L’explosion technologique actuelle bouleverse radicalement notre façon de concevoir la transmission du savoir et nous offre de nouveaux outils d’enseignement révolutionnaires sans cesse améliorés. Alors que dans le passé, les méthodologues, les élaborateurs et éditeurs de matériel pédagogique travaillaient isolément pour présenter plus tard leurs produits finis au corps enseignant, nous assistons, en ce moment, à un foisonnement de matériel pédagogique disponible à tous en ligne, et à un dialogue entre les différents élaborateurs de ce même matériel. Désormais, l’enseignement / apprentissage du français s’inscrit dans un contexte élargi, et à niveaux multiples, de l’élaboration d’un discours scientifique, d’une recherche / action méthodologique et de l’application d’une théorisation en situations pratiques d’apprentissage. Les outils dits révolutionnaires doivent naître, selon nous, d’une nouvelle symbiose entre créateurs de matériel pédagogique et adeptes des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Quel itinéraire pour l’enseignant de français dans l’ère des TIC ? Sous les impacts cumulés d’un auto-apprentissage valorisé, d’une multiplication des méthodes d’enseignement non conventionnelles, et de l’avènement de la communication virtuelle, la fonction « enseignement » subit ces dernières années un remaniement profond, sinon une reconceptualisation. Du maître tout puissant et dispensateur de savoir, l’enseignant s’est vu progressivement démuni de son pouvoir pour devenir d’abord un gestionnaire de savoir, ensuite un accompagnateur dans un espace pluriel.
L’enseignant d’aujourd’hui a comme mission principale de devenir un personnage Protée sachant être présent dans différents contextes d’enseignement / apprentissage, en autonomie ou en groupe. Le guide d’enfants des Anciens devient à notre époque moderne un accompagnateur, parfois visible, parfois discret.
Ces trente dernières années ont vu apparaître une tendance à remettre en question la fonction de l’enseignant et à voir autrement les relations pédagogiques dans une « salle de classe » en pleine mutation. En effet, des méthodes ou des approches souples telles que l’Approche communicative, l’Approche communautaire des langues ou la Méthode suggestopédique se sont donné comme objectif principal de s’écarter autant que possible du dogmatisme de la Méthode audio-orale ou behavioriste, et de rejeter l’emploi de tout manuel d’enseignement à l’allure d’un scénario rigide et monolithique. La grande révolution de ces pratiques modernes a été de lancer le mouvement vers la responsabilisation de l’apprenant, et de déclencher par la suite une reconfiguration des rôles de l’étudiant devenu petit à petit « Sujet » et de l’enseignant devenu « Agent » au service du premier.
Dans l’Approche cybernautique, que nous développerons plus loin, l’ « autonomie personnelle«» de l’apprenant repose cependant sur une incitation à l’interaction et présente à ceux qui s’intéressent à l’ALATIC le problème d’un dialogue dont la part de l’Agent reste problématique. Comment est-ce que l’Approche cybernautique peut provoquer la recherche ou la découverte de la connaissance ? L’enseignant accompagnateur / guide doit-il intervenir activement dans le processus ? Ou, au contraire, est-ce que son rôle désormais partagé avec les TIC devient celui de l’attente d’une demande d’aide ou d’explication ? Comment trouver un équilibre efficace et fructueux (en termes des visées de la didactique des langues) entre interventionnisme et attentisme de la part de l’enseignant ? La solution réside, selon nous, dans une perception élargie des découvertes de l’apprenant dont la narrativisation par l’enseignant ressemblera davantage à la composition d’un scénario improvisé qu’à la rédaction préméditée d’un texte clos et figé.
Afin de représenter schématiquement les enjeux de cette option, nous renvoyons au modèle éducatif de Legendre (Germain 1993) revu dans le contexte plus élargi des TIC (voir Elkabas, Trott et Wooldridge 1998, 1999)
où « P » représente le processus de l’enseignement / apprentissage dans un espace « E » circulaire qui l’englobe et le détermine en quelque sorte. La relation entre les fonctions situées aux pôles du triangle offre un outil efficace pour la formulation de l’approche cybernautique qui est proposée.
