Aspects métatextuels du dictionnaire : les discours empruntés et les indéfinis [1]

Isabelle Leroy-Turcan
Université Jean Moulin, Lyon III

Russon Wooldridge
University of Toronto

© 2001 I. Leroy-Turcan & R. Wooldridge

Première parution in Texte, 15/16 (1994): 307-50.


Introduction

Le dictionnaire est en soi un métatexte : discours métalinguistique, discours sur la langue. Les premières analyses sémiotiques du texte dictionnairique ont été faites en France dans les années soixante et soixante-dix, se fondant presque toujours sur des corpus contemporains synchroniques, et elles ont été fortement influencées par le structuralisme de l'époque [2]. Selon cette perspective, le dictionnaire moderne tend à être perçu comme un texte homogène dans lequel le lexicographe s'identifie avec l'usage normatif.

Les autres usages répertoriés dans le dictionnaire seraient tous explicitement signalés : idiolectes exemplificateurs (les auteurs cités) ou usages marqués (régionalismes, archaïsmes, termes techniques, etc.). Un examen attentif des textes et de l'évolution de la lexicographie française révèle que les choses ne sont pas toujours aussi simples.

Un autre principe veut que le texte du dictionnaire soit clos :

Cependant, tous les dictionnaires contiennent à l'intérieur de leur microstructure des mots qui manquent à la nomenclature [6]. D'autre part, et c'est ce qui va nous intéresser ici, ils renferment aussi nombre de séquences ouvertes qui demandent à l'utilisateur de les clore par sa propre compétence ; c'est à l'utilisateur de préciser, par exemple, le signifié de l'etc. métalinguistique de définition ou d'exemple.

Depuis le milieu des années 1970 environ, l'étude du dictionnaire s'est faite de plus en plus en langue allemande ou anglaise, faisant intervenir, entre autres, des approches post-structuralistes et déconstructionnistes et posant le texte dictionnairique comme une écriture sélective et incomplète [7]. Quoi qu'il en soit, le dictionnaire continue à être généralement perçu comme un Sprachgesetzbuch [8] (Code linguistique) ; comme le dit M. Glatigny, selon une croyance bien répandue en France « un mot qui n'est pas dans le dictionnaire n'est pas français » [9].

Notre propos ici est de réexaminer certains aspects des analyses antérieures, notamment la question du sujet de l'énoncé lexicographique et celle de la clôture du texte. Notre corpus d'étude, une cinquantaine de dictionnaires généraux et étymologiques français des quatre derniers siècles (voir ci-dessous), nous amènera à parler du lexicographe arbitre – et non plus rapporteur – de la norme, de discours extra-dictionnairiques et inter-dictionnairiques, de discours indéfinis et de formules d'ouverture textuelle. Les caractérisations que nous établirons vaudront plus pour les genres « dictionnaire général » et « dictionnaire étymologique » dans l'ensemble que pour les ouvrages individuels ; pour des raisons pratiques, nous travaillons sur des échantillonnages et ne pouvons prétendre faire ainsi un portrait exact de chaque dictionnaire du corpus.

Notre examen du texte dictionnairique nous conduira aussi à analyser la pertinence, dans la perspective d'une métalexicographie sémiotique, d'établir les mêmes principes d'analyse pour le dictionnaire général (DG) et le dictionnaire étymologique (DE), ou, en d'autres termes, pour la description synchronique du DG et le traitement diachronique du DG et du DE. Nous sommes conscients de la nature hybride des réalisations du DG et du DE qui rendent difficile une distinction entre l'objectivité de la description (le lexicographe s'efface derrière la norme) et la subjectivité de l'analyse (le lexicographe devient sujet d'énoncé). Nous observons que le lexicographe-locuteur est dans une situation de communication, extensive ou non, avec le lecteur-interlocuteur.

1. Discours sur la langue et discours étymologique

Dans le dictionnaire général, la plupart des informations fournies dans la macrostructure et la microstructure sont données par la synchronie du système ou de la norme par rapport aux usages variants, les emplois historiques relevant de synchronies tout comme les emplois présents. Font partie de ce groupe d'informations les unités du lexique (les vedettes), l'orthographe, la prononciation, la catégorie grammaticale, la marque d'usage, le sens, la syntaxe, l'exemple. En revanche, les informations diachroniques – étymologie et datation de premier emploi – contiennent une part d'hypothétique et de provisoire. Les informations synchroniques des premiers dictionnaires français ont dans l'ensemble une valeur sûre pour l'histoire de la langue, alors que la très grande majorité des informations diachroniques qu'ils proposent n'intéressent plus que l'histoire de la métalangue (histoire de l'étymologie et histoire de la lexicographie). Une définition proposée – selon des règles qui remontent à la Grèce antique – par Nicot au XVIe siècle ou Richelet au XVIIe peut être aussi juste et bien formée qu'une définition rédigée par un lexicographe moderne. En revanche, le nombre d'étymologies justes avancées par Nicot sera moindre que celui de Ménage un siècle plus tard et encore bien moindre que dans les inventaires d'Antoine Thomas (DG 1890-1900) ou de Walter von Wartburg (FEW 1922-) : l'étymologie est une science cumulative qui va en raffinant ses méthodes et en intégrant de plus en plus d'unités lexicales sans jamais pouvoir rendre compte de tout. La datation du premier emploi d'une unité lexicale, quant à elle, dépend entièrement de la documentation dont dispose le lexicographe et ne peut jamais être plus qu'une approximation destinée à diminuer avec les corrections successives.

Notre corpus d'étude [10] comprend nécessairement donc non seulement des dictionnaires généraux (DG), mais également des dictionnaires étymologiques (DE) [11]. Dans les dictionnaires français, l'histoire du discours étymologique est à tracer dans Estienne 1549 (DG), Thierry 1564 (DG), Nicot 1606 (DG), Ménage 1694 (DE), Roquefort 1829 (DE), Scheler 1862-88 (DE), Littré 1863-72 (DG), Brachet [1868] (DE), Toubin 1886 (DE), DG 1890-1900 (DG), FEW 1922- (DE), BW 1932-75 (DE), Dz 1938-93 (DE), Picoche 1971 (DE), GLLF 1971-8 (DG), TLF 1971-94 (DG), Guiraud 1982 (DE) et RobHist 1992 (DE).

Il est important de distinguer plusieurs types de discours étymologiques selon le genre de dictionnaire dans lequel ils fonctionnent – à commencer par l'opposition fondamentale entre dictionnaire étymologique [12] et dictionnaire de langue. Ainsi, le DG de langue, lorsqu'il ne se limite pas à une synchronie définie (comme c'est le cas du Dictionnaire de l'Académie, du DFC ou du MR, par exemple), ne peut faire l'économie d'un discours étymologique : celui-ci se réduit alors souvent à un paragraphe consacré à l'étymologie, origine du mot (par exemple, DG et Littré), ou à un étymon placé entre parenthèses, accompagné éventuellement de son sens et de la date de première attestation du mot-vedette (par exemple, PR) ; l'étymologie correspond donc uniquement à l'origine du mot, sans inclure les considérations historiques qui pourront être étudiées à part dans la description sémantique (par exemple, PR, Lexis, Robert 1985). Le GLLF pratique l'étymologie origine-histoire, combinant dans une section liminaire l'origine du mot et la datation de première attestation de chacun des sens donnés dans la description sémantique. Le TLF représente un cas particulier, puisque, tout en étant un DG de langue, il consacre en fin d'article tout un paragraphe à l'étymologie, traitant la question comme le ferait un DE s'adressant aux spécialistes [13].

2. Les sources

De tout temps, les lexicographes ont exploité les matériaux de leurs devanciers. Le lexique de la langue est le même pour tous, même s'ils choisissent d'en décrire différents aspects ; la restitution des signifiés par la définition peut revêtir des formulations variées, mais elle doit se soumettre à la contrainte de l'emploi de termes génériques et de traits spécifiques en nombre limité ; si le lexicographe X a déjà enregistré l'orthographe, la catégorie grammaticale ou la bonne étymologie, le lexicographe Y n'a qu'à le suivre. Les exemples typiques appartiennent en principe à une classe ouverte ; pourtant leur nature spécifique tend à en faire des exemples « justes » que les lexicographes peuvent considérer comme les meilleurs à répertorier ; on peut alors distinguer deux niveaux d'exemplification, l'un relevant du fonds linguistique commun et fournissant la norme – on pourrait parler d'exemples normés –, l'autre offrant la possibilité de variations sur la typologie première.

2.1. Bibliographies macrostructurelles/microstructurelles, explicites/implicites

En dehors du fonds lexicographique « commun », traditionnel, « inconscient », la plupart des dictionnaires de référence indiquent au moins leurs sources principales « conscientes ». Par « bibliographie macrostructurelle », nous entendons toute indication bibliographique présentée comme repère essentiel, soit dans les pièces liminaires, soit en annexe ; par « bibliographie microstructurelle », toute autre référence ponctuelle donnée au cours d'un article. Nous ferons une première distinction, pour certains dictionnaires du corpus, entre une bibliographie macrostructurelle méthodologique, en rapport direct avec l'objet du dictionnaire et généralement présentée en exergue des ouvrages, et une bibliographie microstructurelle venant à l'appui de démonstrations détaillées et spécialisées ou permettant une ouverture sur le domaine étudié.

Dans les premiers dictionnaires, cette bibliographie macrostructurelle peut prendre la forme d'une notice liminaire intégrée à la préface – mention de la part d'Estienne dans la 2e éd. du Dictionaire francoislatin (1549) des nombreux items dus à Budé, mention de la part de Dupuys, éditeur de la 4e éd. du DFL (1573), des matériaux dus à Nicot – ou être insérée dans l'épître dédicatoire. Ainsi Ménage 1650 présente-t-il dans l'Epistre dédicatoire [14] les principaux dictionnaires étymologiques qui lui ont servi dans ses recherches : il ne s'agit pas d'une bibliographie générale explicite, mais plutôt d'une série de références « repoussoir » réunissant tous les devanciers étymologistes malheureux. D'autre part, Ménage est un des premiers lexicographes français à avoir systématiquement précisé dans ses articles de dictionnaire ses références bibliographiques [15] : l'existence de cette microstructure bibliographique permet donc de dégager une bibliographie générale correspondant à une macrostructure implicite. Le Bloch-Wartburg nous offre une variante moderne du cas précédent : dans l'Introduction, le lecteur dispose à la fois de trois listes [16] commentées des « principales sources » (xviii-xx) et, au sein du texte rédigé, de mentions bibliographiques éparses qui complètent implicitement les listes précédentes ; mais on constate, comme dans le cas de Ménage, la présence d'une microstructure bibliographique qu'il appartient au lecteur de reconstruire [17].

Nous sommes conduits, dans un deuxième temps, à différencier la bibliographie macrostructurelle méthodologique, donc énoncée en préambule, de la bibliographie macrostructurelle effective, telle qu'elle est révélée a posteriori par l'analyse des fréquences des références, donc récapitulative. Cette dernière est donnée sous forme de liste ou de bibliographie autonome, plus ou moins longue, détaillée et complète, placée parmi les pièces liminaires ou en appendice. Telle est la pratique de la plupart des dictionnaires de langue et de certains dictionnaires étymologiques [18].

Un modèle particulier nous est offert par le TLF. À l'instar des grandes encyclopédies, le TLF en donnant aux articles importants le statut de monographies [19] en clôt chacun d'une bibliographie particulière à fonction essentiellement récapitulative.

Quelle que soit la pratique spécifique de chaque répertoire, on peut observer dans tout dictionnaire des écarts entre les références implicites ou explicites contenues dans le corps des articles et les listes de références explicites données à part [20].

