L'oeil est attiré par le titre qui annonce une nouveauté; le sous-titre précise qu'il s'agit du genre linguistique. En matière de langage, on distingue le genre grammatical du genre naturel; alors que dans une langue comme l'anglais le premier est déterminé par le second, le français affecte les noms d'inanimés d'un genre, soit masculin, soit féminin, et n'applique que partiellement le genre naturel aux noms d'êtres sexués (cf. une recrue, un tendron).
Le but de l'ouvrage de Cécile Huot est de dégager, dans la catégorie des substantifs français, les terminaisons caractéristiques du genre masculin et du genre féminin: 'notre objectif est de mettre à la portée de la main ... et de l'oeil, une méthode facile et rapide de trancher les questions courantes créées par le genre, ce qui nous a fait éliminer les développements sémantiques ou techniques' (Avant-propos, p 9; italique dans le texte). Les terminaisons, accompagnées d'exemples de mots, sont rangées par ordre alphabétique, ce qui a valu à l'ouvrage le nom de 'dictionnaire', alors que dans l'esprit de l'auteur il s'agit plutôt d'un manuel de poche: 'les dictionnaires suppléent à l'exiguïté des cadres que nous nous sommes fixés en vue de faire de ce manuel un vade-mecum d'un format pratique et facile à consulter' (Introduction, p 13).
L'économie et la facilité ont dicté deux choix aux conséquences fâcheuses. Premièrement, sont éliminées 'les terminaisons ... qui désignent avec évidence des hommes ou des femmes, des animaux mâles ou femelles, c'est-à-dire des noms dont le genre est naturel ou motivé' (pp 13-14). On pourra objecter que puisque l'ouvrage, qui ne prétend pas à l'exhaustivité, se contente de donner quelques exemples pour chaque type, cette économie n'accomplit rien. En l'occurrence, telle qu'elle est appliquée, cette mesure fausse les données: -eur masculin (personnes masculines et pièces mécaniques) est donné comme exception à -eur féminin plutôt que comme forme à part; puisqu'elle peut porter la marque 'femelle', la terminaison -trice (cicatrice, tabulatrice, calculatrice, matrice, tectrice, motrice, locomotrice, automotrice - tous noms féminins) est supprimée; en revanche, -euse (balayeuse, faucheuse, lessiveuse, etc.) y est. Il y a aussi, parmi les exemples, beaucoup de ces mots 'qui désignent avec évidence des hommes ou des femmes' (cf. supra): nonne, précieuse, vieillard, émigré, naufragé, épicier, jardinier, mercier, orphelin, voisin, youpin ... La trentaine de noms masculins en -aud (p 80) comprend presque vingt mots de ce type. L'auteur a eu tort de refuser le débat sémantique qu'elle laisse entrevoir fragmentairement dans des notes (voir surtout pp 111, 112 et 114) et en citant des sources diverses (J.-Cl. Corbeil, M. Grevisse, P.-A. Chouinard, R. Dubuc, J. Landry) dans les pièces liminaires et les appendices (sur le sexe des mots, la féminisation des titres).
Tout comme le sémantique, le fonctionnel est passé sous silence. S'appuyant sur l'autorité de A. Rigault (étude des marques du genre en français oral, dans La Grammaire du français parlé), Huot récuse les suffixes pour leur préférer les terminaisons - priorité donc de la forme sur la fonction. Mais là où Rigault avait fourni des résultats précis sur la spécificité des phonèmes finaux (/o/ masculin dans 841 mots sur un total de 865, /z/ féminin dans 551 sur 612), les listes de Huot rendent hasardeuse toute interprétation. Les rubriques sont à base tantôt phonétique- -ale/-alle, -ance/-anse, -au/-aud/-aut, -or/-ord/-ors/-ort; tantôt graphique: -er (/e/ ou /r/, -en (/n/ ou //). La rubrique -er comprend 43 mots, dont seulement trois qui se prononcent /r/ (hiver, enfer, Ulster), tout comme les deux 'exceptions,' mer et cuiller. La terminaison -aison ayant été classée comme féminine, une autre terminaison -son est donnée comme masculine, ce qui fait considérer guérison et pâmoison comme exceptions à la règle; la rubrique -son masculin ne renferme en fait que quinze exemples de noms masculins, contre onze noms féminins auxquels il faudrait ajouter trahison, garnison et cloison - donc quatorze en tout. Les exemples sont systématiquement donnés en listes ouvertes (le dernier item est toujours 'etc.'), cependant que les exceptions sont présentées en listes apparemment closes. Notons, parmi les exceptions oubliées: (a) -ale/-alle, f: dédale, régale - ce qui porte l'effectif des noms masculins à dix contre vingt noms féminins cités; (b) -ée, f: macchabée, apogée, trochée; (c) -eur, f: coeur, pleur, choeur, vecteur, secteur; (d) -ose, f: rose (couleur - cf. bleu s.v. -eu); (e) -is, m: fois; (f) -it, m: chienlit; (g) -non, m: guenon; (h) -omme, m: pomme; (i) -our, m: cour. Notons également les rubriques oubliées -ique (f), -ing (m).
L'à-peu-près de l'application d'une approche formelle rend l'ouvrage peu fiable comme outil pédagogique. L'on se demande, à ce propos, pourquoi l'auteur à utilisé comme source un dictionnaire de rimes de 1925, alors qu'elle avait à sa disposition le très complet Dictionnaire inverse d'A. Juilland qui donne, pour chaque terminaison, des listes de mots complètes avec l'indication du genre des noms. La primauté de la forme déforme parfois la réalité linguistique: ainsi, par exemple, les homonymes (vase m / vase f; coche m / coche f), voire les homophones (foret / forêt), sont présentés comme des mots polysémiques (cf. 'Quelques noms dont le genre varie d'après le sens', p 112). Le manque d'un classement rigoureux, le manque de listes exhaustives et de statistiques probabilistes, renvoient fatalement l'usager au dictionnaire de langue. Il est à regretter aussi que la liste de 'quelques pays et régions du monde' qui clôt le livre soit très incomplète: Vatican est donné (sans indication de genre), mais non Suède, Ceylan mais non Sri Lanka, et Terre-Neuve seule des provinces du Canada.