Jean-Claude Boulanger. Dictionnaire québécois d'aujourd'hui
Saint-Laurent: DicoRobert, 1992. xxxv, 1269 + annexes. $39.95

André Dugas & Bernard Soucy. Le Dictionnaire pratique des expressions québécoises
Montréal: Les Éditions Logiques, 1991. xix, 299.

© 1993, 2001 R. Wooldridge
 

Le Dictionnaire québécois d'aujourd'hui (DQA) – rédaction dirigée par J.-C. Boulanger et supervisée par Alain Rey des Dictionnaires Robert, Paris – est en quelque sorte la deuxième édition du Dictionnaire du français plus (voir UTQ 59). Le DFP (rédigé sous la direction de Claude Poirier par l'équipe du Trésor de la langue française au Québec, et publié en 1988) a été le premier dictionnaire général à prendre comme norme le français canadien et à ne considérer comme régionalismes que les usages étrangers à cette norme; aussi, dans le DFP, les emplois faisant partie du lexique général québécois ne sont pas marqués, alors que les unités connues des Québécois mais senties comme étant françaises (de France) le sont. Ce modèle de description, conforme à la réalité du fonctionnement de la langue, n'a pas manqué de soulever un tollé de la part des puristes pour qui nombre d'usages québécois sont plutôt à proscrire qu'à décrire, et dont la seule norme de référence est le français de France. Pour des raisons de temps et d'attitude éditoriale (le public n'aurait pas été jugé prêt à accepter un produit trop révolutionnaire), le DFP n'a pu consigner dans ses pages tous les mots québécois courants, notamment dans les domaines des registres familiers et des anglicismes. Il a cependant ouvert la voie au DQA, qui, en adoptant le même modèle de description, ne manque pas, quatre ans plus tard, d'enregistrer des mots et expressions comme gosse 'testicule' (gosse 'enfant' est marqué 'France'), hostie interj. et c'est le fun.
    Tout comme le DFP (dérivé d'un dictionnaire Hachette), le DQA est le remaniement d'un dictionnaire publié en France; il s'agit dans ce cas-ci du Micro-Robert (MR), dont le DQA constitue le pendant nord-américain. On a donc affaire à un dictionnaire de référence sélectif à but pédagogique de la langue contemporaine, "s'adressant tant au public des niveaux secondaire et collégial qu'à l'ensemble des francophones de l'Amérique du Nord" (ix) et contenant un répertoire d'environ 40 000 mots. La macrostructure, la microstructure et la typographie sont les mêmes: nomenclature alphabétique, regroupement sous le mot de base des dérivés fonctionnellement et alphabétiquement proches, avec renvoi aux dérivés alphabétiquement éloignés, séparation d'homonymes, vedettes en grands italiques gras, etc.
    Dans les tranches Ach-, Disp- et Plac-, en plus des achaler, achalé, achalant, achalage, achigan, dispendieux, placoter, placotage, placoteur (-eux, -euse) attendus, l'on trouve ajoutés par rapport au MR 1988: achalandé 'qui attire beaucoup de clients' (MR: autrefois; cf. 'qui est bien fréquenté' non marqué dans DQA, emploi critiqué dans MR), acheté 'acquis dans un magasin', achetable, s'achever, place 'lieu géographique' et 'complexe, centre commercial', placebo, placer une commande, placement t. de football, placier/-ière dans une salle de spectacle. Ne sont pas retenus: achéménide t. d'histoire, disparate n.f. vieux, disputer 'discuter' vieux ou littér. et 'rivaliser' littér., placet vieux. (La nomenclature du DQA est en fait plus étendue que celle du MR: 1269 pages contre 1091 de même format.) Les différences ne s'arrêtent pas là. Par exemple, au lieu de placer son argent en fonds d'État on le place ...en bons du Trésor; placier ne renvoie à V.R.P. que dans MR, alors que DQA est seul à renvoyer de dispensaire (qu'il qualifie de 'vieilli') à C.L.S.C.; en France, le match s'est disputé hier à Paris, tandis que de l'autre côté de l'Atlantique il s'est disputé ...à Boston. L'égalité des sexes, sujet plus brûlant en Amérique du Nord qu'en Europe, trouve son expression dictionnairique: en plus du couple -eur/-eure (voir auteur/auteure, etc., ainsi que le petit lexique des suffixes donné en appendice), on constate un effort d'équilibrer l'emploi des noms et pronoms personnels féminins et masculins dans les exemples. Par exemple, dans RM, il a disparu dans la foule, il a disparu sans laisser de traces, le grand écrivain qui vient de disparaître; dans DQA, elle a disparu dans la foule, ils ont disparu sans laisser de traces, le grand écrivain qui vient de disparaître.
    Les différents annexes reflètent les mêmes préoccupations que le dictionnaire lui-même. L'atlas de MR commence par la France, celui de DQA par le Canada, puis le Québec. La chronologie historique et culturelle ajoute des notices sur la Nouvelle-France et le Canada. Le dictionnaire de noms propres est également canadianisé et québécisé; de même, les listes de toponymes et de gentilés – Saint-Servan-sur-Mer remplacé par Saint-Sauveur-des-Monts, Trévoltien (de Trévoux) par Témiscabitibien (d'Abitibi-Témascamingue), etc.
    Le DQA représente, grâce à l'aide de son frère aîné, le DFP, un pas en avant pour la lexicographie québécoise et est, sans conteste, le meilleur miroir dictionnairique existant du français canadien général. Il est loin d'être parfait, pourtant; un plus grand effort est encore nécessaire pour dépasser le stade artisanal, qui est encore celui de trop de dictionnaires, et profiter de l'informatique, qui rend possible, et exige même, une vraie systématicité. Je ne donnerai qu'un exemple de manque de cohérence, mais il est de taille. Dans l'introduction, on lit: "Les anglicismes passés en français [...] et sentis comme très usuels sont consignés sans autre notation que leur origine anglaise (ex.: anglic. hot chicken [...]) [...]. Lorsque l'anglicisme ou le calque qui en résulte sont critiqués, on a signalé ces réserves intégrées dans la rubrique REMARQUE (ex.;: partir (III), surtemps)"; si, au mot surtemps, on peut lire "REM. Ce mot est critiqué comme calque de l'anglais", l'article partir ne dit que "REM. Ces emplois (III) sont critiqués", sans mentionner une provenance anglaise. Bien plus grave, cependant, est la disparité entre ce qui est dit dans l'introduction et l'item consigné dans la liste des abréviations: "anglic. – mot anglais employé en français et critiqué comme emprunt abusif ou inutile". C'est le genre de bévues qui prête le flanc inutilement à la critique.
    On doit féliciter J.-C. Boulanger et son équipe d'avoir élaboré un excellent outil pour l'enseignement du français canadien et l'affirmation de l'identité culturelle et linguistique du Canada francophone.

