4. LOUP et QUEUE dans le Trévoux

Les liens des sections 4, 5 et 6 renvoient aux articles en table comparative, avec annotations:
LOUP
QUEUE

Le Trévoux accroît considérablement l'aspect technique et encyclopédique du Dictionnaire universel, mais il fait aussi un certain nombre d'ajouts et de révisions dans le traitement du mot de la langue générale (on notera à cet égard l'influence du DAF). L'apport de chaque édition varie: 1704 apporte des équivalents latins (les autres ajouts par rapport à Furetière 1690 sont dus à Basnage 1701); 1721, 1752 et 1771 ajoutent beaucoup; le texte de 1732 est strictement conforme à celui de 1721, pour LOUP et QUEUE du moins; 1743 ajoute peu.

4.1. Traitement du mot

4.1.1. Équivalents latins

Des équivalents latins sont ajoutés au texte dès l'édition de 1704, enseignement jésuite oblige. Ainsi, lupus et cauda, mais aussi lupus molossus (loup mâtin), lupus vertagus (loup lévrier)..., cauda fidis (queue d'un violon, d'une viole), securiculata fibula, securiculata subscus (queue d'aronde)...

4.1.2. Synonymes

  • "cheaux, plus communément louveteaux" (1771).
  • "En parlant de certaines fleurs, comme tulipes, lis, narcisses, on appelle queue, quand elles sont cueillies, ce qu'on appelle tige dans ces mêmes fleurs, lorsqu'elles sont encore sur pied." (1701), qui viendrait textuellement du DAF:
  • DAF 1694: "En parlant de certaines Fleurs, comme Tulippes, Lys, Narcisses, on appelle, Queuë, quand elles sont cueillies, ce qu'on appelle, Tige dans ces mesmes fleurs, lors qu'elles sont encore sur pied."
  • 4.1.3. Citations illustratives

    S.v. LOUP: Salnove (deux fois), d'Ablancourt et Boileau (premier alinéa = 1701); Voiture, Molière et Racine pour loup garou (V et M en 1701, R en 1721); Villon pour chasser le loup hors du bois (1721); La Fontaine, à propos de Qui sauroit les coups, on prendroit les loups (1752); "Un Poëte" pour loup/louve adjectif (1721).

    S.v. QUEUE: La Bruyère pour queue "partie des habits longs" (1701).

    4.1.4. Emploi grammatical

    Loup/louve adjectif – cf. 4.1.3.

    4.1.5. Étymologies

  • loup, queue. Furetière avait déjà "Ce mot vient du Latin cauda", que Trévoux garde. Comme Furetière n'avait pas donné d'étymologie pour loup, le Trévoux n'en donne pas non plus. L'ajout de l'équivalent latin lupus pourrait à la limite, comme chez Estienne, être interprêté comme indication d'une étymologie "évidente" – hypothèse plus vraisemblable dans le cas d'un dictionnaire à but étymologique, comme celui de Ménage.
  • loup garou / guereloup. Furetière avait déclaré: "Quelques-une croyent... [...] de sorte que ce mot vient de ce que c'est un loup dont il se faut garer ou garder. Aussi en quelques lieux on appelle guereloup.". Le Trévoux 1721 ajoute "C'est le sentiment des Bollandistes, Acta Sanct. Mart. T. 2, p. 503; puis le Trévoux 1771 ajoute encore un alinéa précédant celui-ci: "Du Cange dérive ce mot de l'Anglois Were, homme, du Latin vir. Loup-garou, homme loup."
  • Entre chien & loup. 1721: "cette expression est ancienne en France, elle se trouve dans Marculfe. Infra horam vespertinam, dit-il, inter canem & lupum, &c."
  • donner les brebis à garder au loup. 1701: "Ce proverbe est encore tiré du Latin, & se trouve dans Térence."
  • danser le branle du loup – voir 3.5.
  • queue "mesure de vin". 1721: "Ce mot est usité en Normandie & en Picardie, & est corrompu de cuve."

    4.1.6. Définitions

  • queue, en parlant des caractères de l'alphabet. 1771: "[La queue de cet y grec n'est pas bien formée], c'est-à-dire, le trait qui excède par en bas le corps de la lettre."
  • queue de comète. 1771: "on appelle queue de comète, cette longue traînée de lumière qui suit la comète" (reformulation de l'item de Furetière: "On appelle une Comete, l'estoile à la grande queüe, à cause de cette traisnée de lumiere qui suit aprés elle").

