Isabelle Leroy-Turcan
Université Jean Moulin, Lyon III
Russon Wooldridge
University of Toronto
Première parution in Texte, 15/16 (1994): 307-50.
Le dictionnaire est en soi un métatexte : discours métalinguistique, discours sur la langue. Les premières analyses sémiotiques du texte dictionnairique ont été faites en France dans les années soixante et soixante-dix, se fondant presque toujours sur des corpus contemporains synchroniques, et elles ont été fortement influencées par le structuralisme de l'époque [2]. Selon cette perspective, le dictionnaire moderne tend à être perçu comme un texte homogène dans lequel le lexicographe s'identifie avec l'usage normatif.
Le lexicographe devient [...] le sujet idéal d'un énoncé que la société tout entière produit. [3]
[L]a phrase de base est de la forme : (je dis que) « le dictionnaire affirme que... », où le terme dictionnaire se confond avec lexicographe, Littré, P. Larousse ou les rédacteurs anonymes des dictionnaires. Et ce sujet de l'énoncé de la phrase de base se confond avec la langue, c'est-à-dire avec la loi. [4]
Les autres usages répertoriés dans le dictionnaire seraient tous explicitement signalés : idiolectes exemplificateurs (les auteurs cités) ou usages marqués (régionalismes, archaïsmes, termes techniques, etc.). Un examen attentif des textes et de l'évolution de la lexicographie française révèle que les choses ne sont pas toujours aussi simples.
Un autre principe veut que le texte du dictionnaire soit clos :
[L]e dictionnaire, quelle que soit sa nature, est un discours clos : la nomenclature est donc une suite finie d'entrées. [...] Une autre règle, qui a son incidence sur la nomenclature, assure encore la clôture de l'énoncé lexicographique. Les définitions, les exemples, les encyclopédies et les autres constituants de l'article doivent être rédigés ou composés de mots qui sont, à leur tour, l'objet de définition et qui doivent former de nouvelles entrées. [5]
Cependant, tous les dictionnaires contiennent à l'intérieur de leur microstructure des mots qui manquent à la nomenclature [6]. D'autre part, et c'est ce qui va nous intéresser ici, ils renferment aussi nombre de séquences ouvertes qui demandent à l'utilisateur de les clore par sa propre compétence ; c'est à l'utilisateur de préciser, par exemple, le signifié de l'etc. métalinguistique de définition ou d'exemple.
Depuis le milieu des années 1970 environ, l'étude du dictionnaire s'est faite de plus en plus en langue allemande ou anglaise, faisant intervenir, entre autres, des approches post-structuralistes et déconstructionnistes et posant le texte dictionnairique comme une écriture sélective et incomplète [7]. Quoi qu'il en soit, le dictionnaire continue à être généralement perçu comme un Sprachgesetzbuch [8] (Code linguistique) ; comme le dit M. Glatigny, selon une croyance bien répandue en France « un mot qui n'est pas dans le dictionnaire n'est pas français » [9].
Notre propos ici est de réexaminer certains aspects des analyses antérieures, notamment la question du sujet de l'énoncé lexicographique et celle de la clôture du texte. Notre corpus d'étude, une cinquantaine de dictionnaires généraux et étymologiques français des quatre derniers siècles (voir ci-dessous), nous amènera à parler du lexicographe arbitre et non plus rapporteur de la norme, de discours extra-dictionnairiques et inter-dictionnairiques, de discours indéfinis et de formules d'ouverture textuelle. Les caractérisations que nous établirons vaudront plus pour les genres « dictionnaire général » et « dictionnaire étymologique » dans l'ensemble que pour les ouvrages individuels ; pour des raisons pratiques, nous travaillons sur des échantillonnages et ne pouvons prétendre faire ainsi un portrait exact de chaque dictionnaire du corpus.
Notre examen du texte dictionnairique nous conduira aussi à analyser la pertinence, dans la perspective d'une métalexicographie sémiotique, d'établir les mêmes principes d'analyse pour le dictionnaire général (DG) et le dictionnaire étymologique (DE), ou, en d'autres termes, pour la description synchronique du DG et le traitement diachronique du DG et du DE. Nous sommes conscients de la nature hybride des réalisations du DG et du DE qui rendent difficile une distinction entre l'objectivité de la description (le lexicographe s'efface derrière la norme) et la subjectivité de l'analyse (le lexicographe devient sujet d'énoncé). Nous observons que le lexicographe-locuteur est dans une situation de communication, extensive ou non, avec le lecteur-interlocuteur.
Dans le dictionnaire général, la plupart des informations fournies dans la macrostructure et la microstructure sont données par la synchronie du système ou de la norme par rapport aux usages variants, les emplois historiques relevant de synchronies tout comme les emplois présents. Font partie de ce groupe d'informations les unités du lexique (les vedettes), l'orthographe, la prononciation, la catégorie grammaticale, la marque d'usage, le sens, la syntaxe, l'exemple. En revanche, les informations diachroniques étymologie et datation de premier emploi contiennent une part d'hypothétique et de provisoire. Les informations synchroniques des premiers dictionnaires français ont dans l'ensemble une valeur sûre pour l'histoire de la langue, alors que la très grande majorité des informations diachroniques qu'ils proposent n'intéressent plus que l'histoire de la métalangue (histoire de l'étymologie et histoire de la lexicographie). Une définition proposée selon des règles qui remontent à la Grèce antique par Nicot au XVIe siècle ou Richelet au XVIIe peut être aussi juste et bien formée qu'une définition rédigée par un lexicographe moderne. En revanche, le nombre d'étymologies justes avancées par Nicot sera moindre que celui de Ménage un siècle plus tard et encore bien moindre que dans les inventaires d'Antoine Thomas (DG 1890-1900) ou de Walter von Wartburg (FEW 1922-) : l'étymologie est une science cumulative qui va en raffinant ses méthodes et en intégrant de plus en plus d'unités lexicales sans jamais pouvoir rendre compte de tout. La datation du premier emploi d'une unité lexicale, quant à elle, dépend entièrement de la documentation dont dispose le lexicographe et ne peut jamais être plus qu'une approximation destinée à diminuer avec les corrections successives.
Notre corpus d'étude [10] comprend nécessairement donc non seulement des dictionnaires généraux (DG), mais également des dictionnaires étymologiques (DE) [11]. Dans les dictionnaires français, l'histoire du discours étymologique est à tracer dans Estienne 1549 (DG), Thierry 1564 (DG), Nicot 1606 (DG), Ménage 1694 (DE), Roquefort 1829 (DE), Scheler 1862-88 (DE), Littré 1863-72 (DG), Brachet [1868] (DE), Toubin 1886 (DE), DG 1890-1900 (DG), FEW 1922- (DE), BW 1932-75 (DE), Dz 1938-93 (DE), Picoche 1971 (DE), GLLF 1971-8 (DG), TLF 1971-94 (DG), Guiraud 1982 (DE) et RobHist 1992 (DE).
Il est important de distinguer plusieurs types de discours étymologiques selon le genre de dictionnaire dans lequel ils fonctionnent à commencer par l'opposition fondamentale entre dictionnaire étymologique [12] et dictionnaire de langue. Ainsi, le DG de langue, lorsqu'il ne se limite pas à une synchronie définie (comme c'est le cas du Dictionnaire de l'Académie, du DFC ou du MR, par exemple), ne peut faire l'économie d'un discours étymologique : celui-ci se réduit alors souvent à un paragraphe consacré à l'étymologie, origine du mot (par exemple, DG et Littré), ou à un étymon placé entre parenthèses, accompagné éventuellement de son sens et de la date de première attestation du mot-vedette (par exemple, PR) ; l'étymologie correspond donc uniquement à l'origine du mot, sans inclure les considérations historiques qui pourront être étudiées à part dans la description sémantique (par exemple, PR, Lexis, Robert 1985). Le GLLF pratique l'étymologie origine-histoire, combinant dans une section liminaire l'origine du mot et la datation de première attestation de chacun des sens donnés dans la description sémantique. Le TLF représente un cas particulier, puisque, tout en étant un DG de langue, il consacre en fin d'article tout un paragraphe à l'étymologie, traitant la question comme le ferait un DE s'adressant aux spécialistes [13].
De tout temps, les lexicographes ont exploité les matériaux de leurs devanciers. Le lexique de la langue est le même pour tous, même s'ils choisissent d'en décrire différents aspects ; la restitution des signifiés par la définition peut revêtir des formulations variées, mais elle doit se soumettre à la contrainte de l'emploi de termes génériques et de traits spécifiques en nombre limité ; si le lexicographe X a déjà enregistré l'orthographe, la catégorie grammaticale ou la bonne étymologie, le lexicographe Y n'a qu'à le suivre. Les exemples typiques appartiennent en principe à une classe ouverte ; pourtant leur nature spécifique tend à en faire des exemples « justes » que les lexicographes peuvent considérer comme les meilleurs à répertorier ; on peut alors distinguer deux niveaux d'exemplification, l'un relevant du fonds linguistique commun et fournissant la norme on pourrait parler d'exemples normés , l'autre offrant la possibilité de variations sur la typologie première.
En dehors du fonds lexicographique « commun », traditionnel, « inconscient », la plupart des dictionnaires de référence indiquent au moins leurs sources principales « conscientes ». Par « bibliographie macrostructurelle », nous entendons toute indication bibliographique présentée comme repère essentiel, soit dans les pièces liminaires, soit en annexe ; par « bibliographie microstructurelle », toute autre référence ponctuelle donnée au cours d'un article. Nous ferons une première distinction, pour certains dictionnaires du corpus, entre une bibliographie macrostructurelle méthodologique, en rapport direct avec l'objet du dictionnaire et généralement présentée en exergue des ouvrages, et une bibliographie microstructurelle venant à l'appui de démonstrations détaillées et spécialisées ou permettant une ouverture sur le domaine étudié.
Dans les premiers dictionnaires, cette bibliographie macrostructurelle peut prendre la forme d'une notice liminaire intégrée à la préface mention de la part d'Estienne dans la 2e éd. du Dictionaire francoislatin (1549) des nombreux items dus à Budé, mention de la part de Dupuys, éditeur de la 4e éd. du DFL (1573), des matériaux dus à Nicot ou être insérée dans l'épître dédicatoire. Ainsi Ménage 1650 présente-t-il dans l'Epistre dédicatoire [14] les principaux dictionnaires étymologiques qui lui ont servi dans ses recherches : il ne s'agit pas d'une bibliographie générale explicite, mais plutôt d'une série de références « repoussoir » réunissant tous les devanciers étymologistes malheureux. D'autre part, Ménage est un des premiers lexicographes français à avoir systématiquement précisé dans ses articles de dictionnaire ses références bibliographiques [15] : l'existence de cette microstructure bibliographique permet donc de dégager une bibliographie générale correspondant à une macrostructure implicite. Le Bloch-Wartburg nous offre une variante moderne du cas précédent : dans l'Introduction, le lecteur dispose à la fois de trois listes [16] commentées des « principales sources » (xviii-xx) et, au sein du texte rédigé, de mentions bibliographiques éparses qui complètent implicitement les listes précédentes ; mais on constate, comme dans le cas de Ménage, la présence d'une microstructure bibliographique qu'il appartient au lecteur de reconstruire [17].
Nous sommes conduits, dans un deuxième temps, à différencier la bibliographie macrostructurelle méthodologique, donc énoncée en préambule, de la bibliographie macrostructurelle effective, telle qu'elle est révélée a posteriori par l'analyse des fréquences des références, donc récapitulative. Cette dernière est donnée sous forme de liste ou de bibliographie autonome, plus ou moins longue, détaillée et complète, placée parmi les pièces liminaires ou en appendice. Telle est la pratique de la plupart des dictionnaires de langue et de certains dictionnaires étymologiques [18].
Un modèle particulier nous est offert par le TLF. À l'instar des grandes encyclopédies, le TLF en donnant aux articles importants le statut de monographies [19] en clôt chacun d'une bibliographie particulière à fonction essentiellement récapitulative.
Quelle que soit la pratique spécifique de chaque répertoire, on peut observer dans tout dictionnaire des écarts entre les références implicites ou explicites contenues dans le corps des articles et les listes de références explicites données à part [20].
Si l'on peut admettre sans difficulté qu'une unité lexicale n'appartient qu'à la langue, dans quelle mesure une définition ou un exemple est-il le propre d'un dictionnaire donné ?
La pratique varie. TLF emprunte souvent ses définitions, mais il prend soin d'en citer la source :
(1) C'est du plus loin qu'il me souvienne (Ac. 1835-1935). „Se dit d'une chose dont le souvenir est presque effacé" (Ac. 1835, 1878). (TLF 1971-94 s.v. LOIN) [21]
Bescherelle nomme beaucoup ses sources 306 mentions dans l'échantillonnage « GLQ » [22] mais il omet souvent de le faire aussi :
(2a) Gagner du temps. Le ménager, faire vite quelque chose, ou bien encore, traîner le temps en longueur, éloigner quelque chose. Les criminels et les débiteurs ne cherchent qu'à gagner du temps. || On dit aussi gagner temps. Écrivez par ce courrier pour gagner temps. (Acad.) Il fit naître mille difficultés pour gagner temps. (Id.) (Bescherelle 1858 s.v. GAGNER)
Cette séquence est en fait la combinaison d'un premier emprunt fait au Trévoux (2b) et d'un second fait à l'Académie (2c) :
(2b) GAGNER, se dit en parlant du temps ; pour dire, le ménager, & faire vîte quelque besogne. On le dit aussi pour, Éloigner quelque chose. Les criminels & les débiteurs ne cherchent qu'à gagner du temps. (Trévoux 1743 s.v. GAGNER ; item hérité de Furetière 1690 et encore dans la dernière édition du Trévoux (1771))
(2c) Gagner temps, gagner du temps, Ménager le temps, employer le temps pour avancer ou pour différer. Écrivez par ce courrier pour gagner temps. Il fit mille chicanes pour gagner temps, pour gagner du temps. (Acad 1835 s.v. GAGNER, depuis 1718) [23]
Les items suivants illustrent différents degrés d'emprunt :
(3a) On dit aussi, qu'un homme ira bien loin ; quand il a un beau genie, un beau commencement, pour pousser bien loin sa science, ou sa fortune. (Furetière 1690 et Trévoux 1743 s.v. LOIN)
(3b) Il ira loin, il fera fortune. (Féraud 1787 s.v. LOIN)
(3c) Il s'emploie aussi figurément. [...] Aller loin, signifie quelquefois, Faire fortune, s'élever à de hauts emplois. Ce jeune homme a de l'esprit, il est actif, laborieux, il ira loin, il peut aller loin. On dit de même, Cet emploi peut le mener loin. (Acad 1835-1878 s.v. LOIN) [24]
(3d) Fig. Aller loin. Quelquefois, Faire fortune, s'élever à de hauts emplois. Ce jeune homme a de l'esprit, de l'intelligence ; il est actif, laborieux, il ira loin, il peut aller loin. Dans le même sens, Cet emploi peut le mener loin. (Bescherelle 1858 s.v. LOIN)
(3e) Fig. Aller loin, faire fortune, s'élever à de hauts emplois. Ce garçon-là ira loin, P. L. COUR. Lett. I, 136. || On dit de même : Cet emploi peut le mener loin. Sa valeur doit le mener loin, LAMOTTE, Calendr. des vieill. SC. 10. (Littré 1863-72 s.v. LOIN)
(3f) Ce jeune homme ira , s'élèvera aux premiers rangs. (DG 1900 s.v. LOIN)
(3g) Aller loin (dans une phrase exprimant un futur) se dit des personnes promises à la réussite, à la célébrité. Ce garçon ira loin [...] « ... ce jeune homme ira loin, je vous le prédis. (VIGNY) (Robert 1951-64 et 1985 s.v. LOIN)
(3h) Aller loin (au futur) : réussir. « Ce jeune homme ira loin, je vous le prédis (VIGNY). (PR 1967 s.v. LOIN)
(3i) Aller loin, être promis à la réussite, au succès : Ce garçon a des qualités évidentes d'énergie et de courage, il ira loin. (DFC 1967 et Lexis 1975 s.v. LOIN)
(3j) Aller loin, en parlant d'une personne, atteindre à un rang, à un mérite, à un degré élevé ; parvenir à une haute situation : Cet enfant, grâce à ses aptitudes intellectuelles, ira loin. (GLLF 1971-78 s.v. LOIN)
(3k) Jolie comme elle se présente elle ira loin. [...] (QUENEAU [...]) (TLF 1971-94 s.v. LOIN)
(3l) Loc. Aller loin (au futur), réussir. Elle ira loin, je vous le dis. (MR 1988 s.v. LOIN)
D'un côté, nous observons les emprunts internes faits aux éditions antérieures d'un même dictionnaire ou à d'autres membres d'une même famille dictionnairique : Furetière et Trévoux (3a) ; Académie (3c) ; Robert, Petit Robert et Micro-Robert (3g, 3h, 3l), DFC et Lexis (3i) on conviendra que ceux-ci n'ont pas besoin d'être identifiés. De l'autre, les emprunts externes, pris mot pour mot : Bescherelle (3d) reprend textuellement Académie (3c). D'autres emprunts se situent entre ces deux extrêmes : Littré (3e) trouve chez l'Académie (3c) le syntagme aller loin et une marque de niveau de langue et lui emprunte, sans le dire, deux définitions et une phrase typique illustrant mener loin ; il ajoute pour chacun des deux syntagmes une citation nommée. Étant donné l'aspect futur et le contexte socio-culturel de l'expression aller loin, il n'est pas surprenant de trouver « Ce jeune homme ira loin » chez DG (3f) et Robert (3g, 3h) après Bescherelle et Académie, « Ce garçon ira loin » chez Robert et DFC-Lexis (3i) après Littré, « Cet enfant ira loin » dans GLLF. TLF (3k) modernise un peu avec « Jolie comme elle se présente elle ira loin. » ; Micro-Robert (3l) permet au sujet féminin de se servir de son intelligence et retient, en le modifiant, le performatif des autres dictionnaires Robert.
