P. Marquis, Grand Dictionaire françois-latin, 1609: Épître dédicatoire

[Image de l'original]

    <2 r> A MONSEIGNEVR,
    MESSIRE PIERRE
    DE VILLARS, CONSEILLER
    DV ROY EN SES CONSEILS PRIVÉ
    & d'estat, & n'agueres Archeuesque & Conte de
    Vienne.
MONSEIGNEVR,
Ie m'asseure que ne trouuerez estrange, ains prendrez en bonne part, que moy qui ne suis qu'vn petit & malotru escholier, aye bien osé m'approcher de vostre grandeur, & vous distraire, ores que d'vn quart d'heure, de vos graues & serieuses occupations, pour vous rendre compte de mon literaire loisir: s'il vous plait de considerer que c'est vous qui de vostre grace, & liberalité speciale me l'auez procuré, & me donnez le moyen de m'y entretenir. Aussi ie peux bien dire de vous, ce que Tityrus racompte à son compagnon <2 v> Melibee dans nostre Virgile.
Deus nobis haec otia fecit:
Namque erit ille mihi semper Deus, illius aram
Saepe tener nostris ab ouilibus imbuet agnus.
    Le Sieur Iean Pillehotte de tout temps, par ceste sienne bonne & naturelle inclination, affectionné à l'aduancement de la ieunesse, & principalement nourrie soubs les regles, & discipline de la Compagnie du Nom de IESVS, apres nombre infiny de liures, qu'il a mis & met tous les iours en lumiere pour fournir toutes les Classes de leurs Colleges, s'estant resoulu de nous donner encor le GRAND DICTIONAIRE de M. Nicot, mais plus correct, & plus ample qu'on ne l'a encor veu, & se ressouuenant d'auoir ces annees passees (que mon pere demeuroit encor à Lyon) veu par occasion vn recueil de Dictions, & phrases Françoises en son estude, qu'il auoit autrefois amassé & tiré de plusieurs bons autheurs de nostre langue, à mesure qu'elles luy venoient en main; s'aduisa il y a bien quatre ans, de luy en escrire, & le prier ne vouloir enuier ce sien labeur au public. Mon Pere, qui l'aime, & honore pour ses vertus & merites, & specialement pour les <3 r> qualitez susdictes, ne le luy osant pas refuser; me mit tout ce qu'il auoit d'amassé sur ce subiect entre les mains, & m'ayant monstré en peu de iours comme i'aurois à m'y conduire, me donna courage d'y employer quelques heures hors le temps dedié à mes leçons ordinaires: De façon qu'en fin i'ay tout parcouru ce grand Dictionaire, & y ay enchassé en son lieu, & ordre, bon nombre de Dictions & Phrases Françoises, non seulement recueillies des memoires, & aduersaires de mon pere, mais encore d'vn vieux exemplaire de M. Nicot, fort annoté ez marges par la diligence & curieuse obseruation de M. Guichard, Maistre des Requestes; & Referendaire de son Altesse, personnage de marque & reputation entre les doctes de nostre siecle, & de qui la suffisance, & rare sçauoir est assez cogneu par la publication de ses oeuures. Ce qu'ayant en fin mis à chef, par la grace de Dieu, & l'ayant presenté à mon pere, qui tous les iours estoit pressé, & sollicité par ledict Sieur Pillehotte, qui mandoit n'attendre autre chose pour en commencer l'impression; il m'a commandé de vous en faire vn present, & m'y a accouragé. C'est pourquoy ie me presente à <3 v> vous en toute humilité à cet effect, & vous supplie pardonner à ma temerité. Car comme en l'ancienne Loy estoyent deües à Dieu par les enfans d'Israël les Premices de tous leurs fruicts, par vn commandement tres expres: Primitias frugum terrae tuae deferes in domum Domini Dei tui, Exod. 23. Aussi de tout droict ie vous suis obligé, & redeuable de l'hommage du premier fruict de mes estudes, lesquels