[O] L'Adolescence de Jaques du FOUILLOUX, ESCUYER, Seigneur dudit lieu, en Gastines, pays de Poitou.
PENDANT le temps que le noble Françoys
Faisoit ployer la France soubz ses loix,
Tendre orfenin, sortant de la tetine,
Transporté fuz dehors de ma Gastine
Dans un pays de boys et de rochiers,
Lieu bien hanté de Cerfz et de Sangliers:
En servitude en ce lieu fu long-temps,
Et a Lynieres, ou ne perdy mon temps:
Ains evitant sans cesse la paresse
A ce plaisir exerçay ma jeunesse,
Qui est commun aux Princes et Seigneurs,
Comme avoyent fait tous mes predecesseurs:
Car volontiers nostre Genealogie
Les Filles ayme, Armes, et Venerie.
Or fus-je esclave environ de quinze ans,
N'ayant encore emotion et sens.
Quand j'eu vingt ans, il me print une envie
M'emanciper, vivre a ma fantasie:
Comme un Sanglier a troys ans se depart,
L'homme a vingt ans se met aussi a part.

De bon matin m'en allé de ce lieu,
N'oubliant rien, sinon a dire A-Dieu:
Prens mon Limier, m'envois a l'avanture,
Et ma bouteille attachee a ma ceincture.
Tant cheminay par Forestz et bocages,
Que rencontray du Cerf dans les gagnages,
A la Bourdaine alors il viandoyt,
La jecte aussi dans la taille eruçoit:
Puis il s'en va tout le long d'un chemin
Faisant sa ruze a l'esgail du matin.
Apres, fy tant de mon Chien Tire-fort
Que le randy d'asseurance en son fort:
Ou le brisay pour prendre les devantz,
A son ressuy de mon Chien heu les ventz.
Je le trouvay d'une enceincte sorty,
Et d'une Bische il s'estoyt departy:
Le frappe a route, et me metz sur les voys,
Du Chien, de moy, eussiez ouy la voix,
Sus, voylecy, allez, va y avant:
Par la fumee il s'en va de bon temps:
Voylecy par les portees,
Voylecy par les foulees,
Voylecy aller le Cerf,
Voylecy aller le Cerf,
A route a luy valet
Sus apres luy valet.
Par les Forestz maint escot resonnoyt
Par la faveur d'Echo qui respondoyt.
Or venoit-il ce gentil vent de Mer,
Qui me rendoyt le corps et pied leger,
Et si sentoys la fleur de l'Aubespine
Que ce doux vent apportoit de Gastine.
Apres mon Cerf me mis par les campagnes,
Ou le brisé au pied de deux montaignes. Dessus un tronc, regardant ma bouteille,
Prenant repos, une heure je sommeille.
On oyoit là le vent cytharizer
Qui me donnoit un aguillon d'aymer:
Comme des voix doucettes et menues,
Et me sembloit qu'elles venoyent des nues.
Je m'esveillay, et reprenant mes voys
Je rencontray le Cerf sortant des boys:
Tant le suivy par rochiers et espines,
Que le randy aux Forestz de Gastines:
Et le voyant d'entree viander,
Par la jugeay qu'il devoit demeurer,
Ou le brisay aux genestz de verdure,
En le laissant reposer a nature.
Quand je senty du genest les douceurs
Soudain m'endors dedans ces douces fleurs:
En sommeillant oüy sur un rocher
Un chant divin, qui me vint allecher:
De m'approcher je ne craigny mes peines,
A fin d'ouyr ces gentiles Serenes,
Qui de chansons doucement entonnees
Resjoüyssoient montaignes et valees.
Quand j'avisay ce gay troupeau assis
Sus un rocher, veoir paistre ses brebis,
Chascune ayant dessus son beau tetin
Gentilement la quenoüille de lin:
Il me sembla apres ce mien reveil,
Voyant leur face, aviser le Soleil.
J'en choisis une ou mon cueur eut desir
Soudainement de prendre son plaisir.
Or faisoit il une pluye doucette
Qui luy rendoit la couleur vermeillette.
La ell' estoyt en un lieu a souhayt,
Plein tout autour de fleurs de Serpoulet:
Chantant ainsi a qui chanteroit mieux
Un chant si doux qu'il transperçoit les Cieux.