On dira, en somme, que le syntagme <personne jeune aller (au futur) loin> relève de la langue jeune homme et garçon sont donc imposés par la pragmatique , tandis que le reste n'est que variation dans le discours ; ainsi, seuls les emprunts de définitions et d'exemples externes faits par Bescherelle et Littré auraient demandé à être identifiés.
Dans le discours étymologique, le lexicographe peut trouver normal, lorsqu'une étymologie reste obscure ou offre des difficultés, de citer, avec ou sans commentaire, les solutions proposées par ses devanciers pratique très fréquente chez Ménage 1694 [25].
(4) Budæus in Commentariis, (Estienne 1549 s.v. THALENT) [26]
(5) Apentis vient d'appendix, ce qui a été fort bien remarqué par Nicot. [...] Henri Etienne dans ses Hypomnêses de la Langue Françoise, page 56. dérive appentis d'appendix. (Ménage 1694 s.v. APENTIS)
(6) Ce mot vient de licere, suivant Nicod, comme plaisir, de placere. Cela est vrai, selon M. Huet, quand loisir est pris dans le sens d'être permis ; mais quand il signifie cessation de travail, selon le même Auteur, il vient d'otium, d'où l'on a fait d'abord oisir, puis loisir, en joignant l'article. (Trévoux 1743 s.v. LOISIR) [27]
(7) Bilius dérive ce mot du gr. phrix [...] ; Robert Estienne et Nicot, de phrittô [...] ; le P. Labbe, de frigus ; Du Cange et Ménage, de frigio [...]. (Roquefort 1829 s.v. FRISSON)
(8) D'un lat. vulg. *longitanus (également postulé par les dér. ital. et cat., FEW, loc. cit.), dér. de longe (v. loin), peut-être d'apr. *subitanus (v. soudain), class. subitaneus. (TLF 1971-94 s.v. LOINTAIN)
Dans ce domaine aussi, les emprunts non identifiés comme tels ne sont pourtant pas rares : Estienne (9) puisant dans Sylvius (10), Ménage (11) reprenant une explication qu'il aurait trouvée chez Nicot (12) [28] :
(9) Vne Oye, ou iars, Anser, Ocha : ab , id est, anser abiecto, & articulo composito cum nomine. Quidam o in au vertentes dicunt Aucha. (Estienne 1549 s.v. OYE)
(10) Ocha ab , id est anser, n abiecto, & articulo cum nomine composito. Quidam o in au vertentes, aucha dicunt. (Sylvius 1531, p. 16) [29]
(11) Des Lansquenets, c'est à dire, des fantassins Suisses ou Allemans [...]. Land signifie en Alleman pays, [...] & knec, garçon ou compagnon, valet ou serviteur : si-bien que Landknech signifie proprement vn valet de pays ; mais communément il se prend pour vn pieton ou fantassin. (Ménage 1650 s.v. LANSQUENET)
(12) Il vient de Land qui signifie en Alemand pays, & knecht, garçon ou compagnon, valet & seruiteur, comme qui diroit Compagnon ou valet de pays. L'Alemand l'escrit & prononce Landsknecht [...] Les Landsknechts sont en Alemagne & en Suisse ceux que nous appelons gens de pied, pietons ou fantassins (Nicot 1606 s.v. LANSQUENET)
Les travaux de Thomas et de Wartburg ont incité les dictionnaires généraux à dater les sens et les locutions. La pratique des datations varie beaucoup : GLLF (13c) et TLF (13d) prennent soin de citer la source première le second mentionne également, le cas échéant, ses sources secondaires ; Robert, PR (13b) et Lexis (13e) se contentent généralement d'indiquer une date. Dans l'exemple donné ci-dessous (13), la source première est D'Alembert, la source secondaire est Littré (13a). En règle générale, un dictionnaire retiendra la date donnée par un prédécesseur lorsqu'il n'aura pas trouvé mieux.
(13a) Loin à loin, de loin à loin, de loin en loin, loc. adv. À de grandes distances, à de longs intervalles. [...] Il se dit aussi du temps. [...] Je ne reçois plus de vos nouvelles que de loin en loin, et je trouve cela très-mauvais, D'ALEMB. Lett. à Voltaire, 18 sept. 1762. (Littré 1863-72 s.v. LOIN)
(13b) (1762). Loc. adv. DE LOIN EN LOIN : par intervalles [...] Ils ne se voient plus que de loin en loin : de temps en temps. (PR 1967 s.v. LOIN)
(13c) De loin en loin [...] loc. adv. ([...] sens 2, 1762, d'Alembert [...]) [...] 2. À de longs intervalles de temps plusieurs fois répétés (GLLF 1971-78 s.v. LOIN)
(13d) Dans le temps [...] 1762, 18 sept. de loin en loin (D'ALEMBERT, Lett. à Voltaire ds LITTRÉ). (TLF 1971-94 s.v. LOIN)
(13e) (1762). De loin en loin, à des intervalles très espacés : Ils revenaient nous voir de loin en loin. (Lexis 1975 s.v. LOIN)
Les seules dates données par le PR (13b) et Lexis (13e) dictionnaires restrictifs en un volume constitueraient une information approximative pour l'utilisateur moyennement intéressé par l'histoire de la langue ; en l'occurrence, elles sont ambiguës, voire trompeuses : dans sa liste des « Correspondances des principales datations de mots » placée en annexe [30], le PR indique pour la date de 1762 « Dict. Acad. (4e éd.) ». La 2e édition du Robert, dictionnaire pourtant extensif en neuf volumes, est encore plus ambiguë :
(13f) Loc. adv. (V. 1180 ; luinz à luinz, 1119). DE LOIN EN LOIN ou (vx), DE LOIN À LOIN : par intervalles (Dans l'espace). [...] (1620 ; dans le temps). (Robert 1985 s.v. LOIN)
L'approximation « vers 1180 » vaut-elle pour de loin en loin, de loin à loin ou une variante d'ancien français ? Celle de 1620 correspond-elle à de loin en loin ou à de loin à loin ?
Du côté des dictionnaires étymologiques, une date non référencée à un endroit du texte et non explicitée dans la bibliographie macrostructurelle peut sembler l'être ailleurs ; par exemple la date de 1567 chez BW s.v. BOUSIN et BOURSE :
(14) [...] on a relevé en 1567 bousingken proprement "maison où l'on boit" dans l'argot des voleurs. (BW 1932-75 s.v. BOUSIN)
(15) dans la Description des Pays-Bas de Louis Guichardin, 1567 (BW 1932-75 s.v. BOURSE "lieu")
Dans cet exemple, on (« on a relevé » s.v. BOUSIN) se réfère à celui qui le premier, Bloch, Wartburg ou un prédecesseur, a exploité le texte daté de 1567. Le lecteur peut être tenté d'attribuer cette date au texte de Guichardin mentionné quelques lignes plus haut (s.v. BOURSE). Ce n'est qu'en pensant à contrôler la date dans un autre ouvrage de référence qu'il trouvera la solution : le TLF (s.v. BOUSIN) renvoie à l'Oxford English Dictionary (« bousing-ken [...] attesté dep. 1567 ds NED [31] »), lequel révèle qu'il s'agit d'un texte anglais de Harman : « Bousing ken [...] 1567 HARMAN Caveat 83. A bousing ken, a ale house. ». Dans l'exemple suivant, toujours pris dans BW, la clé de l'identification des dates non référencées est le FEW, grand frère des dernières éditions du BW :
(16) [...] on a aussi en 1394 boue, encore attesté en 1674 (BW 1932-64 s.v. BOUÉE ; 1968-75 donne « [...] 1384 [...] 1671 »)
Le FEW (s.v. *baukn-, XV1, 83a) donne : « boue [...] (Rouen 1384, Rhlitt 5, 299 ; norm. 1671) » ; on consulte ensuite la bibliographie générale du FEW (Beiheft, 1929 et 1950) pour trouver l'explication des deux références.
Il y aurait lieu, dans ce type de cas, de parler de « bibliographie cachée », ou de « bibliographie d'auteur », que le lecteur ne peut découvrir que par une fréquentation assidue de l'ensemble des ouvrages de référence qui traitent le sujet en question [32].
Certains lexicographes Féraud en fait la spécialité de son Dictionaire critique se plaisent à rapporter les critiques d'autrui :
(17) Rem. L'amour de la clarté demande qu'on place le que relatif tout près de son substantif, et l'ôreille est acoutumée à ne rien entendre qui les sépâre. M. l'Ab. d'Olivet blâme ces vers de l'Iphigénie de RACINE :
(18a) L'Académie Françoise a approuvé la critique de cette expression, gagner des combats :
(18b) On ne dit pas pourtant gâgner un combat.
L'Acad. aprouva la critique de Scudéri, qui avait
repris dans le
Cid.
Le Prince pour essai de générosités,
Gâgneroit des combats marchant à mes côtés.
(Féraud 1787 s.v. GAGNER)
(18c) REM. Corneille a dit dans la 1re édition du Cid gagner des combats : Le prince à mes côtés gagnerait des combats, Cid, I, 3. Cela fut critiqué par Scudéry et par l'Académie ; ce qui décida Corneille à changer le vers. Voltaire (qui lui-même a employé cette locution : Le duc de Vendôme commandait en Catalogne, où il gagna un combat et où il prit Barcelone, Louis XIV, 17) remarque qu'il n'y a aucune raison pour ne pas dire gagner des combats comme gagner des batailles. Le fait est que, grammaticalement, rien ne s'y oppose ; seulement l'un est moins usité que l'autre. (Littré 1863-72 s.v. GAGNER)
Alors que Féraud (17) ajoute un commentaire allant simplement dans le même sens que la critique de D'Olivet, Littré (18c) concilie deux points de vue opposés, celui de Scudéry et de l'Académie et celui de Voltaire, en expliquant l'un par l'usage et l'autre par la grammaire. La lecture comparée des dictionnaires permet de compléter les lectures individuelles : Féraud (18b) et Littré (18c) révèlent la source de « la critique » mentionnée par le Trévoux (18a) ; le rapport de dépendance des deux critiques, non précisé par Littré, l'est par le Trévoux et Féraud ; l'acquiescement de Corneille n'est mentionné que par Littré. Chacun des trois dictionnaires donne une version différente du texte du Cid.
Les autres dictionnaires sont, bien entendu, pour le lexicographe des sources privilégiées. Dans les seuls dictionnaires généraux de notre corpus, l'échantillonnage gagner, loin à loisir, que (échantillonnage « GLQ ») contient, parmi les quelque 3500 mentions de sources, des références aux dictionnaires ou lexicographes suivants [33] : Aalma (GLLF), Palsgrave (GLLF [4], TLF [3]), Robert Estienne (GLLF [4], TLF), Nicot (Furetière, Trévoux, Bescherelle), Hulsius (GLLF, TLF), Cotgrave (Littré [5], GLLF), Oudin (GLLF [2], TLF [2]), Widerhold (GLLF), Richelet (Littré [3], GLLF [2]), Du Cange (Littré), Furetière (Robert 1951-64, GLLF [4]), Académie (Trévoux [2], Féraud [5], Bescherelle [11], Dochez [1], Littré [3], DG, Robert 1951-64 [5], GLLF [10], TLF [17], Robert 1985 [3]), Th. Corneille (Féraud [3], Bescherelle [4], Littré), Wailly (Féraud [3]), Trévoux (Bescherelle [2]), Féraud (TLF), Boiste (Bescherelle [10]), Pougens (Bescherelle, Littré [13]), Lacurne (Littré [7]), Laveaux (Bescherelle [3]), Bescherelle (GLLF), Littré (Robert 1951-64, GLLF [4], TLF [2]), Larousse (GLLF [2]), Godefroy (DG, GLLF [3], TLF [4]), Dictionnaire général (GLLF [2]), Huguet (TLF [3]), Wartburg (TLF [8]), Tobler-Lommatsch (TLF [15]), Robert (TLF) [34].
Dans le même échantillonnage, on rencontre aussi la mention d'un certain nombre de grammairiens, arbitres et chroniqueurs de l'usage et linguistes ; entre autres, Vaugelas (Richelet [6], Trévoux [2], Féraud [7], Littré [2], GLLF [2]), Grevisse (TLF [5]), Le Bidois (Robert [11], TLF [2]) [35].
L'intertextualité nommée sérielle n'est pas rare (cf. 18) :
(19) REM. Il vous est loisible de faire... était barbare, suivant Marguerite Buffet, en 1668, Observ. p. 30, et suivant Vaugelas. Sur quoi l'Académie (dans ses Remarques sur Vaugelas, p. 263, dans Pougens) dit : « Loisible n'est pas si vieux que M. de Vaugelas nous le marque, mais il commence à vieillir, et il vaut mieux dire cela n'est pas permis, que cela n'est pas loisible. » (Littré 1863-72 s.v. LOISIBLE)
Les filiations de (19) sont les suivantes : a) Buffet > Littré ; b) Vaugelas > Académie > Pougens > Littré.