2.2. Définitions et exemples

Si l'on peut admettre sans difficulté qu'une unité lexicale n'appartient qu'à la langue, dans quelle mesure une définition ou un exemple est-il le propre d'un dictionnaire donné ?

La pratique varie. TLF emprunte souvent ses définitions, mais il prend soin d'en citer la source :

Bescherelle nomme beaucoup ses sources – 306 mentions dans l'échantillonnage « GLQ » [22] – mais il omet souvent de le faire aussi :

Cette séquence est en fait la combinaison d'un premier emprunt fait au Trévoux (2b) et d'un second fait à l'Académie (2c) :

Les items suivants illustrent différents degrés d'emprunt :

D'un côté, nous observons les emprunts internes faits aux éditions antérieures d'un même dictionnaire ou à d'autres membres d'une même famille dictionnairique : Furetière et Trévoux (3a) ; Académie (3c) ; Robert, Petit Robert et Micro-Robert (3g, 3h, 3l), DFC et Lexis (3i) – on conviendra que ceux-ci n'ont pas besoin d'être identifiés. De l'autre, les emprunts externes, pris mot pour mot : Bescherelle (3d) reprend textuellement Académie (3c). D'autres emprunts se situent entre ces deux extrêmes : Littré (3e) trouve chez l'Académie (3c) le syntagme aller loin et une marque de niveau de langue et lui emprunte, sans le dire, deux définitions et une phrase typique illustrant mener loin ; il ajoute pour chacun des deux syntagmes une citation nommée. Étant donné l'aspect futur et le contexte socio-culturel de l'expression aller loin, il n'est pas surprenant de trouver « Ce jeune homme ira loin » chez DG (3f) et Robert (3g, 3h) après Bescherelle et Académie, « Ce garçon ira loin » chez Robert et DFC-Lexis (3i) après Littré, « Cet enfant ira loin » dans GLLF. TLF (3k) modernise un peu avec « Jolie comme elle se présente elle ira loin. » ; Micro-Robert (3l) permet au sujet féminin de se servir de son intelligence et retient, en le modifiant, le performatif des autres dictionnaires Robert.

On dira, en somme, que le syntagme <personne jeune aller (au futur) loin> relève de la langue – jeune homme et garçon sont donc imposés par la pragmatique –, tandis que le reste n'est que variation dans le discours ; ainsi, seuls les emprunts de définitions et d'exemples externes faits par Bescherelle et Littré auraient demandé à être identifiés.

2.3. Étymologies

Dans le discours étymologique, le lexicographe peut trouver normal, lorsqu'une étymologie reste obscure ou offre des difficultés, de citer, avec ou sans commentaire, les solutions proposées par ses devanciers – pratique très fréquente chez Ménage 1694 [25].

Dans ce domaine aussi, les emprunts non identifiés comme tels ne sont pourtant pas rares : Estienne (9) puisant dans Sylvius (10), Ménage (11) reprenant une explication qu'il aurait trouvée chez Nicot (12) [28] :

2.4. Datations

Les travaux de Thomas et de Wartburg ont incité les dictionnaires généraux à dater les sens et les locutions. La pratique des datations varie beaucoup : GLLF (13c) et TLF (13d) prennent soin de citer la source première – le second mentionne également, le cas échéant, ses sources secondaires ; Robert, PR (13b) et Lexis (13e) se contentent généralement d'indiquer une date. Dans l'exemple donné ci-dessous (13), la source première est D'Alembert, la source secondaire est Littré (13a). En règle générale, un dictionnaire retiendra la date donnée par un prédécesseur lorsqu'il n'aura pas trouvé mieux.

Les seules dates données par le PR (13b) et Lexis (13e) – dictionnaires restrictifs en un volume – constitueraient une information approximative pour l'utilisateur moyennement intéressé par l'histoire de la langue ; en l'occurrence, elles sont ambiguës, voire trompeuses : dans sa liste des « Correspondances des principales datations de mots » placée en annexe [30], le PR indique pour la date de 1762 « Dict. Acad. (4e éd.) ». La 2e édition du Robert, dictionnaire pourtant extensif en neuf volumes, est encore plus ambiguë :

L'approximation « vers 1180 » vaut-elle pour de loin en loin, de loin à loin ou une variante d'ancien français ? Celle de 1620 correspond-elle à de loin en loin ou à de loin à loin ?

Du côté des dictionnaires étymologiques, une date non référencée à un endroit du texte et non explicitée dans la bibliographie macrostructurelle peut sembler l'être ailleurs ; par exemple la date de 1567 chez BW s.v. BOUSIN et BOURSE :

Dans cet exemple, on (« on a relevé » s.v. BOUSIN) se réfère à celui qui le premier, Bloch, Wartburg ou un prédecesseur, a exploité le texte daté de 1567. Le lecteur peut être tenté d'attribuer cette date au texte de Guichardin mentionné quelques lignes plus haut (s.v. BOURSE). Ce n'est qu'en pensant à contrôler la date dans un autre ouvrage de référence qu'il trouvera la solution : le TLF (s.v. BOUSIN) renvoie à l'Oxford English Dictionary (« bousing-ken [...] attesté dep. 1567 ds NED [31] »), lequel révèle qu'il s'agit d'un texte anglais de Harman : « Bousing ken [...] 1567 HARMAN Caveat 83. A bousing ken, a ale house. ». Dans l'exemple suivant, toujours pris dans BW, la clé de l'identification des dates non référencées est le FEW, grand frère des dernières éditions du BW :

Le FEW (s.v. *baukn-, XV1, 83a) donne : « boue [...] (Rouen 1384, Rhlitt 5, 299 ; norm. 1671) » ; on consulte ensuite la bibliographie générale du FEW (Beiheft, 1929 et 1950) pour trouver l'explication des deux références.

Il y aurait lieu, dans ce type de cas, de parler de « bibliographie cachée », ou de « bibliographie d'auteur », que le lecteur ne peut découvrir que par une fréquentation assidue de l'ensemble des ouvrages de référence qui traitent le sujet en question [32].

2.5. Les remarques critiques

Certains lexicographes – Féraud en fait la spécialité de son Dictionaire critique – se plaisent à rapporter les critiques d'autrui :

Alors que Féraud (17) ajoute un commentaire allant simplement dans le même sens que la critique de D'Olivet, Littré (18c) concilie deux points de vue opposés, celui de Scudéry et de l'Académie et celui de Voltaire, en expliquant l'un par l'usage et l'autre par la grammaire. La lecture comparée des dictionnaires permet de compléter les lectures individuelles : Féraud (18b) et Littré (18c) révèlent la source de « la critique » mentionnée par le Trévoux (18a) ; le rapport de dépendance des deux critiques, non précisé par Littré, l'est par le Trévoux et Féraud ; l'acquiescement de Corneille n'est mentionné que par Littré. Chacun des trois dictionnaires donne une version différente du texte du Cid.

2.6. Les autres dictionnaires : sources privilégiées

Les autres dictionnaires sont, bien entendu, pour le lexicographe des sources privilégiées. Dans les seuls dictionnaires généraux de notre corpus, l'échantillonnage gagner, loin à loisir, que (échantillonnage « GLQ ») contient, parmi les quelque 3500 mentions de sources, des références aux dictionnaires ou lexicographes suivants [33] : Aalma (GLLF), Palsgrave (GLLF [4], TLF [3]), Robert Estienne (GLLF [4], TLF), Nicot (Furetière, Trévoux, Bescherelle), Hulsius (GLLF, TLF), Cotgrave (Littré [5], GLLF), Oudin (GLLF [2], TLF [2]), Widerhold (GLLF), Richelet (Littré [3], GLLF [2]), Du Cange (Littré), Furetière (Robert 1951-64, GLLF [4]), Académie (Trévoux [2], Féraud [5], Bescherelle [11], Dochez [1], Littré [3], DG, Robert 1951-64 [5], GLLF [10], TLF [17], Robert 1985 [3]), Th. Corneille (Féraud [3], Bescherelle [4], Littré), Wailly (Féraud [3]), Trévoux (Bescherelle [2]), Féraud (TLF), Boiste (Bescherelle [10]), Pougens (Bescherelle, Littré [13]), Lacurne (Littré [7]), Laveaux (Bescherelle [3]), Bescherelle (GLLF), Littré (Robert 1951-64, GLLF [4], TLF [2]), Larousse (GLLF [2]), Godefroy (DG, GLLF [3], TLF [4]), Dictionnaire général (GLLF [2]), Huguet (TLF [3]), Wartburg (TLF [8]), Tobler-Lommatsch (TLF [15]), Robert (TLF) [34].

Dans le même échantillonnage, on rencontre aussi la mention d'un certain nombre de grammairiens, arbitres et chroniqueurs de l'usage et linguistes ; entre autres, Vaugelas (Richelet [6], Trévoux [2], Féraud [7], Littré [2], GLLF [2]), Grevisse (TLF [5]), Le Bidois (Robert [11], TLF [2]) [35].

L'intertextualité nommée sérielle n'est pas rare (cf. 18) :

Les filiations de (19) sont les suivantes : a) Buffet –> Littré ; b) Vaugelas –> Académie –> Pougens –> Littré.

Les fonctions des mentions de sources métalinguistiques sont multiples ; les deux tableaux suivants en donnent une synthèse pour les sources dictionnairiques énumérées ci-dessus (Fig. 1) et pour les dictionnaires citants (Fig. 2) [36]

.

Légende des colonnes:
1. étymologie
2. première attestation
3. première attestation par un dictionnaire
4. attestation d'un usage ancien
5. attestation (mot-sens ou exemple)
6. définition
7. opinion critique
8. mot enregistré
9. mot non enregistré

Légende des colonnes:
1. étymologie
2. première attestation
3. première attestation par un dictionnaire
4. attestation d'un usage ancien
5. attestation (mot-sens ou exemple)
6. définition
7. opinion critique
8. mot enregistré
9. mot non enregistré

Le Dictionnaire de l'Académie française, détenteur attitré de la norme du bon français et représentant officiel d'une synchronie limitée au bon usage, ne cite aucune source, ce qui est logique puisque les auteurs du Dictionnaire sont eux-mêmes en très grande partie des littéraires ou « conseillers littéraires » ; en revanche, il est cité par tous les autres dictionnaires. Il est le seul dont l'imprimatur est assidûment noté, en particulier par DG (cf. « Admis ACAD. 1718. » s.v. GAGNANT) et TLF (cf. « Att. ds. Ac. dep. 1694. » s.v. GAGNER, LOIN, LOINTAIN, LOIR, LOISIBLE, LOISIR, QUE) ; on peut aussi signaler l'absence d'un item : « Cet emploi [...] est condamné par certains puristes et ne figure pas dans ACAD. 8e éd. » (Robert 1951-64 s.v. LOIN). Ses déclarations critiques sont écoutées (Trévoux, Féraud [4], Littré [2]), on lui emprunte des définitions (Trévoux, TLF [2]) et Bescherelle par-delà tous en rapporte maint exemple d'emploi (voir 2.2). Dans l'échantillonnage « GLQ », quelques dictionnaires et lexicographes sont exploités exclusivement, ou presque, par un seul citant : Boiste par Bescherelle, Pougens (13 fois sur 14) et Lacurne par Littré, Wartburg et Tobler-Lommatsch par TLF.