M'approchant pres pour mieux les regarder
Soudain fuz prins de l'eguillon d'aymer,
Voyant la gaye et mignonne Bergere
Ayant le teint, et la couleur si clere:
Car point n'avoit de fart ne de civette,
Mais tout ainsi que Nature la faicte.
Point de touretz n'avoyt a son sommeil
Fors seulement la clairté du Soleil:
Elle n'estoyt point cherement enfermee,
Ains aux fureurs des ventz abandonnee.
Point ell' n'avoyt ambre, musc, ne odeurs,
Sa douce haleine luy servoit de senteurs.
Point ne portoit fleur, benjoun, gnacelle,
Onques parfuns ell' ne porta sur elle:
Mais elle alloit quand le temps estoyt gay
Entre les fleurs et rousees de May.
Point ne portoit gans de Chamoys, mitaines,
Ains en tout temps ha descouvert ses veines.
Ne portoit point de calçons ne patins
L'esgail lavoit ses piedz tous les matins.
Point ne trompoit le monde en ses cheveux,
Mais les siens vraiz luy tomboyent sur les yeux.
Pour se coeffer ne luy faut point d'empoys,
De mirouer, ne de teste de boys:
N'avoyt carquans, velours, ne chapperons,
Qu'un couvrechef tout plié a grillons:
Ni bucz encor de soye violette
Qu'un godillon de simple laine verte.
Elle n'avoyt au lieu de faux manchons
Qu'un linge blanc sur ses petis bras blondz,
Ni jazerans, anneaux, ne braceletz,
Sur son gent corps, et ses tetins refaitz.
D'eau de mouron, de febve, ne salive
Ne se fardoit, fors que de claire eau vive:
Eau de gougourde a elle point ne touche
Pour adoucir son visage et sa bouche.
Point ne portoyt de ce liege femelle
Pour amoindrir son seing et sa mammelle.
Vasquine nulle, ou aucun peliçon
Ell' ne portoit, ce n'estoyt sa façon.
Point ne prenoit vin blanc pour se baigner,
Ne drogue encor pour son corps alleger:
Mais s'en alloit esbatre sur l'herbette
Dedans les prez au long de la Viette.
Nourrie estoyt non delicatement,
Les elementz estoyent son aliment,
Car le Soleil qui rend par tout splendeur
La contentoyt, et nourrissoit son cueur,
En luy rendant le devoir de nature,
Contente estoyt de telle nourriture,
Et sa beauté en rien n'amoindrissoit,
Mais au contraire, en beauté reluysoit,
Qui me rendoyt un amoureux desir
D'un jour me veoir pres d'elle a mon plaisir.
Quand je l'eu veüe a mon gré longuement,
Mon cueur d'un feu fut espris vivement
Appercevant la beauté du visage.
Et son parler qui sentoyt son ramage.
Or j'estois là caché pres d'un rocher,
Et ne m'osoys de plus pres approcher,
Car mon esprit estoyt en grand' pensee
Si droit a ell' m'en irois d'arrivee.
Mon cueur me dit, ne te haste d'aller,
Elle pourra de ce roch devaller:
Lors approcher te pourras a l'emblee,
Et a ton gré veoir toute l'assemblee:
Ce que j'ay fait, ayans la patience
En attendant l'heure de joüyssance.
Bien tost apres comme estois en propos
Veoir la Bergere, tout vint bien a propos:
Au Ciel oüy grand' tempeste et tonnerre,
Soudain je vy la Nymphe sur la pierre,
Chantant un chant si haut et amoureux
Qu'esclercir fist le Soleil et les Cieux.
Mon cueur alors commança l'ouverture,
Le sang esmeu domina sur nature.
Me hazardé pour aller droit a elle,
Mais elle eut peur la gentille pucelle,
Et droit s'en va ou estoyent ses compagnes:
Puis je descens tout au pied des montagnes,
En grand' tristesse environ de troys jours
Je fu ainsi sans d'elle avoir secours.
Au bout du temps oüy une musette
Dedans un pré sur la menüe herbette:
Vers le rocher je tourne le visage
Si je verrois les brebis au gagnage.
Lors j'advisé la gentille fillette,
Qui escoutoit le son de la musette:
Vous eussiez veu chascune s'approcher
De ce sonneur: il commance a marcher,
Tousjours sonnant doucement les attire,
Mene la danse, et apres se retire,
Prenant plaisir veoir faire petits saulx
Aux gays Bergiers, dançans bransles nouveaux
Sur la Viette riviere de renom,
Qui en Gastine ha sur toutes le nom:
Ou sont sejour les Serenes facondes,
Et de leur chant resjoüyssent les ondes.