Les fonctions des mentions de sources métalinguistiques sont multiples ; les deux tableaux suivants en donnent une synthèse pour les sources dictionnairiques énumérées ci-dessus (Fig. 1) et pour les dictionnaires citants (Fig. 2) [36]
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Légende des colonnes: 1. étymologie 2. première attestation 3. première attestation par un dictionnaire 4. attestation d'un usage ancien 5. attestation (mot-sens ou exemple) 6. définition 7. opinion critique 8. mot enregistré 9. mot non enregistré |
Légende des colonnes: 1. étymologie 2. première attestation 3. première attestation par un dictionnaire 4. attestation d'un usage ancien 5. attestation (mot-sens ou exemple) 6. définition 7. opinion critique 8. mot enregistré 9. mot non enregistré |
Le Dictionnaire de l'Académie française, détenteur attitré de la norme du bon français et représentant officiel d'une synchronie limitée au bon usage, ne cite aucune source, ce qui est logique puisque les auteurs du Dictionnaire sont eux-mêmes en très grande partie des littéraires ou « conseillers littéraires » ; en revanche, il est cité par tous les autres dictionnaires. Il est le seul dont l'imprimatur est assidûment noté, en particulier par DG (cf. « Admis ACAD. 1718. » s.v. GAGNANT) et TLF (cf. « Att. ds. Ac. dep. 1694. » s.v. GAGNER, LOIN, LOINTAIN, LOIR, LOISIBLE, LOISIR, QUE) ; on peut aussi signaler l'absence d'un item : « Cet emploi [...] est condamné par certains puristes et ne figure pas dans ACAD. 8e éd. » (Robert 1951-64 s.v. LOIN). Ses déclarations critiques sont écoutées (Trévoux, Féraud [4], Littré [2]), on lui emprunte des définitions (Trévoux, TLF [2]) et Bescherelle par-delà tous en rapporte maint exemple d'emploi (voir 2.2). Dans l'échantillonnage « GLQ », quelques dictionnaires et lexicographes sont exploités exclusivement, ou presque, par un seul citant : Boiste par Bescherelle, Pougens (13 fois sur 14) et Lacurne par Littré, Wartburg et Tobler-Lommatsch par TLF.
Le sujet implicite ou explicite de l'énoncé dictionnairique est la langue, la norme, le bon usage. Le lexicographe, ayant signé son nom sur la page de titre et s'identifiant avec la norme [37], s'efface derrière l'anonymat du texte. La nature collective de certaines entreprises Trévoux, DG, les dictionnaires du XXe siècle renforce l'anonymat. Le commentaire, ou remarque, est pourtant le lieu de la voix du lexicographe, lequel se sent obligé de sortir du discours canonique pour le nuancer d'une façon ou d'une autre. La remarque n'attend pas la création de la rubrique « Remarque » pour se manifester. Tantôt ouvertement personnelle (le lexicographe se nomme par je), tantôt réellement ou faussement impersonnelle (différentes formules d'un sujet à la troisième personne), elle s'instaure dans le discours lexicographique dès les premières réalisations dictionnairiques.
Ménage, arbitre de la multiplicité des usages concomitants à la Cour, à Paris, dans les provinces, selon les différents niveaux de langue et des étymologies proposées par ses devanciers, est l'auteur d'un texte personnalisé particulièrement complexe pour la variété des fonctions de la première personne : cette complexité est due à la fois au style du dictionnaire ancien et à la polysémie du discours propre à Ménage associant langue et étymologie. Chez lui, l'emploi de la première personne du singulier, je, s'oppose à différentes valeurs de la première personne du pluriel, nous, qui elle-même fonctionne en opposition avec on (cf. ci-dessous) et d'autres indéfinis (cf. 4). L'emploi de je (et de sa variante distributionnelle me) correspond à deux situations : le discours personnalisé du lexicographe face à la documentation [38] orale (20) ou écrite, lue autrefois (21) ou transmise par une tierce personne (22) et le discours de l'incertitude assumée par le lexicographe en situation d'échec étymologique (cf. 3.2).
(20) J'ay appris de Mr le Duc de Montausier [...] (Ménage 1694 s.v. PRÉVEIL)
(21) [...] Ce qui me fait souvenir de ce que j'ai lu autrefois [...] (Ménage 1694 s.v. POULLIÉ)
(22) L'ancienne Coutume [...] qui m'a été communiquée écrite à la main par Mr Nivard [...] (Ménage 1694 s.v. SURCOT)
Les remarques de Nicot, « autheur de ces Commentaires & thresor de la langue Françoise » [39], permettent de dresser une typologie que l'on retrouvera à plusieurs reprises par la suite, dès Ménage. Le lexicographe se nommant peut : a) cautionner une information extralinguistique (23), b) avancer une opinion personnelle (24), c) renvoyer à sa propre autorité intratextuelle (25) ou intertextuelle (26), d) qualifier une information qu'il vient de donner (27), e) se référer à sa propre compétence linguistique (28).
(23) Lesquels sont gardez en la chambre du Thresor à Paris, & les coppies aux garderobbes des Chartres suyuans la Court, dont Ie Iean Nicot autheur de ce liure, depuis mon auenement à la Court iusques à mon Ambassade en Portugal, du regne de Henry deuxiesme, [...] ay eu & exercé la garde (Nicot 1606 s.v. CHARTRE) [40]
(24) Car ie ne trouue nullement bon le reiect qu'Alciat fait de cette deduction du nom de Marquis, au I. liure de ses Parergues, chap. 27. ne l'opinion qu'il a celle part, que Marquis vient de Marca, signifiant cheual, toutes deux dictions Celtiques, ou comme il dit tant au liure de singulari certamine, chap. 32. que sur la loy Censire. ff. de verb. & rer. signific. Germaniques. (Nicot 1606 s.v. MARQUIS) [41]
(25) Et est mot grammatical dont i'ay souuent vsé aux verbes en ce Dictionaire. (Nicot 1606 s.v. NEUTRE)
(26) voyez ce que i'ay noté sur le 21. chap. de la Venerie du Fouillous. (Nicot 1606 s.v. RAMURE) [42]
(27) Il est particularisé és fourreaux d'espée & autres armes de fer offensiues [...] I'ay dit, particularisé, parce que ce mot Gaine, approprié aux couteaux : & estuy, qui est commun à peignes, oultils de Chirurgien, & autres choses, sont especes de fourreau ayants noms à part de leur genre. (Nicot 1606 s.v. FOURREAU) [43]
(28) Or parce que ie n'ay souuenance auoir leu en aucun autheur Grec ledit mot , en signification d'eauë, mais trop bien , pour Ingredior mergo, Subeo. (Nicot 1606 s.v. DUNE)
Féraud, commentateur lui aussi, dans son Dictionaire critique de la langue française, de l'usage et des déclarations métalinguistiques antérieures, introduit une rubrique « Rem. » ; il y met maint énoncé ayant un sujet à la première personne :
(29) Rem. [...] J'estime donc peu exacte la phrâse suivante de Boileau. „Bien loin de convenir qu'il y a du sublime dans ces paroles, vous prétendez, etc. Je pense qu'il falait dire ; qu'il y ait, etc. parce qu'on dirait avec la négative ; vous ne convenez pas qu'il y ait du sublime dans ces paroles, mais vous prétendez au contraire, etc. (Féraud 1787 s.v. LOIN)
Bien que la rubrique « Rem. » continue à trouver la faveur des lexicographes (cf. Littré, Robert, GLLF et TLF), le discours scientifique objectif, répandu au cours du XIXe siècle, impose peu à peu l'utilisation de formules impersonnelles. Cela n'exclut pourtant pas l'emploi occasionnel d'une marque personnelle rappelant la pratique des lexicographes anciens omniprésents dans leur discours scientifique (comme Nicot et Ménage) :
(30) Mon frère [...] me communique une note d'une édition de [...] (Toubin 1886 s.v. QUARTIER) [44]
(31) In einer im jahre 1930 in Leipzig abgehaltenen seminarübung, in der der aufsatz von Gilliéron über traire zur besprechung kam, vertrat ich zum ersten mal im kreise meiner studenten die auffassung, fr. tirer sei aus afr. martirier "martyriser", martirer entstanden. (FEW s.v. MARTYRIUM, VI1, 419a) [45]
Alors que Scheler, au XIXe siècle, fait une utilisation conjointe des premières personnes du singulier (je) (32) et du pluriel (nous) (33), les lexicographes modernes ont tendance à s'effacer en tant qu'individus derrière des formules impersonnelles telles que on (voir ci- dessous). Le nous de majesté (33) (34) constitue ce qu'on pourrait appeler un « faux effacement ».
(32) Le BL. lotus [...] m'avait fait penser que [...]. On aurait écrit lods pour los, me disais-je, pour satisfaire à l'étymologie de ceux qui, comme Nicot, faisaient intervenir le BL. laudemia. Depuis j'ai changé d'avis ; lods ou los est bien le correspondant du BL. laudes [...]. (Scheler 1862 s.v. LODS) [46]
(33) il nous semble être formé d'assourdir (Scheler 1862-73 s.v. ABASOURDIR) [47]
(34) Notre propos systématique (et souvent abusif mais conscient) d'un système gallo-latin, nous suggère un dérivé du latin litus « rivage, bord » [...] (Guiraud 1982 s.v. LISIÈRE)
Déjà polysémique dans la langue ordinaire, le pronom on est peut-être le pronom « personnel » le plus polyvalent du discours lexicographique. Le sujet on joue différents rôles : a) conformément au modèle de base, il signifie l'usage normé c'est, par excellence, la fonction du on dit de l'Acad (35) [48] et de l'expression comme quand on dit, utilisée notamment par Nicot et Ménage pour une exemplification mise en situation de discours (36) ; b) il désigne un usage variant (37) [49] ; c) signifiant, en apparence, l'observateur (on relève X dès Y), il revient en fait à la présentation d'une première attestation (X se dit depuis Y) (38) ; d) il se réfère à un usage (39) ou à une opinion (40) jugés incorrects, ou à une opinion sur laquelle le lexicographe ne se prononce pas (41) ; e) il permet au lexicographe de se rendre solidaire d'une opinion collective (42) ou d'englober, grâce à l'indéfini, un ensemble d'auteurs, éventuellement exemplifiés, dont il rapporte l'opinion (43) ; f) il peut être une formule rhétorique permettant au lexicographe de cautionner un avis personnel en le présentant comme une opinion collective (virtuelle) (44) ; g) la valeur de collectif de protection de on et de sa variante distributionnelle nous est exploitée par un lexicographe comme Bescherelle, compilateur et emprunteur notoire (45, 46) [50] ; h) on peut être une variante stylistique de je (on notera que = j'ajoute que / ajoutons que) (47) [51].
(35) On dit, Gagner chemin, gagner pays, pour dire, Avancer, faire du chemin. [...] On dit, Gagner le devant, gagner les devants, pour dire, Faire diligence pour arriver plustost qu'un autre, pour devancer un autre. [...] On dit prov. Gagner au pied. gagner la guerite, la colline, le haut, les champs, pour dire, S'enfuir. [...] On dit fig. Gagner le dessus, pour dire, Prendre l'avantage, avoir l'avantage, surmonter. (Acad 1694 s.v. GAGNER) [52]
(36) Comme quand on dit terres abbonnées, Roucins de seruice abbonnez à tel prix. (Ménage 1650 s.v. ABBONNER = 1694 s.v. ABONNER) [53]
(37) On a conservé l'l naturel, dans le bourg. quelongne, champ. coloigne. (Scheler 1862-88 s.v. QUENOUILLE) [54]
(38) dès 1060, on relève au loin (RobHist 1992 s.v. LOIN)
(39) REM. [...] « À Rome, il n'y avait pas que les esclaves qui fissent le métier de gladiateurs. Construction barbare, bien que fort usitée aujourd'hui. [...] En effet, en ajoutant simplement le mot pas à la tournure il n'y a que, on croit ajouter une seconde négation à la première, ce qui serait nécessaire pour que l'une des tournures signifiât le contraire de l'autre ; mais, en réalité, on n'y ajoute rien du tout, si ce n'est le mot pas, mot purement explétif [...] » (Propos de Deschanel rapporté par Littré 1863-72 s.v. QUE)
(40) On a proposé, pour expliquer ce mot [...] puis une transformation de loxangle, mot hypothétique que l'on expliquait par [...]. Ces conjectures sont loin de la vérité. Nous pensons [...] (Scheler 1862-73 s.v. LOSANGE) [55]
(41) La signification « santé » vient, dit-on, de [...] (Scheler 1862-88 s.v. TOAST)
(42) L'espagnol dit ganar, de deux syllabes ; mais ce ganar est le bas-latin ganare, acquérir, dont on ignore l'origine. (Littré 1863-72 s.v. GAGNER)
(43) On deriue d'ordinaire l'un & l'autre de apricus. Pasquier [...] Couarruuias [...] Mr de Saumaise [...] Nicod [...] & Pierre Pithou (Ménage 1650 s.v. ABRI) [56]
(44) Mde. de Sév. a fait elle-même cette faute, qu'on peut qualifier de faûte grossière. (Féraud 1787 s.v. QUE) [57]
(45) On sent combien il serait désagréable de dire : Qu'il dit qu'il avait faites de moi ; que saint Matthieu dit qu'il avait fait ; les gens qu'on dit qu'ils sont. (Bescherelle 1858 s.v. QUE) [58]
(46) Le vers suivant de Racine, Mon cœur se met sans peine à la place du vôtre, nous révèle l'analyse de la phrase de Molière, et nous dit assez qu'elle est un abrégé de : Si j'étais (en la même place) que (la personne) de vous. (Bescherelle 1858 s.v. QUE)
(47) On notera que dans la plupart de ces emplois, que pouvait s'employer seul en ancien et moyen français (RobHist 1992 s.v. QUE) [59]
Certains des exemples donnés ci-dessus (notamment Scheler s.v. LOSANGE, TOAST) illustrent l'utilisation fréquente de la première personne dans les cas d'incertitude vis-à-vis d'une étymologie.