3. Le personnalisé, l'impersonnalisé et l'incertitude

3.1. De je défini à on indéfini

Le sujet implicite ou explicite de l'énoncé dictionnairique est la langue, la norme, le bon usage. Le lexicographe, ayant signé son nom sur la page de titre et s'identifiant avec la norme [37], s'efface derrière l'anonymat du texte. La nature collective de certaines entreprises – Trévoux, DG, les dictionnaires du XXe siècle – renforce l'anonymat. Le commentaire, ou remarque, est pourtant le lieu de la voix du lexicographe, lequel se sent obligé de sortir du discours canonique pour le nuancer d'une façon ou d'une autre. La remarque n'attend pas la création de la rubrique « Remarque » pour se manifester. Tantôt ouvertement personnelle (le lexicographe se nomme par je), tantôt réellement ou faussement impersonnelle (différentes formules d'un sujet à la troisième personne), elle s'instaure dans le discours lexicographique dès les premières réalisations dictionnairiques.

Ménage, arbitre de la multiplicité des usages concomitants – à la Cour, à Paris, dans les provinces, selon les différents niveaux de langue – et des étymologies proposées par ses devanciers, est l'auteur d'un texte personnalisé particulièrement complexe pour la variété des fonctions de la première personne : cette complexité est due à la fois au style du dictionnaire ancien et à la polysémie du discours propre à Ménage associant langue et étymologie. Chez lui, l'emploi de la première personne du singulier, je, s'oppose à différentes valeurs de la première personne du pluriel, nous, qui elle-même fonctionne en opposition avec on (cf. ci-dessous) et d'autres indéfinis (cf. 4). L'emploi de je (et de sa variante distributionnelle me) correspond à deux situations : le discours personnalisé du lexicographe face à la documentation [38] – orale (20) ou écrite, lue autrefois (21) ou transmise par une tierce personne (22) – et le discours de l'incertitude assumée par le lexicographe en situation d'échec étymologique (cf. 3.2).

Les remarques de Nicot, « autheur de ces Commentaires & thresor de la langue Françoise » [39], permettent de dresser une typologie que l'on retrouvera à plusieurs reprises par la suite, dès Ménage. Le lexicographe se nommant peut : a) cautionner une information extralinguistique (23), b) avancer une opinion personnelle (24), c) renvoyer à sa propre autorité intratextuelle (25) ou intertextuelle (26), d) qualifier une information qu'il vient de donner (27), e) se référer à sa propre compétence linguistique (28).

Féraud, commentateur lui aussi, dans son Dictionaire critique de la langue française, de l'usage et des déclarations métalinguistiques antérieures, introduit une rubrique « Rem. » ; il y met maint énoncé ayant un sujet à la première personne :

Bien que la rubrique « Rem. » continue à trouver la faveur des lexicographes (cf. Littré, Robert, GLLF et TLF), le discours scientifique objectif, répandu au cours du XIXe siècle, impose peu à peu l'utilisation de formules impersonnelles. Cela n'exclut pourtant pas l'emploi occasionnel d'une marque personnelle rappelant la pratique des lexicographes anciens omniprésents dans leur discours scientifique (comme Nicot et Ménage) :

Alors que Scheler, au XIXe siècle, fait une utilisation conjointe des premières personnes du singulier (je) (32) et du pluriel (nous) (33), les lexicographes modernes ont tendance à s'effacer en tant qu'individus derrière des formules impersonnelles telles que on (voir ci- dessous). Le nous de majesté (33) (34) constitue ce qu'on pourrait appeler un « faux effacement ».

Déjà polysémique dans la langue ordinaire, le pronom on est peut-être le pronom « personnel » le plus polyvalent du discours lexicographique. Le sujet on joue différents rôles : a) conformément au modèle de base, il signifie l'usage normé – c'est, par excellence, la fonction du on dit de l'Acad (35) [48] et de l'expression comme quand on dit, utilisée notamment par Nicot et Ménage pour une exemplification mise en situation de discours (36) ; b) il désigne un usage variant (37) [49] ; c) signifiant, en apparence, l'observateur (on relève X dès Y), il revient en fait à la présentation d'une première attestation (X se dit depuis Y) (38) ; d) il se réfère à un usage (39) ou à une opinion (40) jugés incorrects, ou à une opinion sur laquelle le lexicographe ne se prononce pas (41) ; e) il permet au lexicographe de se rendre solidaire d'une opinion collective (42) ou d'englober, grâce à l'indéfini, un ensemble d'auteurs, éventuellement exemplifiés, dont il rapporte l'opinion (43) ; f) il peut être une formule rhétorique permettant au lexicographe de cautionner un avis personnel en le présentant comme une opinion collective (virtuelle) (44) ; g) la valeur de collectif de protection de on et de sa variante distributionnelle nous est exploitée par un lexicographe comme Bescherelle, compilateur et emprunteur notoire (45, 46) [50] ; h) on peut être une variante stylistique de je (on notera que = j'ajoute que / ajoutons que) (47) [51].

Certains des exemples donnés ci-dessus (notamment Scheler s.v. LOSANGE, TOAST) illustrent l'utilisation fréquente de la première personne dans les cas d'incertitude vis-à-vis d'une étymologie.

3.2. L'incertitude

Si le lexicographe maîtrise ses données synchroniques, il y a maints cas où l'étymologie d'un mot lui est incertaine ou inconnue [60]. L'indétermination de l'étymologie proposée peut être signalée de différentes façons. Dans les premiers dictionnaires, la marque la plus employée est le verbe semble modalisant une copule introduisant l'origine probable du mot sujet d'énoncé :

Les formules d'incertitude ou de probabilité sont très variées ; par exemple :

Les incertitudes de « l'ancienne étymologie », fondée sur la ressemblance ou les différences apparentes des mots, ne sont pas les mêmes que celles de « l'étymologie moderne », fondée, elle, sur l'observation des faits à l'aide de la phonétique, de l'histoire du mot et de la comparaison [65]. Certains lexicographes ne craignent pas de faire part de leurs hésitations :

Dans un siècle marqué par la découverte des parentés des langues indo-européennes, Toubin, fortement (voire excessivement) influencé par les écrits d'Émile Burnouf [67], hasarde mainte hypothèse introduite par les formules sous toutes réserves ou à mon avis :

Les dictionnaires modernes ont pourtant l'habitude d'exprimer l'indétermination autrement ; la difficulté du lexicographe serait généralement partagée par la communauté scientifique :

Parfois le lexicographe énonce une hypothèse personnelle sans recourir à une forme marquée (je ou nous), mais en choisissant des formules impersonnelles et modalisées (il est possible, il est vraisemblable, X peut se rattacher à Y), des tournures passives ou un système hypothétique au conditionnel présent [69]. Par exemple :

Dans un tel contexte, l'indéfini on (cf. 3.1) permet d'exprimer, paradoxalement à l'aide d'une forme personnelle non marquée, le je du locuteur-lexicographe ; ainsi, dans un contexte fortement marqué par un conditionnel passé :

Lorsque le lexicographe emploie la marque personnelle nous, cela renforce en contraste la valeur indéfinie du pronom on, et confère aux formes impersonnelles un rôle complexe : elles permettent à l'auteur (aux auteurs) non seulement de s'opposer aux autres lexicographes (« On prétend »), mais aussi de proposer une hypothèse sans apparaître directement (« Il n'est pas impossible que »). Ainsi, s.v. BOURSE au sens de "lieu public" :

Dans la perspective de cette concurrence nous/on, la présence dans le texte de Guiraud de formules à la première personne telles que :

nous conduit à apprécier l'emploi de formes non marquées, qu'il s'agisse de tournures tout à fait impersonnelles comme « Bref, il n'est pas absurde d'imaginer un gallo-roman *litium "bordure" [...] » (ibid.), qui renvoient bien, dans ce genre de contexte, à la personne du lexicographe, père de l'hypothèse proposée, ou qu'il s'agisse encore de la forme on susceptible de fonctionner parallèlement au nous de majesté [72] :

Ces deux exemples montrent la tendance de l'auteur à préférer les formes sans marque personnelle quand il propose une hypothèse : ce n'est d'ailleurs qu'une pure clause de style, puisque son ouvrage, tout à fait original, présente une nouvelle méthode de reconstruction étymologique, structurale, trans-historique et morpho-sémantique, fondée sur la convergence des relations phono-morphologiques des structures signifiantes et des relations sémiques des structures signifiées [73], le tout s'inscrivant dans la tradition des archétypes étymologiques.

3.3. Étude d'un cas d'incertitude particulier (1) : le commentaire étymologique de Littré 1863 s.v. COURROUX

Alors que le premier on (« on a indiqué ») est d'emblée exemplifié par les deux noms propres (« Raynouard », « Diez »), le deuxième emploi de on, juste après le discours critique du lexicographe s'exprimant à l'interrogative (« mais », « comment »), renvoie à la communauté lexicographique (« On devrait trouver ») ; avec le verbe regretter dénué de neutralité, on (« on regrette ») équivaut à un je, celui de Littré introduisant par cette formule sa propre démonstration (« on a », « on en trouve ») ; l'utilisation du gérondif (« en étudiant ») suivi de la reprise de on implique encore davantage notre interprétation d'un je caché, puisque c'est bien Littré lui-même qui argumente ; avec le dernier emploi de on (« On conçoit sans peine »), nous percevons l'habileté rhétorique de l'auteur, qui associe tout lecteur à son discours pour le convaincre : « sans peine » est encore renforcé par « le fait est certain » [74].

3.4. Étude d'un cas d'incertitude particulier (2) : l'étymologie du verbe tirer [75]

Si l'étymologie aveille < apicula (cf. ci-dessus, citation 48) s'est confirmée par la suite, la rigueur introduite par la grammaire comparée et l'application des lois de la phonétique historique a pu infirmer un certain nombre de propositions présentées auparavant comme des certitudes. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, quelques changements et transpositions de lettres permettent à Ménage de faire venir le verbe tirer du latin trahere par l'intermédiaire d'un latin populaire *tirare :

Averti des progrès de la grammaire comparée débutante, Roquefort maintient cependant, en 1829, l'étymologie tirer < trahere, sans indiquer d'autre étape intermédiaire que celle suggérée par le fait qu'il classe tirer sous la vedette traire [77]. Trente ans après, Bescherelle 1858 et Dochez 1860 font toujours venir tirer de trahere [78].

La deuxième moitié du XIXe siècle cependant préfère pour ce mot des solutions germaniques. Scheler introduit dans la lexicographie française l'étymologie (< got. tairan) proposée par Diez, dont il est le continuateur [79], laquelle continuera à être reprise ou rejetée jusqu'aux dernières années du XXe siècle :

Bien qu'au fait des travaux de Diez et de Scheler [80], Brachet [1868] donne une information schématique : « mot d'origine germanique (néerlandais têren, tirailler). » Littré donne plus de détails, tirés en bonne partie de Diez-Scheler :

Le doute introduit par Scheler est exprimé en termes plus prononcés par le Dictionnaire général, qui rejette l'hypothèse tirer < tairan, tout en se gardant d'en proposer une autre :

En 1928, Gamillscheg retient pour tirer (s.v. TIR) l'étymon immédiat de Ménage – < *tirare –, mais voit dans ce dernier le croisement apparent d'un germ. *teran avec lat. grare. Dauzat 1938-61 retient une partie de l'explication de Gamillscheg : tirer < *tirare < teran, « avec une altération obscure e > i. »

Wartburg enregistre, en 1950, une autre hypothèse, dont tous les dictionnaires postérieurs se sentiront obligés de tenir compte :

La première édition du Robert (t. 6, 1964) accepte sans condition l'étymologie tirer < martirier (« réduction de l'anc. franç. martirier, "torturer" ») ; Dauzat 1964-1971 la reproduit en gardant l'expression de probabilité.

Picoche 1971-1992 retient cinq hypothèses, dont celle de Wartburg est la troisième et dont la plus satisfaisante serait un emprunt ancien au germanique par croisement de germ. *tran "arracher" et de lat. gyrare "tourner" (cf. Gamillscheg).

