Claude Verreault, Louis Mercier & Thomas Lavoie (éds), Le français, une langue à apprivoiser, Textes des conférences prononcées au Musée de la civilisation (Québec, 2000-2001), Les Presses de l'Université Laval, 2002, 113 p.
© 2003, 2004 R. Wooldridge
 

Ce petit fascicule renferme six des huit conférences prononcées au Musée de la civilisation de Québec en 2000-2001, précédées d'une présentation de C. Verreault. Cette dernière donne le ton du volume : "Des universitaires ont été invités à répondre, en termes clairs et accessibles, aux principales questions que se posent les Québécois sur cette grande langue qui leur appartient et qu'ils partagent avec des millions d'autres usagers." (p. 3). Dans quelle mesure ces spécialistes ont-ils donc répondu à cet appel, en se mettant à la portée de leur public ?

La première conférencière, Henriette Walter, de l'École pratique des Hautes études de Paris, est une vulgarisatrice chevronnée. Son texte, intitulé "Le français de France et d'ailleurs : unité et diversité" et qu'elle qualifie de "survol rapide de la langue française entre unité historique et diversité géographique", fera le délice de tout professeur de lycée ou d'université enseignant un cours sur l'histoire et la variété de la langue française. Dans une synthèse claire richement illustrée d'exemples bien choisis, HW parle tour à tour de : "Le français, langue accueillante", "L'accent", "Le lexique", "La grammaire", "La langue française et la dimension géographique", "Des mots qui évoquent des lieux", "Paris, zone de départ et centre de diffusion", "Paris-terroir et Paris-creuset", "Le français, riche de sa diversité". Il n'est pas inutile de citer ici, pour le rappeler aux Nord-Américains qui parlent trop facilement du "Pareesian French", ce que dit HW au sujet de la distinction qu'elle fait entre Paris-terroir et Paris-creuset : "En ce qui concerne la langue française, il n'est pas exagéré d'affirmer qu'il y a deux Paris, car on peut y voir à la fois une région comme les autres, un terroir où des formes linguistiques particulières ont vu le jour, et un lieu de rencontre incomparable, où viennent interagir mille formes importées, venues de plus ou moins loin." Le texte est suivi de deux annexes très utiles sur "Le français dans le monde" (un tableau indiquant les États où le français est reconnu comme langue officielle) et le "Statut du français dans les organisations internationales".

Dans "La francophonie canadienne : entre le mythe et la réalité", Charles Castonguay, du Département de Mathématiques et Statistique de l'Université d'Ottawa, démontre clairement et de façon convaincante, à l'aide de graphiques venant illustrer chaque argument, que le français est en régression par rapport à l'anglais, voire de façon absolue, sur tous les plans : à l'échelle du Québec comme dans tout le Canada, parmi les immigrés allophones comme parmi les francophones, chez les jeunes francophones notamment mais également chez les francophones plus âgés qui sont en contact avec l'anglais, parmi les gens dont le français est la langue première comme aussi parmi ceux qui le parlent en langue seconde. Belle démonstration de l'assimilation linguistique.

La conférence de Louis Mercier (Université de Sherbrooke) sur "Le français, une langue qui varie selon les contextes" donne l'impression d'être extraite, sans référence au contexte d'origine ni dans le texte ni dans la bibliographie, d'un débat qui dure depuis longtemps et qui n'est pas encore arrivé à terme. On reste donc insatisfait devant un texte allusif sans forme finie. Un exemple du caractère fuyant du propos de LM : "On peut aussi mentionner le cas du mot breuvage que les Québécois pourront percevoir différemment selon qu'ils sont informés ou non des critiques émises à son sujet et selon l'importance qu'ils accordent à ces critiques." (p. 52). Quelles critiques ? Le lecteur doit chercher ailleurs pour le savoir (la bibliographie n'est d'aucune aide), comme il devra aller chercher ailleurs pour donner un sens à une bonne partie du reste de l'article.

Avec "Le Saguenay–Lac-Saint-Jean : une région particulièrement bien étudiée du point de vue linguistique" de Thomas Lavoie (Université du Québec à Chicoutimi), le pari de la clarté et de l'accessibilité est tenu. TL nous offre une synthèse tout aussi satisfaisante que celle de H. Walter. La conférence est articulée autour de deux thèmes principaux : une historique des "Principaux travaux réalisés" – dont notamment deux enquêtes dialectologiques, la première de Gaston Dulong, la seconde du conférencier – et une discussion des "Origines et caractéristiques lexicales des parlers du Saguenay–Lac-Saint-Jean". Une bibliographie très fournie aidera le lecteur à approfondir les différents aspects du sujet traité par TL.

Abordant un sujet comme "Attitudes, préjugés et opinions sur la langue", Marty Laforest (Université du Québec à Trois-Rivières) aurait eu besoin d'une approche globale au moins méthodique sinon scientifique pour éviter les lieux communs et le caractère décousu d'une bonne partie de son propos. Le lecteur trouvera néanmoins intéressante la discussion de la méthode du "locuteur masqué" ou "faux couple" de Wallace Lambert et l'application qui en a été faite dans les années 1960 à l'endroit des attitudes linguistiques des anglophones et des francophones montréalais (p. 87-88). On prêtera aussi une attention particulière à ce que dit ML (p. 90-91) sur la distinction importante entre "langue" et "langue standard" dont nous citons ici la fin : "L'école ne donne pas une langue à ceux qui n'en auraient pas. Elle donne un code qui permet de lire le monde, la clé de la mémoire de l'humanité consignée dans les livres et, par là, elle dote l'élève d'un puissant instrument d'émancipation et de promotion sociale. Savoir et faire savoir que ce code n'est pas LA langue redonne leur dignité aux parlers populaires – qui en ont besoin – et ne diminue en rien l'importance de son enseignement."

La dernière conférence, "Français en usage au Québec et dictionnaires" d'Esther Poisson (Université Laval), offre une autre synthèse, un peu courte, cette fois-ci de la "Description lexicographique du français en usage au Québec", accompagnée d'une bonne bibliographie (à laquelle il conviendrait d'ajouter au moins : Annick Farina, Dictionnaires de langue française du Canada : lexicographie et société au Québec, Champion, 2001). Deux remarques sur sa classification. Les "Ouvrages conçus d'abord pour les Français" (p. 96-97), classés sous "Approche générale ou globale", devraient plutôt être rangés sous "Approche différentielle", puisque les usages québécois qui y sont consignés le sont uniquement parce qu'ils sont différents de ceux du français de France. D'autre part, le dictionnaire de Bélisle, en ce qui concerne les usages canadiens, serait à considérer comme ouvrage prescriptif et non descriptif : ces unités sont étiquetées soit comme canadianismes littéraires approuvés par l'Office de la langue française, soit comme canadianismes familiers ou folkloriques, soit enfin comme mots à proscrire. EP fait une belle démonstration de l'accueil accordé aux mots familiers dans le Petit Robert, ouvrage de référence pour le français de France, attitude qui constraste avec la tendance frileuse de la lexicographie québécoise à ce sujet. L'auteure plaide (p. 104) pour l'inclusion dans le dictionnaire utilisé à l'école de ce que Laforest (voir conférence précédente) appelle "la langue" (celle du locuteur, avec ses usages familiers et populaires) pour mieux et plus pertinemment asseoir la "langue standard", surreprésentée dans les ouvrages lexicographiques approuvés par le ministère de l'Éducation.

En somme, un petit recueil qui devrait intéresser à la fois le lecteur curieux et le professeur de langue ou de linguistique.