Si le lexicographe maîtrise ses données synchroniques, il y a maints cas où l'étymologie d'un mot lui est incertaine ou inconnue [60]. L'indétermination de l'étymologie proposée peut être signalée de différentes façons. Dans les premiers dictionnaires, la marque la plus employée est le verbe semble modalisant une copule introduisant l'origine probable du mot sujet d'énoncé :
(48) Semble qu'il uienne de Auicula, ou Apicula. (Estienne 1549 s.v. AVEILLE) [61]
Les formules d'incertitude ou de probabilité sont très variées ; par exemple :
(49) Ie ne scay pas bien d'où vient ce mot. (Ménage 1650 s.v. HAINE, MUSER) [62]
(50) L'origine de ce mot ne m'est pas connue. (Ménage 1694 s.v. PINGRE) [63]
(51) De mon côté, je ne say point non plus l'origine du mot panicault ; qui, selon Mathiole, Bauhin, Robert Etienne, Nicot, Morel, Monet, & Pomey est l'eryngium, ou le centum capita des Simplistes. (Ménage 1694 s.v. PANICAULT) [64]
(52) D'autres encore ont prétendu que ce mot est Gothique, et qu'on dit ganar en cette langue, comme en Espagnol, et dans le même sens. Il y a beaucoup d'apparence que les Goths ont porté ce verbe en Espagne, et que de-là dans la suite il a passé en France. (Trévoux 1743 s.v. GAGNER)
Les incertitudes de « l'ancienne étymologie », fondée sur la ressemblance ou les différences apparentes des mots, ne sont pas les mêmes que celles de « l'étymologie moderne », fondée, elle, sur l'observation des faits à l'aide de la phonétique, de l'histoire du mot et de la comparaison [65]. Certains lexicographes ne craignent pas de faire part de leurs hésitations :
(53) Telle était ma première manière de voir, mais je dois l'abandonner [...]. Ma nouvelle interprétation concorde avec celle de Littré, dont l'article a paru depuis que ces lignes ont été écrites. (Scheler 1873 s.v. TIRE-LIRE) [66]
Dans un siècle marqué par la découverte des parentés des langues indo-européennes, Toubin, fortement (voire excessivement) influencé par les écrits d'Émile Burnouf [67], hasarde mainte hypothèse introduite par les formules sous toutes réserves ou à mon avis :
(54) Mentionnons (sous toutes réserves) le sansc. ûh, rassembler, rammasser, avec prosthèse de g. (Toubin 1886 s.v. GAIN)
(55) A mon avis, peut-être de qué représentant le sansc. ôka, maison ; gr. ; lat. mendicare (Toubin 1886 s.v. QUÉMANDER) [68]
Les dictionnaires modernes ont pourtant l'habitude d'exprimer l'indétermination autrement ; la difficulté du lexicographe serait généralement partagée par la communauté scientifique :
(56) L'espagnol dit ganar [...] mais ce ganar est le bas-latin ganare, acquérir, dont on ignore l'origine. (Littré 1863-72 s.v. GAGNER)
(57) Du lat. vulg. *glis, gliris, class. glis, gliris "loir". [...] L'aphérèse de g- initial est difficile à expliquer[.] (TLF 1971-94 s.v. LOIR)
Parfois le lexicographe énonce une hypothèse personnelle sans recourir à une forme marquée (je ou nous), mais en choisissant des formules impersonnelles et modalisées (il est possible, il est vraisemblable, X peut se rattacher à Y), des tournures passives ou un système hypothétique au conditionnel présent [69]. Par exemple :
(58) Il est certain que [...] il est certain aussi que [...] malheureusement, les annalistes ne nous disent pas ce que signifie [...] s'il signifiait [...] ce qui est vraisemblable, bourreau serait beaucoup plus ancien que ne l'indiquent nos textes, et la dérivation n'en pourrait pas être cherchée dans un nom propre ; au contraire, le nom propre en dériverait [...] (Littré s.v. BOURREAU) [70]
Dans un tel contexte, l'indéfini on (cf. 3.1) permet d'exprimer, paradoxalement à l'aide d'une forme personnelle non marquée, le je du locuteur-lexicographe ; ainsi, dans un contexte fortement marqué par un conditionnel passé :
(59) Hérité du gaulois, le mot roman n'aurait guère pu perdre son s- initial dans toute la Romania. On est donc amené à supposer un très ancien emprunt du germanique dû peut-être à [...] (BW 1950-75 s.v. LATTE) [71]
Lorsque le lexicographe emploie la marque personnelle nous, cela renforce en contraste la valeur indéfinie du pronom on, et confère aux formes impersonnelles un rôle complexe : elles permettent à l'auteur (aux auteurs) non seulement de s'opposer aux autres lexicographes (« On prétend »), mais aussi de proposer une hypothèse sans apparaître directement (« Il n'est pas impossible que »). Ainsi, s.v. BOURSE au sens de "lieu public" :
(60) [...] on prétend que [...] Mais il y a d'autre part la locution moneta in bursa currens [...] Cette locution est attestée [...] Il n'est pas impossible que cette expression ait eu sa part dans la genèse du mot bourse au sens qui nous occupe ici. (BW 1960-75 s.v. BOURSE "lieu")
Dans la perspective de cette concurrence nous/on, la présence dans le texte de Guiraud de formules à la première personne telles que :
(61) Notre propos systématique (et souvent abusif mais conscient) [...] nous suggère un dérivé du latin litus "rivage, bord" [...] (Guiraud 1982 s.v. LISIÈRE)
nous conduit à apprécier l'emploi de formes non marquées, qu'il s'agisse de tournures tout à fait impersonnelles comme « Bref, il n'est pas absurde d'imaginer un gallo-roman *litium "bordure" [...] » (ibid.), qui renvoient bien, dans ce genre de contexte, à la personne du lexicographe, père de l'hypothèse proposée, ou qu'il s'agisse encore de la forme on susceptible de fonctionner parallèlement au nous de majesté [72] :
(62) [...] nous avons suggéré qu'il s'agit de deux formes différentes [...]. Dans ces conditions on peut se demander si [...] (Guiraud 1982 s.v. LISSER)
Ces deux exemples montrent la tendance de l'auteur à préférer les formes sans marque personnelle quand il propose une hypothèse : ce n'est d'ailleurs qu'une pure clause de style, puisque son ouvrage, tout à fait original, présente une nouvelle méthode de reconstruction étymologique, structurale, trans-historique et morpho-sémantique, fondée sur la convergence des relations phono-morphologiques des structures signifiantes et des relations sémiques des structures signifiées [73], le tout s'inscrivant dans la tradition des archétypes étymologiques.
(63) Étymologie difficile. On a indiqué [...] mais le sens ne convient pas. Raynouard le rattache à cour, sans indiquer comment s'est faite la dérivation. Diez le tire de cholera [...] par l'intermédiaire d'une forme coleruccio ; mais, s'il en est ainsi, comment se fait-il qu'en aucune des formes ne paraisse l'l étymologique ? On devrait trouver ce mot écrit quelquefois colrouz. [...] À l'appui de son dire, Diez cite l'ancien français [...] mais là aussi d'une part, on regrette de ne pas trouver [...] et d'autre part, on a, dans le provençal [...]. En étudiant de près les formes du mot, on en trouve deux [...]. Que corruptus ait pu donner [...], c'est ce que prouvent les exemples suivants [...]. Corrot paraît entraîner courroux et le rattacher à corruptus par l'intermédiaire d'une forme corruptium. On conçoit sans peine que [...]; d'ailleurs le fait est certain pour le français corrot [...].
Alors que le premier on (« on a indiqué ») est d'emblée exemplifié par les deux noms propres (« Raynouard », « Diez »), le deuxième emploi de on, juste après le discours critique du lexicographe s'exprimant à l'interrogative (« mais », « comment »), renvoie à la communauté lexicographique (« On devrait trouver ») ; avec le verbe regretter dénué de neutralité, on (« on regrette ») équivaut à un je, celui de Littré introduisant par cette formule sa propre démonstration (« on a », « on en trouve ») ; l'utilisation du gérondif (« en étudiant ») suivi de la reprise de on implique encore davantage notre interprétation d'un je caché, puisque c'est bien Littré lui-même qui argumente ; avec le dernier emploi de on (« On conçoit sans peine »), nous percevons l'habileté rhétorique de l'auteur, qui associe tout lecteur à son discours pour le convaincre : « sans peine » est encore renforcé par « le fait est certain » [74].
Si l'étymologie aveille < apicula (cf. ci-dessus, citation 48) s'est confirmée par la suite, la rigueur introduite par la grammaire comparée et l'application des lois de la phonétique historique a pu infirmer un certain nombre de propositions présentées auparavant comme des certitudes. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, quelques changements et transpositions de lettres permettent à Ménage de faire venir le verbe tirer du latin trahere par l'intermédiaire d'un latin populaire *tirare :
(64) De tirare, Latin barbare, inusité, fait de trahere. Trahere, par metaplasme trahire ; & puis par métathése, triare ; & par autre métathése, tirare : mot qui est encore aujourd'huy en usage parmy les Italiens. (Ménage 1694) [76]
Averti des progrès de la grammaire comparée débutante, Roquefort maintient cependant, en 1829, l'étymologie tirer < trahere, sans indiquer d'autre étape intermédiaire que celle suggérée par le fait qu'il classe tirer sous la vedette traire [77]. Trente ans après, Bescherelle 1858 et Dochez 1860 font toujours venir tirer de trahere [78].
La deuxième moitié du XIXe siècle cependant préfère pour ce mot des solutions germaniques. Scheler introduit dans la lexicographie française l'étymologie (< got. tairan) proposée par Diez, dont il est le continuateur [79], laquelle continuera à être reprise ou rejetée jusqu'aux dernières années du XXe siècle :
(65) it. tirare, esp. port. prov. tirar, du goth. tairan, vha. zeran, néerl. têren, angl. tear, scindere, rumpere, lacerare, delere. Cette étymologie, généralement admise parmi les étymologistes sérieux (Ménage, et d'après lui Bescherelle, Dochez, etc., ont imaginé de faire venir tirer du L. trahere !), est-elle bien la véritable ? Il faut le croire, puisqu'il ne se produit rien de mieux. (Scheler 1862-88)
Bien qu'au fait des travaux de Diez et de Scheler [80], Brachet [1868] donne une information schématique : « mot d'origine germanique (néerlandais têren, tirailler). » Littré donne plus de détails, tirés en bonne partie de Diez-Scheler :
(66) Berry, tirer, teter ; tirer sur, se diriger vers ; provenç. espagn. et portug. tirar ; ital. tirare ; du germanique : goth. tairan ; anc. haut-all. zeran ; néerland. téren ; angl. tear, déchirer, rompre ; sanscr. dar ; grec, . (Littré, t. 4, 1872) [81]
Le doute introduit par Scheler est exprimé en termes plus prononcés par le Dictionnaire général, qui rejette l'hypothèse tirer < tairan, tout en se gardant d'en proposer une autre :
(67) Origine incertaine ; la phonétique empêche de rattacher tirer au german. tairan (néerl. teren, angl. tear, etc.), déchirer, qui ne peut rendre compte de la présence de l'i. (DG, t. 2, 1900) [82]
En 1928, Gamillscheg retient pour tirer (s.v. TIR) l'étymon immédiat de Ménage < *tirare , mais voit dans ce dernier le croisement apparent d'un germ. *teran avec lat. grare. Dauzat 1938-61 retient une partie de l'explication de Gamillscheg : tirer < *tirare < teran, « avec une altération obscure e > i. »
Wartburg enregistre, en 1950, une autre hypothèse, dont tous les dictionnaires postérieurs se sentiront obligés de tenir compte :
(68) Probabl. réduction de l'a. fr. martirier "martyriser", aussi "torturer (en général)". (BW, 2e éd., 1950 ; plus toutes les éds postérieures, 1960-75) [83]
La première édition du Robert (t. 6, 1964) accepte sans condition l'étymologie tirer < martirier (« réduction de l'anc. franç. martirier, "torturer" ») ; Dauzat 1964-1971 la reproduit en gardant l'expression de probabilité.
Picoche 1971-1992 retient cinq hypothèses, dont celle de Wartburg est la troisième et dont la plus satisfaisante serait un emprunt ancien au germanique par croisement de germ. *tran "arracher" et de lat. gyrare "tourner" (cf. Gamillscheg).
Le GLLF ne mentionne explicitement que l'étymologie de Wartburg mais reste très sceptique (à l'instar de Gamillscheg 1969 qui la qualifie d'impossible) :
(69) origine obscure [l'étym. du mot a donné lieu à de nombreuses et laborieuses hypothèses, dont la plus communément admise, qui rattache le mot à l'anc. v. martirier, "martyriser" [...] est trop invraisemblable et se heurte à trop de difficultés d'ordre chronologique pour mériter d'être exposée en détail] (GLLF, t. 7, 1978)
Guiraud 1982 marque la première application dictionnairique d'une approche qui, tout en retenant l'acquis des méthodes dites « comparatiste », « historique » et « naturelle », soumet les cas restés sans solution à une analyse structurale [84]. En ce qui concerne l'étymologie de tirer, il rejette l'hypothèse de Wartburg :
(70) Particulièrement invraisemblable à tous les points de vue : morphologique, sémantique, historique [...]
et affirme que tirer dérive de tire "rangée", qui vient « sans doute d'un germ. *têr » (quatrième hypothèse chez Picoche). La deuxième édition du Robert (1985) se range à l'avis de Guiraud. RobHist 1992 consacre à la discussion de l'étymologie de tirer « l'un des cas les plus obscurs de l'étymologie » un long paragraphe dans lequel il commente les arguments et hypothèses de Diez, Corominas (lat. tyrannus) et Wartburg, pour conclure qu'une origine germanique *teri (cf. Picoche et Guiraud) n'est pas exclue. Le TLF (t. 16, 1994) se contente de qualifier l'origine du mot de « très discutée » (avec renvoi au FEW) et de rapporter la proposition de Wartburg.
Jusque-là, le lexicographe s'adresse directement au lecteur, même si la complexité du sujet lui rend la tâche difficile (cf. le renoncement du GLLF) et si certaines formulations contiennent une part d'implicite (la proposition tirer < tairan/tran chez DG et Dz 1938) ou demanderaient même une démonstration (l'affirmation de Guiraud). La dernière édition du Dauzat laisse le lecteur perplexe en se réfugiant dans une intertextualité non explicitée (il s'agit d'une allusion à Wartburg) et donc énigmatique :
(71) orig. obscure (il est peu probable que le mot soit issu de l'anc. fr. martirier, martyriser). (Dz 1993)
Le lecteur peut facilement imaginer des centaines d'origines « peu probables » pour le mot tirer ! [85]
En résumé, les méthodes scientifiques, tout en permettant de résoudre bien des cas auparavant problématiques, mettent en évidence des difficultés jusque-là insoupçonnées. Confrontés à ce genre d'incertitudes, les dictionnaires adoptent différentes attitudes : dans le cas de tirer, certains choisissent de ne pas se prononcer (DG, GLLF, TLF), d'autres prennent le parti d'avancer une hypothèse (Dauzat, Wartburg, Picoche, Guiraud, Robert 1985, RobHist) ; il est même possible de sembler n'y voir aucun problème (Robert 1964), comme il est également possible de rédiger un texte dysfonctionnel (Dauzat 1993).
Si, selon les principes énoncés au départ, le dictionnaire s'occupe essentiellement de ce qui se dit conformément à la norme, il évoque à tout moment l'ouverture du système ainsi que la variation du côté du disant comme de celui du dit. Un autre type d'ouverture concerne l'indéfinition des sources.
La lexicographie française du XVIe siècle s'engagea dans l'effort mené par littéraires et érudits de donner ses titres de noblesse à la langue vernaculaire. L'humaniste Estienne, ami de Budé, et l'érudit Nicot, familier de la Pléiade, participèrent à l'étude des origines du lexique français. L'étymologie balbutiante n'avait pas encore de bases suffisantes pour dominer les prises de position idéologiques qui voulaient voir dans le français le descendant direct d'une langue ancienne prestigieuse, qui l'hébreu, qui le grec, qui le latin [86]. Aussi n'est-il pas rare de lire dans les dictionnaires d'Estienne et de Nicot des discussions concernant les différentes origines possibles ou déjà proposées pour tel ou tel mot [87]. À l'égard des propositions d'autrui, le lexicographe prend souvent ses distances soit pour rester neutre (72), soit pour donner son avis (73-75) par l'emploi d'un pronom sujet indéfini. Dans le Thresor de la langue françoyse, qui cumule les observations d'Estienne, de son continuateur Thierry et de Nicot [88], l'indéfini canonique est aucuns, parfois complété de autres [89].
