Résumé : Cette étude examine le rôle de la lecture dans l'acquisition du français en contexte et montre comment, dans le domaine de la lecture, l'ordinateur peut se transformer en un outil d'enseignement/apprentissage hautement pédagogique grâce à TACT, un logiciel de recherche de données textuelles. Les principes didactiques qui soutiennent notre approche s'inscrivent dans une pédagogie de la découverte.
Abstract: This study looks at the role of reading in the acquisition of French in context, and shows how, in the area of reading, the computer can be transformed into a highly pedagogical teaching/learning tool thanks to the text retrieval program TACT. The didactic principles underpinning our approach belong to a pedagogy of discovery.
2. Pour renforcer cette pratique de la lecture, peut-on élaborer à l'ordinateur des activités d'acquisition du vocabulaire et d'apprentissage de la grammaire tout en nous écartant des activités structurales et des exercices à réponses fermées ?
Nous nous proposons dans cette étude de :
décrire un module de lecture dans un cours de première année universitaire, le texte de base étant le roman Le Chien jaune de G. Simenon ;
situer le rôle de la lecture dans l'acquisition de la langue en contexte en nous référant aux théories des schémas de contenu et des schémas formels ;
souligner l'importance du choix des textes à lire à partir des théories des schémas ;
présenter les fonctions utiles de TACT, un logiciel interactif de recherches de données textuelles ;
proposer quelques exemples d'applications pratiques et
conclure avec les implications pédagogiques.
La lecture n'est plus, comme on le croyait naguère, une activité passive, et ce n'est que depuis une vingtaine d'années que l'on s'intéresse particulièrement au lecteur et à ses propres dispositions. En effet, la lecture est maintenant considérée comme un processus d'interaction entre le lecteur et son texte. Selon les recherches menées dans le domaine de la compréhension de l'écrit, la lecture (qu'elle soit faite du « haut vers le bas » « top-down » ou du « bas vers le haut » « bottom-up » [1]) ne revêt son/ses sens qu'à partir du moment où le lecteur active ses connaissances antérieures, connaissances préalablement acquises et dont les structures sont appelées des schémas ou des scénarios (Adams & Collins, 1979 ; Carrell, 1984a ; Rumelhart, 1980). La réussite de l'activité de lecture tiendrait donc en partie à la compatibilité entre les schémas requis par le texte et les schémas correspondant aux connaissances préalables du lecteur (Carrell, 1983, 1984b, 1987).
Carrell (1990, p. 17) distingue différents types de schémas :
Pour aider la compréhension de l'écrit, Carrell (1984a, p. 339) nous recommande également de sélectionner des textes longs et complets : « The more of a content area students are exposed to, the greater will be their building of appropriate background knowledge ». Et lorsque la lecture est focalisée sur un seul texte, ajoute-t-elle, « vocabulary and structure tend to be recycled by the writer ».
Enseignement/apprentissage de la langue dans la salle de classe
Selon des enquêtes menées auprès d'étudiants d'anglais langue seconde (rapportées dans Adams, 1982 ; Crow, 1986 ; Ludwig, 1984), c'est la pauvreté du bagage lexical des étudiants qui présente le plus grand obstacle à la compréhension de l'écrit. De la grammaire-traduction à l'approche communicative, l'enseignement du vocabulaire semble avoir jusqu'à présent un statut flou au sein de la classe. Germain (1991, p. 78) déplore cette condition dans l'approche communicative : « dans la mesure où l'approche communicative est censée être une pédagogie centrée sur l'apprenant, il est pour le moins étonnant que cette préoccupation première le vocabulaire soit si peu prise en compte ». Certains praticiens et didacticiens estiment que l'apprentissage du vocabulaire est cumulatif et qu'il s'acquiert grâce à une pratique régulière et constante de la lecture. Les discussions et les activités en classe renforceraient son acquisition et aucun enseignement formel du vocabulaire n'est donc nécessaire (Galisson, 1981 ; Krashen, 1986). D'autres pensent que le vocabulaire doit s'enseigner explicitement par le biais d'activités pertinentes (Hammerly, 1979 ; Ludwig, 1984 ; Nemni, 1985 ; Tréville, 1989 ; Surridge, 1984).
