FRE 272Y5
The Structure of Modern French: An Introduction

Premier trimestre
Notes de la semaine 10
(Présentation du contenu de L&B, ch. 12)

La morphologie et la lexicologie

[Attention. Le manuel et les notes divergent beaucoup ; pour les besoins du cours FRE 272, les étudiant(e)s ont donc tout intérêt à se concentrer sur les notes de la semaine 10 plutôt que sur le chapitre 12 du manuel.]

Le manuel suit le classement traditionnel de la linguistique générale, répartissant la linguistique en quatre domaines principaux – phonologie, morphologie, syntaxe et sémantique – et en y ajoutant la sociolinguistique. L'étude du lexique a été traditionnellement délaissée ou marginalisée à cause de l'idée que, pour citer le linguiste américain Leonard Bloomfield, "The lexicon is really an appendix of the grammar, a list of basic irregularities" (in Language, 1933). Autrement dit, ne peut intéresser la linguistique que ce qui peut se prêter à une structuration satisfaisante. À cela, on peut opposer : a) que le lexique a effectivement ses structures et b) que tout objet d'étude a des aspects se prêtant à des structurations satisfaisantes et d'autres aspects qui ne se laissent pas analyser aussi facilement. (Cf., dans un autre domaine scientifique, la physique relativement facile à structurer de Newton vs. la physique moins facilement structurable d'Einstein.)

Comme nous le verrons, le terrain occupé par la morphologie et celui de la lexicologie se recoupent en partie.

Seront traitées dans les semaines 10, 11 et 12 du cours une partie de la morphologie (la morphologie générale, semaine 10 – la morphologie grammaticale sera abordée au deuxième trimestre), la morphologie lexicale de la dérivation et de la composition (semaine 11) et la lexicologie (semaine 12).

Question de terminologie. Il faut souligner que la terminologie du manuel et celle du cours divergent sur un point important. Le manuel parle, au sujet des unités de première articulation, ou unités significatives, de monème, morphème et lexème ; pour le manuel, héritier d'une certaine tradition linguistique, l'unité de base de la première articulation est le monème, le morphème se référant aux monèmes grammaticaux, le lexème aux monèmes lexicaux. Cela résulte en grande partie de l'évacuation de la lexicologie (cf. ci-dessus et la citation de Bloomfield). Dans le cours, nous insistons sur une distinction importante entre morphologie et lexicologie. La morphologie s'intéresse aux unités significative minimales, appelées morphèmes, alors que la lexicologie s'intéresse aux unités significatives, simples ou complexes, consacrées par l'usage et perçues par les sujets parlants et les observateurs (cf. les dictionnaires) comme des mots (langue commune) ou unités lexicales (langue technique) ; les lexèmes sont donc des unités du lexique, ou unités lexicales. En grec, morphê signifie "forme" et léxis veut dire "mot", d'où lexique "ensemble des mots d'une langue" (ex. le lexique du français).

Illustrons la différence par un tableau :

Du point de vue de la morphologie, nation est un morphème lexical (on parle aussi de racine ou radical), alors que -al (suffixe adjectival), -iser (suffixe verbal) et dé- (préfixe de négation) sont des morphèmes grammaticaux. Une différence essentielle entre les morphèmes lexicaux et les morphèmes grammaticaux est que les premiers appartiennent à des classes ouvertes (on ne peut pas dénombrer les lexèmes et les racines d'une langue), alors que les seconds relèvent de classes fermées (on peut compter le nombre de suffixes et de préfixes).

