FRE 345H5
Teaching and Learning French Since the 1970s
Notes de la semaine 6
1. Le test cloze (2) comme technique d'enseignement/apprentissage analytique
Le test cloze, qui sous sa forme pure remplace chaque cinquième mot par un trou à remplir, est un moyen de tester la compétence de l'apprenant en matière de lecture sur les plans de la structure du texte, de son sens et de la relation contextuelle des mots entre eux. La compétence de lecture comprend une maîtrise de la phonétique, de la morphologie, de la syntaxe, de la sémantique, de la pragmatique et du lexique (ou vocabulaire), même si on ne connaît pas ces termes techniques, dont on n'a pas besoin d'ailleurs pour lire de façon efficace. La suppression systématique de chaque cinquième mot garantit, par son arbitraire, que sont à trouver des mots de toutes sortes : mots pleins (noms, verbes, adjectifs qualificatifs, adverbes de manière) et mots outils (prépositions, conjonctions, pronoms, adjectifs possessifs, articles, etc.).
Prenons comme exemple le premier paragraphe du texte "La baguette en péril" paru dans le magazine québécois L'actualité.
La baguette en péril
par Michel Arsenault (L'actualité, février 1996)
Les meuniers français sont en colère: l'industrie du pain surgelé grignote leur marché traditionnel. Bientôt, craignent-ils, la baguette aura disparu.
Après avoir jeté leur ___1__ et réduit leur consommation ___2__ vin, voici que les ___3__ mangent de moins en ___4__ de baguette. Ils n'___5__ plus, par personne et ___6__ jour, que 160 g de ___7__, soit un peu plus ___8__'une demi-baguette. La baisse ___9__ radicale: ils en mangeaient __10__ fois plus à la __11__ de la Deuxième Guerre __12__ et presque six fois __13__ au début du siècle!
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Analyse
On voit d'après le titre et le sous-titre qu'il s'agit de la baguette et de sa consommation en France ("Les meuniers français").
Trou 1. L'analyse syntaxique montre qu'il s'agit d'un nom singulier ; le sens de l'expression "jeté leur X" serait comparable à celui de "réduit leur consommation de vin" et "mangent de moins en moins de baguette". C'est tout ce qu'on peut dire sur le plan du sens, sauf à avoir un vocabulaire étendu comprenant l'expression jeter son béret, le béret, comme le vin et la baguette, étant un symbole de la France traditionnelle.
Trou 2. L'analyse syntaxique suffit : consommation de qch.
Trou 3. Une analyse syntaxico-sémantique indique qu'il s'agit d'un nom pluriel de personne ("les _" indique le nom au pluriel ; "_ mangent" indique un sujet animé). Le contexte large, comprenant le sous-titre de l'article, suggère qu'il s'agit des Français.
Trou 4. Une compétence en vocabulaire de base permet de compléter : de moins en moins de qch.
Trou 5. Une analyse syntaxique de la phrase révèle le manque du verbe principal. La grammaire et la sémantique montrent que le sujet "Ils" se réfère aux "Français" de la phrase précédente et donc que le verbe a un sujet animé. Une analyse sémantique et pragmatique de l'ensemble de la phrase indique qu'il y est question de la quantité de pain consommée. Le verbe normal pour "consommer (un solide)" est manger, mais on a déjà utilisé ce mot dans la phrase précédente. Le mot qui précède le verbe, "n'" (ne avec élision de e), indique que le verbe commence par une voyelle et non pas une consonne. Dans la liste des quasi-synonymes de manger figure le verbe avaler, même si le choix de ce verbe peut sembler un peu arbitraire. La grammaire enfin détermine la forme du verbe, qui, pour être en accord avec mangent, est à la troisième personne du pluriel du présent de l'indicatif : avalent.
Trou 6. La syntaxe et le sens permettent de compléter "par personne et par jour".
Trou 7. Analyse syntaxique : nom. Analyse sémantico-pragmatique : quantité (160 g) de pain.
Trou 8. Le vocabulaire des mots outils donne "plus de + quantité" par opposition à "plus que + personne" ("Je mange plus d'une demi-baguette, toi tu en manges moins, donc je mange plus que toi.")
Trou 9. Le verbe principal manque encore. Puisque logiquement (sémantique + pragmatique) "radicale" décrit "la baisse", "la baisse est radicale".
Trou 10. Sémantico-syntaxiquement le mot fois est ici au pluriel et est précédé d'un adjectif numéral cardinal (une fois, deux fois, trois fois...). Le nombre serait entre deux et cinq puisque le six qui suit est logiquement supérieur au nombre à exprimer ici. Une compétence rhétorique indiquerait qu'il s'agit ici soit de deux, soit de trois.
