Travaux de linguistique québécoise
Publiés par L. Boisvert, M. Juneau et Cl. Poirier
Les Presses de l'université Laval. Tome II: 1978. viii-201. Tome III: 1979, 327.

Micheline Massicotte. Le Parler rural de l'Ile-aux-Grues (Québec): documents lexicaux
Les Presses de l'université Laval 1978. 554.

© 1980, 2001 R. Wooldridge
 

Il s'agit de trois fascicules de la collection 'Langue française au Québec' dirigée par L. Boisvert et M. Juneau. Le contenu (moins avant-propos et index) des deux premiers est le suivant: Travaux II: M. Juneau, 'Un nouvel article d'essai du TLFQ: japper et ses dérivés'; P. Martel, 'Recherches sociolinguistiques dans la région de Sherbrooke'; Cl. Poirier, 'L'Anglicisme au Québec'; M. Massicotte, 'A propos du terme mâtereau en québécois'; J.-M. Léard, 'Essai d'interprétation de quelques faits de morphologie du québécois'; R. Martel, 'Le Système phonologique du français de Lewiston, Maine'; M. Juneau, 'Chronique du TLFQ.' Travaux III: M. Juneau et Cl. Poirier, 'Le TLFQ: une approche d'un vocabulaire régional'; Cl. Verreault, 'Les Adjectifs en -able en franco-québécois'; J. Hamelin, 'La Dimension historique du problème linguistique'; L. Boisvert, 'Bazou: contribution à l'histoire d'un mot'; C. Ouellon, 'Da la relative stabilité des voyelles françaises d'après un groupe d'informateurs québécois'; M. Massicotte, 'Les Articles bacul du TLFQ'; M. Juneau, 'Chronique du TLFQ.'

C'est bien le futur Trésor de la langue française au Québec qui/que nourrit la majeure partie des publications de cette collection. La pièce capitale à cet égard, après les Prolégomènes à un Trésor de la langue française au Québec (1977) de M. Juneau est le long article du même auteur et de Cl. Poirier (Travaux III). Ce précieux document métalexicographique - le lexicographe explique son activité et la genèse de son oeuvre - permet au public de suivre les différentes étapes de l'élaboration de ce grand dictionnaire historique des usages linguistiques français du Québec et des régions limitrophes. (On lira, en même temps, les 'Chroniques du. TLFQ' in Travaux II et III.) La dynamique de la lutte constante entre l'utopique et le réalisable se traduit, dans cet article, par le constat d'un certain nombre de modifications apportées au projet, résultant tantôt de suggestions faites par des appréciateurs, mais surtout de recommandations articulées par le Comité de direction scientifique international. Elles concernent la redéfinition des objectifs, le dépouillement du corpus, le maniement et la présentation des données et la forme de la publication. Sensibles à la critique, les auteurs du TLFQ tentent 'd'atténuer au maximum ... les lacunes indéniables de la formule différentielle' (p 4) - en gros, le TLFQ ne s'intéresse essentiellement qu'à ce qui dans le français québécois lui est particulier - et de modérer l'approche diachronique: 'il s'efforce de situer, s'il y a lieu, chaque entité dans l'usage québécois et franco-canadien d'aujourd'hui'; ce qui signifie 'la mise en relief des relations que le mot entretient avec son entourage, y compris, bien entendu, avec les mots du français général qui sont courants au Pays du Québec' (p 4). Le corpus documentaire du dictionnaire est particulièrement riche: corpus linguistique (textes d'archives, journaux, textes radiophoniques, textes scientifiques et techniques, récits oraux, oeuvres littéraires, enquêtes) et métalinguistique (dictionnaires, glossaires, études de mots). On apprend l'adoption des services de l'ordinateur pour certains aspects du projet, à commencer par l'informatisation du corpus métalinguistique. Étant donné les dimensions de l'oeuvre et le cadre conceptuel et matériel dans lequel vit le lexicographe contemporain, le recours à l'ordinateur était presque inévitable. Sera également informatisée la composition des articles du dictionnaire, ce qui permettra une grande souplesse dans la correction et une homogénéité de l'ensemble de l'oeuvre. L'article de Juneau et Poirier fixe la structure des articles. Les articles d'essai de Juneau (in Prolégomènes, Travaux I et II) avaient tendance à pécher par leur diffus et leur manque de consultabilité. Ils sont dorénavant plus clairs, plus rigoureusement organisés. Vient d'abord 'une partie descriptive ... où les énonces linguistiques sont présentés et commentés,' suivie d'une 'partie historique ... où le rédacteur discute le problème étymologique et dégage l'ordre génétique présidant à l'organisation des matériaux dans la première partie' (pp 62-3). Le plan donné en annexe par Juneau et Poirier est illustré par l'article bacul de Massicotte (Travaux III). La consultabilité est au premier plan des préoccupations: typographie des entrées, index thématique et lexicologique en appendice du dictionnaire (on projette également en annexe un aperçu des traits typiques de la morphosyntaxe québécoise et franco-canadienne - il viendra compléter heureusement la description lexicale), ouverture des fichiers à la recherche. Autre décision matérielle et méthodologique capitale: la composition informatisée permettra la parution, à intervalles variables, d'éditions provisoires, chacune accompagnée d'un index lexicologique, en attendant l'édition définitive prévue pour la fin du siècle. Utilisateurs impatients et rédacteurs perfectionnistes y trouveront leur compte. Les bourses dégarnies aussi, puisque le dictionnaire sera diffusé sur microfiches.
    Dans sa très intéressante étude de l'anglicisme au Québec (Travaux II), Cl. Poirier démontre clairement que nombre de mots considérés généralement comme des anglicismes sont à rattacher au galloroman, quoiqu'il soit possible que dans certains cas 'l'influence anglaise ne soit pas complètement absente et soit venue renforcer un usage français' (p 50)- Ses analyses, faites à partir d'une solide critique des Anglicismes au Québec (1e éd. 1970) de G. Colpron, concourent à souligner l'importance de l'histoire du français québécois pour l'étude des anglicismes.
    P. Martel (Travaux II) partage l'avis de Poirier lorsqu'il affirme que l'anglicisme 'dans le français québécois général, n'est probablement pas aussi accentué que certains auteurs et grammairiens l'ont affirmé jusqu'à présent' (p 31). Ce sont pourtant les canadianismes de fréquence qui forment la substantifique moelle de son étude faite à partir d'une enquête orale menée auprès de seize informatrices. Y est faite la démonstration statistique de la plus grande fréquence, dans le français de l'Estrie par rapport au français de France, des mots autre, puis, là, affaire, capable, chanceux et débarquer, entre autres.
    Les deux articles consacrés à la morphologie (J.-M. Léard in Travaux II, Cl. Verrault in Travaux III) font part de préoccupations méthodologiques. Se servant d'une approche guillaumienne qui combine diachronie et structure, Léard part de l'établissement des systèmes démonstratifs et pronominaux (pronoms personnels) de l'ancien français pour établir et expliquer ceux du français et du français québécois actuels. Sont ainsi expliqués sta, stella, nous-autres, eux-autres, y, ils (féminin), a québécois. Si les arguments de Léard concernant les démonstratifs et les pronoms sont convaincants, son analyse des adverbes prédicatifs et non prédicatifs l'est moins. Le mot assez, en français moderne, peut avoir le sens de renforcement que l'auteur lui nie. De même, très et bien sont bien capables de fonctionner comme phrase. L'article de Verreault, qui utilise une approche distributionnelle et sémantique pour classer les dérivés en -able, contient de bonnes analyses (par exemple, pp 154 et 155) mais également plusieurs défauts. D'abord des termes inexacts ou lourds: synchronie (pour une période allant de 1850 à 1979); contenant, contenu (signifiant, signifié); polysème (mot polysémique); puissanciel (potentiel, en puissance); prédicativisateur. L'auteur distingue inutilement (p 158) le sens d'objet direct (nom + adj. = nom + que + verbe) du sens passif (personne accostable = personne qui peut être accostée). Il est curieux de trouver dans une étude consacrée aux adjectifs en -able des substantifs tels que able, étable et hable.