Prenons un autre exemple, la forme verbale travaillaient (comme dans Pauline et Françoise travaillaient) :

Cette fois-ci le morphème grammatical est une désinence verbale ou flexion verbale. La flexion (ou désinence) verbale contient des informations sur le nombre (ici le pluriel), la personne (ici la troisième personne), le temps (ici l'imparfait), le mode (ici l'indicatif), l'aspect (ici l'aspect inachevé) et la voix (ici la voix active). On appelle la forme travaillaient une forme fléchie du verbe travailler. Le français a aussi des flexions nominales et des flexions adjectivales : par exemple, -s indiquant le nombre pluriel (ex. étude-s, petit-s, petite-s) ou -e indiquant le genre féminin (ex. étudiant-e, petit-e) ; comme il a aussi des flexions déterminatives (ex. le-s, quel-le, etc. – cf. le commentaire ci-dessous sur le déterminant). Les informations de nombre, de genre, de temps, de mode, d'aspect ou de voix s'appellent des sèmes grammaticaux (cf. L&B, 109-110). Les informations de sens du morphème lexical ou racine s'appellent des sèmes lexicaux. (En grec, le mot sêma veut dire "signe" ; la sémantique est l'étude du sens.)

Le signifié de travaillaient est d'une part "faire des efforts pour obtenir un résultat utile" (= travailler), qui est le signifié lexical, et d'autre part «troisième personne du pluriel de l'imparfait de l'indicatif à la voix active et à l'aspect inachevé» (= -aient), qui est le signifié grammatical. Le signifié global de national est "qui appartient à (= -al) un groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un territoire défini et personnifié par une autorité souveraine (= nation)".

La morphologie est donc voisine de la grammaire de par son étude des formes grammaticales et d'autre part est voisine de la lexicologie de par la coïncidence fréquente entre morphème et lexème. Nation, petit ou de sont des morphèmes du point de vue des unités de première articulation minimales et des lexèmes du point de vue des unités du lexique (ils sont tous répertoriés dans le dictionnaire, lequel est une tentative de description du lexique de la langue).

Si la phonologie ne concerne le code oral, la morphologie et la lexicologie étudient surtout le code écrit. Les morphèmes et les lexèmes sont bien plus observables dans le code écrit que dans le code oral, lequel ne fonctionne que par phonèmes, syllabes et groupes rythmiques (cf., dans le test 1, "Alors, comme ça, tu t'en vas." vs. /a lR km sa ty t va/).

Les catégories grammaticales (cf. L&B, pp. 105-107). On peut opposer le classement traditionnel des parties du discours au classement utilisé en général par la linguistique moderne. Le classement moderne retient généralement les catégories suivantes : le nom (ou substantif) et le pronom (pronom = substitut de nom), l'adjectif qualificatif, le verbe, l'adverbe, le déterminant (qui regroupe les traditionnels article défini (le, etc.), article indéfini (un, etc.), article partitif (du, etc.) adjectif possessif (mon, etc.), adjectif démonstratif (ce, etc.), adjectif interrogatif/exclamatif (quel, etc.), adjectif cardinal (un, deux, etc.), adjectif ordinal (premier, etc.), adjectif indéfini (quelques. etc.)), la préposition et la conjonction. –– [Remarques : a) le nom et le pronom fonctionnent effectivement de la même façon, comme dans La serveuse est très affairée = Marie est très affairée = Elle est très affairée ; b) le nouveau classement ne fait pas ressortir le lien étroit en français entre le nom (que l'on appelait autrefois nom substantif) et l'adjectif (appelé autrefois nom adjectif) qui fait que tout adjectif français peut fonctionner comme nom, comme dans les petits enfants => les petits, les grands personnages de ce monde => les grands de ce monde, etc.]

Classes ouvertes et classes fermées (modification de L&B, p. 109). Les classes ouvertes, qui intéressent particulièment la lexicologie, sont une des catégories morphologiques et des catégories grammaticales dont on ne peut dénombrer les membres ; les catégories en question sont celles de la racine, du nom, de l'adjectif qualificatif, du verbe et de l'adverbe de manière en -ment. Les classes fermées, qui intéressent particulièrment la morphologie, sont des catégories morphologiques et des catégories grammaticales dont on peut dénombrer les membres ; les catégories en question sont celles de la flexion (flexions verbales, nominales, adjectivales et déterminatives), l'affixe (préfixes et suffixes), le pronom, le déterminant, la préposition, la conjonction, l'auxiliaire (avoir et être) et l'adverbe non en -ment.

