En bon français

Je redeviens Trifluvien

(Martin Francoeur, L'Express de Toronto, 8-14 janvier 2002)

Voilà, c'est fait. Depuis le premier janvier, je ne suis plus vraiment un Madelinois. Conséquence directe des fusions municipales qui ont balayé le Québec, je redeviens un Trifluvien. Remarquez que je m'en offusque pas. Les Ouestrifluviens, les Marthelinois, les Pointe-du-Laquois et les Louisfranciens subissent le même sort. Ils deviennent tous Trifluviens.

Tout un jargon, n'est-ce pas? C'est la faute aux gentilés. Et qu'est-ce qu'un gentilé? C'est un terme qui sert à désigner les habitants d'un pays, d'une région ou d'une ville. Sans les gentilés, il aurait fallu tourner autrement le premier paragraphe. En disant par exemple: «Je ne suis plus vraiment un habitant de Cap-de-la-Madeleine (...) je redeviens un résidant de Trois-Rivières. Je ne m'en offusque pas. Les gens de Trois-Rivières-Ouest, de Sainte-Marthe-du-Cap, de Pointe-du-Lac et de Saint-Louis-de-France subissent le même sort.»

Ça peut devenir encombrant de toujours devoir nommer le lieu géographique. Et c'est pour ça qu'on s'est donné des gentilés.

Le mot gentilé lui-même est assez intéressant. Il tire son origine du latin gentile nomen, qui signifie littéralement nom des gens. Le mot est apparu discrètement dans la langue française au milieu du dix-huitième siècle, mais est revenu en force il y a quelques années à peine. Aujourd'hui, même les plus petites municipalités se donnent un gentilé. Et parfois, il faut faire quelques entourloupettes pour s'en tricoter un.

Règle générale, les gentilés se terminent à peu près tous en -ien, -ienne; -ois, -oise; ou -ais, -aise. Il y a quelques rares exceptions.

Passons rapidement sur les gentilés faciles, qui se sont construits presque naturellement. Les Montréalais, Lavallois, Torontois, Sherbrookois, Chicoutimiens, Dorvalois et Brossardois en sont de bons exemples. Facile de trouver la ville dont il est question derrière chacun de ces gentilés...

Mais attention. Il y en a d'autres plus tordus. Je vous fais grâce des Trifluviens, puisque vous savez maintenant de qui il s'agit. Dans le cas de ce gentilé, on a eu recours au latin. Un peu comme on l'a fait pour Fidéens, Pétrifontains et Campivallensiens. D'où viennent ces étranges créatures? Respectivement de Sainte-Foy, Pierrefonds et Salaberry-de-Valleyfield!

Il arrive aussi, que l'on procède à des inversions dans le nom géographique pour obtenir le gentilé. Ainsi, les habitants de Montmagny sont des Magnymontois. Ceux de la Côte-Nord sont des Nord-Côtiers. Les Lauriermontois, Hilairemontais et Louperivois habitent respectivement Mont-Laurier, Mont-Saint-Hilaire et Rivière-du-Loup.

Au Québec, on a la chance (!) d'avoir une quantité incroyable de municipalités dont le nom est celui d'un saint ou d'une sainte. Ça pose un joli problème quand vient le temps de forger un gentilé. Garde-t-on le saint? Où est le compromis? Il vaut mieux, en effet, parler de compromis, parce qu'il n'y a pas de règle précise.

À Saint-Sauveur-des-Monts, on retrouve des Saint-Sauveurois. À Saint-Tite, ce sont des Saint-Titiens. Mais à Saint-Basile-le-Grand, ce sont des Grandbasilois. À Saint-Bruno-de-Montarville, des Montarvillois. À Saint-Constant, Sainte-Adèle, Sainte-Agathe, Sainte-Thérèse-de-Blainville et Saint-Eustache, on retrouve des Constantins, des Adelois, des Agathois, des Térésiens et des Eustachois. Les Georgiens sont les habitants de Saint-Georges en Beauce, tandis que les Georgeois sont ceux de Saint-Georges en Mauricie. Les Jeannois sont les habitants du Lac-Saint-Jean, tandis que les Johannais sont ceux de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Il y a dans les gentilés quelques subtilités que seuls les habitants de la ville concernée peuvent connaître ou à peu près. Pourquoi appelle-t-on Maskoutains les habitants de Saint-Hyacinthe? Pourquoi ceux de Havre-Saint-Pierre sont-ils des Cayens?

Il arrive aussi que l'on soude certains éléments du nom propre géographique. Ainsi les habitants de la ville de La Tuque sont des Latuquois. Ceux de Port-Cartier des Portcartois. Ceux de Sept-Îles, des Septiliens. Et ceux de Val-d'Or des Valdoriens. À l'opposé, on retrouve les Côte-Saint-Luçois (Côte-Saint-Luc), les Baie-Comiens (Baie-Comeau), les Grand-Mérois (Grand-Mère) ou les Pointe-Clairais (Pointe-Claire).

L'ajout de lettres est parfois pour la sonorité du gentilé. Parfois faut-il même trafiquer une terminaison pour obtenir un gentilé adéquat. Les Charnycois habitent Charny. Les Boisbriannais viennent de Boisbriand et les Okois, d'Oka.

Les noms propres de lieux en anglais posent certains problèmes. Beaucoup, même au Québec, ont conservé leur désignation anglophone.

Ainsi, les Hampsteaders, les Beaconsfielders et les East Boltoners sont ceux qui habitent à Hampstead, Beaconsfield et East Bolton. Mais d'autres lieux au nom anglais ont un gentilé bien français. Les New-Richmondois et les Westmountais en sont de bons exemples.

Les noms de villages autochtones ont aussi leur gentilé, mais généralement, il suit les règles de la langue qui y est parlée. Il est tout de même intéressant de savoir que les habitants de Kahnawake sont des Kahnawakeronon. Que ceux de Kuujjuaq sont des Kuujjuamiuq, et ceux de Kuujjuarapiq, des Kuujjuaraapimmiuq.

Enfin, notez que si je perds mon identité de Madelinois (Cap-de-la-Madeleine), sachez que je n'ai jamais été Madelinot (Îles-de-la-Madeleine). Dernière curiosité: le féminin de Madelinot n'est pas Madelinote, mais bien Madelinienne. Allez savoir pourquoi!