ie poursuis en ce College, par vous, & par Messieurs nos Consuls dedié à nostre bien-heureux Dauphin, soubs les Reuerends Peres de la Compagnie du Nom de IESVS, que nous auons eu ce bon-heur d'auoir en ceste ville, par vostre longue (ie n'ose pas dire opiniastre) poursuitte, & liberalité. Et comme pour l'incommodité & empeschement que l'aage, & vostre indisposition quasi continuelle vous apportoit en l'exercice de vostre Prelature, vous eussiez soubs le bon plaisir du Roy, & de sa Saincteté choisi vn successeur selon vostre coeur, & tel que nous le pouuions souhaitter & esperer, (c'est Monseigneur le Reuerendissime Archevesque & Comte de Vienne, Messire Hierosme de Villars, vostre cher & bien-aymé frere) <4 r> vous l'auez aussi rendu heritier de la mesme ardeur, & affection que vous auiez enuers vostre peuple, & ceste Religieuse Compagnie. Et comme vous en auiez proiecté & iecté les premiers fondemens, vous luy auez voulu laisser ceste gloire, & consolation d'y mettre la derniere pierre, & apporter la consommation de tout l'edifice Ou, pour mieux dire, comme vn second Pollux à vostre cher & bien aymé Castor, vous auez voulu communiquer la belle moitié de ceste gloire, & merite envers Dieu, & les hommes, qu'à vous seul vous pouuiez retenir. Ce qui fut tres heureusement imité de Virgile par nostre docte Regent, en cet Epigramme, qui l'annee passee vous fut prononcé à la renouation des estudes, où vos reuerences tres illustres daignarent bien assister, & honorer de leur presence cet heureux commencement, & i'y euz l'honneur (bien que non merité) de vous saluer, & parler le premier de nostre trouppe:
Castora frater amat Pollux, & morte resurgit
Alter in alterius: viuit hic, alter obit.
    C'a esté vn plus grand bien & bon-heur que aucun autre que iamais ayent receu nos predecesseurs, & tout tant que nous sommes auiourdhuy <4 v> vos treshumbles seruiteurs, non pas en ceste ville tant seulement, mais en toute la Prouince, n'auons pas assez de sentiment, pour le sauourer & estimer ce qu'il vaut. Aussi c'est en herbe que nous le voyons; il faudra que la posterité, qui en cueillira la gerbe, & le fruict, en donne le iugement. Ainsi la memoire de ce bien faict ne mourra point, ains sainctement nourrie de chascun de nous endroict soy, sera enuoyee à nos nepueux, pour filer de siecle en siecle iusques à iamais. Receuez cependant, MONSEIGNEVR, & Mecoenas tres-liberal, d'vne deuotion qui est vniversellement espanchee parmy nous, ces particuliers tesmoignages, ou plustost estincelles d'vn feu que vos insignes biensfaicts, & vertus allument. Et tout ainsi que les anciens Romains par l'apprehension & maniement d'vne motte de terre entroient en saisine du reste du champ, recognoissez ie ne sçay quoy de plus en ce peu d'estoffe que ie vous offre; attendant quelque chose de plus grand prix & valeur, quand Dieu m'aura faict la grace de le pouuoir conceuoir, & esclorre digne d'estre porté & presenté à vos pieds en toute humilité. Et sur ceste <5 r> esperance, apres auoir baisé deuotement vos sacrees mains, ie prie Dieu.

    MONSEIGNEVR, Qu'il vueille combler vostre grandeur de toute felicité, & auiuer de plus en plus les flambeaux de vostre gloire, afin que les rayons qui esclairent de pres à ceste Prouince, puissent de leur reflambement remplir tout l'Vnivers. De Vienne ce premier iour de l'an mil six cens & huict, pour bonne estreine.

Vostre tres-humble, & tres-obeissant
filleul, & seruiteur,

PIERRE MARQVIS.