Il est important de noter que la distinction entre classe ouverte et classe fermée est relative. Par exemple, les adverbes non en -ment (comme vite, bien) sont plus nombreux que les pronoms mais beaucoup moins nombreux que les adverbes en -ment, lesquels on peut créer facilement, alors qu'il serait impossible de créer en français des flexions d'un nombre duel (comme en grec, qui possède trois nombres : le singulier, le duel et le pluriel). Les classes ouvertes le sont à la création de nouvelles unités lexicales (comme, dans les années 1960, on a créé alunir et alunissage pour remplacer atterrir sur la lune et atterrissage sur la lune).

Morphèmes dépendants et morphèmes indépendants (cf. L&B, p. 110). Les morphèmes liés ou dépendants sont les racines (ou morphèmes lexicaux), les flexions et les affixes. Les morphèmes indépendants sont ceux qui coïncident avec des lexèmes simples et se trouvent parmi les noms, adjectifs, pronoms, adverbes non en -ment (puisque les adverbes en -ment sont des unités lexicales complexes, comme rapide-ment), verbes, déterminants, prépositions et conjonctions.

Le domaine des morphèmes indépendants combiné avec celui des lexèmes simples et complexes, sous-domaine donc de l'ensemble des classes ouvertes et des classes fermées, donne lieu à un autre classement en mots lexicaux (classes ouvertes) et mots outils (classes fermées). Le tableau ci-dessus peut ainsi être reformulé de la façon suivante :

Les marques morphologiques (cf. L&B, 111-112). Les marques concernent en particulier les morphèmes de nombre et de genre. Prenons, par exemple, l'exemple du manuel Elles louent de belles robes pour les fêtes et comparons-le avec le singulier Elle loue une belle robe pour la fête. Le tableau suivant indique (par le fond jaune) les marques du pluriel et du singulier dans le code écrit et dans le code oral :

Cette comparaison appelle plusieurs remarques : a) il y a davantage de marques de nombre dans la version écrite que dans la version orale et c'est le cas général des codes écrit et oral ; b) le pluriel est plus marqué que le singulier ; c) la version écrite indique que elle, loue, belle, robe et fête relèvent du singulier puisqu'elle possède des formes du singulier (cf. le soulignement dans le tableau ci-dessus) différentes des formes du pluriel, alors que le code oral ne distingue pas le singulier du pluriel pour , , , ou . De façon plus générale, on trouve non seulement que le pluriel est plus marqué que le singulier, mais également que le féminin est plus marqué que le masculin. Par exemple :

Formes amalgamées et formes dissociées (développement de L&B, pp. 110-111).
• Le français possède les formes amalgamées (on dit aussi formes contractées) au, aux, du et des, combinaisons respectivement de la préposition à et de l'article le ou les ou de la préposition de et de l'article le ou les. Dans tout contexte au et aux correspondent à deux unités, à + le / les ; en revanche, tantôt du et des correspondent à deux unités – préposition de + article le/les –, tantôt ils correspondent à une seule, soit articles partitifs dans le cas de du et des (comme aussi de la, de l'), soit article indéfini dans le cas de des (pluriel de un / une).
• Le contraire de l'amalgame est la dissociation, c'est-à-dire la graphie d'une seule unité significative en plusieurs mots graphiques. L'équivalent français de l'anglais although (à l'origine all though) est soit bien que, soit quoique. À l'origine les deux s'écrivaient en deux mots (bien que, quoi que), mais un accident de l'orthographe a voulu que l'un s'écrive maintenant en deux mots, l'autre en un seul. Pour beaucoup de conjonctions, prépositions et adverbes l'histoire a résulté en des formes simples ou dissociées, au hasard : ainsi, par exemple, parce que (par ce que) en réponse à pourquoi (pour quoi) ; auparavant (au par avant), par la suite, ensuite (en suite), aujourd'hui (au jour de huy), lorsque (lors que), aussitôt que (aussi tôt que), etc. (Nota : il ne sera pas question des formes dissociées dans le test 2.)