
Paul Robert, dans son Dictionnaire alphabétique et analogique, utilise les trois modèles: le premier dans une approche traditionnelle (alphabétique), le deuxième dans une approche notionnelle (analogique), le troisième tantôt l'une, tantôt l'autre:
CARILLON. Ensemble de cloches accordées à différents tons (s.v. Carillon)Ensemble de cloches accordées. V. Carillon (s.v. Cloche)
CHIC... Sympathique (s.v. Chic)
CIRRIPÈDES [... Ordre d'animaux arthropodes antennifères, de la classe des crustacés entomostracés...] Types principaux. V. Anatife, balane... (s.v. Cirripèdes)[2]
NAVIS. Nauire (isométrie)ACATIVM... Vne sorte de legiere nauire (expansion)
Nauire... Nauis (isométrie) Vne sorte de legiere nauire, Acatium (condensation) Nauire enfondree, Suppressa nauis (isométrie)Le procédé non marqué, celui de l'isométrie, a également la plus grande application lexicographique, étant le modèle même du dictionnaire bilingue et, ainsi qu'il a été dit plus haut, s'employant dans le dictionnaire monolingue comme dans les mots croisés. Par contre et toujours en ce qui concerne les formes de l'équation sémantique, le DLG, dans son emploi de l'expansion, se range du côté du dictionnaire de langue monolingue, alors que le DFL en renversant les membres de ces mêmes équations, s'apparente plutôt à la pratique cruciverbiste.
ABOLEO... Abolir, Mettre a neant. -> Abolir, Abolere. (s.v. Abolir) Mettre a neant... Abolere. (s.v. Mettre)Gardées ensemble, elles sont normalement deux et forment une équation monolingue qui répond à l'équation bilingue:
Receleement, sans faire semblant de rien, Dissimulatim. (s.v. Receleement) (expansion)Les équations monolingues du DFL s'intègrent donc toujours à des équations composées (français -> français -> latin), les équations simples, plus nombreuses, équations de base, étant invariablement bilingues.Couper en pieces & fendre, Dissecare. (s.v Couper) (condensation)
Vne buffe, ou soufflet, Alapa. (s.v. Buffe) (isométrie)
En somme, ou Somme toute, In summa. (s.v. Somme) (isométrie)
Ainsi, par une opération largement mécanique, Estienne consigne dans la nomenclature de son dictionnaire français-latin un certain nombre d'entrées paraphrastiques, pour nous en tenir au modèle de la condensation, dénommées tantôt en latin seulement, tantôt, bien que moins souvent, et en français et en latin. Le mot sous lequel les items de ce type sont classés correspond généralement au terme générique:
Définition française Dénomination Dénomination
française latine
s.v. Herbe Vne herbe qui ha diuerses
couleurs, comme uerd,
iaune, rouge, (appelee) genesie
(&) helesie, Symphonia.
s.v. Bestelette Vne petite bestelette qui
uit ayant la teste fichee
dedens le sang des bestes;
& n'ayant point de trou
par ou s'en aille la
uiande, elle se creue. (Aucuns l'appellent
une) louuette, Rediuius.
s.v. Vigne Vigne blanche, (ou) couleuuree, Bryonia.
s.v. Mettre Mettre du fil en peloton, (ou) entasser, Agglomerare.
Dans les autres cas, c'est un autre mot sémantiquement important qui sert de
sur-entrée:
s.v Delivrer Chose qui deliure, (ung) remede, Absolutorium.Dans les équations composées, il peut arriver exceptionnellement qu'une condensation dans la proposition monolingue ne soit pas accompagnée d'une condensation dans la partie bilingue:
s.v. Semblance Monstrer la semblance
d'aucune uertu, Representer, Exemplum ac
effigiem virtutis
alicuius reddere.
Il y a également différents degrés de condensation:
s.v. Bailler Bailler la pelotte
l'ung a l'autre, Pelotter, Datatim ludere.
DFL 1549
s.v. Rapporteur Rapporteur de mauuaises
nouuelles, Rabbatioye, Obnuntiator.
s.v. Raison Bonne raison, Equité, Bonum & aequum.
Le caractère monolingue d'une équation est encore plus marqué dans les
cas où DFL
1549 a ajouté à un item existant une dénomination francaise:
DFL 1539 Racine & tout, ou,
s.v. Racine iusques a la racine, Stirpitus, Radicitus.