Partageant la fonction « Agent » avec une technologie capable de le remplacer dans certaines de ses tâches, l’enseignant doit mettre en place des modalités différentes de « cohabitation ». Par ailleurs, cette cohabitation doit s’ordonner non seulement d’après de nouveaux préceptes relationnels interpersonnels, mais aussi en termes de l’Espace « E » circulaire qui n’est plus celui des cloisons d’autrefois. L’enseignant d’aujourd’hui a besoin de nouvelles connnaissances et de nouvelles perspectives, tant conceptuelles et théoriques qu’épistémologiques et techniques.
L’Approche cybernautique est l’utilisation des TIC pour l’enseignement / apprentisssage des langues. Le terme cybernautique (combinaison de « cybernétique » et « nautique ») s’impose pour deux raisons. D’une part, l’enseignement / apprentissage des langues passe par les mécanismes de communication chez les individus et les machines, d’autre part, cet enseignement / apprentissage renvoie à la navigation dans les réseaux de communication.
Parce que l’Approche cybernautique n’est pas une méthode, elle ne propose ni un manuel reconnu et unique ni une série d’étapes rigides à suivre dans la salle de classe. Toutefois, elle se distingue par trois traits caractéristiques : (a) un enseignement centré sur l’apprenant, dans un espace à la fois virtuel et réel ; (b) une reconfiguration de cet espace ; (c) l’utilisation d’un manuel extensible dont la grande qualité provient de son constant renouvellement.
Dans l’Approche cybernautique, l’enseignant doit être à même de garder à tous moments et en tous lieux la perspective sur l’apprenant ; il doit accompagner ce dernier dans tous les espaces d’apprentissage ; et il doit assurer l’adaptation continuelle du parcours de l’apprenant à ses besoins individuels et changeants. Le scénario émergent doit saisir en quelque sorte les étapes d’une improvisation interactive comme cela se fait par exemple dans la Commedia dell’Arte : « the process of improvisation must determine the textually appropriate response of [a character’s] interlocutor, which is then to be regarded as another stimulus, itself awaiting a response in the evolving script. (Pietropaolo 1989) »
Les partisans du tout électronique, comme les adversaires acharnés de l’informatisation de nos classes, s’entendent pour maintenir l’abîme entre l’apprentissage traditionnel (dans une « salle de classe ») et l’apprentissage virtuel (au « laboratoire »). En attendant leur fusion complète, le danger d’une rupture entre ces deux espaces est toujours présent. Ainsi, Desmarais et al (1998) le pressentent dans leur étude et, pour contrer cette tendance, ne manquent pas de souligner la grande capacité de l’apprenant à personnaliser son apprentissage et à se motiver lui-même.
L’ALATIC, tel que nous l’entendons, ne se réduit donc pas à cantonner les étudiants dans des salles de formation équipées de postes de travail multimédia et à les placer dans des situations d’auto-formation libre. Il ne se présente pas non plus comme la modernisation du télé-enseignement traditionnel. Les TIC promeuvent l’autonomie dans l’acte d’apprendre mais en aucun cas elles ne mènent vers l’autonomie totale de l’apprenant, en tous les cas pas dans un avenir immédiat.
L’apprentissage solitaire a donc ses limites. Ceux qui le prônent comme moyen de remplacer l’enseignement traditionnel sous-estiment sérieusement l’apport non moins crucial des éléments humain et social ; ceux qui le rejettent ne reconnaissent pas la signification de l’immédiateté et de la proximité des informations linguistiques et culturelles qu’apportent les nouveaux médias en compagnie des autres.
Les TIC ont le potentiel de minimiser les contraintes physiques de temps-espace en permettant d’optimiser les espaces d’apprentissage, notamment l’apprentissage en groupe total (salle de classe, laboratoire), l’apprentissage collaboratif en sous-groupes d’intérêt (forums en ligne), l’apprentissage en dialogue entre l’apprenant et l’enseignant (courrier électronique, « consultations de bureau ») et, surtout, l’apprentissage en autonomie (bibliothèque, laboratoire, domicile, café, métro, etc.). L’ensemble de tous ces espaces d’apprentissage est gouverné par le site Web du cours. (Voir un modèle de cours à 4.4, ci-dessous)
Les laboratoires audio-oral des années 1960 à 1990 ont été d’abord célébrés bruyamment, puis marginalisés dans la grande majorité des instituts universitaires. Bien que les départements de langues aient recommandé fortement à leurs étudiants de fréquenter les laboratoires, peu d’enseignants les y ont accompagnés. C’est que les enseignants et les étudiants ont perçu la division traditionnelle de l’espace enseignement / apprentissage - avec le laboratoire détaché de la salle de classe - comme une déconsidération du premier. Il n’est donc pas étonnant que les laboratoires se soient graduellement désaffectés.
