Dictionnaire du français plus: à l'usage des francophones d'Amérique.
Rédacteur principal: C. Poirier. Montréal, Centre Éducatif et Culturel, 1988, xxiv-1856 pp.
© 1989, 2001 R. Wooldridge
 

Ce dictionnaire, rédigé par l'équipe du Trésor de la langue française au Québec, répond à des voeux émis depuis plusieurs années et articulés de façon particulièrement claire et pressante à l'occasion d'un colloque tenu à l'Université Laval en 1985 pour marquer le lancement du Volume de présentation du Dictionnaire du français québécois, oeuvre de la même équipe lexicographique (voir UTQ, vol. 57). A la suite de mutations sociopolitiques importantes – la Révolution tranquille et le mouvement indépendantiste – l'on a ressenti dans une bonne partie de la société québécoise, et parmi les enseignants en particulier, le besoin d'une reconnaissance linguistique de la nouvelle autonomie culturelle. Toute communauté ayant ses institutions propres, sa culture spécifique et une langue de communication commune qui véhicule ces valeurs éprouve la nécessité de codifier cette dernière. Ce fut le cas des nations européennes à l'époque de la Renaissance, ce fut aussi celui des États-Unis au XIXe siècle; c'est actuellement le cas du Canada français. C'est dans ce contexte que le DFP prend tout son sens et doit être considéré comme révolutionnaire. Une communauté linguistique se reconnaît avant tout dans le dictionnaire, dictionnaire de la langue générale s'entend. Les productions antérieures n'avaient pas su gagner l'adhérence du public et le soutien des linguistes à cause de défauts méthodologiques ou d'intentions non normatives. Le Bélisle, sur le plan du contenu, avait greffé sur un dictionnaire du français classique (le Littré-Beaujean) un certain nombre de québécismes marqués comme tels et qualifiés de corrects ou incorrects; le Bergeron, publié autant comme pamphlet polémique que comme description linguistique, n'a voulu enregistrer dans ses pages que le vocabulaire spécifique au Québec (voir UTQ, vols 50 et 51).

Ce qu'il fallait pour remplir cette case vide, c'était, comme on a pu le dire, un "Petit Robert québécois". Le PR s'est imposé en France comme ouvrage de référence du grand public instruit et, par conséquent était devenu le modèle pour une réalisation québécoise. Le grand mérite des auteurs du DFP est d'en avoir tiré toutes les conclusions logiques. Dans le PR la langue générale non marquée est celle du français de France standard; les registres littéraire, technique, familier, populaire, etc. sont signalés par des marques appropriées; de même, les régionalismes et les xénismes ("Belg.", "Suisse", "Can.") sont distingués. Le DFP fait de même, sauf à mettre le français québécois standard à la place du français de France et de signaler ce dernier, lorsque son enregistrement est jugé approprié, comme variante géographique particulière ("France").

Cette conception d'un dictionnaire du français québécois a tout de suite soulevé l'enthousiasme du public et attiré l'attention des média – articles dans tous les journaux et magazines, interviews dans les studios de radio et de télévision. Si on a pu relever des insuffisances dans le vocabulaire consigné et la description qui en est donnée, on a su aussi reconnaître la haute compétence des lexicographes et apprécier que l'ouvrage qui vient de sortir n'est qu'un premier essai qui ira en se perfectionnant d'une édition à l'autre. Les auteurs sont clairs sur ce dernier point; ils veulent tirer tout le profit possible des avis et critiques émis à l'égard du DFP.

Voici donc quelques observations de détail. Il faut d'abord savoir que le DFP, comme tout dictionnaire, n'est pas parti de rien. Il est, à l'origine, un dictionnaire Hachette (France) québécisé (le CEC est une filiale d'Hachette). Une différence essentielle pourtant entre le Bélisle (Littré plus) et le DFP est que celui-ci est Hachette plus et moins et que le plus et le moins sont le fait de lexicographes professionnels oeuvrant dans un Québec plus propice à la réalisation d'une telle entreprise; ajoutons à cela la mise à contribution des très riches archives réunies au Centre du TLFQ en vue de la confection du grand dictionnaire historique (voir UTQ, vols 47 et 49). Inévitablement les origines françaises du DFP se font parfois trop sentir. Par exemple, gosse défini "enfant" à l'exclusion de "testicule"; catin défini d'abord "prostituée" et seulement ensuite "poupée" et "pansement". Anormale aussi – je remercie une étudiante québécoise, Patricia Gendreau, de m'avoir fourni cette liste – l'inclusion des termes sexuels con, dépuceler, nichon, foutre, alors que guidoune, pissette, pelote/plotte, bizoune n'y sont pas. En revanche, si l'article école inclut grandes écoles (expression française), il donne également école polyvalente; l'adresse C.É.E (institution européenne, mais qui doit faire partie des connaissances du Québécois instruit) est suivi de cégep et cégépien. L'article commission, après avoir parlé des commissions scolaires, se termine par un développement encyclopédique consacré à commission d'enquête, puis à commission parlementaire.

Malgré les imperfections de sa première matérialisation, le DFP s'est immédiatement imposé comme modèle d'un dictionnaire général du français québécois en un volume; il sera suivi sûrement, non seulement de rééditions revues et corrigées, mais aussi d'imitateurs. Pour la santé de la langue française au Canada, on ne peut que le souhaiter.