Le GLLF ne mentionne explicitement que l'étymologie de Wartburg mais reste très sceptique (à l'instar de Gamillscheg 1969 qui la qualifie d'impossible) :

Guiraud 1982 marque la première application dictionnairique d'une approche qui, tout en retenant l'acquis des méthodes dites « comparatiste », « historique » et « naturelle », soumet les cas restés sans solution à une analyse structurale [84]. En ce qui concerne l'étymologie de tirer, il rejette l'hypothèse de Wartburg :

et affirme que tirer dérive de tire "rangée", qui vient « sans doute d'un germ. *têr » (quatrième hypothèse chez Picoche). La deuxième édition du Robert (1985) se range à l'avis de Guiraud. RobHist 1992 consacre à la discussion de l'étymologie de tirer – « l'un des cas les plus obscurs de l'étymologie » – un long paragraphe dans lequel il commente les arguments et hypothèses de Diez, Corominas (lat. tyrannus) et Wartburg, pour conclure qu'une origine germanique *teri (cf. Picoche et Guiraud) n'est pas exclue. Le TLF (t. 16, 1994) se contente de qualifier l'origine du mot de « très discutée » (avec renvoi au FEW) et de rapporter la proposition de Wartburg.

Jusque-là, le lexicographe s'adresse directement au lecteur, même si la complexité du sujet lui rend la tâche difficile (cf. le renoncement du GLLF) et si certaines formulations contiennent une part d'implicite (la proposition tirer < tairan/tran chez DG et Dz 1938) ou demanderaient même une démonstration (l'affirmation de Guiraud). La dernière édition du Dauzat laisse le lecteur perplexe en se réfugiant dans une intertextualité non explicitée (il s'agit d'une allusion à Wartburg) et donc énigmatique :

Le lecteur peut facilement imaginer des centaines d'origines « peu probables » pour le mot tirer ! [85]

En résumé, les méthodes scientifiques, tout en permettant de résoudre bien des cas auparavant problématiques, mettent en évidence des difficultés jusque-là insoupçonnées. Confrontés à ce genre d'incertitudes, les dictionnaires adoptent différentes attitudes : dans le cas de tirer, certains choisissent de ne pas se prononcer (DG, GLLF, TLF), d'autres prennent le parti d'avancer une hypothèse (Dauzat, Wartburg, Picoche, Guiraud, Robert 1985, RobHist) ; il est même possible de sembler n'y voir aucun problème (Robert 1964), comme il est également possible de rédiger un texte dysfonctionnel (Dauzat 1993).

4. Les indéfinis

Si, selon les principes énoncés au départ, le dictionnaire s'occupe essentiellement de ce qui se dit conformément à la norme, il évoque à tout moment l'ouverture du système ainsi que la variation du côté du disant comme de celui du dit. Un autre type d'ouverture concerne l'indéfinition des sources.

4.1. Les formules indéfinies concernant les sources

La lexicographie française du XVIe siècle s'engagea dans l'effort mené par littéraires et érudits de donner ses titres de noblesse à la langue vernaculaire. L'humaniste Estienne, ami de Budé, et l'érudit Nicot, familier de la Pléiade, participèrent à l'étude des origines du lexique français. L'étymologie balbutiante n'avait pas encore de bases suffisantes pour dominer les prises de position idéologiques qui voulaient voir dans le français le descendant direct d'une langue ancienne prestigieuse, qui l'hébreu, qui le grec, qui le latin [86]. Aussi n'est-il pas rare de lire dans les dictionnaires d'Estienne et de Nicot des discussions concernant les différentes origines possibles ou déjà proposées pour tel ou tel mot [87]. À l'égard des propositions d'autrui, le lexicographe prend souvent ses distances – soit pour rester neutre (72), soit pour donner son avis (73-75) – par l'emploi d'un pronom sujet indéfini. Dans le Thresor de la langue françoyse, qui cumule les observations d'Estienne, de son continuateur Thierry et de Nicot [88], l'indéfini canonique est aucuns, parfois complété de autres [89].

Dans certains cas, il est clair que Nicot connaissait l'identité des « aucuns » ; remaniant le Dictionaire françois-latin d'Estienne, il y avait lu :

Dans d'autres, l'indéfini était déjà dans le texte hérité :

Ménage est lui aussi tributaire de ce genre d'héritages et on observe chez lui de nombreux parallèles avec Nicot. Il emploie le même type de formules indéfinies : il y en a qui, quelques-uns, la plupart, plusieurs, certains – soit sans identification aucune :

– soit avec identification ultérieure :

les « quelques-uns » de 1650 sont identifiés en 1694 :

Dans le discours étymologique, la formule X... d'autres... s'emploie à toutes les époques pour distinguer une hypothèse valorisée (signée) d'une autre moins prisée (pluralité anonyme) :

Lorsqu'il s'agit de commentateurs de l'usage, les indéfinis tendent à être nominalisés : critique (81), grammairiens (82), puristes (83). Les indéfinis non sujets d'énoncé sont plus indirects : c'est le cas, par exemple, de considéré (84).

Le plus souvent, les grammairiens, puristes, critiques et considérants ne sont pas nommés. Dans quelques cas (peut/pourrait être considéré), le lexicographe assume lui-même le commentaire [98]. En revanche, il faut noter la tendance à la distanciation vis-à-vis des certains (82 note, 83 et note). Nous ne sommes pas loin des indéfinis de distanciation du discours étymologique (voir ci-dessus).

4.2. Les formules indéfinies concernant les locuteurs

Les mêmes indéfinis pronominaux et adjectivaux servent à qualifier les usages variants :

Dans les cas cités ci-dessus (85-87), aucune précision, géographique ou autre, n'est donnée. Dans les exemples suivants, le lexicographe fournit une précision au moins partielle de l'indéfini : les quelques-uns de Féraud comprennent le père Rapin (88) ; ceux de Littré parleraient comme des Normands (89) ; le TLF nomme certains de ses dialectes (90).

Souvent la marque de variation se réduit à la simple copule ou (91), plus précision éventuelle (92) :

L'usage des « écrivants » – auteurs, écrivains, poètes – est souvent noté, sans identification (93-94) ou avec précision partielle (95-96) :

4.3. Les exemples et les synonymes

Les exemples sont par excellence un lieu d'ouverture sur le discours ; ils constituent toujours des listes ouvertes. Les premiers dictionnaires surtout explicitent souvent la nature partielle du champ de l'exemple en l'introduisant par une copule : comme chez Nicot [11 fois dans l'échantillonnage « GLQ »] (97) et Académie [15] (98) ; exemple chez Richelet [5] (99) et Bescherelle [4] (100) [106].

La partie libre de l'exemple de construction est souvent remplacée : par etc. chez Nicot (101), par des points de suspension dans les dictionnaires ultérieurs (102-104) [107] :

Une pratique courante de la lexicographie actuelle, fondée sur le principe de la synonymie contextuelle, consiste à donner après un exemple d'emploi les mots qui peuvent se substituer au mot-vedette dans l'exemple pour exprimer le même sens. En théorie, si, sous le mot A, A peut être remplacé par B dans un contexte X, on pourrait s'attendre à ce que, dans l'article consacré à B, A soit donné comme synonyme dans le même contexte ou un contexte similaire X. Dans la pratique, la variation infinie des valeurs du sémantisme du discours (facteur linguistique), l'économie de l'exemplification dictionnairique (facteur pragmatique) et les aléas de la discontinuité de la rédaction (facteur stochastique) sont causes de non-réciprocité, voire de contradictions, des séries de synonymes. Pour prendre le cas de Lexis, dans lequel les « synonymes [...] sont éventuellement accompagnés [...] de notation d'intensité : une flèche [...] dirigée vers le bas () [indique un synonyme] à valeur [expressive] plus faible » [110], la situation suivante n'est pas rare :

On peut remarquer : a) que si avoir l'effronterie de faire qch renvoie à audace et à impudence (105), avoir l'audace de faire qch ne renvoie pas à effronterie (106) ; b) que avoir l'impudence de faire qch n'est pas donné s.v. IMPUDENCE (107) ; c) qu'alors que impudence aurait la même intensité que effronterie dans avoir l'effronterie/impudence de faire qch (105), il aurait une intensité plus forte dans faire qch avec impudence/effronterie (107).

4.4. Les listes ouvertes

On a l'habitude de classer les unités lexicales en classes ouvertes (noms, adjectifs lexicaux, verbes, adverbes lexicaux) et classes fermées (déterminants, pronoms, auxiliaires, adverbes grammaticaux, prépositions, conjonctions). Alors qu'on pourrait s'attendre à ce que le dictionnaire, quand il les évoque, indique l'ouverture des premières et ferme les secondes, dans la pratique les deux sortes de classes sont souvent laissées ouvertes ; la tâche éventuelle de les clore est alors rejetée sur l'utilisateur. Les dictionnaires se servent de diverses formules pour indiquer le caractère inachevé d'une liste : points de suspension, etc. (108 et passim), tels que (109), comme (110), quelques autres (111), divers (110 note), certains (110 note, 112), plusieurs (110), la plupart (112), beaucoup (113), un grand nombre (110 note, 112), toutes sortes de (114), nombreux (115), une multitude (116), une infinité (110, 113).

S'agissant de phrases (111), on nous dit qu'elles sont en fait limitées en nombre par l'usage ; s'agissant de mots grammaticaux ou de locutions adverbiales, prépositives et conjonctives (passim), la plupart des dictionnaires n'en donnent pas la liste complète. La pratique des listes ouvertes devient complètement inopérante lorsque le dictionnaire renvoie l'utilisateur à l'ordre alphabétique pour y chercher des mots non précisés (110 et note) ! Pour les locutions formées avec que, les listes formellement fermées sont peu nombreuses :

Il en va de même des mots lexicaux cooccurrents du mot-vedette, dont les dictionnaires offrent souvent un échantillon :

Il est aussi des cas d'indétermination à l'intérieur de la microstructure, où le lexicographe renvoie à une partie non précisée du même article :

4.5. La fréquence

La fréquence linguistique n'est mesurable qu'en discours et, à moins de fonder ses affirmations sur un corpus clos, le dictionnaire ne l'indique que de façon relative et approximative. Dans l'échantillonnage « GLQ », les marques de fréquence sont quelquefois (chez Nicot, Richelet, Furetière, Académie, Trévoux, Féraud, Bescherelle, Littré), parfois (Robert, GLLF, Lexis, RobHist), rare (Robert, GLLF, TLF, Lexis), rarement (Académie, Trévoux, Bescherelle), souvent (Académie, Trévoux, Féraud, Bescherelle, Dochez, Littré, Robert, DFC, GLLF, TLF, Lexis), fréquent (Robert, GLLF, RobHist), fréquemment (Richelet, Littré), courant (Robert), la plupart des cas (Robert), presque toujours (Robert), plutôt (Richelet, Académie, Dochez, Robert). Par exemple :

L'usager est inégalement servi par les indéfinis de fréquence : alors que Richelet précise les conditions d'emploi de son quelquefois (122), le parfois du GLLF (123) reste inexpliqué, tout comme le obligatoire dans la plupart des cas et le presque toujours du Robert (129, 130).

Notre dernier exemple illustre plusieurs des procédés étudiés dans cet article :

a) « Voyez s'il vient point de » : incertitude de la part du lexicographe au sujet de l'étymologie (cf. 3.2) ; b) « aucunefois signifie » : fréquence indéfinie (cette section) ; c) « Aucuns le deriuent de [...] & escriuent » : formule de distanciation vis-à-vis d'une source métalinguistique non nommée (cf. 4.1).