Le danger d'une répétition de ce traitement est encore plus grand de nos jours. Notons cependant que le cours où les TIC s’intègrent plus naturellement dans l’espace pédagogique, a les moyens d’abolir la dichotomie que la configuration traditionnelle « classe-laboratoire » s’efforce de maintenir. L’Approche cybernautique que nous proposons se fonde sur l’interaction, voire la fusion de ce que d’autres veulent conceptualiser en termes de pôles irréconciliables.
L’avènement des TIC a apporté, dans le domaine de l’apprentissage institutionnalisé des langues secondes ou étrangères (comme, d’ailleurs, dans d’autres domaines), l’abolition du binôme « enseignement / apprentissage » en faveur du monôme « apprentissage », dont une des composantes est l’enseignement. Autrement dit, l’acquisition institutionnalisée d’une langue n’est plus considérée comme ayant lieu dans la salle de classe, mais dans une pluralité d’espaces d’apprentissage dont la salle de classe ne constitue qu’un espace parmi d’autres. Abolie du coup aussi, la dichotomie salle de classe / laboratoire de langues, tout espace étant désormais « laboratoire ».
Depuis toujours, l’enseignant a eu à se battre avec les contraintes physiques de temps-espace, contraintes ressenties comme de plus en plus pressantes depuis la fin de la société d’expansion continue (début des années soixante-dix). Avec la fin simultanée de « l’étudiant à temps plein », les contraintes physiques des lieux d’enseignement se sont vu doubler d’une flexibilité de programmation temporelle de plus en plus réduite. Dans un lieu d’enseignement physique (salle de classe ou laboratoire), le nombre de places et leur disposition dépendent de facteurs historiques, inutiles à évoquer ici sauf à faire remarquer que le modèle universitaire général est la transmission du savoir en amphithéâtre (monologue), alors que l’acquisition d’une habilité langagière, largement sociale, nécessite l’échange (dialogue).
Il est évident qu’avec les TIC, l’enseignant se voit inévitablement obligé de se convertir en guide pour pouvoir accompagner, directement ou indirectement, l’apprenant dans sa fréquentation des divers espaces de son apprentissage. Comme nous venons de le souligner, l’impact des TIC se ressent fortement dans la relation pédagogique. Mais c’est surtout dans la relation d’apprentissage (mouvement entre le Sujet et son Objet) que les plus grandes transformations sont appelées à se faire.
Nous savons, d’ores et déjà, que les théories sur le processus de la lecture regroupées autour des modèles (ascendant, descendant, interactif) nous aideraient difficilement à comprendre, aujourd’hui, le processus de la lecture dans un environnement multimédia où le son, l’image, la vidéo et le texte présentent plus d’un défi au lecteur-débutant (Chun et Plass 1997).
Alors que la pratique de l’écriture se limitait à des rédactions écrites « pour le professeur », l’écriture dans un environnement multimédia devient une écriture motivée, voire même contextuelle et expérientielle. (Voir un modèle de travaux d’étudiants dans le site Wooldridge). La possibilité de relier électroniquement des correspondants ou des classes entières transforme radicalement notre façon de faire pratiquer l’écriture en classe (Besnard, Elkabas et Rosienski 1996, 1998).
Traditionnellement, la pratique de l’écoute se faisait avec l’appui d’enregistrements sonores ou de video-clips préalablement apprêtés par l’enseignant. Dans un environnement multimédia où plusieurs canaux de communication entrent en jeu, l’écoute présente un modèle pédagogique instable comme on peut le voir par ces quelques facettes : a) texte, son et images (les nouvelles nationales et internationales, par exemple) ; b) son et image sans accompagnement de texte (films, pièces de théâtre, clips publicitaires) ; c) dessins ou graphiques avec fond sonore (la météo) ; d) textes et accompagnement sonore (sites musicaux).
