Douglas C. Walker. An Introduction to Old French Morphophonology
Didier 1981. xiv-125
L'inverse est un genre dictionnairique mal connu du public et méconnu du monde de l'édition. Le classement alphabétique des mots en partant de la fin du mot au lieu du début est depuis longtemps reconnu comme principe organisateur des listes fournies aux rimeurs et aux cruciverbistes. Il pourrait également rendre de grands services à l'apprenant de la langue et au linguiste qui s'intéressent au fonctionnement des morphèmes ou graphèmes finals. Lorsque j'ai expliqué à mes enfants le principe classificateur de l'inverse, ils m'ont tout de suite répondu, l'un (13 ans) qu'un tel répertoire du lexique anglais contemporain lui faciliterait la recherche, demandée par son professeur, de mots en -gh, l'autre (15 ans) que ce serait un bon moyen de dépister les vocables anglais (mots en -cede, -ceed, -cess) dérivés du verbe latin cedo, autre exercice scolaire. L'inverse n'est malheureusement pas conçu comme un usuel. Il existe un Petit Larousse inverse, mais qui s'intitule Dictionnaire des mots croisés - titre plus commercial. Autre intitulé trompeur: le Reverse Dictionary de T.M. Bernstein est en fait un recueil onomasiologique dans lequel les entrées sont des définitions suivies de leur dénomination. Une compilation inverse effectuée récemment à partir d'un autre dictionnaire français usuel n'a pas trouvé d'éditeur. Parmi les traits caractéristiques des inverses publiés, il y a leur apparence savante et, dans beaucoup de cas, leur corpus spécialisé. Le Normal and Reverse English Word List en huit volumes de A.F. Brown fut préparé 'at the University of Pennsylvania under a contract with the Air Force Office of Scientific Research'. Les unités retenues pour un classement de droite à gauche des mots dans le Dictionnaire inverse de la langue française d'Alphonse Juilland sont non des lettres mais des phonèmes.
Le Dictionnaire inverse de l'ancien français de Douglas C. Walker
appartient à la catégorie des publications savantes. Il est
basé sur la nomenclature (quelques 48 000 entrées) de
l'excellent Altfranzösisches Wörterbuch d'Adolf Tobler et Erhard
Lommatzsch (Walker a pu consulter les fichiers du Tobler-Lommatzsch pour la
partie U-Z non encore publiée) et répond ainsi au voeu du
regretté Robert-Léon Wagner que 'Après
l'achèvement de l'Altfranzösisches Wörterbuch il sera
tiré, on l'espère, une version de cet ouvrage permettant le
regroupement des mots suffixés' (p xix). Usant d'une
représentation orthographique, plutôt que d'une transcription
phonétique passablement conjecturale, il fournit néanmoins
'une source immédiate de renseignements sur la structure phonologique
des mots' et permet de 'formuler les contraintes séquentielles en
position finale de syllable ou de mot' ainsi que de constater, en faisant
des comparaisons avec les données de Juilland, 'les changements
importants qui ont touché la structure phonotactique du
français depuis le Moyen Age' (p xv). Dans le dictionnaire, les
formes - qui sont celles du Tobler-Lommatzsch, c'est-à-dire sans
flexion (cas régime singulier des noms, infinitif des verbes) - sont
accompagnées de l'indication de la catégorie grammaticale
(plus le genre des substantifs) et de la mention de leurs variantes ('formes
alternatives'), ces dernières étant toutes enregistrées
également à leur place alphabétique. Tout comme dans
Juilland, il est indiqué la fréquence des groupes finals
d'une, deux et trois lettres. Par exemple, -n a une fréquence de
3834, -an = 131, -ban = 15. On peut regretter l'absence de tableaux
statistiques synoptiques montrant, par exemple, la distribution des lettres
finales qui, pour les fréquences +/= 10, est la suivante: e -16269,
r 14195, t 5454, n 3834, l 2272, s 2030, é 1498, z 652, i 594, f 462,
u 387, c 291, m 67, o 65, a 56, p 48, g 43, d 25, x 10. Deux courts annexes
liminaires donnent utilement, l'un une liste analytique des suffixes de
l'ancien français, l'autre une description du système
phonologique de l'ancienne langue. Notons en passant que, dans cette
dernière notice, le phonème '//' est imprimé
'/c/'; pour '/
/', on a utilisé un 'j' diacrisé, ce qui fait que le
point obscurcit le signe diacritique et donne plutôt un yod. L'ouvrage
est soigné dans sa forme comme dans son contenu et rendra de
précieux services au médiéviste comme à
l'historien de la langue.
Dans l'introduction de son Dictionnaire, Walker signale le profit que l'on
peut tirer des inverses pour les analyses morphophonologiques, et mentionne,
par exemple, le fait que la suffixation est souvent accompagnée
d'alternances morphophonologiques. Ces dernières sont l'objet premier
de l'attention de l'auteur dans son Introduction to Old French
Morphophonology, qui cherche à en décrire les principales de
l'ancien français en termes de la théorie morphophonologique
actuelle; théorie qui, quoique se situant dans le cadre de la
phonologie générative, postule pour chaque morphème une
base morphophonologique unique qui corresponde de près à des
propriétés directement observables en surface. Walker emploie
une notation formelle inspirée de Chomsky et Halle pour
représenter un ensemble de règles phonologiques et
morphologiques (concernant, entre autres, la diphtongaison, la syncope,
l'assimilation, la palatalisation ... ) rendant compte de structures
synchroniques de la langue dans les domaines des alternances
morphophonologiques et de la morphologie dérivationnelle. L'ouvrage
se termine sur une discussion historique informée par le principe du
processus dit de 'morphologisation', qui reconnaît une
évolution des règles menant de règles
phonétiques à des règles purement morphologiques. Le
clair exposé de Walker intéressera deux types de
spécialistes: ceux qui travaillent sur l'ancien français et
ceux qui font de l'analyse phonologique. Est-ce l'existence de ce
deuxième groupe qui expliquerait le fait que le texte ait
été écrit en anglais plutôt qu'en
français? (On fait souvent remarquer - par exemple, M. Amyot et G.
Lapointe in La Banque de mots, n° 24, 1982 - que les textes scientifiques
écrits par des francophones ou sur la langue ou la littérature
françaises sont de plus en plus rédigés en anglais.)
Pour ce qui est de savoir la nature précise du groupe visé,
Walker dit seulement que son ouvrage se veut une contribution à 'our
knowledge of OF' - possessif vague. La formulation des règles est
généralement claire. On regrettera seulement deux cas
d'ambiguïté dus à des confusions typographiques. Dans
'Pope: ', le soulignement est de Walker, tout le reste est de Pope. Les
transcriptions phonologiques sont données soit en romain entre barres
diagonales (ex: /e/), soit en italique sans délimiteurs (ex: e),
tout comme les formes graphiques; la confusion est double dans le cas du
phonème '/a/' du fait que le caractère utilisé pour le
représenter a été considéré comme une
lettre, ce qui donne 'D' (on pense à un autre phonème)
lorsqu'il est imprimé en italique.