Conclusion

Au terme de cet examen sélectif du discours lexicographique et du texte dictionnairique, nous constatons le paradoxe des exigences liées à la méthodologie moderne et de cette matière vivante qu'est la langue dont le dictionnaire est l'écho, qu'il soit dictionnaire de langue ou dictionnaire étymologique. Si le dictionnaire de langue continue à être pensé et perçu souvent encore comme étant clos, dans la pratique il est ouvert de tous les côtés. En synchronie, sont causes d'ouverture l'arbitraire de la norme et la distinction floue entre langue finie et discours infini ; le rôle de l'exemple "échantillon" n'est-il pas justement de pratiquer une « aperture », une voie d'accès à la variation discursive ? En diachronie, l'autorité du dictionnaire de langue et du dictionnaire étymologique est conditionnée par la nature approximative de presque toute datation, le caractère hypothétique de mainte étymologie, les constats d'ignorance de l'origine d'un mot.

Le dictionnaire a toujours été un lieu de discours impliquant le couple locuteur/interlocuteur. Cependant, au fil des siècles, ces deux notions ont évolué parallèlement aux développements du genre dictionnairique. Le locuteur écrivant a acquis le statut d'autorité consultée, tandis que l'interlocuteur lisant est devenu usager consultant. À lire les préfaces des dictionnaires contemporains, la situation actuelle serait bien différente de celle qui faisait dire à Jacques Dupuys en 1564, dans son « Aduertissement au lecteur » présenté en introduction de la troisième édition du Dictionaire francoislatin : « Ami lecteur, [...] si tu y trouues quelque chose à redire [...] tu me veilles faire tant de bien que de m'en aduertir [...]. » Et pourtant, le texte dictionnairique d'aujourd'hui appelle le lecteur-interlocuteur, comme dans toute création moderne ouverte, à exercer à tout moment sa compétence de locuteur-interprète face à un objet qui défie toute tentative de codification transparente et systématique [121].

En conséquence, il faut réexaminer le genre dictionnairique à la lumière d'une nouvelle distinction lecture/consultation en tenant compte de l'ensemble des exigences virtuelles de tout utilisateur, curieux, amateur ou scientifique. Il va de soi que ces quelques remarques ne constituent qu'une sorte d'introduction justifiant la pertinence d'une telle étude sur un corpus défini, notamment dans la perspective d'une analyse critique des méthodes propres au discours étymologique dans les dictionnaires, des plus anciens aux plus modernes.


Bibliographie

Corpus de dictionnaires: voir
note 10.

Sources secondaires

Dubois, J. « Dictionnaire et discours didactique », Langages, 19 (1970).

Dubois, J. & Cl. Introduction à la lexicographie : le dictionnaire, Paris: Larousse, 1971.

Glatigny, M. « Les commentaires normatifs dans le dictionnaire monolingue », Wörterbücher: Ein internationales Handbuch zur Lexikographie (éd. F.J. Hausmann et al., Berlin et New York: Walter de Gruyter, t. 1, (1989).

Heinz, M. Les Locutions figurées dans le « Petit Robert » : description critique de leur traitement et propositions de normalisation, Tübingen: Niemeyer, 1993.

Leroy-Turcan, I. Introduction à l'étude du Dictionnaire étymologique ou Origines de la langue françoise de Gilles Ménage (1694). Les étymologies de Ménage : science et fantaisie, Lyon: Centre d'études linguistiques Jacques Goudet, 1991.

Rey, A. « Les dictionnaires : forme et contenu », Cahiers de lexicologie, 7 (1965): 65-102.

Rey, A. Le Lexique : images et modèles, Paris: Colin, 1977.

Rey-Debove, J. « Autonymie et métalangue », Cahiers de lexicologie, 11 (1967): 15-27.

Rey-Debove, J. Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains. La Haye et Paris: Mouton, 1971.

Wiegand, H.E. « Printed Dictionaries and Their Parts as Texts. An Overview of More Recent Research as an Introduction », Lexicographica, vol. 6 (1990): 1-126.

Wooldridge, T.R. Les Débuts de la lexicographie française, Toronto: University of Toronto Press, 1977.

Wooldridge, T.R., A. Ikse-Vitols & T. Nadasdi, « Le Projet CopuLex », Historical Dictionary Databases (éd., T.R. Wooldridge, Toronto, Centre for Computing in the Humanities, Université de Toronto, 1992) ; édition en ligne.

Wooldridge, T.R. « Nicot et Ménage révélateurs réciproques de sources cachées et de discours empruntés », Actes du Colloque Ménage (Lyon, mars 1994), Lyon: SIEHLDA, 1995: 37-57 et Toronto: SIEHLDA, 1998.


Notes

1. Une partie des données exploitées dans cet article a été informatisée grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

2. Voir surtout Rey 1965 et 1977; Rey-Debove 1967 et 1971; Dubois 1971.

3. Dubois 1971: 49.

4. Dubois 1970: 40.

5. Dubois 1971: 57-8.

6. Cf. Wooldridge 1977.

7. Cf. Wiegand 1990.

8. Wiegand 1990: 4-5.

9. Glatigny 1989: 700.

10. Dictionnaires généraux:

  • R. Estienne, Dictionaire francoislatin (2e éd., Paris, 1549 ; 3e éd. = Thierry 1564 ; 4e éd., avec additions de J. Nicot, Paris, 1573);
  • J. Thierry, Dictionaire francoislatin (3e éd., Paris, 1564);
  • J. Nicot, Thresor de la langue françoyse (Paris, 1606);
  • P. Richelet, Dictionnaire françois (2 vols, Genève, 1680);
  • A. Furetière, Dictionnaire universel (3 vols, La Haye et Rotterdam, 1690);
  • Dictionnaire de l'Académie française (2 vols, 1ère éd., Paris, 1694 ; 2e éd., 1718 ; 3e éd., 1740 ; 4e éd., 1762 ; 5e éd., [1798] ; 6e éd., 1835 ; 7e éd., 1878 ; 8e éd., 1932-5) [abrév. Acad];
  • Dictionnaire universel françois et latin vulgairement appellé Dictionnaire de Trévoux (4e éd., 6 vols, Paris, 1743) [Trévoux];
  • J.-F. Féraud, Dictionaire critique de la langue française (Marseille, 1787);
  • M. Bescherelle, Dictionnaire national (6e éd., 2 vols, Paris, 1858);
  • L. Dochez, Nouveau Dictionnaire de la langue française (Paris, 1860);
  • É. Littré, Dictionnaire de la langue française (4 vols, Paris, 1863-72);
  • A. Hatzfeld et A. Darmesteter, Dictionnaire général de la langue française (2 vols, Paris, 1890-1900) [DG];
  • P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (1ère éd., 6 vols, Paris, 1951-64 ; 2e éd., 9 vols, 1985);
  • Dictionnaire du français contemporain (Paris, 1967) [DFC];
  • P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, dit Le Petit Robert (Paris, 1967) [PR];
  • Grand Larousse de la langue française (7 vols, Paris, 1971-8) [GLLF];
  • Trésor de la langue française : Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (16 vols, Paris, 1971-94) [TLF];
  • Lexis : dictionnaire de la langue française (Paris, 1975);
  • Micro-Robert (2e éd., Paris, 1988) [MR].
    (Cf. Wooldridge et al. 1992.)
    Dictionnaires étymologiques:
  • G. Ménage, Origines de la langue françoise (Paris, 1650);
  • G. Ménage, Dictionnaire étymologique, ou Origines de la langue françoise (Paris, 1694);
  • B. de Roquefort, Dictionnaire étymologique de la langue françoise, où les mots sont classés par familles (2 vols, Paris, 1829);
  • A. Scheler, Dictionnaire d'étymologie française d'après les résultats de la science moderne (1ère éd., Bruxelles et Paris, 1862 ; 2e éd., 1873 ; 3e éd., 1888);
  • A. Brachet, Dictionnaire étymologique de la langue française (Paris, s. d. ; l'avant-propos de l'auteur est daté de 1868);
  • C. Toubin, Dictionnaire étymologique et explicatif de la langue française (Paris, 1886);
  • L. Clédat, Dictionnaire étymologique de la langue française (Paris, [1912]);
  • W. v. Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch (25 vols, Tübingen et Basel, 1922-) [FEW];
  • E. Gamillscheg, Etymologisches Wörterbuch des französischen Sprache (1ère éd., Heidelberg, 1928 ; 2e éd., 1969);
  • O. Bloch et W. v. Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française (1ère éd., Paris, 1932 ; 2e éd., 1950 ; 3e éd., 1960 ; 6e éd., 1975) [BW];
  • A. Dauzat, Dictionnaire étymologique de la langue française (1ère éd., Paris, 1938 ; devenu, avec le concours de J. Dubois et H. Mitterand, Nouveau dictionnaire étymologique et historique à partir de 1964 ; puis Dictionnaire étymologique et historique du français en 1993) [Dz];
  • J. Picoche, Nouveau dictionnaire étymologique du français (1ère éd., Paris, 1971 ; devenu Dictionnaire étymologique du français, Paris et Montréal, 1992);
  • P. Guiraud, Dictionnaire des étymologies obscures (Paris, 1982);
  • A. Rey et al., Dictionnaire historique de la langue française (2 vols, Paris, 1992) [RobHist].

    11. « Dictionnaires étymologiques généraux » s'entend, à l'exclusion donc des DE spécialisés se limitant, par exemple, au traitement des toponymes ou des anthroponymes. Le critère « dictionnaire français » fait inclure le FEW (gallo-roman) et exclure le Romanisches etymologisches Wörterbuch de W. Meyer-Lübke (langues romanes).

    12. Dont le discours est conditionné par l'objet qui lui est propre, l'étymologie : l'ampleur du sujet ne nous permet de détailler ici une typologie du discours étymologique propre au DE.

    13. La rubrique « Étymologie et Histoire » du TLF comprend la date de première attestation et, outre une discussion de l'étymon du mot et la présentation de formes apparentées dans les autres langues romanes, des informations référencées (= bibliographie microstructurelle, cf. 2.1) sur l'histoire des réalisations graphiques et phonétiques, ainsi que celle des sens et syntagmes.

    14. L'Epistre n'est pas reprise dans l'édition de 1694, qui, par ailleurs, ne contient aucune bibliographie récapitulative. Sur le rôle essentiel de cette épître pour l'histoire des théories linguistiques, cf. Leroy-Turcan 1991: 17-24.

    15. Même si les modalités d'expression ne sont pas toujours harmonisées, tout lecteur attentif peut retrouver dans le reste de l'ouvrage les détails d'une référence vague.

    16. Concernant l'histoire de la langue française, les principaux dictionnaires anciens pour la datation et quelques autres textes dont les dates reviennent fréquemment.

    17. Voir, dans BW, l'exemple détaillé à propos de la date de 1567 mentionnée seule s.v. BOUSIN, mais référencée s.v. BOURSE (cf. 2.4).