(72) Aucuns estiment que Tost vienne de Statim, per metathesim. Les autres sont d'aduis qu'il faut dire To, & qu'il vient de Cito, en ostant la premiere syllabe. (Nicot 1606 s.v. TOST)
(73a) Aucuns veulent tirer ce mot de vocable Grec prins au genre feminin, qui lors vaut autant que Palus, Pedamen (car estant masculin il signifie vn fossé) & dient qu'il le faudroit escrire & prononcer Escharas, ainsi que fait le Picard, qui dit Escaras. Mais ils ne prennent garde à ce que pour la plus part les mots transportez d'vne langue en autre sont desbiffez, & que c'est sottise de les vouloir reformer au preiudice du commun usage. (Nicot 1606 s.v. ESCHALAS)
(74a) Aucuns estiment qu'encores en ceste signification Ferme vienne du Latin, par ce disent-ils que lesdits fermiers afferment aux maistres & seigneurs des choses prinses à ferme, leur payer l'argent ou moison accordée, par chacun an, Se redemptionis conuentionem quotannis dominis dissoluturos esse affirmant, quòd illi ratum ac firmum putant. Et cuydent que de la vient qu'on dit Affermer, pour prendre ou bailler à ferme, mais ils se trompent en cela (Nicot 1606 s.v. FERME)
Dans certains cas, il est clair que Nicot connaissait l'identité des « aucuns » ; remaniant le Dictionaire françois-latin d'Estienne, il y avait lu :
(73b) Semble plus raisonnable de dire Escharas, à Græca dictione . Est autem Charax, palus cui vitis alligatur. Picardi proferunt Escaras. (Estienne 1549-1573 s.v. ESCHALAS)
Dans d'autres, l'indéfini était déjà dans le texte hérité :
(74b) Quoniam ij inter quos eiusmodi contractus intercedit, se certam vim pecuniæ quotannis dominis dissoluturos esse affirmant quod illi ratum & firmum putant, ex eo Affermer, & ferme, & fermier dicta esse nonnulli existimant. (Thierry 1564 s.v. FERME) [90]
Ménage est lui aussi tributaire de ce genre d'héritages et on observe chez lui de nombreux parallèles avec Nicot. Il emploie le même type de formules indéfinies : il y en a qui, quelques-uns, la plupart, plusieurs, certains soit sans identification aucune :
(75) Quelques-uns dériuent ce mot de celuy de calones [...] (Ménage 1650 s.v. GALOCHES) [91]
(76) Quelques-uns ont crû que ces Heretiques auoient esté ainsi nommez de la ville d'Albi [...]. Mais en cela ils se sont trompez. (Ménage 1650 s.v. ALBIGEOIS) [92]
soit avec identification ultérieure :
(77) Quelques Autheurs Latins [...] ce qui à fait croire à quelques-uns que guisnes a esté fait de Guyenne (Ménage 1650 s.v. GUISNES)
les « quelques-uns » de 1650 sont identifiés en 1694 :
(78) [...] Il y a diverses opinions touchant l'étymologie de ce mot. [...] Monet [...] Covarruvias [...] Morel (Ménage 1694 s.v. GUIGNES) [93]
Dans le discours étymologique, la formule X... d'autres... s'emploie à toutes les époques pour distinguer une hypothèse valorisée (signée) d'une autre moins prisée (pluralité anonyme) :
(79) Gébelin dér. ce mot de lacerare ; d'autres prétendent que loque a été dit pour floccus. (Roquefort 1829 s.v. LOQUE)
(80) Cette façon de parler peut avoir été prise, selon de Brieux, de ce que [...]. Selon d'autres la locution vient de ce que [...]. (Scheler 1862-88 s.v. GALBANUM)
Lorsqu'il s'agit de commentateurs de l'usage, les indéfinis tendent à être nominalisés : critique (81), grammairiens (82), puristes (83). Les indéfinis non sujets d'énoncé sont plus indirects : c'est le cas, par exemple, de considéré (84).
(81) au lieu du point d'exclamation, un Critique propose d'en mettre un d'interrogation (Féraud 1787 s.v. QUE) [94]
(82) Quand que précède un verbe à la troisième personne du subjonctif, les grammairiens supposent que le verbe est à l'impératif s'il n'est pas précédé d'une autre proposition. (Bescherelle 1858 s.v. QUE) [95]
(83) Au lointain est condamné par certains puristes. (Robert 1951-64 s.v. LOINTAIN) [96]
(84) [Reprend car ; considéré comme incorrect] (TLF 1971-94 s.v. QUE) [97]
Le plus souvent, les grammairiens, puristes, critiques et considérants ne sont pas nommés. Dans quelques cas (peut/pourrait être considéré), le lexicographe assume lui-même le commentaire [98]. En revanche, il faut noter la tendance à la distanciation vis-à-vis des certains (82 note, 83 et note). Nous ne sommes pas loin des indéfinis de distanciation du discours étymologique (voir ci-dessus).
Les mêmes indéfinis pronominaux et adjectivaux servent à qualifier les usages variants :
(85) (Quelques-uns escrivent encore LOING.) (Acad 1694-1718 s.v. LOIN) [99]
(86) Vaug. remarque que plusieurs répètent mal-à-propôs la conjonction que dans la même phrâse et pour le même objet. (Féraud 1787 s.v. QUE) [100]
(87) Dans plusieurs Provinces, et même dans la Capitale, on met toujours le présent, quel que soit le tems du verbe qui précède. (Féraud 1787 s.v. QUE) [101]
Dans les cas cités ci-dessus (85-87), aucune précision, géographique ou autre, n'est donnée. Dans les exemples suivants, le lexicographe fournit une précision au moins partielle de l'indéfini : les quelques-uns de Féraud comprennent le père Rapin (88) ; ceux de Littré parleraient comme des Normands (89) ; le TLF nomme certains de ses dialectes (90).
(88) dans ce tour de phrâse, on retranche pas. Quelques-uns l'expriment mal à propôs. „On ne doit pas même se servir des desseins, ni des pensées des aûtres que quand on peut les transformer en son esprit, pour se les faire (rendre) propres. Le Père Rapin. (Féraud 1787 s.v. QUE)
(89) (l'n ne se lie pas ; la nuit est loin encore ; cependant quelques-uns disent loin-n'encore ; au XVIIe siècle, Dangeau, Gramm. p. 10, dit que c'était une prononciation normande) (Littré 1863-72 s.v. LOIN)
(90) dans certains dial., notamment en agn., lorr., fr.-comtois et champ. de l'est (TLF 1971-94 s.v. QUE) [102]
Souvent la marque de variation se réduit à la simple copule ou (91), plus précision éventuelle (92) :
(91) Trouuer aucun à loisir ou de loisir, Nancisci aliquem otiosum. (Nicot 1606 s.v. LOISIR)
(92) Gâgner le devant ou les devans : le Ier est meilleur au propre, et le 2d au fig. (Féraud 1787 s.v. GAGNER) [103]
L'usage des « écrivants » auteurs, écrivains, poètes est souvent noté, sans identification (93-94) ou avec précision partielle (95-96) :
(93) Les Auteurs appellent aussi un honneste loisir, une pension ou une subsistance qui les tire de la necessité, qui leur laisse tout leur temps pour s'appliquer à l'estude. (Furetière 1690 et Trévoux 1743 s.v. LOISIR) [104]
(94) tour suranné, dont les bons Écrivains ne se servent plus. (Féraud 1787 s.v. LOIN)
(95) Cependant les auteurs ont presque généralement supprimé que. [...] (Mme du Châtelet.) [...] (Boss.) [...] (Fléch.) [...] (Id.) [...] (Id.) [...] (Mass.) (Bescherelle 1858 s.v. QUE)
(96) CAR... ET QUE..., tour classique, repris aujourd'hui par quelques écrivains et critiqué par certains grammairiens (tels que GEORGIN, Pour un meilleur français, p. 151, qui cite LA VARENDE, VIALAR, E. JALOUX...). (Robert 1951-64 s.v. QUE) [105]
Les exemples sont par excellence un lieu d'ouverture sur le discours ; ils constituent toujours des listes ouvertes. Les premiers dictionnaires surtout explicitent souvent la nature partielle du champ de l'exemple en l'introduisant par une copule : comme chez Nicot [11 fois dans l'échantillonnage « GLQ »] (97) et Académie [15] (98) ; exemple chez Richelet [5] (99) et Bescherelle [4] (100) [106].
(97) C'est proprement, faire gaing [...] Ainsi dit on, il gaigne en marchandise, Il gaigne au ieu, Il gaigne bons gaiges, & improprement, attraire & captiuer à soy, comme, Il a gagné le cœur du peuple, [...] Et obtenir & vaincre, comme ie l'ay gaigné à courir, [...] Et profiter & aduancer, comme Tu ne gaignes rien à me rompre la teste, [...] Gaigner aussi, c'est se garantir & sauuer par fuite, comme il gaigne au pied, ou le hault, ou les champs, [...] Gaigner aussi est prins pour encourir, encheoir, comme, En guerroyant il a gaigné la maladie, [...] Gaigner c'est faire diligence, comme gagnez le temps, gaignez chemin, [...] Gaigner est aussi consuyure [...] Comme il a tant cheminé qu'il a gaigné le logis (Nicot 1606 s.v. GAIGNER)
(98) Quelquefois estant employé aprés le pronom demonstratif ce, il se met au nominatif ou cas direct, comme dans ces phrases, Pour servir ce que de raison, de tout ce que dessus (Acad 1694 s.v. QUE)
(99) Ce mot devant l'infinitif se met quelquefois au lieu de ces mots rien à, Exemple. [Quand on n'a que faire, on se divertit. (Richelet 1680 s.v. QUE)
(100) On en trouve de nombreux exemples dans Corneille et dans Molière, ce qui nous atteste que les poètes en usaient encore à cette époque, quand ils en avaient besoin. En voici quelques exemples. Qu'il fasse autant pour soi comme je fais pour lui. (Corn.) Peut-être que tu ments aussi bien comme lui. (Id.) Je vous recommande celui-là tant comme je puis. (Nicot.) (Bescherelle 1858 s.v. QUE)
La partie libre de l'exemple de construction est souvent remplacée : par etc. chez Nicot (101), par des points de suspension dans les dictionnaires ultérieurs (102-104) [107] :
(101) Que tu ne die, &c. Vt non dicas, &c. (Nicot 1606 s.v. QUE) [108]
(102) Je n'ai que faire de vous dire... Il n'est pas nécessaire de vous dire... (Acad 1835 s.v. QUE) [109]
(103) Aller plus loin, oser dépasser ce qui est dit : J'irai même plus loin et je dirai que... (DFC 1967 s.v. LOIN)
(104) gagner x... francs à la loterie. (TLF 1971-94 s.v. GAGNER)
Une pratique courante de la lexicographie actuelle, fondée sur le principe de la synonymie contextuelle, consiste à donner après un exemple d'emploi les mots qui peuvent se substituer au mot-vedette dans l'exemple pour exprimer le même sens. En théorie, si, sous le mot A, A peut être remplacé par B dans un contexte X, on pourrait s'attendre à ce que, dans l'article consacré à B, A soit donné comme synonyme dans le même contexte ou un contexte similaire X. Dans la pratique, la variation infinie des valeurs du sémantisme du discours (facteur linguistique), l'économie de l'exemplification dictionnairique (facteur pragmatique) et les aléas de la discontinuité de la rédaction (facteur stochastique) sont causes de non-réciprocité, voire de contradictions, des séries de synonymes. Pour prendre le cas de Lexis, dans lequel les « synonymes [...] sont éventuellement accompagnés [...] de notation d'intensité : une flèche [...] dirigée vers le bas () [indique un synonyme] à valeur [expressive] plus faible » [110], la situation suivante n'est pas rare :
(105) Il a eu l'effronterie de nier l'évidence (syn. audace, impudence) (Lexis 1975 s.v. EFFRONTERIE)
(106) Elle eut l'audace de venir me voir déguisée dans mon auberge (Mérimée) [syn. impertinence, insolence] (Lexis 1975 s.v. AUDACE)
(107) L'hypocrisie ne saurait être poussée plus loin, ni le mensonge avec plus d'impudence (Gide) [syn. [...] effronterie) (Lexis 1975 s.v. IMPUDENCE)
On peut remarquer : a) que si avoir l'effronterie de faire qch renvoie à audace et à impudence (105), avoir l'audace de faire qch ne renvoie pas à effronterie (106) ; b) que avoir l'impudence de faire qch n'est pas donné s.v. IMPUDENCE (107) ; c) qu'alors que impudence aurait la même intensité que effronterie dans avoir l'effronterie/impudence de faire qch (105), il aurait une intensité plus forte dans faire qch avec impudence/effronterie (107).
On a l'habitude de classer les unités lexicales en classes ouvertes (noms, adjectifs lexicaux, verbes, adverbes lexicaux) et classes fermées (déterminants, pronoms, auxiliaires, adverbes grammaticaux, prépositions, conjonctions). Alors qu'on pourrait s'attendre à ce que le dictionnaire, quand il les évoque, indique l'ouverture des premières et ferme les secondes, dans la pratique les deux sortes de classes sont souvent laissées ouvertes ; la tâche éventuelle de les clore est alors rejetée sur l'utilisateur. Les dictionnaires se servent de diverses formules pour indiquer le caractère inachevé d'une liste : points de suspension, etc. (108 et passim), tels que (109), comme (110), quelques autres (111), divers (110 note), certains (110 note, 112), plusieurs (110), la plupart (112), beaucoup (113), un grand nombre (110 note, 112), toutes sortes de (114), nombreux (115), une multitude (116), une infinité (110, 113).
(108) se met pour lequel, auquel, lesquels, lesquelles, &c. (Richelet 1680 s.v. QUE) [111]
(109) QUE, introduisant le second terme d'une comparaison et servant de corrélatif à des adverbes ou à des adjectifs tels que autant, plus, plutôt, moins, mieux, autre, même, etc. (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE)
(110) Que, se joint aussi avec plusieurs noms, prépositions, conjonctions & adverbes aprés lesquels il se met comme dans ces mots, Afin, avant, aprés, bien, dés, depuis, encore, hors, loin, plus, puis, sans, & une infinité d'autres de mesme nature, qui se peuvent voir à leur ordre. (Acad 1694-1798 s.v. QUE) [112]
(111) En ce sens il ne s'employe guere sans la negative, que dans ces phrases, Que tardez-vous ? que differez-vous ? & quelques autres semblables. (Acad 1694-1878 s.v. QUE ; repris anonymement par Bescherelle 1858).
