne, mitasse,
mocassin, mokok, nagane, pétouane…
[17] - s. v. amancher:
«v. a., Coordonner, assujettir,
ajuster, en parlant des diverses parties qui entrent dans la composition, dans
l’arrangement d’une chose quelconque: – V’là des rideaux ben amanchés . Engager, arranger, en parlant
d’une affaire: – L’affaire est mal amanchée,
c.-à-d. mal engagée, mal arrangée. On dit encore: – Nous v’là ben amanchés, dans le sens de Nous voilà
bien avancés, nous voilà dans de jolis draps. Maltraiter, duper, tromper, avoir
le dessus dans une discussion, une querelle: – J’te l’ai amanché, j’t’en parle, c.-à-d. je te l’ai étrillé dans le grand
genre. I s’sont fait amancher,
c.-à-d. ils se sont fait rouler comme des novices. Dans la haute Normandie, amancher est encore usité pour Donner
une volée, une dégelée, etc.» (Clapin 1894)
[18] «Magie évocatrice des syllabes! Quand ces vieux mots
chantent dans ma mémoire, un voile de trente années soudain se déchire, et je
me retrouve enfant, dans toute la turbulence et tout le tumulte de mes premiers
ans, et cela tout aussi complètement que si, comme à un nouveau Faust, un
charme surhumain m’eût donné tout à coup une seconde adolescence. […] Un petit
moment, encore, puis les clous d’or des étoiles, un à un, commencent à briller
dans la breunante. [...] Quelque part au loin un ouaouaron, accroupi dans les
roseaux, lance ses trilles plaintives, et la chanson solitaire de cet humble
batracien semble ponctuer encore davantage le grand silence d’alentour.»
(Clapin, 1894: XIII-XIV)
[19] Nous aimerions sincèrement remercier
un important collaborateur au Dictionnaire
des œuvres littéraires du Québec, Gilles Dorion, qui a fait de nombreuses
recherches littéraires sur Sylva Clapin et qui nous a gentiment prêté un
manuscrit inédit sur cet auteur.
[20] À ce sujet, voir aussi Poirier (1995:
780-781).
[21] «Daniel Boucher se demandait pourquoi
il devait venir défendre son style d'écriture devant les représentants des
médias. Il trouve la controverse disproportionnée. «Mais c'est une bonne
occasion de se poser des questions, a reconnu le chanteur, philosophe. Est-ce
qu'on s'énerve pour rien, est-ce qu'on est capable de prendre du recul sur les
choses?» Voir l’article en ligne, de Charles Poulin intitulé «Daniel Boucher
persiste et signe», du journal La Presse
(23 juin: 2001) à l’adresse: http://www.cyberpresse.ca/archives/.
Voir en outre à ce sujet l’intervention de Claude Poirier dans Le Devoir (29 juin:
2001a).
[22] Rengaine tirée de la chanson de Daniel
Boucher intitulée «La Désise». On peut trouver les paroles de cette chanson
dans l’album intitulé Dix milles matins,
à l’adresse Internet suivante: http://pages.infinit.net/pheroux/boucher5.htm