    18. Richelet 1680, « Table alphabetique de la plu-part des auteurs et des livres citez dans ce dictionnaire » (3 pages liminiaires) ; Trévoux 1743, « Table des auteurs et livres françois, dont on s'est servi pour la composition de ce dictionnaire » (5 p. limin.) ; Féraud 1787, « Noms des auteurs et titres des ouvrages cités dans ce dictionnaire » (ibid.) – Féraud ajoute : « Nous ne prétendons pas mettre dans cette liste tous les ouvrages des auteurs cités, mais seulement ceux que nous avons lus, ou en entier, ou par extrait. » ; Bescherelle 1858, « Liste des auteurs et des ouvrages dont les noms ou les titres sont cités en abrégé dans le dictionnaire » (2 p. en appendice) ; Littré 1863-72, « Listes des principaux auteurs cités » (7 p. en append.) ; Toubin 1886, « Principales abréviations » (3 p. limin. ; il s'agit de noms d'auteurs de traités ou dictionnaires étymologiques) ; DG 1890-1900, « Listes des principaux auteurs et des principaux ouvrages cités en abrégé » (2 p. en append.) ; FEW 1922-, deux fascicules (1929 et supplément en 1950) contenant 32 + 56 p. de références bibliographiques (très incomplètes) concernant les attestations ; Dauzat 1938, « Bibliographie » (3 p. limin., passés à 6 en 1993) ; Robert 1951-64, « Liste des auteurs et ouvrages cités » (2 p. limin.) plus « Liste bibliographique [raisonnée] des auteurs et des ouvrages cités dans le Robert » (29 p. en append. du Supplément publié en 1970) ; PR 1967, « Principaux auteurs et textes cités » (2 p. limin.) plus renvoi au « Grand Robert » ; GLLF 1971-8, « Bibliographie des matériaux utilisés pour la partie historique du dictionnaire » (29 p. limin. dans le t. I, devenues 97 p. en append. du t. 7) ; Picoche 1971-92, « Bibliographie sommaire » (1 p. limin.) ; TLF 1971-94, « Liste [raisonnée] des textes dépouillés » (49 p. limin. dans le t. I, plus compléments liminaires dans chacun des tomes suivants) ; Robert 1985, « Bibliographie [raisonnée] » (50 p. en append.).

    19. À partir du t. 8, les articles dépassant une page environ sont signés du nom des rédacteurs (la partie « synchronie » et la partie « diachronie » sont rédigées séparément).

    20. Cf. le concept de bibliographie d'auteur abordé à la fin de la section 2.5. Nous ouvrons ici les voies d'une recherche qui méritant une étude plus approfondie (travail en cours).

    21. TLF cite syntagme et définition. Cf. « Jouer à qui perd gagne. „Jouer à un jeu où l'on convient que celui qui perdra selon les règles ordinaires gagnera la partie" (Ac. 1932). » (TLF 1971-94 s.v. GAGNER).

    22. Cf. 2.6.

    23. Cf. aussi chez Bescherelle : « La reine permettra que j'ose demander Un gage à votre amour, qu'il me doit accorder. (RACINE.) On dirait en prose : La reine permettra que j'ose demander à votre amour un gage qu'il me doit accorder. L'inversion de Racine est dure, même en vers. » (s.v. QUE) et « Loin à loin, de loin à loin, de loin en loin. À de grands intervalles, à de grandes distances. Planter des arbres loin à loin. Les maisons, les hameaux sont semés loin à loin, de loin à loin, de loin en loin. || Ces locutions s'appliquent aussi au temps. Il ne vient plus me voir que de loin à loin. De semblables événements n'arrivent que de loin en loin. » (s.v. LOIN), pris textuellement, le premier dans Féraud 1787, le second dans Acad 1835.

    24. Cf. Acad 1694-1798 : « On dit encore, Aller loin, pour dire, Faire fortune. Il est homme d'esprit, & il a des amis à la Cour, il ira loin, il peut aller loin. cette charge le peut mener loin. » ; Acad 1935 : « Aller loin signifie aussi Être favorisé par la fortune, s'élever à de hauts emplois. Ce jeune homme est exceptionnellement doué, il ira loin. On dit de même Son talent, son application au travail le mèneront loin. »

    25. Voir Leroy-Turcan 1991.

    26. À moins d'avis contraire, le gras est de nous dans tout l'article.

    27. Furetière 1690 avait : « Ce mot vient de licere, suivant Nicod, comme plaisir, de placere. »

    28. Voir Wooldridge 1995.

    29. J. Sylvius, In linguam gallicam isagge (Paris, 1531).

    30. « [...] liste des textes ayant fourni les attestations les plus nombreuses. »

    31. Le TLF utilise l'intitulé ancien, New English Dictionary, de l'ouvrage qui, depuis 1933, porte le titre de Oxford English Dictionary.

    32. Cf. ci-dessus (2.1) la question de la bibliographie microstructurelle.

    33. À l'exception des hapax, le nombre de mentions (dont « id. », « ib. ») est donné entre crochets après chaque dictionnaire citant. Voir ci-dessus (2.1) la question des bibliographies macrostructurelles et microstructurelles.

    34. Notons également : Dupré (TLF [2]), Quemada (TLF), Rey-Chantreau (TLF [5]).

    35. Cf., par exemple : « Rem. Loin s'en faut. „Cette locution hasardeuse, venue apparemment par contamination de loin de là et de tant s'en faut, n'est signalée par aucun dictionnaire" (GREV. 1969, § 844, p. 831). „Damourette et Pichon (t. VI, p. 656) ont noté cet exemple : Sans être vulgaire (LOIN S'EN FAUT, il avait une certaine allure) (P.V. STOCK, dans le Mercure de France, 15 juin 1938, p. 554)" (ibid., note 1). » (TLF 1971-94 s.v. LOIN). TLF cite Grevisse, lequel dans le deuxième extrait cite Damourette et Pichon citant Stock !

    36. Légende des colonnes : 1. étymologie ; 2. première attestation ; 3. première attestation par un dictionnaire ; 4. attestation d'un usage ancien ; 5. attestation (mot-sens ou exemple) ; 6. définition ; 7. opinion critique ; 8. mot enregistré ; 9. mot non enregistré.

    37. Cf. Dubois 1970 et 1971.

    38. La documentation est soit liée à des manuscrits que lui ont communiqués les frères Dupuy, soit à des ouvrages manuscrits en cours de publication qu'il a pu consulter grâce à l'obligeance des auteurs (cf. le texte de Bourdelot), soit à une correspondance avec des savants étrangers, soit enfin à une expérience de la vie quotidienne, de l'enfance de l'auteur à sa fréquentation des salons parisiens (voir Ménage 1694 s.v. BOUCAHU).

    39. Nicot 1606 s.v. NIMES.

    40. Cf. s.v. ESSAY, GEOLIER, RUM.

    41. Le je d'opinion s'emploie surtout dans le champ le plus subjectif du discours lexicographique, celui de l'étymologie (cf. section 1). Cf. aussi chez Nicot s.v. BARON, CLAIRON, HAQUENÉE, MORALITÉ, O, PHIOLE, PORTE, RUSTAULT, TAILLE, TOURNOY ; et, depuis Thierry 1564, s.v. COURGE, FLECHE, MOISON.

    42. Cf. aussi s.v. GALOCHES. Les renvois que le lexicographe fait à ses propres œuvres déjà parues ou à paraître sont extrêmement fréquents chez Ménage 1694 : il renvoie notamment le lecteur à ses Observations sur la langue françoise (1675-6) et à ses Origini della lingua italiana (1685), comme à son Historia botanica et à ses Racines grecques qui n'ont jamais vu le jour. Exemple : « [...] ce que j'ay démontré dans mes Origines de la Langue Italienne au mot  : où je prends la liberté de renvoyer mes lecteurs. » (Ménage 1694 s.v. BOUT).

    43. Cf. s.v. DU, ESCOULABLE, IMPORTABLE, LAMBEAU, LIGNE, MANCHEREAU, MANGER, PARLEMENT, TABLE, TRAVÉE ; et, depuis Thierry 1564, s.v. HEURE, MARROQUIN, SCROFULAIRE.

    44. Cf. « étymol. que je ne reproduis que faute de mieux. « (Toubin 1886 s.v. LOMBRIC).

    45. Cf. note 83. Nous suivons la convention de la linguistique romane pour les références au FEW : il s'agit dans le cas présent du t. 6, vol. 1, p. 419, première colonne. Cf. aussi : « Lettre du [...] de M. que je remercie. » (FEW s.v. ATRIPLEX, XXV, 687b, note 40). L'auteur de la remarque, comme de l'article entier, est J.-P. Chauveau. C'est pourtant le « patron » du FEW, W. v. Wartburg – comme Ménage et Féraud, patron d'envergure de son dictionnaire personnalisé –, qui fait un usage fréquent de remarques à la première personne du singulier.

    46. En 1873, Scheler dit simplement : « du BL. laudes ».

    47. Cf. aussi : « Nous pensons, avec Gachet, que [...] » (Scheler 1862-73 s.v. LOSANGE).

    48. À l'instar de Nicot 1606 qui l'utilise plus de 1100 fois.

    49. Ménage associe ces deux premières catégories pour l'usage en cours (s.v. ABBONNER) et pour l'usage ancien (s.v. ABEILLE), qu'il s'agisse dans les deux cas de l'usage normé parisien ou des usages régionaux ; l'expression on a dit peut fonctionner pour introduire une étymologie, sans qu'il s'agisse d'un usage délimitable dans le temps ou dans l'espace : « On a dit abbonner par corruption pour aborner. » (Ménage 1650 s.v. ABBONNER ; dans ce cas, on a dit équivaut à on a fait) ; on disoit introduit essentiellement les formes d'ancien français fournissant une étape marquante de l'évolution phonétique menant de l'étymon au résultat français : « Anciennement on disoit eage. » (Ménage 1650 s.v. AGE).

    50. Voir, vers la fin de 2.2 et dans 2.3, plusieurs exemples d'emprunts.

    51. Pour pouvoir clore cette liste, nous aurions besoin de mener une analyse exhaustive de on sur notre corpus d'étude. Nous donnons plus loin, à 3.3, une analyse détaillée d'un commentaire de Littré contenant plusieurs occurrences de on aux fonctions variées.

    52. Tous les dictionnaires s'occupant de l'usage emploient on dit. Notons, dans une perspective historique : « De l'idée d'« obtenir », on est passé à celle d'« atteindre », dans différents emplois » (RobHist 1992 s.v. GAGNER), « Au XVIIe s., on a commencé d'employer [...] » (id. s.v. LOIN), « on lui préfère encore [...] » (id. s.v. QUE).

    53. Cf. aussi : « Comme quand on dit la playe suinte. » (Ménage 1694 s.v. SUINTER) et « Comme quand on dit d'un vaisseau qu'il va à la bouline. » (id. 1694 s.v. BOULINE), qui montrent bien la mise en situation morpho-syntaxique des mots-vedettes.

    54. Cf. aussi : « On orthographie aussi en fr. toste » (Scheler 1862-88 s.v. TOAST). Ménage 1694 pratique souvent une opposition stylistique entre l'emploi de nous pour un usage angevin et celui de on pour un usage contrasté parisien ou provincial différent d'Angers.

    55. Nous apprécions le contraste par rapport à des formules marquées à la première personne, comme : « Je ne suis pas de l'avis de Jules Scaliger [...] » (Ménage 1694 s.v. BOUTARGUES).

    56. Cf. FEW : « On a proposé un autre étymon latin [...] (v. Vox 2, 69, Corom2 et DiccEtCat) » (s.v. ATRIPLEX, t. XXV, 687a) ; « Il n'y a pas lieu de séparer [...] auxquels on peut ajouter [...] pour en faire le résultat d'un étymon [...] (v. Legros, BTDial 32, 322 et Ler 437-8) » (ibid., 687b). On note encore l'utilisation dans Ménage 1694 d'autres formules indéfinies immédiatement exemplifiés, comme « Il y a diversité d'opinions touchant l'étymologie de ce mot » (Bochart, Covarruvias, Ferrari s.v. ALESNE) ; cf. aussi 4.1-2.