Le plus modeste Dictionnaire pratique des expressions québécoises (DPEQ) est remarquable par le fait qu'il donne accès à tous les mots sémantiques de son texte. Celui-ci comprend, au niveau de la microstructure: le numéro d'ordre de l'adresse (il y a 5610 entrées), l'adresse, une définition et, éventuellement, une ou plusieurs expressions synonymes. Un index (pp. 215-99) donne par ordre alphabétique tous les mots sémantiques non-initiaux des 5610 articles (pp. 3-211), qu'ils se trouvent dans les adresses, les définitions ou les expressions équivalentes. On ne peut que remercier les auteurs et l'éditeur pour cette initiative, qui a pour effet d'augmenter considérablement la nomenclature et de faire du répertoire un dictionnaire à la fois de décodage et d'encodage. Les expressions consignées dans la nomenclature proviennent de collectes faites auprès de dizaines de locuteurs québécois. Les critères de sélection sont assez simples et pratiques: ne sont retenues que des locutions verbales. Les sept premières adresses de la lettre D sont les suivantes: damer le pion à qqn, danser comme une marionnette, danser la gigue, danser la gigue de l'ours, danser sur la gueule, danser sur un volcan, dater de l'année du siège. Les définitions viennent de trois types de sources: les auteurs du dictionnaire (signées 'ORA'), des ouvrages sur le français du Québec, des ouvrages sur le français d'ailleurs (les expressions répertoriées sont dans beaucoup de cas communes à plusieurs variétés du français). Sous la lettre D, 62 définitions sont signées 'ORA', 74 viennent du groupe québécois (dont 50 de Desruisseaux, Dictionnaire des expressions québécoises) et 70 du groupe non québécois (dont 36 de Pradez, Dictionnaire des gallicismes et 23 de Pons, Promptuaire des locutions). Si le dictionnaire et l'index ont une organisation et une présentation soignées, on ne peut en dire autant de la bibliographie donnée en tête de volume. Les entrées de celle-ci sont organisées selon un ordre alphabétique des intitulés abrégés assez fantaisiste; ainsi se rencontrent des suites comme 'BAR' avant 'BAB', 'BER' 'BEA', 'DEX' 'DES', 'DIO' 'DIN', 'DUO' 'DNN', 'ROS' 'ROG', 'SIM' 'SEU', puis dans la partie non québécoise, 'CAR' 'CAI', 'DUN' 'DUC', 'LEG' 'LEA', 'RAT' 'RAM'; et même 'DUB' 'DUL' 'DUB', où les deux 'DUB' correspondent à deux ouvrages différents! Enfin, 'USU', qui se rencontre huit fois sous la lettre D, manque tout simplement à la bibliographie. L'apport majeur de ce recueil pratique est d'ordre méthodologique: l'index qui, tout en n'occupant que 29% de l'ensemble dictionnaire-index, crée deux autres dictionnaires – un deuxième répertoire sémasiologique, dont les entrées sont des expressions synonymes de celles du premier, et un lexique onomasiologique définitions-dénominations.