L’écart du manuel traditionnel du processus d’apprentissage est sans aucun doute la note la plus frappante de l’approche cybernautique, et l’absence d’un « livre » risque en effet de désorienter didacticiens et praticiens. Pourtant cette alternative au manuel de base n’est pas nouvelle (voir Freinet 1968 et Curran 1972). Il n’y pas longtemps, la présidente de la prestigieuse organisation ACTFL (American Council for the Teaching of Foreign Languages) abondait dans la même direction quand elle a relégué le manuel au second plan de la pratique didactique : « Because of access to the world wide web and the authentic materials it provides, the role of the textbook will shift from being the driver of the curriculum to that of a resource material. » (Spinelli 2000)
Le manuel de français, comme nous le montre schématiquement le tableau ci-dessous, subit lui aussi des transformations radicales grâce à Internet et s’inscrit dans la mouvance d’une plus grande démocratisation du savoir.
HIER | AUJOURD'HUI |
---|---|
Unique: textes préfabriqués ou morceaux choisis déterminent le sujet d’étude (dialogues, textes dits « authentiques » suivent ou précèdent des leçons de grammaire) |
À plusieurs volets: sujet à traiter détermine le choix des textes (l’enseignant comme l’apprenant partent à la recherche de documents en ligne - grammaire, textes sonores, images, etc.) |
Démarche didactique: behavioriste ou communicative |
Démarche didactique: hypertextuelle |
Contenu: immuable, limité et temporel |
Contenu: livre ouvert, infini et dynamique |
Présentation: linéaire et préalablement déterminée |
Présentation: hypertextuelle et apprentissage en spirale, déterminée selon les besoins de l’apprenant |
Conception de la langue: image figée et parcellisation de la langue |
Conception de la langue: langue « vivante » présentée dans ses multiples facettes |
Fonction de l'agent: dispensateur et gestionnaire du savoir ; contrôle la démarche didactique |
Fonction de l'agent: accompagnateur (les apprenants recherchent et analysent l'information pour l’accomplissement de tâches authentiques : « Learning by Doing » selon l’expression de John Dewey) |
Travaux pratiques: illustration de concepts présentés dans le manuel |
Travaux pratiques: résolution de problèmes d’actualité |
Évaluation: basée sur des exemples tirés du manuel |
Évaluation: basée sur des dossiers de recherche et le travail de coopération et de collaboration (pédagogie du projet) |
Tableau adapté de J. Mansfield et L. Echternacht, «Basic Business and Personal Finance», dans Integrating the Internet into the Business Curriculum (editor Dennis Labonty), National Business Education Association, Reston, VA, 1998, p. 47.
Le manuel d’aujourd’hui relève d’un art de l’improvisation à deux ou à plusieurs : il résulte d’une série d’interactions de répertoires (de matériaux, de besoin s individuels, d’outils, de réactions typiques, de solutions possibles…) que l’enseignant s’efforce d’alligner et de combiner sur le champ.
Nous considérons l’organisation du site-classe, lieu où se situe le « manuel cybernautique », comme une des fonctions les plus déterminantes dans la réussite du cours. (Voir Trott et Wooldridge 2000). Nous en proposons le modèle suivant rattaché au cours FSL 161 enseigné à l’Université de Toronto :
Le cours FSL161Y (« Practical French ») constitue une première tentative d’effectuer certaines des transformations menant au manuel de français cybenautique. Il offre un éventail de « textes », une démarche didactique « hypertextuelle », un contenu « ouvert », une présentation « en spirale », une interaction « vivante » avec la langue, un modèle d’apprentissage par l’action, des travaux ancrés dans l’actualité, et une évaluation comprenant des dossiers de recherche et de collaboration.
