Le discrédit des méthodes historiques héritées du dix-neuvième siècle, qui imposaient à l'etude du passé un point de vue moderne, a entraîné la remise en honneur du témoignage des textes de l'époque, dont surtout depuis quelque temps dans le domaine du lexique, les dictionnaires. [1] Ainsi, on consulte un Nicot, un Richelet ou un Furetière non seulement pour savoir si un item lexical y est enregistré, mais aussi pour voir comment le mot y est défini, comment, selon le lexicographe, il fonctionnait dans la langue au moment où celui-ci écrivait. On reconnaît, enfin, que seul un contemporain a la compétence requise pour décrire sa langue. À leur tour, les dictionnaires sont devenus un objet digne d'intérêt et on a étudié l'histoire de leurs types et de leurs méthodes et leur place dans la société. [2]
Notre examen du Thresor de la langue françoyse nous a permis de constater l'importance des contributions de Nicot et pour la description du lexique français du seizième siècle et pour l'histoire des techniques lexicographiques. [3] Les analyses qu'il fait et les opinions qu'il avance sur l'usage de la langue sont toujours à comparer à celles de ses contemporains, et elles peuvent, bien entendu, être défectueuses; n'empêche que la forme de ses déclarations peut être étudiée absolument et se révèle particulièrement intéressante. On assiste à la création de l'article lexicographique proprement dit: le cadre en est fourni par un discours articulateur qul ordonne un certain nombre de séquences autonymes et de séquences métalinguistiques, et, secondairement, des séquences encyclopédiques (extra-linguistiques et métamétalinguistiques). On note, comme type particulier de métamétalangue, les remarques métalexicographiques du lexicographe commentant son activité, [4] remarques normalement mises en tête du dictionnaire dans la préface; les observations du lexicographe Nicot sont pourtant toutes à chercher dans le texte du dictionnaire, puisque c'est un imprimeur-libraire, Dupuys, qui préface le Dictionaire françois-latin de 1573 et un libraire, Douceur, qui préface le Thresor de 1606. Il faut attendre la fin du dix-septième siècle pour voir réapparaître, dans un dictionnaire français, un discours lexicographique aussi explicite. En revanche, le manque d'organisation rigoureuse des données fait que bon nombre d'éléments lexicaux comme d'éléments descripteurs échappent au consulteur et ne se rencontrent qu'au hasard de la lecture.
Trésor de la langue française, le Thresor est aussi un trésor de la lexicographie française.