Les avis sur l'enseignement de la grammaire ne sont pas plus unanimes même si celle-ci « n'a plus la vedette » (Vivès, 1989, p. 94) dans la salle de classe.
Le contexte
Quelles méthodes devrions-nous adopter pour l'enseignement/apprentissage de certaines composantes de la langue ? Beck et McKeown (1991, p. 805) établissent la gradation suivante dans l'enseignement du vocabulaire :
Des activités proposées pour l'enseignement du vocabulaire et de la grammaire, le contexte est l'activité que nous avons retenue pour deux raisons : (a) parce que nombre d'études appuient son utilité (Nagy et al., 1985 ; Nagy et al., 1987 ; Sprenger-Charolles & Khomsi, 1988 ; Li Xiaolong, 1988), et aussi (b) parce que cette approche pédagogique s'exploite richement à l'ordinateur.
L'exploitation pédagogique du roman dans l'enseignement/apprentissage des langues n'est pas une nouveauté. Une étude récente (Fleury, 1989) a d'ailleurs attiré notre attention puisqu'elle se propose d'expliquer des concepts de grammaire à partir de contextes tirés d'un roman de Simenon, Le Coup de lune. En quoi la démarche dans cette étude se distingue-t-elle de la nôtre ? Tout d'abord, celle de Fleury est très restreinte puisqu'elle se limite à l'utilisation des temps et qu'elle vise un enseignement uniquement de niveau avancé ; ensuite, l'enseignant y est maître du savoir ; enfin, le relevé des contextes se fait manuellement. Bref, elle reprend la situation traditionnelle des rapports entre enseignant et enseignés.
Pour les besoins de notre présente étude sur le contexte dans Le Chien jaune, nous mentionnons les fonctions les plus pertinentes de TACT. TACT permet :
la recherche :
de mots (formes)
de formes fléchies regroupées de familles de mots
de champs sémantiques (par sélection de mots clés) de champs thématiques, etc.
de cooccurrences de mots ou de groupes de mots de cooccurrents fréquents
ces différents types de recherches d'après des critères multiples :
par fréquence
par approximation formelle
dans tout le texte, ou
dans une partie du texte (ex. chapitre, paragraphe, phrase, acte, scène, vers, récit/dialogue, locuteur, etc. selon les jalons ajoutés au texte)
plusieurs types d'affichages des résultats, dont :
mot(s) + références
mot(s) + références + contexte (une ligne, plusieurs lignes, écran entier)
la distribution par tranches égales, par chapitre, acte, locuteur, etc.
la création de listes des mots du texte par ordre alphabétique, ordre alphabétique inverse, ordre des fréquences
la création de dictionnaires textuels
la recherche d'anagrammes (application ludique; par ex. dans Le Chien jaune, on trouve : argent gérant, aspirine parisien, crime merci, éviter vérité, poisons poisson, promet trompe)
Applications pédagogiques
Avec TACT et la base du Chien jaune, on peut explorer et étudier une énorme variété de phénomènes grammaticaux et lexicaux. La liste suivante, donnée à titre d'indication, contient quelques-unes des applications que nous avons réalisées. [4]
Thèmes et champs sémantiques : les personnages, les rôles, le temps, le lieu, occupations et relations ; le mystère, le silence, le poison, les armes, la peur, la lâcheté, le crime et le châtiment ; la découverte progressive de l'inconnu (vagabond -> Léon) ; le regard, le rire, la visite ; le journalisme, le téléphone, le boire et le manger, les intérieurs ; les textes épistolaires.
Mots polysémiques : boîte, air, achever.
Familles de mots : arrestation, allumer/éteindre, éclairer, passer, (a)percevoir, bon, charger, fièvre, tourner.
Structures lexicales : mots en -ment, -tions, -ier, -eur ; homonymes et synonymes.
Grammaire/lexique : savoir/connaître.
Grammaire : plus, si, à le(s) et au(x), de le(s) et du/des, prépositions, adverbes, les locutions, antécédents, verbes d'énonciation, le genre, l'interrogation, la négation.