    57. Cf. aussi : « On ne dirait pas, combien de triste ravage, au singul. On ne doit donc pas le dire avec que. C'est la rime qui a produit ce solécisme. On objectera que, sang répandu est aussi au sing. mais on dit, combien de sang répandu : on peut donc dire, que de sang. » (Féraud 1787 s.v. QUE) ; « on est donc tenté de le rapprocher de » (Scheler 1862 s.v. LOPIN ; devient « on serait tenté [...] » en 1873). Dans l'exemple suivant, Féraud s'en sert pour déguiser un mea culpa – avant de rédiger son Dictionaire critique, Féraud fut auteur d'un Dictionnaire grammatical (116) : « On dit assez indiféremment, et en prôse et en vers, loin de, et bien loin de ; et on avait décidé mal-à-propôs dans le Dict. Gram. que loin sans bien était une faûte. On s'était fié uniquement à Vaugelas, qui a été réformé sur cet article par Th. Corneille, et encôre mieux par les exemples multipliés des meilleurs Auteurs. » (Féraud 1787 s.v. LOIN).

    58. Cf. « Il faudrait que d'y joindre ; c'est une faute légère qu'on doit excuser, à cause de l'extrême difficulté de notre versification. » (Bescherelle 1858 s.v. QUE).

    59. Cf. la variante de deuxième personne notez : « Notez que le wallon a godau p. jus de fumier. » (Scheler 1862-88 s.v. GADOUE).

    60. Selon P. Guiraud, un quart des formes populaires du français commun populaire aurait une « origine inexpliquée ou mal expliquée » (Guiraud 1982, p. 7).

    61. Parmi les 174 occurrences métalinguistiques de semble dans Estienne 1549, on trouve 73 fois semble qu'il vienne de, 25 semble qu'il vient de et 14 semble venir de. Les 31 occurrences métalinguistiques de semble ajoutées par Thierry 1564 rendent 4 semble qu'il vienne de, 8 semble qu'il vient de et 1 semble venir de. Les 110 ajoutées par Nicot en 1573 ou 1606 – dans des formulations plus variées que chez Estienne et Thierry –, comprennent 4 semble estre composé de, 5 estre diminutif de, 8 semble qu'il vienne de et 14 semble venir de.

    62. Parmi les variantes de cette formulation, donnons l'exemple du mot sornettes (Ménage 1694) : « Je ne say d'où vient ce mot. Ne viendrait-il point d'absurdum ? ». En désespoir de cause, le lexicographe s'amuse à donner une étymologie, si aberrante soit-elle, ce dont il est conscient !

    63. Cf. encore dans Ménage 1694 : « [...] ne m'est pas bien connue » (s.v. PIRON) ; « l'origine de ce mot en cette signification ne m'est pas connue » (s.v. POINÇON DE VIN, POISSON "mesure").

    64. Cas d'incertitude partagée : Ménage exprime son incertitude après avoir cité un extrait de Rabelais énonçant l'origine inconnue du mot ; le je de Ménage étymologiste s'oppose à la série d'auteurs, lexicographes ou non, n'ayant proposé que deux traductions latines correspondant en réalité à l'identification de la plante, sans apporter d'éléments permettant de résoudre l'étymologie. À noter l'emploi de simplistes dont la valeur globalisante reste indéfinie, du moins dans le cadre limité de l'article.

    65. Cf. Brachet [1868], Introduction, p. xxvii.

    66. Cf. aussi chez Scheler : « je ne connais pas l'origine de » (1862 s.v. GÂCHE), « je le placerais donc plutôt dans la famille de [...] » (1873-88 s.v. LOPIN), « Pour ma part, je suis assez disposé à voir » (1862 s.v. QUINTE ; 1873 supprime « assez »), « Pour ma part, me rencontrant sur ce point avec Ménage, j'avais imaginé [...], mais j'avoue que » (1862-88 s.v. TILLAC).

    67. Toubin mentionne de Burnouf, dans la liste des « Principales abréviations », son Dictionnaire classique sanscrit-français et sa Méthode pour étudier la langue sanscrite.

    68. Ou les deux à la fois : « A mon avis (sous toutes réserves) [...] » (s.v. LOGE, LOGER).

    69. On note la même valeur pour l'expression faire supposer : « Letus "sorte de vassal" [...] et litus [...] font supposer en francique [...] ; les formes fr. lige, liège [...] font supposer [...] » (BW 1950-75 s.v. LIGE) ; « Cela fait supposer un celt. *leim-, qui pourrait être étymologiquement identique avec le latin lmen "perche mise de travers" » (1950-75 s.v. LIMON "brancard").

    70. À noter que les deux formes marquées nous et nos renvoient à la communauté des lexicographes philologues et étymologistes dont Littré se sent solidaire.

    71. Cf. FEW s.v. BARIL (XXII2, 119) : « Doch versteht man nicht recht, wie der begriff [...] übertragen werden konnte » (n. 9), « und man nicht sieht, wo eine solche bildung [...] sein könnte oder [...] geschaffen wurde [...] Die wörter [...] sind [...] entlehnt worden [...] » (n. 20), « [Nombreux emplois de passifs] Man vergleiche [...] usw. » (n. 26).

    72. Pour l'emploi banal de on, à valeur impersonnelle, comme chez Guiraud s.v. BUSC, BUSTE – « [...] on a, en argot français, [...] » qui équivaut à une formule du genre « il y a » ou « il existe » – cf. 3.1.

    73. Guiraud 1982, p. 13-21.

    74. Cet exemple nous apparaît d'autant plus pertinent que c'est Littré qui a imposé l'étymologie citée ci-dessus. Alors qu'en 1873 Scheler se contente de rapporter la proposition de Littré, avec celle de Diez, sans se prononcer – il avait accepté la seconde en 1862 –, il ajoute en 1888 : « Il est difficile de ne pas souscrire à l'opinion de Littré ». À partir de DG 1890, les dictionnaires enregistrent l'étymologie sans commentaire.

    75. Notre propos n'est pas de faire l'historique de toutes les hypothèses concernant l'étymologie de tirer, mais seulement d'étudier celles avancées par les dictionnaires de notre corpus.

    76. Ménage 1650 avait : « De tirare, qui a esté fait de trare, qui l'a esté de trahere. Trahere, trare, tirare, tirer. Tirare est encore en vsage parmy les Italiens. »

    77. Les familles dont parle le titre (« où les mots sont classés par familles »), et que le Discours préliminaire de Roquefort laisse supposer étymologiques, contiennent quelques regroupements surprenants : ainsi, traquenard (« Ménage le dérive de tricenarius ») et tiretaine (issu, d'après Roquefort, de l'esp. tiritana, qui « vient, dit Ménage, de Turdetania, nom que les anciens géographes donnent au royaume de Grenade ») s.v. TRAIRE. Ou encore, bouquin ("vieux livre", « De l'allem. buch ou bok »), classé s.v. BOUC (« onomatopée »).

    78. Et encore Toubin en 1886. Dochez ajoute : « [...] dont la basse latinité fit tirare. »

    79. F. Diez, Etymologisches Wörterbuch der romanischen Sprachen (Bonn, 1853 ; 2e éd., 1861-2 ; 3e éd. 1869-70 ; suppléments de Scheler, 1878 et 1887).

    80. Cf. le traité de cent pages donné en introduction de son dictionnaire.

    81. Toubin 1886 rapporte les deux étymologies déjà mises en avant – « Selon Littré, Scheler et Brachet, du goth. tairan ; angl. tear, arracher, déchirer ; selon Ménage et Bescherelle, dérivat. irrégulière du lat. trahere, tirer. » –, puis opte pour la seconde : « Cf. tirer, synonyme de traire, et qui, comme lui, dérive de trahere. »

    82. Le commentaire de O. Bloch (BW 1932) va dans le même sens. Clédat [1912] dit simplement « origine douteuse ».

    83. La méthode de son FEW oblige Wartburg, par la suite, à rattacher tirer et martirier à un étymon non français, en l'occurrence lat. martyrium ; elle lui permet aussi de s'expliquer en détail dans un commentaire de trois colonnes dans lesquelles il passe en revue les solutions *tirare et tairan, avant de les réfuter, puis de donner l'historique de sa proposition tirer < martirier (VI1, 418-9) – cf. le commentaire de Wartburg, reproduit parmi les exemples de la section 3.1, dont il avait déjà donné une version française dans la Revue de linguistique romane : « La première fois que je me suis occupé de tirer, c'était en 1930 dans le séminaire roman de Leipzig, où un de mes étudiants fit une conférence sur le célèbre essai de Gilliéron sur traire, en suite de quoi j'expliquai à mes auditeurs ma manière de voir l'origine de tirer, celle qui se trouve exposée dans le BlWb » (t. 23, 1959, p. 249). (L'article martyrium du FEW paraît d'abord en fascicule en 1961, puis en volume relié en 1969.)

    84. Voir Guiraud 1982, Introduction.

    85. L'énoncé de Dauzat 1993 implique un arbitraire de la probabilié non démontrée, comme dans le cas d'un dialogue entre étymologistes auquel le lecteur n'aurait pas accès ; il contraste avec la méthode de Guiraud, qui n'exprime la notion de probabilité qu'en conclusion axiologique de l'ensemble de l'argumentation proposée. Par exemple : « [...] Cela dit, le croisement, en français, d'un roman *logia avec un francique *laubja "feuillée" est assez probable ; il pourrait être à l'origine à la fois de la forme et du sens. » (Guiraud 1982 s.v. LOGE).

    86. Voir M. Lanusse, De Joanne Nicotio philologo (Grenoble, 1893).

    87. Cf. 2.3. Pour la démarcation progressive de Ménage par rapport à cet héritage, cf. Leroy-Turcan 1991: 1ére partie et Conclusions.

    88. Voir Wooldridge 1977.

    89. Fréquences métalinguistiques : aucuns [426], autres [86]. Les autres pronoms indéfinis sont : alii [41], aliqui [4], ceux qui [20], il y en a qui [5], multi [3], nonnulli [3], on [3], plusieurs [11], quelques-uns [1], quidam [7] et sunt qui [7]. Bien qu'à l'époque l'orthographe, la prononciation, la dénomination et la traduction fussent engagées dans un même discours historicisant global (« Aucuns escriuent & prononcent Gourde. » Nicot 1606 s.v. GOUHOURDE, « Aucuns l'appellent Percepierre. » id. s.v. BACILE, « Aucuns le rendent en Latin par Elauer. » id. s.v. ALIER), nous ne traiterons ici que les énoncés explicitement étymologiques.

    90. Les « aucuns »/« nonnulli » de cette dernière étymologie sont en fait Périon : « Sed illa me magis angunt, quibus locare & redimere, locatorem & redemptorem, affermer, & fermier interpretari solemus. Eorum, inquam, non obscura est origo. Ab affirmando enim mihi orta videntur esse. Nam quoniam ij inter quos eiusmodi contractus intercedit, se certam vim pecuniæ quotannis dominis dissoluturos esse affirmant, quod illi ratum & firmum putant, ex eo affermer, & ferme & fermier dicta esse existimo, nisi tu melius aliquid habes. (J. PÉRION, De linguæ gallicæ origine (Paris, 1555), f. 85. Cf. Wooldridge 1995.

    91. Dans cet article, quelques-uns s'oppose à une première série ouverte d'auteurs nommés, partisans d'une autre étymologie : « Nebrisse, Baïf, Fauyn & quelques autres » ; dans Ménage 1694, la liste ouverte est modifiée, malgré le maintien d'une formule extensive : « Nébrisse, Baïf, Périon, Favyn & plusieurs autres ». La pluralité indéfinie a une valeur précise, puisqu'elle renforce le crédit accordé par Ménage à l'étymologie proposée par ces auteurs, comme le prouve la fin de l'article en 1694 : « L'étymologie de Nébrisse, Baïf, &c. me semble la plus vray-semblable. »

    92. L'absence d'identification de l'indéfini dans Ménage 1694 s'explique par la non-reprise de l'hypothèse mentionnée en 1650.