-> DFL 1549 " " " Radicalement, " "
DFL 1539 Vne couuerture remplie
s.v. Couverture d'estoupes, de foin,
ou de bourre, Matta.
-> DFL 1549 " " Loudier, Materaz, "
DFL 1539
s.v. Oiseau Vng oiseau uiuant de
figues, Melanchoryphus.
-> DFL 1549 " " " Becquefigue, "
DFL 1539
s.v. Drogue Qui uend toutes drogues, Pharmacopola.
s.v. Apoticaire Apoticaire, "
s.v. Dire Dire le contraire, Abnuere.
s.v. Nier Nier, "
s.v. Limiter Qui limite les terres
& y assied les bornes, Finitor.
s.v. Borneur Borneur, "
s.v. Terre Mesureur de terres, Geometres.
s.v. Arpenteur Arpenteur, "
s.v. Aigre Tirant sur l'aigre, Acidus.
s.v. Sur Sur, "
s.v. Entendu Vng homme entendu es loix
& coustumes d'ung pais, Iurisconsultus.
s.v. Juriste Iuriste, "
s.v. Art L'art de faire decoctions, Coquina.
s.v. Cuisine Cuisine, "
s.v. Malfaicteur Vng instrument ou on serre
les pieds des malfaicteurs, Cippus.
s.v. Cep Cep, "
s.v. Marque La marque d'une playe, Cicatrix.
s.v. Cicatrice Cicatrice, "
Dans les derniers exemples donnés ci-dessus, le mot latin est l'étymon de la
dénomination
française. La dénomination de puissance n'est cependant pas toujours fournie
par le DLG; elle
peut ou non se réaliser dans la nomenclature du DFL (première édition ou
édition
postérieure):
DFL 1539 s.v. Art L'art qui enseigne de
bien escrire, & parler, Grammatica.
DFL 1539 s.v. Grammaire Grammaire, "
DFL 1539 s.v. Faulte Faulte de quelque chose, Indigentia.
DFL 1539 s.v. Indigence Indigence, "
DFL 1539 s.v. Nombrer L'art de nombrer, Arithmetice.
DFL 1549 s.v. Arithmetique Arithmetique, "
DFL 1539 s.v. Estat Estat d'homme non marié, Caelibatus.
DFL 1549 s.v. Celibat Celibat, "
DFL 1539 s.v. Assemblement Assemblement illicite faict
auec parente, alliee, ou
religieuse, Incestus.
DFL 1564 s.v. Inceste Inceste, "
DFL 1539 s.v. Changement Changement de toutes choses, Vicissitudo.
(vicissitude ne
figure pas dans le DFL)
DFL 1539 s.v. Aspic Aspic, herbe, Pseudonardum.
aspic, Serpent nommé - Aspis.
L'ordre inverse est celui de la grille de mots croisés:
DFL 1539
s.v. Laictue Vne sorte de
laictue sauuage, Picris.
s.v. Oiseau Vne sorte d'oiseau qui
ha la couleur iaulne, Icterus.
s.v. Pierre Vne sorte de pierre precieuse
qui est de couleur rouge, Sarda.
s.v. Couverture Vne sorte de couuerture
faicte de ioncs ou genest,
ou de chanure, ou autres
herbes de maretz, (comme pourroyent
estre des) nattes, Teges, Storea.
s.v. Fruict Petit menu fruict, (comme) senelles,
prenelles, groseilles,
& semblables, Baccula.
s.v. Poisson Toute sorte de fort
grand poisson, (comme) balaines,
beufs, roues, &
semblables, Cetus.
Dans les équations composées données ci-dessus, il y a plusieurs inclusions.
Ainsi,
senelles, prenelles [sic] et groseilles sont à la fois plus spécifiques
que petit menu
fruict et plus spécifiques que baccula; de même, balaines, beufs
et roues
sont des espèces de fort grand poisson et de cetus.
Les deux derniers items cités à 1.2.1 auraient pu être placés ici. En effet, le becfigue n'est pas nécessairement le seul oiseau qui se nourrisse de figues. Comme autre exemple du même genre, mentionnons également:
DFL 1549
s.v. Oiseau Vng oiseau resemblant
au cygne, (Vng) Butor, Onocrotalus.