La thèse de Micheline Massicotte rassemble une très riche documentation lexicale où est présenté, d'abord par centres d'intérêt ('unités de conversations,' p 15) et ensuite en monographies de mots, le vocabulaire d'une douzaine d'informateurs âgés de 1'lle-aux-Grues ayant trait à la durée et le temps, la terre et l'eau, la culture, la ferme et l'élevage, la forêt et son exploitation. Dans son étude différentielle destinée à enrichir les fichiers du TLFQ, elle tente 'd'apprécier l'importance respective des apports galloromans et anglais face à la part d'innovation québécoise,' et de faire 'ressortir la contribution originale que ce lexique apporte à l'histoire non seulement du français québécois, mais aussi à celle du français et de ses dialectes' (p 475). Ses conclusions font montre d'une saine modestie: 'les unités recueillies à l'Ile se retrouvent d'une façon générale dans le corpus linguistique' (p 476); 'l'aspect par trop fragmentaire du lexique étudié ... et ... la documentation encore trop lacunaire concernant les parlers québécois en général ne permettent pas de tirer des conclusions à propos de l'ensemble du vocabulaire québécois' (pp 475-6); 'La lexicologie québécoise n'en est pas encore au stade des vastes synthèses. Certes la dernière décennie lui a fait faire de grands pas. Mais il reste qu'il faut d'abord recueillir les données et les analyser une à une avec la patience et la minutie du philologue' (p 489). Dans les précieuses monographies, où les mots sont confrontés tour à tour avec leurs attestations dans le fichier du TLFQ, les dictionnaires, glossaires et études franco-canadiens, les dictionnaires généraux et étymologiques français et les atlas, on peut.regretter l'absence des énoncés contextuels de l'enquête, d'autant plus que l'auteur donne ceux du fichier TLFQ.