D'oüyr le chant je fuz tant resjoüy
Qu'incontinent mis tristesse en oubly:
Tant fuz joyeux d'entendre leur musique
Que fis clameur du pays magnifique.
Noble pays, qui sur toute la France
Avez produyt des filles d'excellence,
On ne scauroit en aucun jeu de pris
Autres trouver qui emportent le pris:
Soit a chanter, et danser par mesure,
Car ces dons la procedent de Nature.
Je veoy les Roys et Princes estrangers
Estre apprentifz de voz branles legers.
Or ne desplaise au Tybre, ni au Rosne,
Ni au grand Nil, ni aussi a la Saune,
Fleuves qui ont par l'univers grand bruyt,
Car la Viette apporte plus beau fruit:
D'un Symoïs et Xanthe de renom
Nostre Viette ha surmonté le nom:
Digne d'avoir ses sources immortelles,
Puis que ses eaux nourrissent les pucelles.
Or chantez donc, et dansez les fillettes,
Vostre doux chant excede les musettes.
Chere Gastine, avant la mort me donne
Le coup du dart qu'ingrat je t'abandonne.
Donques j'estoy mussé dans les espines
Pour contempler leur façon et leurs mines:
Au coing du roch, au bout de la prairie,
Estois tout coy, pour veoir la bergerie.
Là se prenoit entr'eux tant de soulas
Tant a danser qu'inventer autre' esbas,
Qu'il n'est possible aux vivanx curieux
Plus en avoir, sans le transport des cieux.
Pendant le temps qu'estois en ce plaisir
Voyant la Nymphe ou estoit mon desir,
Vous conteray au long de point en point
Qu'il m'arriva, dont fuz en piteux point.
Ma robbe estoyt de bonnes peaux de Loups,
Qui me venoyt assez mal a propous,
Car un faux Loup ravit une Brebis:
Lors les Bergiers firent de si haux cris
Que j'eu frayeur, et du lieu me depars,
Voicy venir mastins de toutes partz,
Courans au bruyt, et m'ont tranché chemin,
M'ont attrapé, chascun prend son lopin
De mon habit, et l'ont mis a l'envers:
J'advisay lors mes genoux descouvertz,
Dont m'escrié a haute pleine teste,
(Voyant ma robbe ilz me prenoyent pour beste)
Maint' aguillette arrachent de l'eschine,
Qui me causoit faire piteuse mine.
Mais Dieu voulut que la douce fillette
Oüyt mon cry, et court toute seulette,
Et me voyant tout rompu, vint descendre,
Prent sa quenoüille, et ayde a me deffendre:
En elle alors mon cueur fut imprimé,
Et bien joyeux d'estre ainsi delivré,
D'elle m'approche, et pres d'elle rangé
Je me sentis de beaucoup soulagé:
Car le doux vent de sa soüefve haleine
M'amoindrissoit de mes playes la peine.
En souspirant commance a l'ambrasser,
Et doucement son visage baiser,
Vous merciant la gentile fillette
Dont vous m'avez esté amye parfaite.
En cheminant tenoys sa blanche main,
Parlant a moy d'un cueur doux et humain:
En me disant, y sceu priqueu marrie
De vostre anneu, et gronde fascherie,
Igle vouz-ant pardingue foit grand mau,
Que fusiant mors les chiens qui sont ytau.
So vou plaiset de venir chez mon pere
Y vou donray do vin a bonne chere.
Je luy respondz, ma douce et grand' amye
De bien bon cueur humblement vous mercie,
Et pour autant que j'ay fort bon vouloir
De vous aymer et vostre grace avoir
Je vous suply de prandre ce pendant
Du bon du cueur ce mien petit present.
Sur ces propos jettay sur la verdure
Deux beaux anneaux lacez d'une ceinture:
Elle commance adonc a soy cliner,
Et les anneaux en son blanc seing serrer.
Il estoyt temps d'emmener ses aigneaux,
Car desja lors s'en alloyent a troupeaux
De tous costez ses compaignes, si bien
Que n'eumes point de plus parler moyen.
Prenant congé, me presenta la main,
Me promettant revenir lendemain.