Partant d’un manuel imprimé (Robert Vicars & Catherine Mérillou, Reflets, Lexington & Toronto: D.C. Heath & Co., 1996), le cours ouvre ses horizons par le moyen d’un site Web qui enrichit le livre, en contrôle le contenu et le relativise par la multiplication de perspectives. Telle leçon du livre, traitée d’abord en classe selon un rythme indiqué dans des pages de syllabus situées sous « Descriptif » ou « Sections » se trouve amplifiée par des informations et activités proposées sur les pages « Thèmes ». Ces dernières ouvrent une grande variété d’options que chaque instructeur sélectionne selon le déroulement particulier de son groupe d’apprenants ; ces derniers sont libres de poursuivre un chemin propre à leur démarche.
Grâce aux pages « Ressources », il est toujours possible de répondre aux besoins individuels de chaque apprenant.
La langue est présentée « en situation », grâce à des lectures portant sur toutes les facettes de l’actualité dans les régions francophones, à des activités d’écoute couvrant une gamme inépuisable de sujets (chansons, interviews, actualités, émissions de France 2, TV5 et Radio Canada, bandes sonores de films à l’affiche, etc.). Afin d’« authentifier » au maximum les activités des apprenants, ceux-ci sont placés en stituation : ils sont invités, par exemple, à se renseigner sur les tarifs en vigueur au Maroc pour l’envoi d’un colis postal, ou à planifier un itinéraire d’après les vrais horaires et tarifs affichés sur des sites de divers chemins de fer et compagnies aériennes.
Pour les aider à perfectionner leur écrit (comptes rendus, rapports ou synthèses), les apprenants travaillent devant un tableau de bord offrant des liens immédiats avec un moteur de recherche, des dictionnaires en ligne, une messagerie et de l’aide technique.
L’écrit, longtemps négligé au profit de la production orale (surtout depuis l’avènement de l’Approche communicative), est revalorisé dans l’Approche cybernautique parce qu’il est au centre même de la communication (entre apprenants, entre apprenants et enseignant, entre apprenant et un expert virtuel).
L’enseignant est un accompagnateur qui fournit à ses apprenants des objectifs ainsi que les étapes pour les atteindre tout en créant des conditions favorables pour que chaque apprenant prenne en charge son apprentissage. Il encourage chez l’apprenant une démarche personnelle de la découverte, et s’attache à lui fournir un apprentissage en spirale (reprise et consolidation des notions récemment acquises avant d’en ajouter d’autres) plutôt que linéaire. Il apprend à apprendre : l’apprenant doit savoir utiliser les ressources trouvées dans le site-classe, telles que le syllabus, les fichiers d’aide, les aides à la grammaire, les logiciels de vérification grammaticale, le courriel ou le babillard du cours pour faciliter les dialogues hors-classe.
Alors que l’apprenant sélectionnera les étapes personnelles pour arriver à ses objectifs, l’accompagnateur, lui, suivra les différentes étapes dans le but de le guider. L’enseignant n’ignore ni la parole des apprenants ni leurs affects. Il prend en considération les réactions des apprenants et n’hésite pas à solliciter leurs commentaires après chaque activité. À cet effet, nous soulignons l’importance de la fonction de soupape du « babillard » qui aide à réduire l’anxiété de l’apprenant, et qui permet de créer des contacts spontanés entre les apprenants, entre l’apprenant et l’enseignant. Dans cette perspective, l’on s’écarte d’un enseignement centré sur l’enseignant pour se diriger vers un enseignement centré sur l’apprenant, ce qui a pour effet d’encourager le développement de chaque individu.
L’enseignement se situera nécessairement dans deux espaces : un espace réel, pivot essentiel, celui de la salle de classe où les apprenants travaillent individuellement ou en équipe sous la direction de l’enseignant ; un espace virtuel qui, tout en continuant à privilégier en ligne le support et la disponibilité de l’enseignant, permet aux apprenants d’explorer et d’exploiter les ressources tant pédagogiques qu’authentiques du WWW.
Dans ces deux espaces, il s’agira pour l’enseignant de trouver un équilibre entre les approches technologiques d’apprentissage en autonomie totale et un enseignement traditionnel.
