Marcel Juneau. Problèmes de lexicologie québécoise: prolégomènes à un trésor de la langue française au Québec
Les Presses de l'université Laval. 278.
© 1978, 2001 R. Wooldridge
 

Le livre de Marcel Juneau est non seulement utile mais nécessaire. L'auteur constate le besoin que l'on a de ce Trésor de la langue française au Canada dont on rêve depuis quelque temps déjà. Son étude place le Trésor dans son contexte historique (il fait l'exposé critique des principaux prédecesseurs du Trésor: Potier, Viger, Dunn, Clapin, Dionne, la Société du parler français au Canada, Bélisle, Massignon) et détaille les buts et les méthodes de l'entreprise. Le Trésor n'est pas cependant à l'état d'un projet: l'auteur a déjà mis à profit sa documentation en rédigeant un certain nombre d'articles-pilotes qui ont le double avantage pour le lecteur de donner un aperçu du futur Trésor et de lui fournir déjà de précieuses données sur l'histoire de quelques mots. Ces mêmes articles ont aussi l'avantage pour l'auteur du Trésor - et c'est très louable sur le plan méthodologique - d'inviter la critique d'autres lexicologues et lexicographes. L'auteur fait preuve d'une grande hardiesse puisqu'il propose de confectionner, avec ses collaborateurs, en plus du Trésor, deux dictionnaires abrégés (il en donne des échantillons-modèles): un dictionnaire étymologique et un dictionnaire général. Les trois ouvrages, lorsqu'ils verront le jour, ne manqueront pas d'avoir des conséquences bénéfiques pour l'étude et l'enseignement du français au Canada.

Le titre de ce futur 'Trésor de la langue française au Québec' (TLFQ) prête à discussion. Traditionnellement, le terme trésor, tout comme thesaurus en latin, connote en lexicographie une compilation exhaustive dans les limites chronologiques et spatiales données (ici la langue française au Québec). Or, à quelques nuances près, le TLFQ ne retiendra que ce que le français-canadien n'a pas en commun avec le français général contemporain (pp 59 et ss). L'auteur défend très pertinemment sa position en disant qu'il est plus urgent de donner une description complète de cette partie du lexique français qui est propre au Canada, que de retarder la réalisation de l'oeuvre en y incorporant des éléments qui ne feraient que répéter ce que l'on peut trouver dans les dictionnaires français. Cependant, Juneau trouve discutable l'idée même de faire un jour un dictionnaire de tout le lexique français-canadien (p 61). C'est là, implicitement, nier le système de la langue; c'est continuer à faire dépendre le français du Canada du français de France; c'est priver les enseignants et le grand public d'un outil culturel important. L'anglais-américain et l'anglais-canadien ont leurs dictionnaires; pourquoi pas le français-canadien? En revanche, le terme Québec du titre a tendance aujourd'hui à suggérer un certain affranchissement. Il s'agit en fait dans le TLFQ, non seulement du français-québécois mais également 'des parlers français d'Acadie, de Louisiane, d'Ontario, de l'Ouest du Canada, etc.' (p 66), ce que le titre ne laisse pas supposer.

La troisième partie du livre est intitulée 'Mélanges de lexicologie québécoise (articles d'essai du Trésor).' Il s'agit en effet d'articles de mélanges plutôt que d'articles de dictionnaire. Comme le dit lui-même l'auteur (p 71), bien des exemples donnés dans les articles de ces mélanges seront à éliminer lors de la rédaction définitive du dictionnaire. D'autres parties seront peut-être à réduire - par exemple, les longs commentaires de la partie historique (HIST.) de chaque article; l'on connaît le sort progressif des volumes du Trésor de la langue française de Nancy. Qu'est-ce qui est le plus réalisable et le plus utile: le'dictionnaire de langue' dont est qualifié le TLFQ à un endroit du texte (p 80), ou l''encyclopédie linguistique' dont il est question plus loin (p 83)?

Quelques remarques de détail. L'auteur dit à juste titre que le TLFQ permettra de corriger les dictionnaires français sur la datation de certains mots et cite l'exemple de pomme de terre employé au Canada dès 1749, tandis que 'le FEW ... le BW5, etc.' ne le font remonter qu'à 1754 (p 63). Or le Petit Robert et le Lexis, par exemple, l'attestent déjà en 1716. L'utilisateur du TLFQ saura gré à ses auteurs de l'index des mots (dans le dictionnaire, les mots seront regroupés par familles) qui se trouvera à la fin de l'ouvrage. Il est à espérer qu'à l'instar du Französisches etymologisches Wörterbuch (FEW), dont s'inspire en partie le TLFQ, ce sera un index des formes.

Nous terminons en félicitant Juneau de son initiative et en lui souhaitant bon courage pour mener l'entreprise à bonne fin dans la dizaine d'années qu'il se donne.