Choisir son conjoint, l'épouser devant le maire, opter pour la monogamie : la conception du mariage change, même au village. Au Burkina, de vieux couples viennent ainsi de se marier civilement pour avoir des papiers d'identité et sécuriser les femmes.
Lorsqu'ils se remémorent cette journée de juin dernier, les cinq vieux assis sur le banc ont le sourire aux lèvres et les yeux qui pétillent. Ce jour-là, ces hommes à barbiches blanches et têtes chenues se sont "officiellement" mariés avec celles qui partagent leur vie depuis plusieurs dizaines d'années. Ce fut une belle fête qui a réuni tous les habitants de Wobrigre, non loin de Ouagadougou. En effet, ce 7 juin 1997, 60 couples âgés de 20 à 80 ans sont passés devant monsieur le maire qui s'était déplacé jusqu'au village pour célébrer leur union civile. Quelques heures durant, les anciens ont ainsi revécu l'époque de leur jeunesse, celle de leur mariage coutumier avec leur première femme, suivie pour la plupart d'une seconde et souvent d'une troisième.
Appuyé sur sa canne, l'un des vieux, encouragé par les autres qui opinent du chef sous leur chapeau de paysan, explique pourquoi, à leur âge, ils ont pris cette décision inhabituelle. En début d'année, raconte-t-il, une troupe de théâtre leur a joué une pièce présentant le triste sort d'une jeune femme donnée à un vieil homme qui décède peu après. Elle se trouve alors en butte à sa belle-famille qui la dépouille de tout car elle n'a aucun papier prouvant ses droits sur l'héritage de son mari. Cette histoire les a fait réfléchir. C'était le but de l'association "Promo-Femmes", à l'origine de cette initiative, qui a poursuivi durant plusieurs mois les discussions avec les villageois.
"Avant, explique Mounir Traoré, nous pensions que c'était les fonctionnaires et les gens des villes qui faisaient le mariage civil et que nous, nous ne pouvions pas le faire." D'ailleurs, rares étaient ceux qui avaient les papiers d'état-civil nécessaires, surtout parmi les femmes. Un gros handicap pour toutes les démarches administratives qui étaient interminables, voire impossibles. "Nous nous sommes dit qu'il fallait donner l'exemple à nos enfants. C'est pourquoi nous nous sommes mariés", poursuit-il. Et très vite, ils en ont vu l'utilité : grâce au livret de famille, leurs enfants ont pu facilement s'inscrire à l'école, les recherches d'emploi des plus âgés ont été simplifiées, leurs relations avec l'administration allégées.
Mais ces mariages civils sont aussi le fruit d'une évolution dans leur conception du mariage. "Quand je me suis marié, il y a 34 ans, raconte l'un d'eux, c'est la famille qui m'a donné ma femme. Je la connaissais car elle était du village mais je ne savais pas qu'elle serait ma femme." Il n'a pas plus choisi ses deux autres épouses. Comme tous les vieux présents qui ont pris les femmes qu'on leur donnait, sans discussion. "Aujourd'hui, nous ne pouvons pas chercher des filles ou des garçons pour nos enfants. Maintenant on se voit et on est d'accord pour vivre ensemble. C'est mieux", affirment ces pères. Pourtant, ils constatent que les divorces sont plus fréquents qu'auparavant lorsque l'entourage familial, concerné au premier chef par ces unions, faisait tout pour réconcilier les époux.