EN BON FRANÇAIS
Nivôse, prairial, vendémiaire…
Martin Francoeur
(L'Express de Toronto, 28 Janvier 2003)
Je voulais profiter de ce début d’année pour trouver l’inspiration nécessaire à un sujet original. Une chronique qui allie histoire et linguistique.
L’année 2003 vient d’arriver. Imaginez un peu que si le système révolutionnaire français avait survécu à l’histoire, nous serions en pleine année 211. Parce que quatre ans après la Révolution, on avait décidé d’instaurer un nouveau calendrier qui abolissait toute référence aux croyances religieuses. Et en 1793, on repartait de l’An I de l’«ère de la liberté».
Retournons un peu à la fin du XVIIIème siècle pour voir comment les choses se sont passées. Le 21 septembre 1792, la Convention nationale (mise en place après la Révolution) vota l’abolition de la monarchie. Le 22 septembre naissait alors la Première République. La Convention ordonna le début d’une ère nouvelle et substitua un autre calendrier à celui qui servait dans la majorité du reste du monde. Le 3 octobre 1793 on vota le décret qui proclamait que l’année commencerait le 22 septembre à minuit, parce que la République avait débuté à cette date. Le 5 octobre, un décret supprima les fêtes religieuses. Ce nouveau calendrier ne connut pas réellement d’an I, ne débutant juridiquement qu’en 1793, alors que le début de l’an I se situe en 1792.
Le calendrier républicain a été mis au point par le mathématicien Romme et les astronomes Lalande, Delambre et Laplace. Le poète Philippe-François Nazaire Fabre, mieux connu sous le nom de Fabre d’Églantine, lui donna les noms des mois et des jours, confirmés par un décret du 24 novembre 1793. Les raisons de ce nouveau calendrier résidaient essentiellement dans la volonté de rompre avec le passé, dans une volonté évidente de changement, mais aussi pour retirer à l’église certains privilèges et habitudes qui régissaient la vie des gens, et aussi le désir d’appliquer au temps les règles des mesures décimales.
L’année était divisée en 12 mois de 30 jours. Chaque mois était divisé en trois décades de dix jours. La journée était subdivisée en dix et ainsi de suite... En fin d’année, on ajoutait cinq jours pour retrouver les 365,25 jours du calendrier julien. De plus, chaque jour était associé à un animal, une plante ou un outil, afin de faire oublier le calendrier des saints. Le calendrier républicain aura été utilisé pendant 12 ans. En 1805, un décret l’abolit et rétablit du même coup le calendrier grégorien à partir du 1er janvier 1806.
Bien que peu pratique, dans le contexte où la datation historique était déjà basée sur l’ère chrétienne et où les noms de jours et de mois étaient déjà bien implantés culturellement, le calendrier républicain avait le mérite d’être parfaitement cohérent sur le plan linguistique.
Les noms des jours étaient simplement issus de la numération: primidi, duodi, tridi, quartidi, quantidi, sexidi, septidi, octidi, nonidi et decadi étaient les noms qu’on avait donnés à chaque jour de la décade.
Dans notre calendrier grégorien, les noms de jours sont surtout associés aux astres et tirent leur origine du latin. Lundi (Lunae dies) veut dire «le jour de la Lune»; mardi (Martis dies) signifie «le jour de Mars»; mercredi (Mercurii dies) est «le jour de Mercure»; jeudi (Jovis dies) veut dire «le jour de Jupiter; vendredi (Veneris dies) signifie «le jour de Vénus»; samedi (Sabbati dies) n’est rien de moins que «le jour du sabbat»; alors que dimanche (Dominica dies) est bien sûr le «jour du Seigneur».
Là où le calendrier républicain était particulièrement intéressant, c’est dans la désignation des mois. Les mois d’automne se terminaient par le suffixe «-aire». Ainsi, Vendémiaire était le mois des vendanges; Brumaire était le mois des brumes et du brouillard; et Frimaire était le mois du frimas, du froid. Les mois d’hiver se terminaient par le suffixe «-ôse», comme dans Nivôse (mois de la neige), Pluviôse (mois de la pluie) et Ventôse (mois des vents). Les mois se terminant par le suffixe «-al» étaient associés au printemps: Germinal (mois de la germination), Floréal (mois des fleurs) et Prairial (mois de la fenaison, des prairies). Enfin, les mois d’été se terminaient par le suffixe «-dor». Ce sont Messidor (mois des moissons), Thermidor (mois de la chaleur) et Fructidor (mois des fruits).
Fabre d’Églantine avait voulu, en désignant ainsi les mois de l’année, créer une certaine poésie, une certaine musicalité dans le vocabulaire chronologique. Exit les références à Jules César (juillet), à Mars, à Janus (janvier), à Auguste (août)...
Du même coup, le calendrier républicain abolissait toutes les fêtes religieuses que l’on connaissait à l’époque. Il n’était plus question d’honorer un saint par jour. On avait même trouvé des personnages à qui on pouvait rendre hommage pour chaque jour du nouveau calendrier. Des personnages qui étaient, pour la plupart, associés à la Révolution, aux arts et aux lettres. Il n’y avait que les Français pour imaginer une telle refonte.
Mais le calendrier républicain n’a pas survécu très longtemps. Et nous sommes revenus au bon vieux calendrier que le pape Grégoire XIII avait élaboré et ajusté en 1582.
421 ans plus tard, c’est toujours au lendemain de la Saint-Sylvestre, le 1er janvier, que l’on se souhaite la bonne année. N’en déplaise aux bien-pensants de l’après-Révolution française...