Les TIC figurent désormais dans la pratique quotidienne de l’enseignement des langues. Pourtant, à notre connaissance, il n’y a pas encore eu vraiment d’inventaire raisonné montrant la grande panoplie des pratiques qu’elles nous offrent. Cet inventaire doit constituer l’un des répertoires dans lesquels l’enseignant-scénariste puisera les éléments de l’histoire (narrativisée) qu’il construit à partir des besoins ressentis ou exprimés de l’apprenant. C’est pourquoi nous avons cru utile de présenter notre propre modèle pour répondre à deux besoins : celui de l’enseignant pour qu’il s’en serve comme guide dans le développement des habiletés langagières de ses apprenants ; celui du didacticien pour qu’il puisse reconnaître des domaines éventuels de recherche.
Comme point de départ, nous avons retenu le modèle de Haughey et Anderson (1998) où les technologies s’emploient dans un contexte général, celui de l’apprentissage en réseau. Bien que ces auteurs n’aient pas visé l’enseignement / apprentissage des langues, leur modèle, parce qu’il s’inscrit dans une « pédagogie de l’internet », nous fournit toutefois des pistes fructueuses pour la classe de langue. Les deux auteurs distinguent cinq approches d’apprentissage que nous étofferons par la suite pour les besoins de nos apprenants de langue :
I. Apprentissage basé sur les ressources (Internet Resource based learning).
II. Activités interculturelles, le Village global (Intercultural activities).
III. Recherche et cueillette d’informations (Wide-area data collection and research)
IV. Rencontres virtuelles, Mentorat électronique (Ask an expert : World wide mentoring)
V. Apprentissage assisté par ordinateur (Computer Assisted Learning)
Il est évident que l’étudiant de français débutant ne pourra jamais fonctionner dans le contexte des catégories I à IV proposées par Haughey et Anderson puisqu’il ne possède ni les habiletés de communication dans la langue cible ni des habiletés raffinées pour établir des recherches sur Internet. À ce stade, même s’il possède de nos jours de multiples talents dans l’utilisation des nouvelles technologies, l’apprenant est entièrement dépendant de l’enseignant qui devra le guider dans ses premiers pas linguistiques. Voilà pourquoi nous lui proposons une démarche raisonnée progressive.
Pour l’étudiant débutant, un programme organisé principalement autour d’un enseignement / apprentissage assisté par ordinateur (EAO) lui sera bénéfique. Des programmes de tutorat, des exercices structuraux ainsi que des exercices de simulation constitueront le noyau de son apprentissage. L’apprenant trouvera ces programmes en réseau. Ce n’est que plus tard dans l’année, et progressivement, qu’il pourra faire ses premiers pas linguistiques via Internet.
Pour l’étudiant de niveau élémentaire, la pratique de la langue continue à se faire par l’EAO. Grâce aux ressources proposées dans le site de la classe, l’apprenant pourra travailler en autonomie les points de grammaire qui répondent aux objectifs du cours. Des activités interculturelles nécessitant le recours à Internet seront proposées à ce stade. Les échanges épistolaires entre étudiants de différents instituts universitaires sont fortement encouragés.
Pour l’étudiant de niveau intermédiaire, le travail de la langue se fait par le biais de travaux dirigés. Les programmes d’aide à l’écriture sont consultés en ligne pour la rédaction de projets ou pour les échanges électroniques.
L’étudiant de niveau avancé travaille beaucoup plus à la recherche de documents et de matériel authentiques en ligne, participe à des échanges de points de vue (invités virtuels en classe, correspondance électronique, publications individuelles et collectives de travaux) et fait des voyages culturels virtuels.
Du point de vue des habiletés langagières, les TIC peuvent répondre de façon satisfaisante aux besoins de la lecture et de l’écoute ; l’oral ne pourra jamais être satisfaisant en milieu pédagogique sauf à se satisfaire de simulations (toujours pauvres par rapport au milieu oral naturel).
Nous indiquons en appendice, à titre d’exemple, quelques pratiques pour faire travailler les quatre habiletés langagières.
On ne connaît pas encore l’impact des TIC sur le processus de transmission du savoir. Toutefois, celles-ci nous forcent à repenser notre démarche pédagogique et à réexaminer nos habitudes de praticiens dans la nouvelle « salle de classe ». Parce qu’elles s’appuient sur plusieurs canaux de communication (le son, l’image, la vidéo et le texte), les TIC sont privilégiées car elles s’inscrivent dans un domaine qui se situe au cœur de tout apprentissage et, particulièrement, celui des langues : la prise en compte des différents styles d’apprentissage de nos apprenants (Felder et Henriques 1995 ; Oxford 1990) et de leurs « intelligences multiples » (Gardner 1983).