Trou 11. C'est un nom féminin singulier qui manque ("la _"). La sémantique suggère qu'il s'agit d'une expression de temps ; sont exclus : "avant la Guerre", "au début/commencement de la Guerre", "pendant la Guerre", "après la Guerre" ; reste "à la fin de la Guerre".
Trou 12. Une analyse syntaxique indique que c'est un adjectif qui manque. Un vocabulaire quelque peu étendu contient l'expression la Deuxième Guerre mondiale.
Trou 13. C'est la structure de l'ensemble de la phrase qui montre le parallélisme entre deux/trois fois plus à tel moment du passé et six fois X à tel autre moment encore davantage dans le passé ; X est donc plus.
2. Variante orale-écrite du test cloze
On présente un texte aux apprenants sous deux formes, l'une écrite avec des trous à remplir et l'autre orale au complet. L'enseignant, ou un enregistrement, lit la version orale pendant que les apprenants ont sous les yeux la version écrite. En faisant un exercice de closure sous cette forme, on a intérêt, pour ne pas tomber dans le trop abstrait, à limiter l'attention aux mots pleins, comme des verbes, des noms ou des adjectifs. Reprenons le début de l'exemple du test cloze donné par le site du ministère de l'Éducation de la Saskatchewan.
Pour _____ la semaine de la nutrition, nous avons _____ une dégustation de fruits. Quelle belle journée! Chaque _____ avait apporté un fruit de son _____.
C'est la version écrite que les apprenants ont sous les yeux. Le texte au complet lu par l'enseignant est comme suit :
Pour terminer la semaine de la nutrition, nous avons fait une dégustation de fruits. Quelle belle journée! Chaque élève avait apporté un fruit de son choix.
[Italique ajouté.]
L'exercice le plus simple consisterait à demander aux apprenants de remplir les trous selon ce qu'ils entendent. On peut aussi, à un niveau plus avancé et dans un contexte plus analytique, faire l'exercice en leur demandant de préciser la forme du mot et de donner le mot lui-même. Les informations que l'on cherche à obtenir sont :
Forme : catégorie grammaticale => verbe + attributs / nom + attributs
Mot : terminer / fait
Les attributs du verbe sont la personne (1e, 2e, 3e), le nombre (singulier, pluriel), le mode (infinitif, indicatif, subjonctif, participe) et le temps (présent, futur, imparfait, etc.). Les attributs du nom sont le genre (féminin, masculin) et le nombre (singulier, pluriel) et éventuellement le type de lettre initiale (voyelle, consonne). Dans le cas du texte saskatchewanais, on aurait ainsi :
1. Forme : verbe à l'infinitif. Mot : terminer.
2. Forme : verbe au participe passé. Mot : fait.
3. Forme : nom masculin ou féminin * singulier. Mot : élève.
4. Forme : nom masculin ** singulier. Mot : choix.
[* les grammairiens disent nom épicène]
[** notez la possibilité du féminin après son : son amie]
3. La dictée comme exercice de maîtrise globale de la correspondance oral-écrit
Idéalement c'est un exercice collectif qui consiste de la part de l'enseignant à lire le texte à haute voix pendant qu'un apprenant transcrit le texte au tableau. Ensuite l'enseignant demande à l'ensemble du groupe de dire : d'abord (a) si ce qui a été dit et ce qui a été écrit au tableau sont conformes sur le plan phonétique ; ensuite (b) si ce qui a été dit et ce qui a été écrit au tableau sont conformes sur le plan de la langue écrite. On travaille ainsi de façon globale sur la compréhension auditive, sur la correspondance entre la langue orale et la langue écrite et sur la forme des mots (orthographe, accord en nombre et en genre, conjugaison, etc.).
Ainsi, pour reprendre à nouveau le texte saskatchewanais, si l'élève a écrit
Pour terminé la semène de l'annutrition
on peut dire que phonétiquement la transcription est correcte, mais qu'au niveau de la langue écrite elle est fautive à l'endroit de "terminé", de "semène" et de "l'annutrition". Les fautes phonétiques (première catégorie) sont plus graves que les fautes écrites (deuxième catégorie) car elles indiquent un manque de maîtrise des deux codes, oral et écrit, alors que les fautes écrites ne mettent en cause que le code écrit.
Démonstration dans le cours FRE 345 à partir du texte "La pollution" (on peut continuer soi-même en autonomie en cliquant sur "Écoute").