Afin d'illustrer chacun de ces phénomènes grammaticaux et lexicaux, on peut tirer de la base de données toutes les distributions contextuelles possibles, qu'on peut exploiter de deux façons :
1. Soumettre les données contextuelles telles quelles aux apprenants dans le simple but de leur faire remarquer l'utilisation ou la fonction d'un mot, d'une expression, d'un thème, etc.
2. Faire suivre cette liste de données contextuelles par des exercices pédagogiques que l'enseignant aura préparés.
L'Annexe A contient des matériaux pédagogiques basés sur les occurrences des verbes savoir et connaître dans les cinq premiers chapitres du Chien jaune : d'abord les 45 phrases-contextes, ensuite des exercices amenant l'apprenant à constater que les deux verbes se distinguent essentiellement par leurs distributions syntaxiques exclusives.
L'Annexe B, de même nature, donne d'abord les occurrences en contexte des mots en -ment dans les cinq premiers chapitres du Chien jaune ; cette fois-ci les contextes sont présentés tels que TACT les affiche en format KWIC : une ligne de contexte avec le mot clé centré. Les exercices qui suivent sont conçus pour faire découvrir à l'apprenant les marques et dépendances syntaxiques distinguant adverbes, noms et formes verbales.
Les exercices, que nous donnons à titre d'exemple, tout en s'écartant autant que possible de l'explication grammaticale ou des définitions dictionnairiques, se rapprochent d'une pédagogie de la découverte progressive afin de permettre à l'apprenant de s'y impliquer et de le rendre « producteur en langue seconde » (Rodriguez, 1986).
Grâce à TACT, l'enseignant est donc en mesure d'établir des exempliers à plusieurs volets pour montrer les différentes occurrences de mots dans leur contexte naturel, c'est-à-dire dans le corps du roman de Simenon. L'appel des formes contextuelles à l'ordinateur est immédiat et ne requiert aucune habileté particulière dans le domaine de l'informatique. Nous insistons sur ce dernier point car nous pensons au travail considérable que doit entreprendre l'apprenant s'il veut par exemple créer son propre concordancier, comme l'entend Galisson (1981). Selon les recommandations de Galisson, l'étudiant établit une fiche signalétique pour chaque mot nouveau dans laquelle il inscrit les concordances, les occurrences et les contextes. Si le principe de cette approche présente de grands mérites, il faut avouer que la réalisation de ce travail entraîne nombre de difficultés surtout au niveau de la gestion du temps réservé à l'apprentissage.
Dans le même ordre d'idées, Rodriguez (1986, p. 135) souhaite que l'enseignant et l'apprenant participent tous les deux à une entreprise « de dépistage », « de construction » et « de ventilation ».
Or nous pensons avoir montré justement que la technologie actuelle de l'enseignement/apprentissage des langues assisté par ordinateur peut nous aider à établir un concordancier interactif et à procéder à une « ventilation » de textes authentiques.
Pour l'enseignant les avantages de TACT sont nombreux et appréciables. La polyvalence de ce logiciel et la richesse des activités didactiques qui en résultent lui permettent d'organiser un enseignement selon les besoins de ses apprenants. Mais c'est surtout du côté de l'apprenant et de son autonomie que nous voyons la plus grande innovation. On a défini le bon apprenant comme quelqu'un qui s'implique activement dans le processus de l'apprentissage d'une langue, qui est curieux quant à la façon dont une langue fonctionne, qui est capable de prendre des risques et qui réfléchit sur ses propres stratégies d'apprentissage (Naiman et al., 1975). Or justement parce que c'est un logiciel convivial, TACT encourage parfaitement l'apprenant dans cette voie de l'apprentissage autonome.
Annexe A. Le Chien jaune : savoir et connaître (ch. I-V)
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Annexe B. Le Chien jaune : mots en -ment (ch. I-V)
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3. TACT (Thematic Analysis of Computer-readable Texts) est distribué par le Centre for Computing in the Humanities, University of Toronto ; © J. Bradley, L. Presutti et M. Stairs.
4. Le texte électronique du Chien jaune a été saisi par lecteur optique et corrigé par des lectures linéaire (relecture traditionnelle) et verticale (à partir de la liste alphabétique des formes-mots). Les auteurs du présent article ont obtenu des exécuteurs testamentaires de Georges Simenon la permission de distribuer un manuel scolaire et la base de données du Chien jaune.
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