FRE 480Y Translation: French to English

2003-2004


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    Michel Tournier, Les Météores
    (Paris, Gallimard, 1975; extrait)

    Mardi 19h40. Borne 2 838 MISSION CITY. Déjà c'est la forêt, la vraie forêt nordique, c'est-à-dire non pas la futaie régulière et clairsemée de Stanley Park dont chaque arbre est à lui seul un monument, mais l'inextricable taillis de petits arbres enchevêtrés, vrai paradis du gibier de tout poil et de toute plume. Conclusion: la belle forêt est l'oeuvre de la main de l'homme.

    Mardi 20h30. Borne 2 809,6 AGASSIZ. La porte à glissière de mon compartiment s'est brusquement ouverte et un steward noir a déposé d'autorité un plateau-repas sur ma tablette. Un coup d'oeil me confirme que le wagon-restaurant ne fonctionne pas. C'est donc la réclusion totale jusqu'à demain matin au moins. Je m'en accommoderai dans ma minuscule cellule dont la principale cloison est une vitre transparente qui laisse entrer la sapinière drue, dense et noire à travers laquelle fusent parfois mystérieusement les rayons du couchant.

    Mardi 22h15. Borne 2 750,7 NORTH BEND. Arrêt prolongé. Appels et courses sur le quai. Je crois comprendre qu'il s'agit de la dernière station notable avant la grande traversée de la nuit. J'ai le temps de me poser la vieille question qui surgit fatalement en voyage dans le coeur du sédentaire que je suis: pourquoi ne pas m'arrêter ici? Des hommes, des femmes, des enfants considèrent ces lieux fugitifs comme leur pays. Ils y sont nés. Certains n'imaginent sans doute aucune autre terre au-delà de l'horizon. Alors pourquoi pas moi? De quel droit suis-je ici et vais-je repartir en ignorant tout de North Bend, de ses rues, de ses maisons, de ses habitants? N'y a-t-il pas dans mon passage nocturne pire que du mépris, une négation de l'existence de ce pays, une condamnation au néant prononcée implicitement à l'encontre de North Bend? Cette question douloureuse se pose souvent en moi lorsque je traverse en tempête un village, une campagne, une ville, et que je vois le temps d'un éclair des jeunes gens qui rient sur une place, un vieil homme conduisant ses chevaux à l'abreuvoir, une femme suspendant son linge sur une corde tandis qu'un petit enfant s'accroche à ses jambes. La vie est là, simple et paisible, et moi je la bafoue, je la gifle de ma stupide vitesse...

    Mais cette fois encore, je vais passer outre, le train rouge fonce vers la montagne nocturne en hululant, et le quai glisse et emporte deux jeunes filles qui se parlaient gravement, et je ne saurai jamais rien d'elles, et rien non plus de North Bend...

      (Extrait de: Michel Tournier, Les Météores, Paris, Gallimard, 1975.)