Claude Poirier et al., Dictionnaire du français québécois: volume de
présentation,
Presses de l'Université Laval, 1985, xli-169 pp.
Ces deux dictionnaires, bien que de conception et de méthodologie différentes, partagent d'autres traits que leur provenance universitaire. Il s'agit, dans les deux cas, d'un fascicule de démonstration démonstration d'une méthode nouvelle dans la description dictionnairique du lexique français; pour leur essai, les auteurs présentent une longue introduction génétique, théorique et explicative, avec références autobibliographiques à l'appui, et proposent un échantillon d'articles 50 dans le DECFC, 74 dans le DFQ pour lesquels la microstructure est, selon l'objet de description, la plus complète possible.
Le DECFC est un exemple d'un DEC (dictionnaire explicatif et combinatoire), qui, à son tour, est l'application lexicographique d'un MST (modèle 'Sens <> Texte') le discours du DECFC doit beaucoup à la logique, aux mathématiques et à la siglaison. Parti de la théorie 'Sens <> Texte', élaborée dans les années 1960 par A.K. Zholkovskij et I.A. Mel'cuk, qui pose un système logique fonctionnel et transformatif décrivant les correspondances entre l'ensemble infini des sens et l'ensemble infini des textes, le DEC véritable innovation lexicographique a d'abord tenté une description du russe, avant de s'adresser au français (Mel'cuk est depuis quelques années professeur à l'université de Montréal). Les entrées de la macrostructure sont dites "vocables", dont chacun réunit une ou plusieurs sous-entrées dites "lexèmes"; le "lexème" correspond à l'acception de mot ("vocable") mono- ou polysémique de la lexicographie traditionnelle. Tout article de lexème a une structure rigide qui comporte une section sémantique (définition), une section syntaxique (schéma de régime) et une section "lexico-combinatoire" (fonctions lexicales). La définition, nécessaire et suffisante, définit une expression à variables ou "actants sémantiques"; celle de enseigner 2a est la suivante: "X enseigne Y à Z = X énonce une affirmation Y1, qui fait partie d'une doctrine Y2 proposée 4a par X, dans le but de causer que Z sache I le contenu de Y". Le schéma de régime indique les différentes réalisations possibles ou impossibles du schéma de définition; par exemple, pour enseigner 2a, Y est obligatoire à moins que Z le remplace comme complément d'objet direct (enseigner les nations). Les fonctions lexicales les auteurs en ont trouvé environ 60 "présentent l'ensemble de la cooccurrence lexicale restreinte intéressant le lexème considéré" (p. 6), ce qui revient au paradigmatique et au syntagmatique lexicalisés du lexème; elles comprennent les synonymes, antonymes, dérivés fonctionnels, hyperonymes, cooccurrents métaphoriques codés, réalisations typiques des actants du mot clé, opérateurs syntaxiques et cooccurrents ou analogues aspectuels ('plus', 'très', 'commencer', 'causer'...). Si l'approche est originale et le métalangage déconcertant (par exemple, le cooccurrent foudroyante de maladie 1a est étiqueté "A1Fact1 + AntiMagntemp"), la méthode permet de faire une description systématique, exhaustive et non équivoque, ce qui n'est pas le cas de la lexicographie traditionnelle. Les descriptions proposées ne sont pas cependant aussi complètes qu'on pourrait le souhaiter: par exemple, s.v. inviter, il manque le paradigme des repas après invitation à (invitation à déjeuner, invitation à dîner) comme il manque aussi la fonction de complément de nom (billet/carte/ lettre d'invitation). Le lexique décrit le "français contemporain" du titre n'est pas commenté serait un français contemporain standard non marqué, sauf dans la mesure où certains exemples sont signés par des auteurs français plus ou moins modernes (par exemple, sous joie 1, sont cités Stendhal, Gide, Duhamel, Giono et Pagnol) et autres (A. Schweitzer s.v. enthousiasme, La Rochefoucauld s.v. envie). Les usages prévus d'un DEC sont: pour le traitement automatique des textes (cela semble aller de soi), pour l'enseignement des langues aux étrangers et comme ouvrage de référence; à notre avis, il faudrait un effort de réadaptation des habitudes pédagogiques assez considérable, mais non inimaginable, pour que le deuxième objectif se réalise et une véritable révolution, difficile à concevoir, dans la pratique usuelle du dictionnaire pour que le troisième rêve se concrétise.
Le DFQ nous ramène en terrain familier. Prototype-échantillon du futur Trésor de la langue française au Québec, réintitulé Dictionnaire du français québécois, il a deux raisons d'être, l'une avouée, l'autre pas. Il sert à la fois à calmer les esprits qui désespéraient de voir jamais le TLFQ commencer à paraître (seconde raison) et à inviter la critique avant que ne s'engage la rédaction définitive. Le TLFQ et les modèles que l'équipe a déjà publiés étant depuis longtemps connus (voir surtout les Travaux de linguistique québécoise), il ne sera fait ici qu'une critique négative de quelques aspects de la typographie et du contenu de ce volume de lexicographie différentielle par ailleurs fort beau et richement documenté. Les vedettes et les sous-vedettes ne sont pas suffisamment dégagées du texte: l'oeil doit les chercher malgré l'utilisation des caractères gras et des ronds noirs. Les alinéas quel que soit leur statut respectif sont uniformément séparés par un double interligne. La rubrique intitulée tantôt "Encyclopédie", tantôt "Ethnologie", tantôt "Encycl. et ethnol.", trahit une zone d'indétermination épistémologique. Il y est question tantôt du mot (par ex. s.v. blonde, camus, cave1 sens 1), tantôt du référent (par ex. bavasser, bombe, cave1 sens 2). L'italique est employé pour parler aussi bien du référent que du mot (la section "Encyclopédie" de l'article punch est une exception à la règle générale (cf. ponce)).