(112) Que s'emploie souvent dans un grand nombre de locutions, avec ellipse de certaines prépositions et de certains adverbes auxquels on a coutume de le joindre [...] Nous allons indiquer la plupart de ces expressions. (Bescherelle 1858 s.v. QUE) [113]
(113) QUE, est aussi une particule indeclinable qui se joint à beaucoup de mots. Parce que, dautant que, veu que, pource que, de ce que, combien que, attendu que, ensorte que, quoy que, tellement que, si bien que, pendant que, si faut-il que, entant que, pour peu que, afin que, plustost que de faire cela. [...] & une infinité d'autres semblables. (Furetière 1690 et Trévoux 1743 s.v. QUE)
(114) Que [...] a figuré de très-bonne heure sous ces deux rôles, entrant dans toutes sortes de locutions elliptiques [...]. (Dochez 1860 s.v. QUE) [114]
(115) QUE, entrant comme second élément dans la composition de conjonctions (lorsque, puisque, quoique) ou servant à former de nombreuses locutions conjonctives : à cause que (vx), à ce que, à condition que, afin que, ainsi que, alors que, à mesure que, à moins que, après que, à présent que, à proportion que, à supposer que, attendu que, au cas que, [...] etc. (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE)
(116) [...] donnant lieu à une multitude de locutions notant la concomitance alors que, lorsque, tandis que, pendant que, etc., le point de départ d'un procès principal (depuis que), son point final (jusque), l'antériorité (avant que, devant que) ou la postériorité (après que). (RobHist 1992 s.v. QUE)
S'agissant de phrases (111), on nous dit qu'elles sont en fait limitées en nombre par l'usage ; s'agissant de mots grammaticaux ou de locutions adverbiales, prépositives et conjonctives (passim), la plupart des dictionnaires n'en donnent pas la liste complète. La pratique des listes ouvertes devient complètement inopérante lorsque le dictionnaire renvoie l'utilisateur à l'ordre alphabétique pour y chercher des mots non précisés (110 et note) ! Pour les locutions formées avec que, les listes formellement fermées sont peu nombreuses :
(117) Formant avec un antécédent une locution conjonctive. C'est alors que. Depuis que. Avant, après que. Tandis que. Bien que. Suivant que. Pourvu que. Pour, afin que. Parce que. De peur que. Plus, moins, autant que. Meilleur, pire, tel, autre que. De même que. De sorte que. (DG 1890-1900 s.v. QUE) [115]
Il en va de même des mots lexicaux cooccurrents du mot-vedette, dont les dictionnaires offrent souvent un échantillon :
(118) On dit encore, Porter loin, pousser loin sa haine, son ressentiment, pour dire, Donner de grandes marques de haine, de ressentiment. Vous poussez trop loin vostre ressentiment, vostre animosité, vostre critique &c. (Acad 1694-1798 s.v. LOIN) [116]
(119) Par exemple, les verbes qui expriment le désir, la volonté, le comandement, la prière, le doute, l'ignorance, la crainte, l'étonement, etc. régissent le verbe qui est aprês que, au subjonctif. [...] Les verbes qui expriment la croyance, l'assurance, la persuasion, l'aveu, etc. régissent le verbe, qui suit que à l'indicatif, dans la phrâse afirmative, et le subjonctif dans la phrâse négative ou interrogative. (Féraud 1787 s.v. QUE) [117]
(120) Gagner quelqu'un, gagner la sympathie, l'affection, les bonnes grâces, etc., de quelqu'un, se rendre cette personne favorable, se concilier sa sympathie, etc. (Lexis 1975 s.v. GAGNER) [118]
Il est aussi des cas d'indétermination à l'intérieur de la microstructure, où le lexicographe renvoie à une partie non précisée du même article :
(121) Presque toutes ces phrases sont des gallicismes ; c. à d. des constructions propres de la Langue Française, contraires aux règles comunes de la Gramaire, mais autorisées par l'usage. (Féraud 1787 s.v. QUE) [119]
La fréquence linguistique n'est mesurable qu'en discours et, à moins de fonder ses affirmations sur un corpus clos, le dictionnaire ne l'indique que de façon relative et approximative. Dans l'échantillonnage « GLQ », les marques de fréquence sont quelquefois (chez Nicot, Richelet, Furetière, Académie, Trévoux, Féraud, Bescherelle, Littré), parfois (Robert, GLLF, Lexis, RobHist), rare (Robert, GLLF, TLF, Lexis), rarement (Académie, Trévoux, Bescherelle), souvent (Académie, Trévoux, Féraud, Bescherelle, Dochez, Littré, Robert, DFC, GLLF, TLF, Lexis), fréquent (Robert, GLLF, RobHist), fréquemment (Richelet, Littré), courant (Robert), la plupart des cas (Robert), presque toujours (Robert), plutôt (Richelet, Académie, Dochez, Robert). Par exemple :
(122) Ce mot est quelquefois une conjonction, & se met au lieu de la conjonctive bien loin ; mais en ce sens il n'est en usage qu'en vers. (Richelet 1680 s.v. LOIN) [120]
(123) D'aussi loin que, de si loin que [...] Depuis une aussi grande durée que (avec le subjonctif et parfois avec l'indicatif) (GLLF 1971-78 s.v. LOIN)
(124) Rare. Ne savoir que faire de son loisir. Avoir besoin d'un long loisir, d'un peu de loisir. [...] Cour. Heures, moments de loisir. Avoir des loisirs, beaucoup de loisirs. (PR 1967 s.v. LOISIR)
(125) En ce sens il s'emploie rarement sans la négative (Acad 1740-1935 s.v. QUE)
(126) QUE, est aussi fort souvent interrogatif. (Trévoux 1743 s.v. QUE)
(127) Dans certains de ces emplois, que a remplacé de, fréquent en ancien français, mais qui ne se rencontre plus aujourd'hui que dans quelques tours exceptionnels (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE)
(128) Ce mot signifie éloigné, mais on ne s'en sert pas fort fréquemment dans l'usage ordinaire. On dit plutôt éloigné que lointain. (Richelet 1680 s.v. LOINTAIN)
(129) Aussi qu'est-ce qui est-il d'un usage très courant, et obligatoire dans la plupart des cas. (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE)
(130) (En fonction d'attribut). [...] Le sujet du verbe étant un nom, et dans ce cas presque toujours en inversion. (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE)
L'usager est inégalement servi par les indéfinis de fréquence : alors que Richelet précise les conditions d'emploi de son quelquefois (122), le parfois du GLLF (123) reste inexpliqué, tout comme le obligatoire dans la plupart des cas et le presque toujours du Robert (129, 130).
Notre dernier exemple illustre plusieurs des procédés étudiés dans cet article :
(131) Voyez s'il vient point de Arcessere, qui aucunefois signifie Accuser, & intenter proces contre aucun. Aucuns le deriuent de , id est, cauillari & escriuent Herceler. (Thierry 1564 s.v. HARCELER)
a) « Voyez s'il vient point de » : incertitude de la part du lexicographe au sujet de l'étymologie (cf. 3.2) ; b) « aucunefois signifie » : fréquence indéfinie (cette section) ; c) « Aucuns le deriuent de [...] & escriuent » : formule de distanciation vis-à-vis d'une source métalinguistique non nommée (cf. 4.1).
Au terme de cet examen sélectif du discours lexicographique et du texte dictionnairique, nous constatons le paradoxe des exigences liées à la méthodologie moderne et de cette matière vivante qu'est la langue dont le dictionnaire est l'écho, qu'il soit dictionnaire de langue ou dictionnaire étymologique. Si le dictionnaire de langue continue à être pensé et perçu souvent encore comme étant clos, dans la pratique il est ouvert de tous les côtés. En synchronie, sont causes d'ouverture l'arbitraire de la norme et la distinction floue entre langue finie et discours infini ; le rôle de l'exemple "échantillon" n'est-il pas justement de pratiquer une « aperture », une voie d'accès à la variation discursive ? En diachronie, l'autorité du dictionnaire de langue et du dictionnaire étymologique est conditionnée par la nature approximative de presque toute datation, le caractère hypothétique de mainte étymologie, les constats d'ignorance de l'origine d'un mot.
Le dictionnaire a toujours été un lieu de discours impliquant le couple locuteur/interlocuteur. Cependant, au fil des siècles, ces deux notions ont évolué parallèlement aux développements du genre dictionnairique. Le locuteur écrivant a acquis le statut d'autorité consultée, tandis que l'interlocuteur lisant est devenu usager consultant. À lire les préfaces des dictionnaires contemporains, la situation actuelle serait bien différente de celle qui faisait dire à Jacques Dupuys en 1564, dans son « Aduertissement au lecteur » présenté en introduction de la troisième édition du Dictionaire francoislatin : « Ami lecteur, [...] si tu y trouues quelque chose à redire [...] tu me veilles faire tant de bien que de m'en aduertir [...]. » Et pourtant, le texte dictionnairique d'aujourd'hui appelle le lecteur-interlocuteur, comme dans toute création moderne ouverte, à exercer à tout moment sa compétence de locuteur-interprète face à un objet qui défie toute tentative de codification transparente et systématique [121].
En conséquence, il faut réexaminer le genre dictionnairique à la lumière d'une nouvelle distinction lecture/consultation en tenant compte de l'ensemble des exigences virtuelles de tout utilisateur, curieux, amateur ou scientifique. Il va de soi que ces quelques remarques ne constituent qu'une sorte d'introduction justifiant la pertinence d'une telle étude sur un corpus défini, notamment dans la perspective d'une analyse critique des méthodes propres au discours étymologique dans les dictionnaires, des plus anciens aux plus modernes.
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1994), Lyon: SIEHLDA, 1995: 37-57 et Toronto: SIEHLDA, 1998.
Notes
1. Une partie des données
exploitées dans cet article a été informatisée
grâce à une subvention du
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
2. Voir surtout Rey 1965 et
1977; Rey-Debove 1967 et 1971; Dubois 1971.
3. Dubois 1971: 49.
4. Dubois 1970: 40.
5. Dubois 1971: 57-8.
6. Cf. Wooldridge 1977.
7. Cf. Wiegand 1990.
8. Wiegand 1990: 4-5.
9. Glatigny 1989: 700.
10. Dictionnaires
généraux:
11. « Dictionnaires étymologiques
généraux » s'entend, à l'exclusion donc des DE
spécialisés se
limitant, par exemple, au traitement des toponymes ou des anthroponymes. Le
critère « dictionnaire
français » fait inclure le FEW (gallo-roman) et exclure
le Romanisches etymologisches Wörterbuch
de W. Meyer-Lübke (langues romanes).
12. Dont le discours est conditionné par
l'objet qui lui est propre, l'étymologie : l'ampleur du sujet
ne
nous permet de détailler ici une typologie du discours
étymologique propre au DE.
13. La rubrique « Étymologie et
Histoire » du TLF comprend la date de première
attestation et, outre
une discussion de l'étymon du mot et la présentation de formes
apparentées dans les autres langues
romanes, des informations référencées (= bibliographie
microstructurelle, cf. 2.1) sur l'histoire des
réalisations graphiques et phonétiques, ainsi que celle des
sens et syntagmes.
14. L'Epistre n'est pas reprise dans
l'édition de 1694, qui, par ailleurs, ne contient aucune
bibliographie
récapitulative. Sur le rôle essentiel de cette
épître pour l'histoire des théories linguistiques, cf.
Leroy-Turcan 1991: 17-24.
15. Même si les modalités
d'expression ne sont pas toujours harmonisées, tout lecteur attentif
peut retrouver dans le reste de l'ouvrage les détails d'une
référence vague.
16. Concernant l'histoire de la langue
française, les principaux dictionnaires anciens pour la datation et
quelques autres textes dont les dates reviennent fréquemment.
17. Voir, dans BW, l'exemple
détaillé à propos de la date de 1567 mentionnée
seule s.v. BOUSIN, mais
référencée s.v. BOURSE (cf. 2.4).
18. Richelet 1680, « Table
alphabetique de la plu-part des auteurs et des livres citez dans ce
dictionnaire » (3 pages liminiaires) ; Trévoux 1743,
« Table des auteurs et livres françois, dont on s'est
servi pour la composition de ce dictionnaire » (5 p. limin.) ;
Féraud 1787, « Noms des auteurs et titres
des ouvrages cités dans ce dictionnaire » (ibid.)
Féraud ajoute : « Nous ne prétendons pas mettre
dans cette liste tous les ouvrages des auteurs cités, mais seulement
ceux que nous avons lus, ou en
entier, ou par extrait. » ; Bescherelle 1858, « Liste des
auteurs et des ouvrages dont les noms ou les
titres sont cités en abrégé dans le dictionnaire »
(2 p. en appendice) ; Littré 1863-72, « Listes des
principaux auteurs cités » (7 p. en append.) ; Toubin 1886,
« Principales abréviations » (3 p. limin. ; il
s'agit de noms d'auteurs de traités ou dictionnaires
étymologiques) ; DG 1890-1900, « Listes des
principaux auteurs et des principaux ouvrages cités en
abrégé » (2 p. en append.) ; FEW 1922-, deux
fascicules (1929 et supplément en 1950) contenant 32 + 56 p. de
références bibliographiques (très
incomplètes) concernant les attestations ; Dauzat 1938,
« Bibliographie » (3 p. limin., passés à 6 en
1993) ; Robert 1951-64, « Liste des auteurs et ouvrages
cités » (2 p. limin.) plus « Liste
bibliographique [raisonnée] des auteurs et des ouvrages cités
dans le Robert » (29 p. en append. du
Supplément publié en 1970) ; PR 1967,
« Principaux auteurs et textes cités » (2 p. limin.) plus
renvoi
au « Grand Robert » ; GLLF 1971-8,
« Bibliographie des matériaux utilisés pour la partie
historique
du dictionnaire » (29 p. limin. dans le t. I, devenues 97 p. en append.
du t. 7) ; Picoche 1971-92,
« Bibliographie sommaire » (1 p. limin.) ; TLF
1971-94, « Liste [raisonnée] des textes
dépouillés » (49
p. limin. dans le t. I, plus compléments liminaires dans chacun des
tomes suivants) ; Robert 1985,
« Bibliographie [raisonnée] » (50 p. en append.).
19. À partir du t. 8, les articles
dépassant une page environ sont signés du nom des
rédacteurs (la
partie « synchronie » et la partie « diachronie » sont
rédigées séparément).
20. Cf. le concept de bibliographie d'auteur
abordé à la fin de la section 2.5. Nous
ouvrons ici les
voies d'une recherche qui méritant une étude plus approfondie
(travail en cours).
21. TLF cite syntagme et
définition. Cf. « Jouer à qui perd gagne. „Jouer
à un jeu où l'on convient
que celui qui perdra selon les règles ordinaires gagnera la partie"
(Ac. 1932). » (TLF 1971-94 s.v.
GAGNER).
23. Cf. aussi chez Bescherelle : « La
reine permettra que j'ose demander Un gage à votre amour,
qu'il
me doit accorder. (RACINE.) On dirait en prose :
La reine permettra
que
j'ose demander à votre amour
un gage qu'il me doit accorder. L'inversion de Racine est dure,
même en vers. » (s.v. QUE) et « Loin
à
loin, de loin à loin, de loin en loin. À de grands
intervalles, à de grandes distances. Planter des
arbres loin à loin. Les maisons, les hameaux sont semés loin
à loin, de loin à loin, de loin en loin. || Ces
locutions s'appliquent aussi au temps. Il ne vient plus me voir que de loin
à loin. De semblables
événements n'arrivent que de loin en loin. » (s.v. LOIN),
pris textuellement, le premier dans Féraud
1787, le second dans Acad 1835.
24. Cf. Acad 1694-1798 : « On dit
encore, Aller loin, pour dire, Faire fortune. Il est homme
d'esprit, & il a des amis à la Cour, il ira loin, il peut aller
loin. cette charge le peut mener
loin. » ; Acad 1935 : « Aller loin signifie
aussi Être favorisé par la fortune, s'élever à
de hauts emplois.
Ce jeune homme est exceptionnellement doué, il ira loin. On
dit de même Son talent, son
application au travail le mèneront loin. »
25. Voir Leroy-Turcan 1991.
26. À moins d'avis contraire, le gras est
de nous dans tout l'article.
27. Furetière 1690 avait : « Ce
mot vient de licere, suivant Nicod, comme plaisir, de
placere. »
28. Voir Wooldridge
1995.
29. J. Sylvius, In linguam gallicam
isagge (Paris, 1531).
30. « [...] liste des textes ayant fourni
les attestations les plus nombreuses. »
31. Le TLF utilise l'intitulé
ancien, New English Dictionary, de l'ouvrage qui, depuis 1933, porte
le
titre de Oxford English Dictionary.
32. Cf. ci-dessus (2.1) la
question de la
bibliographie microstructurelle.
33. À l'exception des hapax, le nombre
de mentions (dont « id. », « ib. ») est
donné entre crochets
après chaque dictionnaire citant. Voir ci-dessus (2.1) la question des
bibliographies macrostructurelles et
microstructurelles.
34. Notons également : Dupré
(TLF [2]), Quemada (TLF), Rey-Chantreau (TLF [5]).
35. Cf., par exemple : « Rem.
Loin s'en faut. „Cette locution hasardeuse, venue apparemment par
contamination de loin de là et de tant s'en faut, n'est
signalée par aucun dictionnaire" (GREV. 1969,
§
844, p. 831). „Damourette et Pichon (t. VI, p. 656) ont noté cet
exemple : Sans être vulgaire (LOIN
S'EN FAUT, il avait une certaine allure) (P.V. STOCK, dans
le
Mercure de France, 15 juin 1938, p.
554)" (ibid., note 1). » (TLF 1971-94 s.v. LOIN).