    93. On peut noter qu'en 1694 l'identification fonctionne conjointement de façon intertextuelle par rapport à 1650 et, au sein d'un même article, de façon intratextuelle pour l'indéfini, ou une variante, maintenu depuis 1650. Cf. « [...] ce qui a donné la pensée à quelques-uns, que ce mot [...] » (Ménage 1650 s.v. HALLEBARDE), qui devient : « [...] ce qui a fait croire à quelques-uns, que ce mot [...] Vossius [...] Cedrenus [...] voyez les Glossaires de Meursius et de Mr du Cange [...] (Ménage 1694 ibid.).

    94. Cf. « Être loin de faire fut critiqué autrefois dans la Princesse de Clèves. On disait qu'il falait dire, être éloigné de faire. Malgré cette Critique, qui me parait juste et qui n'est guère conûe, on a continué de le dire. » (Féraud 1787 s.v. LOIN).

    95. Cf. aussi Bescherelle s.v. QUE : « Les mêmes grammairiens [...] admettent », « ce qui a fait croire à beaucoup de grammairiens qu' », « les grammairiens ont prétendu que », « Si les grammairiens [...] avaient pris la peine de l'analyser », « Les grammairiens qui signalent ces solécismes ajoutent que ». Cf. également : « dans certaines grammaires latines » (Littré 1863-72 s.v. QUE) ; « Certains grammairiens » (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE, repris par RobHist) ; « les grammairiens » (RobHist s.v. QUE).

    96. Robert 1985 remplace « condamné » par « critiqué ». Cf. aussi : « Cet emploi signalé par LITTRÉ est condamné par certains puristes et ne figure pas dans ACAD. 8e éd. » (Robert 1951-64 s.v. LOIN) ; « certains puristes » (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE) ; « certains puristes » (TLF 1971-94 s.v. LOINTAIN).

    97. Cf. aussi : « [Reprend pourquoi ; également considéré comme incorrect] » (TLF 1971-94 s.v. QUE) ; « Ne... que peut, dans certains cas, être considéré comme entièrement synonyme de l'adverbe Seulement. (Acad 1835-1935 s.v. QUE) ; « Dans certains de ces tours, que pourrait être considéré comme un relatif. (Robert 1951-64 et 1985 s.v. QUE) ; « considéré parfois en ce cas comme une conjonction » (id. ibid.)

    98. Cf. le traitement de on.

    99. Cf. « Quelques-uns l'appellent aussi Liron. » (Acad 1798 s.v. LOIR).

    100. Cf. « Gâgner au pied, (et non pas du pied, comme disent quelques-uns.) » (Féraud 1787 s.v. GAGNER).

    101. Cf. « Pop., région. J'arrive que. [...] Attendez que. » (TLF 1971-94 s.v. QUE).

    102. Cf. « il ne fonctionne comme suj. que dans certains dial., notamment l'agn. et le pic. » (TLF 1971-94 s.v. QUE).

    103. Cf. « DE LOIN EN LOIN, ou (vx) DE LOIN À LOIN (ACAD. 8e éd.) » (Robert 1951-64 s.v. LOIN). Nota : le vieillissement de de loin à loin est implicite dans Acad 1935 : « LOIN À LOIN, DE LOIN À LOIN, et, ordinairement, DE LOIN EN LOIN » ; Acad 1835-1878 avaient : « LOIN À LOIN, DE LOIN À LOIN, DE LOIN EN LOIN ». Robert 1985 omet la référence à l'Acad.

    104. Cf. « [l]es meilleurs Auteurs » (Féraud 1787 s.v. LOIN) ; « Certains auteurs » (Robert1 1951-64 et 1985 s.v. QUE).

    105. Cf. « Plusieurs de nos Auteurs les plus estimés disent de loin en loin, comme l'Ab. des Fontaines, J.J. Rousseau, M. Linguet, M. l'Ab. Grosier, M. de la Cretelle, etc. » (Féraud 1787 s.v. LOIN) ; « On dit, combien de fois, et non pas, que de fois. On le trouve pourtant chez les Poètes ; mais c'est une licence qui ne doit pas tirer à conséquence pour la prôse. Que de fois, partageant mes naissantes alarmes, D'une main fraternelle essuya-t'il mes larmes ? Racine. » (Féraud 1787 s.v. QUE) ; « Quelques poètes [...] (RACINE.) [...] (CHÉNIER.) » (Bescherelle 1858 s.v. LOISIR) ; « Quelques poètes [...] (DEL.) » (Bescherelle 1858 s.v. LOIN) ; « Ancienne construction de que, très-usitée au XVIIe et au XVIIIe siècles. [...] LA FONT. [...] ID. [...] MOL. [...] BOSS. [...] ST-SIM. [...] FONTEN. [...] MASS. [...] VOLT. [...] Cette construction a été employée, comme on voit, par les meilleurs écrivains » (Littré 1863-72 s.v. QUE). L'item du Robert combine locuteurs indéfinis (« quelques écrivains ») et sources indéfinies (« certains grammairiens » – cf. citations 81-84).

    106. Dans le même échantillonnage, exemple est également employé comme copule de présentation par Trévoux [1], Féraud [2], Littré [1], Robert [2 fois dans chacune des première et deuxième éditions], GLLF [1] et TLF [1]. Ajoutons qu'il est impératif d'étudier selon leurs critères spécifiques le statut de l'exemple dans le DG et celui du DE. Dans le DE ancien, on est conduit à opposer plusieurs niveaux d'exemplification selon les épaisseurs de diachronies envisagées : ainsi la copule ménagienne « comme quand on dit » est polyvalente et est à distinguer nettement du simple « comme » de l'exemple-attestation ; cette distinction, logique dans le DE, a progressivement perdu le statut de critère signifiant dans l'élaboration des normes microstructurelles propres au DG (organisation des informations, sémiotique de la typographie, etc.).

    107. À l'égard des points de suspension, la frontière entre les fonctions texte virtuel à réaliser et texte réel coupé est abolie dans la citation : « L'effect surmonte de si loing la pensée, que... MONT. I, 81. Les choses nous paroissent souvent plus grandes de loing que de prez, ID. ib. Trouvant un jour une mienne parente En un festin, parente d'assez loin... RONS. 776. » (Littré 1863-72 s.v. LOIN).

    108. Chez Nicot la partie libre indiquée par etc. peut être spécifiée dans l'équivalent : « Que ne voles-tu ici & viens voir le, &c. Quin tu aduolas, & sedem inuisis illius nostræ reip. germanæ. » (s.v. QUE).

    109. Littré 1863-72 reprend Acad 1835 mot-à-mot sans le dire. Acad 1694-1798 avaient : « Je n'ay que faire de vous dire, pour dire, Il n'est pas necessaire de vous dire. »

    110. Lexis 1975, Préface, p. xii.

    111. Cf. aussi : « Introduisant le second terme d'une comparaison. Autant, plus, moins, plutôt, mieux, autre, même que, etc. (PR 1967 s.v. QUE ; repris par MR 1988) ; « En corrélation avec tel, même, autre ou un adverbe de manière ou de quantité (ainsi, plus, autant, etc.) » (GLLF 1971-78 s.v. QUE) ; « [Relatif « universel » : que se substitue à qui, dont, auquel, etc.] » (TLF 1971-94 s.v. QUE).

    112. Dans Acad 1835-1935, la liste est allongée et la formulation de l'item quelque peu modifiée : « QUE, forme en outre certaines locutions avec diverses prépositions, conjonctions et adverbes ; comme [...] et quelques autres. Voyez AFIN, AVANT, APRÈS, ETC. ». Bescherelle 1858 emprunte l'item d'Acad 1835 sans le dire : « Que forme un grand nombre de locutions prépositives, conjonctives et adverbiales, comme [...] et quelques autres. On les trouve indiquées a leur ordre alphabétique. » Autre exemple de plusieurs : « Que se joint à plusieurs autres conjonctions ; tandis que, lors que, à mesure que, à condition que, etc. Voyez ces mots à leur place. » (Féraud 1787 s.v. QUE). Comme autres exemples de comme, on peut citer les nombreux cas où Ménage donne un aperçu de paradigme dans les listes d'exemplification phonétique qui viennent appuyer une démonstration étymologique ; par exemple : « De apicula, d'où vient aussi aueille, comme auette de apetta » (Ménage 1650-94 s.v. ABEILLE).

    113. Cf. aussi : « Dans la plupart des sens, s'emploie pronominalement et absolument. » (Dochez 1860 s.v. GAGNER) ; « Il sert à former un grand nombre de locutions conjonctives : avant que, après que, afin que, dès que, loin que, sans que, soit que, etc. » (Littré 1863-72 s.v. QUE) ; « On notera que dans la plupart de ces emplois, que pouvait s'employer seul [...]. » (RobHist 1992 s.v. QUE).

    114. Dochez donne ensuite une liste de citations illustratives. De même, Littré 1863-72, s.v. QUE : « De la même façon on a fait, avec toutes sortes de substantifs et que, des composés où que signifie selon lequel, laquelle, lesquels, lesquelles. »

    115. Cf. aussi : « Après plus, moins, tel, autre, autant, aussi, il introduit une proposition subordonnée comparative, avec ou sans verbe » (DFC 1967 et Lexis 1975 s.v. QUE) ; « [Que est le 2e élém. d'une loc. conj. exprimant le but] Afin que, de peur que, de crainte que, pour que. » (TLF 1971-94 s.v. QUE).

    116. Acad 1835-1935 donne : « Porter loin, pousser loin sa haine, son ressentiment, son animosité, sa vengeance, ses prétentions, etc. » Cf. « Pousser, mener loin un travail, une recherche, etc., conduire un travail, une recherche, etc., jusqu'à des limites extrêmes » (GLLF 1971-78 s.v. LOIN).

    117. Cf. : « Il s'emploie aussi dans les souhaits, les imprécations, pour exprimer le contentement, la répugnance, le blâme, etc., avec ellipse des verbes dont on se sert pour souhaiter, pour commander, pour consentir, etc. » (Bescherelle 1858 s.v. QUE) ; « Est particule de commandement, de souhait, d'imprécation, de blâme, de répugnance, de consentement, etc. » (Dochez 1860 s.v. QUE) ; « [Après un verbe déclaratif (déclarer, dire, raconter) ou un verbe d'opinion (croire, supposer, imaginer, etc.)] » (TLF 1971-94 s.v. QUE).

    118. Cf. : « Être obtenu, conquis, en parlant du coeur, de l'affection, etc. » (Littré 1863-72 s.v. GAGNER) ; « gaaignier [...] "acquérir (de l'argent, etc.)" [...] gagner [...] "acquérir par son travail, etc. [...]" [...] "acquérir au jeu, à la loterie, etc." » (FEW, s.v. *WAIANJAN, XVII, 462b) ; « francique *waidanjan "se procurer de la nourriture, faire du butin, etc." [...] ancien provençal gazanhar "cultiver, gagner, etc." » (BW 1932 s.v. GAGNER).

    119. Cf. : « Plusieurs de ces phrases sont du langage familier. » (Acad 1835-1878 s.v. QUE).

    120. Cf. l'emploi non fréquentiel de quelquesfois, par fois et ores chez Nicot au sens de "tantôt" : « quelquesfois est nom, & ores interrogatif, comme, Que veut-il ? [...] Ores relatif, de tout genre, comme, Le liure que tu escrits, [...] Et quelquesfois conionction, comme, Ie sçay que tu as de l'argent, [...] Et par fois aduerbe de telle signification qu'est Partim ou tum en Latin. » (Nicot 1606 s.v. QUE).

    121. Voir, par exemple, les « omissions », « incohérences », « inconséquences », « ambiguïtés » et « avatars » du Petit Robert (2e éd., 1977, « mise à jour pour 1989 ») relevés par Heinz 1993.