    4.1.7. Syntagmes

  • saut de loup. 1752, avec définition; 1752 avait aussi donné un synonyme ("On l'appelle autrement un Haha."), supprimé en 1771. Cet item viendrait du DAF:
  • DAF 1740: "On appelle aussi, Saut de loup, Un fossé assez large pour n'être pas franchi par un loup, & qu'on creuse au bout des allées d'un parc pour les fermer, sans leur ôter la vûe de la campagne."
  • Trév 1752-1771: "On appelle Saut de loup, un fossé assez large pour n'être pas franchi par un loup, & qu'on creuse au bout des allées d'un parc, pour les fermer, sans leur ôter la vue de la campagne."
  • dégagement de queue de comète. Furetière: "On appelle une Comete, l'estoile à la grande queüe" -> 1771: "on appelle queue de comète". Cf. le DAF depuis 1694:
  • DAF 1694: "On appelle, La queuë d'une Comete, Une longue trainée de lumiere qui suit le corps de la comete."
  • Trév 1771: " En Astronomie, on appelle queue de comète, cette longue traînée de lumière qui suit la comète."
  • dégagement de à la queue et en queue en 1771; Furetière les avait dans des exemples illustrant queue "suitte". Le Trévoux se rallie à la formulation du DAF (depuis 1694):
  • Fur 1690: "QUEÜE, signifie aussi Suitte."
  • DAF 1694: "On dit aussi, A la queuë, en queuë, pour dire A la suite, immediatement aprés. // On dit encore, A la queuë, en queuë, pour dire, A la poursuite de quelqu'un, aux trousses de quelqu'un."
  • Trév 1771: " A LA QUEUE, EN QUEUE, signifie à l'extrémité, immédiatement après. // On dit encore en queue & à la queue, pour dire, aux trousses, à la poursuite de quelqu'un."
  • 4.1.8. Expressions proverbiales

    Plusieurs ajouts par différentes éditions du Trévoux dans les alinéas terminaux d'article "LOUP, se dit proverbialement en ces phrases.", "QUEUE, se dit proverbialement en ces phrases."

    4.1.9. Marques d'usage

  • dans le discours familier, s.v. QUEUE. 1771: "[Ce Général a toujours eu une armée en queue, qui l'a suivi dans sa retraite. Les Exempts sont à la queue de ce voleur, il a le Prevôt en queue.] Ces deux dernières phrases ne peuvent passer que dans le discours familier.", qui serait emprunté au DAF 1740-1762:
  • DAF 1740: "Il a fait un mauvais coup, les Prevôts sont à sa queue. Il a le Prevôt en queue. Laissez-moi faire, je lui mettrai un homme en queue qui le hâtera bien d'aller. Les trois dernières phrases sont du style familier."
  • queue "mesure". 1721: "Ce mot est usité en Normandie & en Picardie"

    Pour les marques d'usage technique, voir ci-dessous.

    4.1.10. Archaïsation

  • loup "masque". Fur "dont les femmes se servent" -> Trév 1752 "dont les femmes se sont servi". Cf. le DAF:
  • DAF 1694: "que portent les Dames"
  • DAF 1718: "que portoient les Dames"
  • regarder sous la queue d'une comète. Fur "On dit" -> Trév 1771 "Dans le temps où".

    4.2. Emplois techniques et technisation

    Plus nombreux et plus élaborés sont les items relevant de la langue technique. On remarque l'influence de l'Encyclopédie sur les ajouts et révisions du Trévoux 1771. Les domaines du savoir se dégagent, s'organisent et se nomment. Dans celui des plantes, par exemple, les Apothicaires d'Estienne et de Nicot, devenus les Medecins de Furetière, sont dorénavant des Botanistes.

    LOUP:

    QUEUE:

    Aussi intéressante que les ajouts d'items, il y a la technisation d'items existants. On le remarque surtout dans la dernière édition du Trévoux, influencée par la publication, depuis l'édition précédente, de l'Enclyclopédie. Outre les exemples de marquage technique déjà donnés ci-dessus (loup en chimie, t. d'astronomie; queue de paon, queue de rat, queue de chanvre), relevons les cas suivants:

    LOUP

    QUEUE

    5. Développements encyclopédiques dans le Trévoux

    L'encyclopédisme, déjà caractéristique des Commentaires de Nicot (cf. le sous-titre de son Thresor) et du Dictionaire universel de Furetière, se développe dans le Dictionnaire de Trévoux dès les premières éditions. En plus du caractère de nombre des items ajoutés, mentionnons:

  • À partir de Fur s.v. LOUP: "On dit que Remus & Romulus ont esté allaitez par une louve":

  • Furetière parle du tribut de la tête de loup en Angleterre:

  • À propos du loup-garou, Furetière fait état de croyances populaires:
  • À partir d'un court item de Furetière ("LOUP, est aussi une espece de poisson que d'autres appellent lubin."):
  • Fur: la queue de cheval chez les Tartares, les Chinois et les Turcs: Terminons cette discussion par une curieuse précision d'almanach donnée par Trév 1752, supprimée nécessairement par l'édition suivante:

  • Trév 1752: "QUEUE DE LION. s. f. Terme d'Astronomie. C'est le nom d'une étoile de la première grandeur [...] qui a cette année 1722. [= logiquement "1752"] 167 d. 48' de longitude; c'est-à-dire, qu'elle est à 17 d. 48' de la Vierge."

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