L’Approche cybernautique deviendra-t-elle la forme courante d’enseignement / apprentissage des langues étrangères ? Oui, et nous en sommes persuadés. D’une part, la révolution technologique nous mène inévitablement dans cette direction. D’autre part, l’apprenant de ce début de siècle obligé par des contraintes matérielles (coût grandissant des études et nécessité de gagner sa vie pour les payer, d’où la difficulté parfois d’être dans un lieu fixe, la salle de classe, à une heure fixe, l’heure du cours) d’assumer un certain degré d’autonomie dans son apprentissage, doit apprendre à naviguer comme les Argonautes des temps héroïques. L’apprenant a l’avantage cependant, par rapport à eux, de pouvoir affronter les épreuves de l’aventure grâce à un plan élaboré à son intention. C’est l’enseignant qui improvise – dans le sens que nous donnons à ce terme d’effectuer une « composition interactive et balisée » - le texte de son parcours. À la différence de chaque apprenant dont le voyage est unique et dont l’enseignant est toujours prêt à composer sur le champ le scénario individuel, l’Approche cybernautique vise par les expériences qu’elle motive et par les recherches futures qu’elle préconise une nouvelle systématisation de répertoires-inventaires pour l’acquisition future du français L2 ou LE.
Bernardinis, Anna Maria (s.d.). « La naissance de la littérature de jeunesse, entre morceaux choisis et adaptations », http://www.ardennes.com/ricochet/base12/bernar2.htm.
Besnard, Christine, Charles Elkabas et Sylvie Rosienski (1996). "Students’ Empowerment: E-mail and the Development of Writing Skills", Mosaic, Vol. 3, No. 2, Winter 1996, pp. 7-11. (Voir aussi dans Teaching and Learning Languages, (réd. A. Mollica, 1998), Welland, Ontario, Éditions Soleil publishing, inc., pp. 385-394.
Chun, M. Dorothy and Jan. L. Plass (1997). "Research on Text Comprehension in Multimedia Environments", Language Learning and Technology, Vol. 1, No. 1, July 1997, pp. 60-61.
Curran, Charles (1972). Counseling-Learning. A Whole-Person Model for Education. New York, Grune and Stratton.
Desmarais, Lise, Lise Duquette, Delphine Renié and Michel Laurier (1998). "Evaluating Learning and Interactions in a Multimedia Environment", Computers and the Humanities, 31 : 327-349.
Elkabas, Charles & Russon Wooldridge (1996). « Le français en contexte avec TACT », La Revue canadienne des langues vivantes, 52 (janvier) : 224-247.
Elkabas, Charles, David Trott & Russon Wooldridge (1998). « Contribution of the Cybernautical Approach to the Teaching and Learning of Second Languages », CALL (Computer Assisted Language Learning), Vol. 12, No. 3, July, pp. 241-254.(Voir aussi « Contributions de l’approche cybernautique à l’enseignement / apprentissage des langues secondes (L2) », Computing in the Humanities Working Papers, 1999, A13 <http://www.chass.utoronto.ca/epc/chwp/elkabas/>.
Felder, Richard M.and Eunice R. Henriques (1995). "Learning and Teaching Styles in Foreign and Second Language Education", Foreign Language Annals, Vol. 28, No. 1, 1995, pp. 22-31.
Freinet, Elise (1968). Naissance d’une pédagogie populaire. Paris, François Maspero.
Gardner, Howard (1983). Frames of Mind: The Theory of Multiples Intelligences.
Germain, Claude (1993). Évolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire. Paris, CLE International, p. 10.
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Pietropaolo, Domenico (1989). "Improvisation as a stochastic composition process", in The Science of Buffoonery: Theory and History of the Commedia dell’Arte, pp. 167-175.
Spinelli, Emily (2000). "Language Teaching and Learning in the 21st Century", AATF National Bulletin, Vol. 25, 3 (January 2000), p. 9. [Summary of the 1998 SCOLT Conference Keynote Speech. Reprinted with permission from ScolTalk, No. 19, Fall 1999.]