Sur cest a-Dieu de moy s'est separee,
Ou la cogneu du dart d'amour frappee,
Car s'en allant, souvent tournoit sa face,
En me disant d'une si bonne grace:
S'ra tou demoin environ de dix houre,
Ne faillé pas de vous trouver a l'houre,
E da bon ser, adé adé vou dy,
Or a-Dieu donc la belle fille aussi.
Lors attendant l'heure de la promesse
Par les bosquetz me pourmenoys sans cesse,
En escoutant le doux chant des oyseaux,
Qui resonnoyent a l'entour des ruisseaux:
Ou je songeois es mignardises vaines
Qu'incessamment font les Dames mondaines,
Pour decevoir leurs maryz et amys
Du deceptif langage d'Amadis,
Ne monstrant rien de leurs corps que la langue,
Langue d'aspic, pour dresser leur harangue,
Et leur fournaise aussi puante que soulfre,
Maudit soyt il qui dira bien du gouffre:
Mais les trouppeaux des Bergieres vivans
Au cler Soleil, et aux cieux reluysans,
Sont a aymer, tant pour leur doux langage,
Que leur banquetz de fruict et de laictage,
Entretenant une beauté certaine,
Et de leur bouche alenant douce haleine.
Lors quand je vy qu'il estoit pres de l'heure,
M'en allay voir des Brebis la demeure,
Sur un coutaut en un petit pasty,
Pres d'un rochier, la Bergiere attendy.
Tantost l'ouy ses brebis erodans,
Qui de sa voix faisoit de plaisans champs:
Car la coustume est ainsi en Gastines,
Quand vont aux champs, de hucher leurs voysines,
Par mesme chant que metz cy en musique,
Rendant joyeux tout cueur melancholique.

Comme les Bergieres erodent leurs Brebis.
[FIGURE]
[NOTATION_MUSICALE] Et o lou valet, o lou valet, lou valet, de re lo.
Lou valet, lou valet, lou valet, la la a a let.
[FIGURE]
Le chant et huchement des Bergieres.
[NOTATION_MUSICALE] Ou, ou, ou, oup, ou, ou, ou, ou, oup.
Apres qu'elle eut son doux chant achevé
D'elle me suys bien pres approché,
L'entretenant de parolle joyeuse,
Luy promettant un jour la faire heureuse.
Elle fut prompte a me prester l'oreille,
Son petit cueur souspirant a merveille.
Lors la prié dans les genetz nous seoir,
Entre nous deux se rangea bon vouloir.


[FIGURE]
Responce de la Bergere compaigne.
[NOTATION_MUSICALE] Ou, ou ou, ou ou ou ou, oup ou oup.

Ja le Soleil longuement eslevé
Le sien chemin avoyt pres qu'achevé.
Lors Cupido nous donna l'avantage
Dans le vert boys tout remply de fueillage.
En un beau lieu feutré d'herbe et de mousse
Va despoüiller des espaules sa trousse:
Et fism' un lict sans plume ne couverte
De douces fleurs, et de fougere verte,
Puis son bel arc bien tendu destendit,
En ce beau lieu son gentil corps tendit
De tout son long, sans point estre contrainte:
Feit son chevet de la verdure peinte.
Lors me sentant si trespres de la belle
Faveur d'amour me va pousser sur elle:
En ce beau lieu fut faicte l'ouverture
Pour accomplir les oeuvres de Nature,
D'une tant douce et tant loyale amour,
Qui ha duré mainte annee et maint jour,
Vivant au boys comme un tresbon hermite,
Au monde n'ha vie plus benedicte.
Je fus ainsi quelque espace de temps
Avec Bergers, me donnant du bon temps,
Qui sont joyeux, et n'ont autre sommeil,
Quand le bruyt court, que trouver le preveil:
Là ou se voit de Gastines les perles,
Plus plaisantes et resjoüyes que Merles,
Tant bien dansans' au son des cornemuses,
En ce plaisir souvent ell' font leurs muses
D'esprit ramage, et cueur en gayeté,
En conspirant toute joyeuseté.
La vous verrez ces jolis bacheliers
Faire gambade, et des saux a miliers,
Jettant oeillade, et aussi regardz maintz,
Dessus les filles, et qui n'en font pas moins.
Voyla comment, sans aymer a moytié,
Les deux amans ont pris leur amytié.
Priant le Dieu de tous vrays amoureux
Qu'ainsi que moy soyent en Gastine heureux.

Fin de l'Adolescence.