TLF cite Grevisse, lequel dans le deuxième extrait
cite Damourette et Pichon citant Stock !
36. Légende des colonnes : 1.
étymologie ; 2. première attestation ; 3.
première attestation par un
dictionnaire ; 4. attestation d'un usage ancien ; 5. attestation
(mot-sens ou exemple) ; 6. définition ; 7.
opinion critique ; 8. mot enregistré ; 9. mot non
enregistré. 37. Cf. Dubois 1970 et
1971.
38. La documentation est soit liée
à des manuscrits que lui ont communiqués les frères
Dupuy, soit à
des ouvrages manuscrits en cours de publication qu'il a pu consulter
grâce à l'obligeance des auteurs
(cf. le texte de Bourdelot), soit à une correspondance avec des
savants étrangers, soit enfin à une
expérience de la vie quotidienne, de l'enfance de l'auteur
à sa fréquentation des salons parisiens (voir
Ménage 1694 s.v. BOUCAHU).
39. Nicot 1606 s.v. NIMES.
40. Cf. s.v. ESSAY, GEOLIER, RUM.
41. Le je d'opinion s'emploie surtout
dans le champ le plus subjectif du discours lexicographique,
celui de l'étymologie (cf. section 1). Cf. aussi
chez Nicot s.v.
BARON, CLAIRON, HAQUENÉE,
MORALITÉ, O, PHIOLE,
PORTE, RUSTAULT, TAILLE,
TOURNOY ; et,
depuis Thierry 1564, s.v.
COURGE, FLECHE, MOISON.
42. Cf. aussi s.v. GALOCHES. Les
renvois que le
lexicographe fait à ses propres œuvres déjà parues ou
à paraître sont extrêmement fréquents chez
Ménage 1694 : il renvoie notamment le lecteur à ses
Observations sur la langue françoise (1675-6) et à ses
Origini della lingua italiana (1685),
comme à son Historia botanica et à ses Racines
grecques qui n'ont jamais vu le jour. Exemple :
« [...] ce que j'ay démontré dans mes Origines de
la Langue Italienne au mot Pô : où je prends
la
liberté de renvoyer mes lecteurs. » (Ménage 1694 s.v.
BOUT).
43. Cf. s.v. DU, ESCOULABLE, IMPORTABLE,
LAMBEAU, LIGNE, MANCHEREAU, MANGER,
PARLEMENT, TABLE, TRAVÉE ; et, depuis Thierry 1564, s.v. HEURE,
MARROQUIN, SCROFULAIRE.
44. Cf. « étymol. que je ne
reproduis que faute de mieux. « (Toubin 1886 s.v. LOMBRIC).
45. Cf. note 83. Nous
suivons la convention de
la linguistique romane pour les références au
FEW : il
s'agit dans le cas présent du t. 6, vol. 1, p. 419, première
colonne. Cf. aussi : « Lettre du [...] de M. que
je remercie. » (FEW s.v. ATRIPLEX,
XXV, 687b,
note 40).
L'auteur de la remarque, comme de l'article
entier, est J.-P. Chauveau. C'est pourtant le « patron » du
FEW, W. v. Wartburg comme Ménage et
Féraud, patron d'envergure de son dictionnaire personnalisé
, qui fait un usage fréquent de remarques
à la première personne du singulier.
46. En 1873, Scheler dit simplement :
« du BL. laudes ».
47. Cf. aussi : « Nous pensons,
avec Gachet, que [...] » (Scheler 1862-73 s.v. LOSANGE).
48. À l'instar de Nicot 1606 qui
l'utilise plus de 1100 fois.
49. Ménage associe ces deux
premières catégories pour l'usage en cours (s.v. ABBONNER) et
pour
l'usage ancien (s.v. ABEILLE), qu'il s'agisse dans les
deux cas de l'usage
normé parisien ou des usages
régionaux ; l'expression on a dit peut fonctionner pour
introduire une étymologie, sans qu'il s'agisse
d'un usage délimitable dans le temps ou dans l'espace :
« On a dit abbonner par corruption pour
aborner. » (Ménage 1650 s.v. ABBONNER ;
dans ce cas,
on a dit équivaut à on a fait) ; on
disoit
introduit essentiellement les formes d'ancien français fournissant
une étape marquante de l'évolution
phonétique menant de l'étymon au résultat
français : « Anciennement on disoit
eage. » (Ménage 1650
s.v. AGE).
50. Voir, vers la fin de
2.2 et dans 2.3, plusieurs exemples d'emprunts.
51. Pour pouvoir clore cette liste, nous aurions
besoin de mener une analyse exhaustive de on sur
notre corpus d'étude. Nous donnons plus loin, à 3.3, une
analyse détaillée d'un commentaire de Littré
contenant plusieurs occurrences de on aux fonctions variées.
52. Tous les dictionnaires s'occupant de l'usage
emploient on dit. Notons, dans une perspective
historique : « De l'idée d'« obtenir », on est
passé à celle d'« atteindre », dans
différents emplois »
(RobHist 1992 s.v. GAGNER), « Au XVIIe s.,
on a
commencé d'employer [...] » (id. s.v. LOIN),
« on lui préfère encore [...] »
(id. s.v. QUE).
53. Cf. aussi : « Comme quand on
dit la playe suinte. » (Ménage 1694 s.v. SUINTER) et
« Comme
quand on dit d'un vaisseau qu'il va à la bouline. »
(id. 1694 s.v. BOULINE), qui montrent bien la
mise en situation morpho-syntaxique des mots-vedettes.
54. Cf. aussi : « On
orthographie aussi en fr. toste » (Scheler 1862-88 s.v. TOAST).
Ménage 1694
pratique souvent une opposition stylistique entre l'emploi de nous
pour un usage angevin et celui de on
pour un usage contrasté parisien ou provincial différent
d'Angers.
55. Nous apprécions le contraste par
rapport à des formules marquées à la première
personne,
comme : « Je ne suis pas de l'avis de Jules Scaliger
[...] » (Ménage 1694 s.v. BOUTARGUES).
56. Cf. FEW : « On a
proposé un autre étymon latin [...] (v. Vox 2, 69, Corom2 et
DiccEtCat) » (s.v.
ATRIPLEX, t. XXV, 687a) ; « Il n'y a pas lieu
de
séparer
[...] auxquels on peut ajouter [...] pour en faire
le résultat d'un étymon [...] (v. Legros, BTDial 32, 322 et
Ler 437-8) » (ibid., 687b). On note encore
l'utilisation dans Ménage 1694 d'autres formules indéfinies
immédiatement exemplifiés, comme « Il y
a diversité d'opinions touchant l'étymologie de ce
mot » (Bochart, Covarruvias, Ferrari s.v.
ALESNE) ; cf. aussi 4.1-2.
57. Cf. aussi : « On ne dirait
pas, combien de triste ravage, au singul. On ne doit donc pas
le dire
avec que. C'est la rime qui a produit ce solécisme. On
objectera que, sang répandu est aussi au sing.
mais on dit, combien de sang répandu : on peut
donc dire, que de sang. » (Féraud 1787 s.v. QUE) ;
« on est donc tenté de le rapprocher de » (Scheler
1862 s.v. LOPIN ; devient « on serait
tenté
[...] » en
1873). Dans l'exemple suivant, Féraud s'en sert pour déguiser
un mea culpa avant de rédiger son
Dictionaire critique, Féraud fut auteur d'un Dictionnaire
grammatical (116) : « On dit assez
indiféremment, et en prôse et en vers, loin de, et
bien loin de ; et on avait décidé
mal-à-propôs dans
le Dict. Gram. que loin sans bien était une
faûte. On s'était fié uniquement à
Vaugelas, qui a été
réformé sur cet article par Th. Corneille, et
encôre mieux par les exemples multipliés des meilleurs
Auteurs. » (Féraud 1787 s.v. LOIN).
58. Cf. « Il faudrait que d'y
joindre ; c'est une faute légère qu'on doit
excuser, à cause de l'extrême
difficulté de notre versification. » (Bescherelle 1858 s.v.
QUE).
59. Cf. la variante de deuxième personne
notez : « Notez que le wallon a godau p. jus de
fumier. »
(Scheler 1862-88 s.v. GADOUE).
60. Selon P. Guiraud, un quart des formes
populaires du français commun populaire aurait une
« origine inexpliquée ou mal expliquée » (Guiraud
1982, p. 7).
61. Parmi les 174 occurrences
métalinguistiques de semble dans Estienne 1549, on trouve 73
fois
semble qu'il vienne de, 25 semble qu'il vient de et 14
semble venir de. Les 31 occurrences
métalinguistiques de semble ajoutées par Thierry 1564
rendent 4 semble qu'il vienne de, 8 semble
qu'il vient de et 1 semble venir de. Les 110 ajoutées par
Nicot en 1573 ou 1606 dans des
formulations plus variées que chez Estienne et Thierry ,
comprennent
4 semble estre composé de, 5
estre diminutif de, 8 semble qu'il vienne de et 14 semble
venir de.
62. Parmi les variantes de cette formulation,
donnons l'exemple du mot sornettes (Ménage 1694) :
« Je ne say d'où vient ce mot. Ne viendrait-il
point d'absurdum ? ». En désespoir de cause, le
lexicographe s'amuse à donner une étymologie, si aberrante
soit-elle, ce dont il est conscient !
63. Cf. encore dans Ménage 1694 :
« [...] ne m'est pas bien connue » (s.v. PIRON) ;
« l'origine de ce mot
en cette signification ne m'est pas connue » (s.v.
POINÇON DE VIN, POISSON
"mesure").
64. Cas d'incertitude partagée :
Ménage exprime son incertitude après avoir cité un
extrait de Rabelais
énonçant l'origine inconnue du mot ; le je de
Ménage étymologiste s'oppose à la série
d'auteurs,
lexicographes ou non, n'ayant proposé que deux traductions latines
correspondant en réalité à
l'identification de la plante, sans apporter d'éléments
permettant de résoudre l'étymologie. À noter
l'emploi de simplistes dont la valeur globalisante reste
indéfinie, du moins dans le cadre limité de
l'article.
65. Cf. Brachet [1868], Introduction, p. xxvii.
66. Cf. aussi chez Scheler : « je
ne connais pas l'origine de » (1862 s.v. GÂCHE),
« je
le placerais
donc plutôt dans la famille de [...] » (1873-88 s.v.
LOPIN), « Pour ma part, je suis assez
disposé à
voir » (1862 s.v. QUINTE ; 1873 supprime
« assez »),
« Pour ma part, me rencontrant sur ce point
avec Ménage, j'avais imaginé [...], mais j'avoue
que » (1862-88 s.v. TILLAC).
67. Toubin mentionne de Burnouf, dans la liste
des « Principales abréviations », son Dictionnaire
classique sanscrit-français et sa Méthode pour
étudier la langue sanscrite.
68. Ou les deux à la fois :
« A mon avis (sous toutes réserves) [...] »
(s.v. LOGE, LOGER).
69. On note la même valeur pour
l'expression faire supposer : « Letus "sorte de
vassal" [...] et litus
[...] font supposer en francique [...] ; les formes fr. lige,
liège [...] font supposer [...] » (BW 1950-75
s.v. LIGE) ; « Cela fait supposer un celt.
*leim-, qui
pourrait être étymologiquement identique avec le
latin lmen "perche mise de travers" » (1950-75 s.v. LIMON
"brancard").
70. À noter que les deux formes
marquées nous et nos renvoient à la
communauté des lexicographes
philologues et étymologistes dont Littré se sent solidaire.
71. Cf. FEW s.v. BARIL
(XXII2,
119) : « Doch versteht man nicht recht, wie der begriff
[...]
übertragen werden konnte » (n. 9), « und man nicht
sieht, wo eine solche bildung [...] sein könnte oder
[...] geschaffen wurde [...] Die wörter [...] sind [...] entlehnt
worden [...] » (n. 20), « [Nombreux
emplois de passifs] Man vergleiche [...] usw. » (n. 26).
72. Pour l'emploi banal de on, à
valeur impersonnelle, comme chez Guiraud s.v. BUSC,
BUSTE
« [...] on a, en argot français, [...] » qui
équivaut à une formule du genre « il y a » ou
« il existe » cf.
3.1.
73. Guiraud 1982, p. 13-21.
74. Cet exemple nous apparaît d'autant
plus pertinent que c'est Littré qui a imposé
l'étymologie citée
ci-dessus. Alors qu'en 1873 Scheler se contente de rapporter la proposition
de Littré, avec celle de
Diez, sans se prononcer il avait accepté la seconde en 1862
, il
ajoute en 1888 : « Il est difficile de
ne pas souscrire à l'opinion de Littré ». À partir
de DG 1890, les dictionnaires enregistrent l'étymologie
sans commentaire.
75. Notre propos n'est pas de faire l'historique
de toutes les hypothèses concernant l'étymologie de
tirer, mais seulement d'étudier celles avancées par les
dictionnaires de notre corpus.
76. Ménage 1650 avait : « De
tirare, qui a esté fait de trare, qui l'a esté
de trahere. Trahere, trare,
tirare, tirer. Tirare est encore en vsage parmy les
Italiens. »
77. Les familles dont parle le titre
(« où les mots sont classés par familles »), et que
le Discours
préliminaire de Roquefort laisse supposer étymologiques,
contiennent quelques regroupements
surprenants : ainsi, traquenard (« Ménage le
dérive de tricenarius ») et tiretaine (issu,
d'après
Roquefort, de l'esp. tiritana, qui « vient, dit Ménage,
de Turdetania, nom que les anciens géographes
donnent au royaume de Grenade ») s.v. TRAIRE. Ou
encore,
bouquin
("vieux livre", « De l'allem.
buch ou bok »), classé s.v. BOUC
(« onomatopée »).
78. Et encore Toubin en 1886. Dochez
ajoute : « [...] dont la basse latinité fit
tirare. »
79. F. Diez, Etymologisches Wörterbuch
der romanischen Sprachen (Bonn, 1853 ; 2e éd.,
1861-2 ; 3e éd. 1869-70 ; suppléments de Scheler,
1878 et 1887).
80. Cf. le traité de cent pages
donné en introduction de son dictionnaire.
81. Toubin 1886 rapporte les deux
étymologies déjà mises en avant « Selon
Littré, Scheler et
Brachet, du goth. tairan ; angl. tear, arracher,
déchirer ; selon Ménage et Bescherelle, dérivat.
irrégulière du lat. trahere, tirer. » , puis
opte
pour la seconde : « Cf. tirer, synonyme de traire,
et
qui, comme lui, dérive de trahere. »
82. Le commentaire de O. Bloch (BW 1932) va dans
le même sens. Clédat [1912] dit simplement
« origine douteuse ».
83. La méthode de son FEW oblige
Wartburg, par la suite, à rattacher tirer et martirier
à un étymon
non français, en l'occurrence lat. martyrium ; elle lui
permet aussi de s'expliquer en détail dans un
commentaire de trois colonnes dans lesquelles il passe en revue les
solutions *tirare et tairan, avant
de les réfuter, puis de donner l'historique de sa proposition
tirer < martirier (VI1, 418-9) cf. le
commentaire de Wartburg, reproduit parmi les exemples de la section 3.1,
dont il avait déjà donné une
version française dans la Revue de linguistique romane :
« La première fois que je me suis occupé
de tirer, c'était en 1930 dans le séminaire roman de
Leipzig, où un de mes étudiants fit une conférence
sur le célèbre essai de Gilliéron sur traire,
en suite de quoi j'expliquai à mes auditeurs ma manière de
voir l'origine de tirer, celle qui se trouve exposée dans le
BlWb » (t. 23, 1959, p. 249). (L'article
martyrium du FEW paraît d'abord en fascicule en 1961,
puis en volume relié en 1969.)