Le nombre de sèmes du côté du membre générique d'une
équation
variant en raison directe du nombre de ses termes, la distance sémique séparant les
deux membres
d'une équation d'inclusion est normalement plus grande dans les équations
isométriques que
dans les équations non isométriques;
DFL 1539
s.v. Maulve (Vne espece de) maulue, Malache.
s.v. Pelote (Vne sorte de) pelote
(ou) esteuf, Trigon.
s.v. Couleur Couleur rouge, Punicus color.[5]
s.v. Herbe Herbe (appelee) hepatique, Lichen.
s.v. Pierre (Vne sorte de) pierre (qu'on appelle) Tuf, Tophus.
D.T. Starnes a montré la dette de la lexicographie anglaise envers R. Estienne par l'intermédiaire des dictionnaires latin-anglais et anglais-latin du XVIe siècle.[7] Ainsi, la voie tracée par Cooper, Thomas, Rider et Holyoke[8] mène directement du Dictionarium latinogallicam (1552) d'Estienne à l'un des premiers dictionnaires anglais monolingues, The English Dictionarie; or, An Interpreter of Hard English Words (Londres, 1623) de Henry Cockeram. Les ouvrages de Baret, Huloet, Elyot et Cooper[9] permettent aussi de remonter, par une filiation secondaire, de Cockeram au Dictionaire francoislatin d'Estienne.
Dans la première partie de son Interpreter of Hard English Words, Cockeram interprète, ou définit, en anglais courant, des "hard words" (mots difficiles, c'est-à-dire rares, littéraires, techniques, savants): «Edormiate. To sleepe out ones fill.»; «Exuscitate. To awake one vp from sleepe.» C'est là, l'objet principal de la lexicographie anglaise monolingue à ses débuts.
La deuxième partie, «The English Translator», insolite celle-là, retourne les items de la première. Ainsi, l'article Sleepe:
to Sleepe out ones fill, Edormiate. to rouse one from Sleepe, Exuscitate. Sleepe causing, Soporiferous, Dormatiue. to Sleepe with one, Condorme. luld a Sleepe, Consopiated. a place to Sleepe in, Dormatorie. to bring a-Sleepe, Soporate. a Sleeping in the day time, Meridiation. Sleepy, Somnolent, Dormant. a Sleepie disease, Lethargie. Sleepiness, Somnolence.Alors que les équations en condensation monolingues (définition en langue A -> dénomination en langue A) d'Estienne furent l'exception et non la règle (voir plus haut), celles de Cockeram forment, avec des items d'encodage isométriques (type: anglais courant sleepy -> anglais "difficile" somnolent), toute la seconde partie de son dictionnaire.
Il faut remarquer que bien que certains de ces "hard words" aient bel et bien existé en anglais, ou y subsistent encore, il s'agit avant tout de latinismes. On les retrouve presque tous, sous leur forme originale latine, dans les dictionnaires bilingues dont est issu le lexique de Cockeram. Comparons:
Cockeram 1623:
Notes
1. Cf. T.R. Wooldridge, "Le dictionnaire des mots croisés: types et méthodes", Cahiers de lexicologie, 26 (1975), 3-14.
2. Cf. P. Robert, Dictionnaire (1951-1964), Introduction; A. Rey, in Cahiers de lexicologie, 7 (1965), 91.
3. Les parenthèses sont de nous.
4. Cf. T.R. Wooldridge, Les Débuts de la lexicographie française [University of Toronto Press, 1977].
5. On pourrait séparer le latin de cet item en terme spécifique + terme générique.
6. [Mars 1997: Nous offrons au lecteur une grille de mots croisés inspirés du Dictionaire francoislatin d'Estienne.]
7. D.T. Starnes, Renaissance Dictionaries: English-Latin and Latin-English, U. of Texas Press, 1954; D.T. Starnes & G.E. Noyes, The English Dictionary from Cawdrey to Johnson, U. of N. Carolina Press, 1948.
8. Thomas Cooper, Thesaurus linguae Romanae et Britannicae, Londres, 1565; Thomas Thomas, Dictiomarium linguae Latinae et Anglicae, Cambridge, 1587; John Rider, Bibliotheca scholastica, Oxford, 1589; rev. par Francis Holyoke, 1606.
9. John Baret, An Alvearie or Triple Dictionarie, in Englishe, Latin, and French, Londres, 1573; Id., An Alvearie or Quadruple Dictionarie, Londres, 1580 [= 1573 + grec]); Richard Huloet, Abcedarium Anglico-Latinum, Londres, 1552; rev. par John Higgins, 1572; Thomas Cooper, Bibliotheca Eliotae, Londres, 1548.