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Wooldridge, Russon (depuis 1998). Lexperimenta <http://www.chass.utoronto.ca/~wulfric/lexperimenta/>
Compréhension écrite : Niveaux I et II
Objet d’étude : Météo, recettes de cuisine, plans de métro, horaires de train et de vols d’avion, agences de voyage, catalogues de vente, petites annonces, textes culturels (fêtes nationales et religieuses), horoscopes, sondages, etc.
Démarche : Rechercher des informations ponctuelles et pratiques, établir des parcours et énumérer les étapes, vérifier, confirmer ou infirmer un énoncé, repérer des faits, classer et associer des motifs, dresser des tableaux, souligner des éléments, etc.
Compréhension écrite : Niveaux III et IV
Objet d’étude : Consulter des sites consacrés aux voyages, à la gastronomie, et à l’humour, examiner des documents établis par les organismes gouvernementaux, culturels, artistiques, lire des biographies-clips de chanteurs et acteurs, des critiques de films, consulter des organigrammes, passer en revue des communiqués de presse, etc.
Démarche : Obtenir des informations sur un thème, reconnaître différents types de textes (narratif, informatif, ludique, etc.), formuler des hypothèses, proposer des résumés, etc. Plusieurs journaux, bibliothèques et musées proposent des sites pédagogiques (par exemple, le journal Sud Ouest offre de bonnes rubriques). Les bases de données interactives permettent la découverte des différentes utilisations de la langue en contexte (cf. Le Chien jaune de G. Simenon: Elkabas & Wooldridge 1996).
Production écrite : Niveaux I et II
Objet d’étude : Exploiter les exerciseurs et les tutoriels, consulter les grammaires interactives, faire les exercices auto-correctifs proposés par les nombreux établissements scolaires et universitaires, jouer aux mots croisés, etc.
Démarche : Établir un glossaire spécialisé, reconstituer des textes, répondre à des questionnaires, rédiger de cartes postales électroniques ou de simples demandes de renseignements, réserver des billets ou passer une commande, etc.
Production écrite : Niveaux III et IV
Objet d’étude : Examiner la langue des différentes publicités, du protocole épistolaire et celle des groupes de discussion, lire des critiques de films et de pièces de théâtre, les bulletins de nouvelles, consulter des documents, exploiter oralement d’abord les banques d’images, examiner les « générateurs d’histoires » et étudier, par exemple, le style des histoires policières, etc.
Démarche : Reconstruire des informations, prendre des notes, faire des résumés, interpréter des images, rédiger des cartes de voeux électroniques, participer à un « salon de discussion », rédiger des publicités, rédiger un journal scolaire en collaboration, créer une histoire policière interactive, écrire une histoire à partir d’une banque d’images, établir des échanges électroniques - entre apprenants, entre apprenant et enseignant, entre apprenants de deux instituts, organiser des rencontres virtuelles et des activités de mentorat, etc.
Compréhension orale : Niveau I et II
Objet d’étude : Exercices d’écoute dirigés ou libres (musique, nouvelles, sports), dictées interactives, etc,
Démarche : Confirmer ou infirmer une information ; rapporter des informations oralement ou par écrit.
Compréhension orale : Niveaux III et IV
Objet d’étude : Écouter des documents sonores (archives en ligne, médias), etc.
Démarche : Rechercher des informations ponctuelles et pratiques, vérifier et comparer des énoncés, donner des exemples de variantes régionales, etc.
Production orale : Niveau I et II
Objet d’étude : Faire des exercices d’orthoépie, lire des petits poèmes en prose, écouter des chansons, etc.
Démarche : Pratiquer le visualiseur et synthétiseur de parole (Winpitch), etc.
Production orale : Niveaux III et IV
Objet d’étude : Écouter les bulletins de nouvelles, des interviews d’artistes ou d’hommes politiques, des enregistrements de reporters, etc.
Démarche : Partiquer intensivement l’auto-correction par le biais d’un visualiseur de mélodie, participer à des forums (ICQ) en environnement restreint (cours, réseau interne) ou élargi, etc.