84. Voir Guiraud 1982, Introduction.
85. L'énoncé de Dauzat 1993
implique un arbitraire de la probabilié non démontrée,
comme dans le
cas d'un dialogue entre étymologistes auquel le lecteur n'aurait pas
accès ; il contraste avec la méthode
de Guiraud, qui n'exprime la notion de probabilité qu'en conclusion
axiologique de l'ensemble de
l'argumentation proposée. Par exemple : « [...] Cela dit, le
croisement, en français, d'un roman *logia
avec un francique *laubja "feuillée" est assez probable ;
il pourrait être à l'origine à la fois de la forme
et du sens. » (Guiraud 1982 s.v. LOGE).
86. Voir M. Lanusse, De Joanne Nicotio
philologo (Grenoble, 1893).
87. Cf. 2.3. Pour la démarcation
progressive de Ménage par rapport à cet héritage, cf.
Leroy-Turcan 1991: 1ére partie et Conclusions.
88. Voir Wooldridge
1977.
89. Fréquences
métalinguistiques : aucuns [426], autres [86]. Les
autres pronoms indéfinis sont : alii
[41], aliqui [4], ceux qui [20], il y en a qui [5],
multi [3], nonnulli [3], on [3], plusieurs [11],
quelques-uns [1], quidam [7] et sunt qui [7]. Bien
qu'à l'époque l'orthographe, la prononciation, la
dénomination et la traduction fussent engagées dans un
même discours historicisant global (« Aucuns
escriuent & prononcent Gourde. » Nicot 1606 s.v. GOUHOURDE,
« Aucuns l'appellent
Percepierre. » id. s.v. BACILE,
« Aucuns le
rendent
en Latin par Elauer. » id. s.v. ALIER),
nous ne
traiterons ici que les énoncés explicitement
étymologiques.
90. Les
« aucuns »/« nonnulli » de cette dernière
étymologie sont en fait Périon : « Sed illa me magis
angunt, quibus locare & redimere, locatorem & redemptorem,
affermer, & fermier interpretari
solemus. Eorum, inquam, non obscura est origo. Ab affirmando enim mihi orta
videntur esse. Nam
quoniam ij inter quos eiusmodi contractus intercedit, se certam vim
pecuniæ quotannis dominis
dissoluturos esse affirmant, quod illi ratum & firmum putant, ex eo
affermer, & ferme & fermier
dicta esse existimo, nisi tu melius aliquid habes. (J. PÉRION,
De linguæ gallicæ origine (Paris,
1555), f. 85. Cf. Wooldridge 1995.
91. Dans cet article, quelques-uns
s'oppose à une première série ouverte d'auteurs
nommés, partisans
d'une autre étymologie : « Nebrisse, Baïf, Fauyn &
quelques autres » ; dans Ménage 1694, la liste
ouverte est modifiée, malgré le maintien d'une formule
extensive : « Nébrisse, Baïf, Périon, Favyn
&
plusieurs autres ». La pluralité indéfinie a une valeur
précise, puisqu'elle renforce le crédit accordé par
Ménage à l'étymologie proposée par ces auteurs,
comme le prouve la fin de l'article en 1694 :
« L'étymologie de Nébrisse, Baïf, &c. me semble
la plus vray-semblable. »
92. L'absence d'identification de
l'indéfini dans Ménage 1694 s'explique par la non-reprise de
l'hypothèse mentionnée en 1650.
93. On peut noter qu'en 1694 l'identification
fonctionne conjointement de façon intertextuelle par
rapport à 1650 et, au sein d'un même article, de façon
intratextuelle pour l'indéfini, ou une variante,
maintenu depuis 1650. Cf. « [...] ce qui a donné la
pensée à quelques-uns, que ce mot [...] » (Ménage
1650 s.v. HALLEBARDE), qui devient : « [...]
ce qui a fait
croire
à quelques-uns, que ce mot [...]
Vossius [...] Cedrenus [...] voyez les Glossaires de Meursius et de Mr du
Cange [...] (Ménage 1694
ibid.).
94. Cf. « Être loin de faire
fut critiqué autrefois dans la Princesse de
Clèves. On disait qu'il falait
dire, être éloigné de faire. Malgré cette
Critique, qui me parait juste et qui n'est guère conûe,
on a
continué de le dire. » (Féraud 1787 s.v. LOIN).
95. Cf. aussi Bescherelle s.v. QUE :
« Les mêmes grammairiens [...] admettent », « ce
qui a fait
croire à beaucoup de grammairiens qu' », « les
grammairiens ont prétendu que », « Si les
grammairiens [...] avaient pris la peine de l'analyser »,
« Les grammairiens qui signalent ces
solécismes ajoutent que ». Cf. également :
« dans certaines grammaires latines » (Littré
1863-72
s.v. QUE) ; « Certains
grammairiens » (Robert
1951-64
et 1985 s.v. QUE, repris par RobHist) ;
« les grammairiens » (RobHist s.v. QUE).
96. Robert 1985 remplace
« condamné » par « critiqué ». Cf.
aussi : « Cet emploi signalé par LITTRÉ
est condamné par certains puristes et ne figure pas dans
ACAD.
8e éd. » (Robert 1951-64 s.v.
LOIN) ; « certains puristes »
(Robert 1951-64
et 1985
s.v. QUE) ; « certains puristes »
(TLF
1971-94 s.v. LOINTAIN).
97. Cf. aussi : « [Reprend
pourquoi ; également considéré comme
incorrect] » (TLF 1971-94 s.v.
QUE) ; « Ne... que peut, dans
certains cas,
être considéré comme entièrement synonyme
de l'adverbe
Seulement. (Acad 1835-1935 s.v. QUE) ; « Dans
certains de
ces
tours, que pourrait être considéré
comme un relatif. (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE) ;
« considéré parfois en ce cas comme une
conjonction » (id. ibid.)
98. Cf. le traitement de
on.
99. Cf. « Quelques-uns l'appellent
aussi Liron. » (Acad 1798 s.v. LOIR).
100. Cf. « Gâgner au pied,
(et non pas du pied, comme disent quelques-uns.) »
(Féraud 1787 s.v.
GAGNER).
101. Cf. « Pop.,
région. J'arrive que. [...] Attendez
que. » (TLF 1971-94 s.v. QUE).
102. Cf. « il ne fonctionne comme suj. que
dans certains dial., notamment l'agn. et le pic. » (TLF
1971-94 s.v. QUE).
103. Cf. « DE LOIN EN
LOIN,
ou (vx)
DE LOIN À LOIN (ACAD. 8e
éd.) » (Robert 1951-64 s.v.
LOIN).
Nota : le vieillissement de de loin à loin est implicite
dans Acad 1935 : « LOIN À LOIN, DE LOIN
À
LOIN, et, ordinairement, DE LOIN EN
LOIN » ; Acad
1835-1878
avaient : « LOIN À LOIN, DE LOIN À
LOIN, DE LOIN EN LOIN ». Robert 1985 omet la
référence
à l'Acad.
104. Cf. « [l]es meilleurs
Auteurs » (Féraud 1787 s.v. LOIN) ;
« Certains
auteurs » (Robert1
1951-64 et 1985 s.v. QUE).
105. Cf. « Plusieurs de nos Auteurs
les plus estimés disent de loin en loin, comme l'Ab. des
Fontaines, J.J. Rousseau, M. Linguet, M. l'Ab.
Grosier, M. de la Cretelle, etc. » (Féraud 1787
s.v.
LOIN) ; « On dit, combien de fois, et
non pas, que
de
fois. On le trouve pourtant chez les Poètes ;
mais c'est une licence qui ne doit pas tirer à conséquence
pour la prôse. Que de fois, partageant mes
naissantes alarmes, D'une main fraternelle essuya-t'il mes larmes ?
Racine. » (Féraud 1787 s.v. QUE) ;
« Quelques poètes [...] (RACINE.) [...]
(CHÉNIER.) » (Bescherelle 1858 s.v. LOISIR) ;
« Quelques
poètes [...] (DEL.) » (Bescherelle 1858 s.v. LOIN) ;
« Ancienne construction de que, très-usitée au
XVIIe et au XVIIIe siècles. [...] LA FONT. [...] ID. [...] MOL. [...]
BOSS. [...] ST-SIM. [...] FONTEN. [...]
MASS. [...] VOLT. [...] Cette construction a été
employée, comme on voit, par les meilleurs
écrivains » (Littré 1863-72 s.v. QUE). L'item du
Robert combine locuteurs indéfinis (« quelques
écrivains ») et sources indéfinies (« certains
grammairiens » cf. citations 81-84).
106. Dans le même échantillonnage,
exemple est également employé comme copule de
présentation
par Trévoux [1], Féraud [2], Littré [1], Robert [2 fois
dans chacune des première et deuxième éditions],
GLLF [1] et TLF [1]. Ajoutons qu'il est impératif
d'étudier selon leurs critères spécifiques le statut
de
l'exemple dans le DG et celui du DE. Dans le DE ancien, on est conduit
à opposer plusieurs niveaux
d'exemplification selon les épaisseurs de diachronies
envisagées : ainsi la copule ménagienne « comme
quand on dit » est polyvalente et est à distinguer nettement du
simple « comme » de l'exemple-attestation ; cette
distinction, logique dans le DE, a progressivement perdu le statut de
critère signifiant
dans l'élaboration des normes microstructurelles propres au DG
(organisation des informations,
sémiotique de la typographie, etc.).
107. À l'égard des points de
suspension, la frontière entre les fonctions texte virtuel à
réaliser et texte
réel coupé est abolie dans la citation : « L'effect
surmonte de si loing la pensée, que... MONT. I, 81. Les
choses nous paroissent souvent plus grandes de loing que de prez, ID.
ib. Trouvant un jour une mienne
parente En un festin, parente d'assez loin... RONS. 776. »
(Littré 1863-72 s.v. LOIN).
108. Chez Nicot la partie libre indiquée
par etc. peut être spécifiée dans
l'équivalent : « Que ne voles-tu ici & viens voir
le, &c. Quin tu aduolas, & sedem inuisis illius
nostræ reip. germanæ. » (s.v. QUE).
109. Littré 1863-72 reprend Acad 1835
mot-à-mot sans le dire. Acad 1694-1798 avaient : « Je
n'ay
que faire de vous dire, pour dire, Il n'est pas necessaire de vous
dire. »
110. Lexis 1975, Préface, p. xii.
111. Cf. aussi : « Introduisant le
second terme d'une comparaison. Autant, plus, moins, plutôt,
mieux, autre, même que, etc. (PR 1967 s.v.
QUE ; repris par MR 1988) ; « En
corrélation
avec tel,
même, autre ou un adverbe de manière ou de quantité
(ainsi, plus, autant, etc.) » (GLLF 1971-78
s.v. QUE) ; « [Relatif
« universel » :
que
se substitue à qui, dont, auquel, etc.] »
(TLF 1971-94 s.v.
QUE).
112. Dans Acad 1835-1935, la liste est
allongée et la formulation de l'item quelque peu
modifiée :
« QUE, forme en outre certaines locutions
avec
diverses
prépositions, conjonctions et adverbes ;
comme [...] et quelques autres. Voyez AFIN, AVANT,
APRÈS, ETC. ».
Bescherelle 1858
emprunte
l'item d'Acad 1835 sans le dire : « Que forme un grand
nombre de locutions prépositives,
conjonctives et adverbiales, comme [...] et quelques autres.
On les trouve indiquées a leur ordre
alphabétique. » Autre exemple de plusieurs :
« Que se joint à plusieurs autres
conjonctions ; tandis
que, lors que, à mesure que, à condition
que, etc. Voyez ces mots à leur place. »
(Féraud 1787 s.v.
QUE). Comme autres exemples de comme, on peut
citer les
nombreux cas
où Ménage donne un
aperçu de paradigme dans les listes d'exemplification
phonétique qui viennent appuyer une
démonstration étymologique ; par exemple : « De
apicula, d'où vient aussi aueille, comme
auette de
apetta » (Ménage 1650-94 s.v. ABEILLE).
113. Cf. aussi : « Dans la
plupart des sens, s'emploie pronominalement et absolument. »
(Dochez
1860 s.v. GAGNER) ; « Il sert à former
un grand
nombre de locutions conjonctives : avant que, après
que, afin que, dès que, loin que, sans que, soit que,
etc. » (Littré 1863-72 s.v. QUE) ; « On
notera
que
dans la plupart de ces emplois, que pouvait s'employer seul
[...]. » (RobHist 1992 s.v. QUE).
114. Dochez donne ensuite une liste de
citations illustratives. De même, Littré 1863-72, s.v.
QUE :
« De la même façon on a fait, avec toutes sortes de
substantifs et que, des composés où que signifie
selon lequel, laquelle, lesquels, lesquelles. » 115. Cf. aussi : « Après
plus, moins, tel, autre, autant, aussi, il introduit une proposition
subordonnée comparative, avec ou sans verbe » (DFC 1967
et Lexis 1975 s.v. QUE) ;
« [Que est le 2e
élém. d'une loc. conj. exprimant le but] Afin que, de peur
que, de crainte que, pour que. » (TLF
1971-94 s.v. QUE).
116. Acad 1835-1935 donne :
« Porter loin, pousser loin sa haine, son ressentiment, son
animosité, sa vengeance, ses prétentions,
etc. » Cf. « Pousser, mener loin un travail, une
recherche, etc., conduire un travail, une recherche, etc.,
jusqu'à des limites extrêmes » (GLLF 1971-78 s.v.
LOIN).
117. Cf. : « Il s'emploie aussi dans
les souhaits, les imprécations, pour exprimer le contentement, la
répugnance, le blâme, etc., avec ellipse des verbes dont
on se sert pour souhaiter, pour commander,
pour consentir, etc. » (Bescherelle 1858 s.v. QUE) ;
« Est particule de commandement, de souhait,
d'imprécation, de blâme, de répugnance, de consentement,
etc. » (Dochez 1860 s.v. QUE) ;
« [Après
un verbe déclaratif (déclarer, dire, raconter) ou un
verbe d'opinion (croire, supposer, imaginer,
etc.)] » (TLF 1971-94 s.v. QUE).
118. Cf. : « Être obtenu,
conquis, en parlant du coeur, de l'affection, etc. »
(Littré 1863-72 s.v.
GAGNER) ; « gaaignier [...]
"acquérir (de
l'argent,
etc.)" [...] gagner [...] "acquérir par son travail,
etc. [...]" [...] "acquérir au jeu, à la loterie,
etc." » (FEW, s.v. *WAIANJAN, XVII, 462b) ;
« francique *waidanjan "se procurer de la nourriture, faire du
butin, etc." [...] ancien provençal
gazanhar "cultiver, gagner, etc." » (BW 1932 s.v.
GAGNER).
119. Cf. : « Plusieurs de ces
phrases sont du langage familier. » (Acad 1835-1878 s.v. QUE).
120. Cf. l'emploi non fréquentiel de
quelquesfois, par fois et ores chez Nicot au sens de
"tantôt" :
« quelquesfois est nom, & ores
interrogatif, comme, Que veut-il ? [...] Ores
relatif, de tout
genre, comme, Le liure que tu escrits, [...] Et quelquesfois
conionction, comme, Ie sçay que tu
as de l'argent, [...] Et par fois aduerbe de telle
signification qu'est Partim ou tum en Latin. »
(Nicot 1606 s.v. QUE).
121. Voir, par exemple, les
« omissions », « incohérences »,
« inconséquences », « ambiguïtés »
et
« avatars » du Petit Robert (2e éd., 1977,
« mise à jour pour 1989 ») relevés par Heinz 1993.
(Cf. Wooldridge et al. 1992.)
Dictionnaires étymologiques: