[O] La chasse du Cerf. [O]
[FIGURE]
Je suys le Cerf, a cause de ma teste
Par les Grecz fuz Ceratum surnommé,
Car en beauté j'excede toute beste,
Dont a bon droict ilz m'ont ainsi nommé.
Pour le plaisir des Roys je suis donné,
De jour en jour les Veneurs me pourchassent
Par les Forestz: Je suis abandonné
A tous les Chiens qui sans cesse me chassent.
Si du docte Phebus avez commancement
De Venerie, icy traduicte grossement:
Je me suys voulu mettre en toute diligence
Vous en pouvoir donner parfaicte intelligence.
De la vertu et proprieté du Cerf. CHAP. 15.
LON trouve un os dedans le cueur du Cerf, lequel est grandement
profitable contre le tremblement de cueur, principalement aux femmes
grosses.
Autre vertu.
Prenez le vit d'un Cerf, puis le faictes tremper en du vin
aigre l'espace de vingt et quatre heures, et le faictes secher, apres
le mettrez en poudre: et en ferez boire le poix d'un escu, avec de
l'eau de Plantain, a quelque homme ou femme ayant le flux de sang,
incontinent seront guaris.
Autre vertu.
Prenez la teste d'un Cerf, a l'heure qu'elle est demie
revenue, et en sang, et la decouppez par petis loppins, et les mettez
dedans une grande fiole ou matraz de verre. Apres prendrez le just
d'une herbe nommee Croisette, et le just d'une autre herbe, nommee
poyvre d'Espagne, autrement appellee Cassis. Puis vous mettrez le just
de toutes ces herbes là ou sera la teste du Cerf decouppee en petis
loppins, et lutrez et fermerez bien vostre fiole ou matraz par dessus,
laissant reposer toutes voz drogues ensemble l'espace de deux jours.
Cela fait les ferez toutes distiler en un alambic de verre. L'eau qui
en sortira sera merveilleusement bonne contre tous venins, tant de
morsures de serpens, que contre les poisons.
Autre vertu.
La corne du Cerf bruslee et mise en poudre, fait mourir
les vers dedans le corps, et dehors, et chasse les serpens de leurs
fosses et cavernes. La presure et caillon d'un jeune Cerf tué dedans
le ventre de la Biche, remedie a la morsure des serpens.
Autre vertu.
La moelle et le suif du Cerf, sont fort bons contre les
gouttes venues de froides causes, en le faisant fondre, et de ce
frotter les lieux ou sont les douleurs.
Plus le Cerf nous ha fait cognoistre l'herbe du Dictame,
lequel se sentant blessé de quelque fer ou sagette, il s'en va manger
de ladite herbe, qui luy fait sortir le fer du corps, et tout
incontinent reçoit guarison.
Du naturel et subtilité des Cerfz. CHAP. 16.
ISIDORE dit, le Cerf estre le vray contraire du serpent, et
quand il est vieux, decrepit et malade, il s'en va aux fosses et
cavernes des serpens, puis avec les narines souffle et pousse son
haleine dedans, en sorte que par la vertu et force d'icelle il
contraint le serpent de sortir dehors: lequel estant sorty, il le tuë
avec le pied, puis le mange et devore, apres s'en va boire, alors le
venin s'espand par tous les conduitz de son corps: quand il sent le
venin, il se met a courir pour s'eschauffer: bien tost apres il
commance a se vuyder et purger, tellement qu'il ne luy demeure rien
dedans le corps, qui ne sorte par tous les conduitz que nature luy ha
donnez: et par ce moyen se renouvelle et guarist, faisant mutation de
poil.
Quand les Cerfz passent la Mer ou les grandes rivieres, pour aller
en quelques isles ou forestz au rut, ilz se mettent en grand nombre,
et cognoissent entr'eux le plus fort, et meilleur nageur, lequel ilz
font aller devant, puis celuy qui va apres appuye sa teste sur le doz
du premier, et le tiers sur le doz du second, et consequemment font
tous ainsi, jusques au dernier, a fin de se soulager l'un l'autre: et
quand le premier est las, un autre se met en sa place.
Pline dit qu'ilz peuvent nager trente lieues de Mer, et qu'il l'ha
veu par experience en l'isle de Cypre, de laquelle ilz vont
communément en une autre isle nommee Cilice, entre lesquelles y ha
distance trente lieues de Mer, et qu'ilz ont le vent et sentiment du
rut et des forestz, d'une isle a l'autre. Et a la verité j'en
ay veu en des forestz sur la coste de la Mer, estans chassez et forcez
des Chiens, qui se jettoyent dedans la Mer, ou les pescheurs les
tuoyent a dix lieues de la terre.
Le Cerf s'esmerveille et espovante quand il oyt sifler en paume et
hucher: et par experience le pourrez cognoistre: Si vous voyez un Cerf
courir de jour devant vous, et qu'il soyt en pays descouvert, huchez
apres luy, disant, Guare a bas, soudain le verrez revenir droit a
vous, par le doute de la voix qu'il aura ouye. Il ayme a ouyr les
instrumentz, et s'asseure quand il oyt sonner quelque fluste ou autre
doux chant. Le Cerf oyt fort cler quand il ha la teste et les oreilles
levees, mais quand il les ha baissees, il n'oyt point. Quand il est
debout, et qu'il n'ha point d'effroy, il s'esmerveille de tout ce
qu'il voit, et prend plaisir a regarder comme un chartier et sa
charette, ou une beste chargee de quelque chose.
Pline dit qu'on cognoist la vieillesse des Cerfz aux dentz, aux
piedz, et a la teste, comme je le declareray cy apres au jugement du
Cerf. Plus dit que les cors et chevilleures du Cerf multiplient tous
les ans depuis sa premiere teste jusques a ce qu'il ayt sept ans,
apres ilz ne multiplient plus, sinon en grosseur, et ce selon l'ennuy
qu'ilz auront, ou la nourriture. Ilz portent aucunesfois plus,
aucunesfois moins: qui est la raison pourquoy on les juge Cerfz de dix
cors, et autresfois les ont portez.
Plus dit Pline, que la premiere teste que porte un jeune Cerf,
qu'elle est donnee a Nature, et que les quatre elementz prenent
chascun leur portion.
Isidore est d'une autre opinion, disant que le Cerf la fiche et
cache en la terre, de telle sorte qu'on ne la peut trouver: et a la
verité je n'en sceu jamais veoir ne trouver qui fussent cheutes et
muees d'elles-mesmes: toutesfois j'ay veu un homme qui disoit en avoir
veu, je m'en rapporte a ce qui en est.
Le Cerf ha une malice, que s'il releve en une jeune taille,
il va cercher et prendre le vent, pour sentir s'il y ha personne
dedans qui luy nuyse: et si quelque homme prend une petite branche ou
rameau, et qu'il pisse ou crache dessus, puis le planter en la taille,
ou il yra faire son viandy, il ne faudra jamais l'aller sentir, et ne
cuydera plus relever en cest endroit.
Pline dit, que quand le Cerf est forcé des Chiens, son dernier
refuge est aupres des maisons, et a l'homme, auquel il ayme mieux se
rendre que non pas aux Chiens, ayant cognoissance de ses plus
contraires, ce que j'ay veu par experience: qu'il ne soit vray, quand
la Biche veut faire son faon, elle s'oste plus tost de la voye des
Chiens, que de la voye des hommes. Quand la Biche veut concevoir de
son petit faon, elle attend a lever une estoile, appellee Arcture, et
porte huyt ou neuf mois ses faons: lesquelz naïssent communément en
May, combien qu'il en y ha qui naïssent plus tard, selon la nourriture
et aage de la Biche. Il y ha des Biches qui peuvent avoir deux faons
d'une ventree. Avant que la Biche ayt son faon, elle se purge avec une
herbe nommee Tragoncee, puis apres qu'elle ha faonné, elle mange la
peau ou estoyt enveloppé son faon.
Pline dit d'avantage, que si on prenoit la Biche incontinent qu'elle
ha faonné, on trouveroit une pierre dedans son corps, qu'elle ha
mangee pour delivrer plus aysément de ses petis faons, laquelle seroyt
beaucoup requise et profitable pour femmes grosses. Apres que son faon
est grand, elle luy apprend a courir, a saillir, et le pays qu'il faut
qu'il tienne pour se sauver des Chiens. Les Cerfz et Biches peuvent
vivre cent ans, sçelon le dire de Phebus. Combien qu'on trouve par les
anciens hystoriographes, qu'il fut prins un Cerf, ayant un collier au
col, bien troys centz ans apres la mort de Cesar, ou ses armes
estoyent engravees, et y avoyt en escript dedans, CESARUS ME
FECIT. Dont est venu le proverbe Latin, Ceruinos annos
viuere.
Du Rut et Muse des Cerfz. CHAP. 17.
[FIGURE]
LES Cerfz commancent a aller au Rut environ la-my Septembre, et
dure le rut pres de deux moys, et tant plus ilz sont vieux, et plus
sont chaux de la Biche, et mieux aymez, qui est au contraire des
femmes, car elles ayment voluntiers les jeunes. Les vieux Cerfs vont
plus tost au rut que les jeunes, et sont si fiers et orgueilleux, que
jusques a ce qu'ilz ayent accomply leurs amours, les jeunes n'en osent
approcher, pour ce qu'ilz les battent et chassent. Mais les jeunes ont
une grande finesse et malice, qu'alors qu'ilz voyent que les vieux
sont las du rut, et affoiblis de leur force, ilz leur courent sus, et
les tuent ou blessent, leurs faisans abandonner le rut, et a l'heure
sont maistres en leur rang. Les Cerfz se tuent beaucoup plus
tost quand il y ha faute de Biches qu'autrement, car s'il en y ha
grand nombre, ilz se separent et escartent d'un costé et d'autre.
C'est un plaisir de les veoir rere et faire leur muse, par ce que
quand ilz sentent la nature de la Biche, ilz levent le nez en l'air,
regardans en haut, pour remercier Nature de leur avoir donné tel
plaisir. Et s'il y ha quelque grand Cerf, il tournera la teste, et
regardera s'il en y ha un autre qui lui vueille faire ennuy: lors les
jeunes n'estans de son qualibre, luy voyans faire telle mine, se
reculeront de luy, et fuyront. Mais s'il en y ha quelqu'un aussi grand
que luy, ilz commanceront tous deux a rere, et a gratter des piedz en
terre, se choquans l'un contre l'autre, de telle sorte que vous
ouyriez les coups de leurs testes de demye grand'lieue: celuy qui
demeurera maistre chassera l'autre, la Biche regardera ce plaisir sans
bouger de son lieu. Puis celuy qui sera demeuré maistre commancera a
rere ou crier, en se jettant tout de course sur la Biche, pour la
couvrir, et ne luy donnera que trois ou quatre coups de cul, pour le
plus, et bien soudainement. Les Cerfz sont fort aysez a tuer en telle
saison: par ce qu'ils suyvent les voyes et routtes par ou les Biches
auront passé, mettans le nez en terre pour en assentir, sans regarder
ne esventer s'il y ha point quelqu'un caché pour leur nuire. Et vont
aussi tost le jour que la nuict, estants si enragez du rut, qu'ilz
pensent qu'il n'y ayt rien qui leur puisse nuyre. Ilz vivent de peu de
chose, car ilz viandent seulement de ce qu'ilz trouvent devant eux, en
suyvant les routes par ou va la Biche, et principalement de gros
potirons rouges, qui leurs aydent a faire pisser le suif. Ilz sont en
si vehemente chaleur que par tout la ou ilz trouvent des eaux, ilz se
veautrent et couchent dedans, et aucunesfois donnent par despit des
andoilliers en terre. Lon cognoist les vieux Cerfz a les ouyr rere ou
crier, car tant plus ilz ont la voix grosse et tremblante, et plus
doyvent ilz estre vieux: et aussi par la cognoist on s'ilz ont
esté chassez, car s'ilz ont esté courus, et qu'ilz ayent crainte de
quelque chose, ilz mettent la gueule contre terre, et reent bas et
gros, ce que les Cerfz de repos ne font pas, car ils levent la teste
en haut, reans ou braimans hautement sans crainte.
En quelle saison les Cerfz muent, et prenent leur buisson. CHAP.
18.
LES Cerfz muent et jettent leurs testes en Fevrier et Mars, et
communément les vieux Cerfz beaucoup plus tost que les jeunes: mais
s'il en y ha quelqu'un qui ayt esté blessé au rut, ou par autre moyen,
il ne la cuyde pas jetter si tost que les autres, a la raison que
Nature ne luy peut ayder, car toute sa substance et nourriture ne peut
suffire a le guarir et a pousser sa teste, a cause du mal qu'il aura.
Il y ha d'autres Cerfz lesquelz ont perdu leurs dintiers ou couillons
au rut, ou autrement, qui ne muent jamais: car faut entendre que si
vous chastrez un Cerf avant qu'il porte sa teste, il n'en portera
jamais: et au contraire, si vous le chastrez ayant sa teste ou
rameure, jamais elle ne luy tombera. Ne plus ne moins fera il si vous
le chastrez ayant sa teste molle et en sang, car elle demeurera
tousjours ainsi, sans secher ne brunir. {burnir} Cela nous donne a
cognoistre que les couillons ont grande vertu, car bien souvent sont
cause qu'il y ha beaucoup d'hommes qui portent belle rameure sur leur
teste, laquelle ne muë et ne tombe jamais, ainsi soit il de vous
amateurs de mes escriptz.
Quand les Cerfz ont mué et jetté leur teste, ils commancent a leur
retirer, et prendre leur buisson, se recelans et cachans en quelque
beau lieu, pres des gaignages, et de l'eau, sur le bord des champs, a
fin d'aller aux legumes, bledz, et autre viandes. Et devez entendre
que les jeunes Cerfz ne prenent jamais de buysson, qu'ilz n'ayent
porté la troisiesme teste, qui est au quatriesme an, et alors se
peuvent juger Cerfz de dix cors bien jeunement, comme aussi les
Sangliers ne laissent semblablement les compaignees qu'ilz ne vienent
en leur tiers an, pour ce qu'ilz n'ont pas la hardiesse, joint que
leurs armes et deffenses ne sont encores en leur force.
Apres que les Cerfz ont mué, ilz commancent des le moys de Mars et
Avril a pousser les bosses, et comme le Soleil haussera, et que le
viandy croistra et durcira, ne plus ne moins leur teste et venaison
croistront et augmenteront, et des la moitié de Juin leurs testes
seront semees de ce qu'elles doyvent porter toute l'annee, pourveu
qu'ilz soyent en bon pays de gaignages, n'ayans point d'ennuy: et
selon que la saison avancera les gaignages et viandis, leur teste
s'avancera ne plus ne moins.
Pour quelle raison les Cerfz se recelent quand ilz ont mué. CHAP.
19.
LES Cerfz se recelent pour beaucoup de raisons, dont la
premiere est, pour ce qu'ilz sont maigres et foibles, a cause de
l'hyver, n'ayans la force de leur pouvoir deffendre: et aussi qu'ilz
commancent a trouver dequoy vivre, a lheure prenent leur repos pour
refaire leur chair. L'autre raison est, qu'ilz ont perdu leurs armes
et deffenses, qui sont leurs testes, et ne s'osent monstrer, tant pour
la crainte des bestes, que pour la honte qu'ilz ont d'avoir perdu leur
force et beauté. Et verrez par experience que s'il y ha quelques Cerfz
en un gaignage ayans mué, si les Pies ou Grolles les agaçent et
decelent, ilz retourneront incontinent a leur fort pour se cacher, de
la honte et crainte qu'ilz auront. Et notez qu'ilz ne laisseront leur
buisson, si on ne leur fait de grans ennuytz, qu'il ne soyt a la fin
du moys d'Aoust, qu'ilz commanceront a leur eschauffer, et se soucier
des Biches.
Quand ilz voyent que leurs testes commancent a secher, qui est
environ le vingt et deuxiesme de Juillet, ilz se decelent, allans aux
arbres frayer, et faire tomber leurs lambeaux: apres avoir frayé ilz
se brunissent leurs testes, les uns aux charbonnieres, les autres en
l'ardille, terre rouge, et autres lieux commodes a eux pour ce faire.
Les uns portent les testes rouges, les autres noires, les autres
blanches. Toutes ces peinctures procedent de nature, et non d'autre
chose, car il seroit fort difficile que la poudre des charbonnieres,
n'autre chose, leur puisse donner peincture. Les testes rouges vienent
volontiers plus grosses et plus belles que les autres, car elles sont
communément plus pleines de moelle, et plus legieres: les testes
noires sont plus pesantes, et n'y ha pas tant de moelle: les blanches
sont les pires, et plus mal nourries. J'ay sceu tout cecy par
l'experience des arbalestiers, et haquebutiers, qui en mettent souvent
en euvre: lesquelz m'ont dit que les plus petites testes noires qui
vienent de l'Escosse sauvage, qu'on apporte en grand nombre vendre a
la Rochelle, sont beaucoup plus pesantes et massives que celles que
nous avons en ce pays de France,a car elles n'ont pas tant de moelle.
Combien qu'il y ha une forest en Poictou, appellee la forest de
Merevant, en laquelle les Cerfz portent de petites testes basses et
noires, n'ayans que bien peu de moelle, et sont presque semblables a
celles d'Irlande. Il y ha une autre forest a quatre lieues de là,
nommee Chisay, en laquelle les Cerfz portent leurs testes au
contraire, car ilz les portent grandes, rouges, et pleines de moelle,
et sont fort legieres quand elles sont seches. J'ay bien voulu
alleguer toutes ces choses icy, pour donner a entendre que les Cerfz
portent leurs testes selon les pays et gaignages là ou ilz sont
nourris, car la forest de Merevant est toute en montaignes, vallees,
et baricaves, là ou leurs viandes sont arres, et aigres, et de peu de
substance: au contraire la forest de Chisay est en pays de pleine,
environnee de tous bons gaignages, comme bledz, et legumes, dequoy ilz
prenent bonne nourriture, qui est la cause pourquoy leurs
testes vienent si belles et bien nees.
Du pelage des Cerfz. CHAP. 20.
[FIGURE]
NOUS avons trois sortes de pelages de Cerfz, scavoir est,
Bruns, Fauves, et Rouges, et de chascun pelage vienent deux espece de
Cerfz, dont les uns sont grans, les autres petis.
Premierement des Cerfz bruns, il en y ha qui sont grans, longs et
esclames, lesquelz portent leurs testes fort hautes, de couleur rouge,
belles et bien nees, qui courent volontiers longuement, car tous Cerfz
longs ont meilleur corps, et plus longue haleine que les courtz.
L'autre espece de bruns, sont petis Cerfz trappes et courtz,
lesquelz portent communément du poil noir sur le col, comme
crin, et se chargent de meilleure venaison et plus friande que ne font
pas les autres, a cause qu'ilz hantent plus communément les tailles
que les fustayes. Ce sont Cerfz malicieux, qui se recelent sur eux,
par ce que quand ilz sont en leur venaison, ilz ont crainte qu'on les
trouve, d'autant qu'ilz n'ont pas corps pour courir longuement. Aussi
ont ilz leurs allures fort courtes, et portent leurs testes basses et
ouvertes. Et s'ilz sont vieux Cerfz nourriz en bon pays de gaignages,
ilz ont leurs testes noires, belles et bien semees, et portent
communément la paumure a mont. Les autres Cerfz de pelages fauve,
portent leurs testes hautes, et de couleur blanche, desquelles les
perches en sont deliees, et les andoilliers longs, gresles, et mal
nourris, principalement ceux qui sont du pelage fauve tirant sur le
blanc palle, aussi n'ont ilz point de cueur ne de force: mais ceux qui
sont de pelage fauve vif, ausquelz on trouve le plus souvent une
petite raye brune sur l'eschine, et les jambes de mesme pelage, estans
longs et esclames, telle espece de Cerfz sont fort vigoureux, portans
belles testes, hautes, bien nourries, bien perlees, et tous autres
signes que je declareray cy apres. Les Cerfz portans le pelage rouge
et vif, sont communément jeunes Cerfz: telle sorte de pelage ne doit
point resjouyr les piqueurs, par ce qu'ilz courent longuement et de
grand' haleine.
Des testes ou rameures des Cerfz, et de la diversité d'icelles.
CHAP. 21.
LES Cerfz portent leurs testes en diverses manieres. Les uns
bien nees, les autres mal ordonnees, et mal nourries, d'autres
contrefaites, selon l'aage, le pays, ennuy et nourriture qu'ilz ont.
Et faut noter qu'ilz ne portent leurs premieres testes, que nous
appellons les dagues, sinon a leur deuxiesme an. A leur tiers
an, ilz doyvent porter quatre, six, ou huyt cornettes. A leur quart
an, ilz en portent huyt ou dix. A leur cinquiesme an, ilz en portent
dix ou douze. A leur sixiesme an, ilz en portent douze, quatorze, ou
seze. Et au septiesme an, leurs testes sont marquees et semees de tout
ce qu'elles porteront jamais, et ne multipliront plus sinon en
grosseur, et selon les viandes et ennuys qu'ilz auront apres les sept
ans accomplis, ilz marqueront leurs testes, tantost plus, tantost
moins: combien qu'on cognoistra tousjours les vieux Cerfz aux signes
qui s'ensuyvent.
Premierement, quand ilz ont le tour de la meule large, et gros, bien
pierré, et pres du suc de la teste.
Secondement, quand ilz ont la perche grosse, bien brunie, et bien
perlee, estant droicte, sans estre tiree des andoilliers.
Tiercement, quand ilz ont les goutieres grandes et larges. En apres
si le premier andoiller (que Phebus nomme antoiller) est gros, long,
et pres de la meule, le surandoillier assez pres du premier, lequel se
doyt eslargir un peu plus au dehors de la perche, que non pas le
premier, toutesfois qu'il ne doyt pas estre si long, et faut qu'ilz
soyent bien perlez, tout cela signiffie la vieillesse d'un Cerf. Aussi
les autres chevilleures ou cors qui sont au dessus, bien rangez et
bien nez, selon la forme de la teste, et la trocheure, paumure, ou
courronneure grosse et large, selon la grandeur et grosseur de la
perche, font jugement d'un vieux Cerf. Si les espois qui sont sommez
dessus doublent ensemble en la couronneure ou paumure, c'est signe
d'un grand vieux Cerf. Aussi quand les Cerfz ont les testes larges et
ouvertes, cela les signiffie plus communément vieux, que non pas quand
ilz les ont rouees. Et pource que plusieurs ne pourroyent entendre les
noms et diversitez des testes, selon les termes de Venerie, j'ay bien
voulu les depeindre et pourtraire icy, avec de petis escriteaux, pour
specifier les noms de chascun article cy dessus mentionné.
[FIGURE]
A / B / C / D / D / E
Ce qui porte les andoilliers, chevilleures et espois, se doyt
nommer perche: et les petites fentes qui sont du long de la perche, se
nomment goutieres.
Ce qui est sur la crouste de la perche se nomme perleure, mais ce
qui est autour de la meule en forme de petites pierres, pierreure,
plus grosses que les autres.
A. Cecy se doyt appeller meule, et ce qui est autour de la
meule, pierreure. {pierrerie}
B. Ce premier cors se nomme andoiller.
C. Le second, surandoiller.
D. Tous ceux qui viennent apres jusques a la couronneure, paumure,
ou trocheure se doyvent nommer cors ou chevilleures.
E. Ces cors qui sont a la sommité de la perche, se doyvent nommer
Espois.
Cette teste se doyt appeller teste couronnee, parce que les espois
qui sont plantez en la sommité de la perche, sont rangez en forme de
couronne: combien qu'on n'en veoyt que bien peu en France, si elles ne
viennent d'Alemaigne, ou du pays des Moscovites.
[FIGURE]
J'ay descrit a la teste couronnee comme se doyvent appeller les cors
de toutes testes.
Cette teste se doyt nommer paumee, par ce que les espois, qui
sont plantez en la sommité de la perche, sont rangez en la forme d'une
main d'homme, a ceste cause on l'appelle paumure.
[FIGURE]
Toutes testes ne portans que quatre et troys, les espois estans
plantez en la sommité, tous d'une hauteur, en la forme d'une trochee
de poires ou de nouzilles, se doyvent nommer teste portant trocheures.
[FIGURE]
Toutes testes portans deux amons, ou que les espois doublent,
en la maniere qu'ilz sont icy pourtraitz, elles se doyvent nommer
teste en fourchie, d'autant que les espois sont plantez en la sommité
de la perche en forme d'une fourche.
[FIGURE]
Toutes testes qui doublent meules, ou qui ont les andoilliers,
chevilleures ou espois renversez au contraire des autres testes, comme
pourrez veoir par ceste presente pourtraicture, ou en autre façon, se
doyvent nommer testes.
[O] Le blason du Veneur. [O]
[FIGURE]
JE suys Veneur, qui me leve matin,
Prens ma bouteille, et l'emplis de bon vin,
Beuvant deux coups en toute diligence,
Pour cheminer en plus grande asseurance:
Mettant le traict au col de mon Limier,
Pour aux forestz le Cerf aller chercher:
Et en questant aux cernes des gaignages
Souvent entends des oyseaux les ramages.
Tenant mon Chien je prens fort grand plaisir,
Quand je cognois que du Cerf ha desir.
Et puis trouvant la fillette en l'enceincte
Mon art permet la besongner sans feincte:
Apres qu'auray troys coups fait le devoir,
Et destourné le Cerf a mon pouvoir,
A l'assenblee alors faut retourner
Pour mon rapport froidement racompter,
Donnant salut au Princes et Seigneurs,
Et les fumees monstrans aux cognoisseurs.
Lors de bon vin soudain on me presente,
Car c'est le droit de l'art qui le commande.
Apres disner m'envoys incontinent
A ma brisee, mon maistre entretenant.
Puis sur les voyes mon Chien se fait entendre
Allant lancer le Cerf hors de sa chambre.
Donc ne desplaise aux Fauconniers verreurs
Leur estat n'est approchant des Veneurs.
Des cognoissances et jugementz que le Veneur doyt entendre et
scavoir pour cognoistre les vieux Cerfz.
Le jugement du pied. Le jugement des fumees. Le jugement
des portees. Le jugement des allures. Le jugement des abatures et
fouleures. Le jugement des frayouers. Lesquelz je specifiray cy apres
par chapitres, commançant au jugement du pied.
Du jugement et cognoissance du pied ou foys du Cerf. CHAP. 22.
[FIGURE]
LES vieux Cerfz ont communément les cognoissances qui
s'ensuyent. Premierement, il faut regarder a la sole du pied, laquelle
doyt estre grande et large. Et notez que s'il y ha deux Cerfz
ensemble, dont l'un ayt le pied long, et l'autre rond, et que les
signes et jugementz de tous deux soyent de mesme grosseur et grandeur,
si est ce que le pied long se doyt tousjours juger plus Cerf que le
pied rond, car il n'y ha point de faute que le corsage n'en soit plus
grand que de l'autre. Plus faut regarder au talon, lequel doyt estre
gros et large, et la petite comblette ou fente, qui est par le
meillieu d'iceluy, qui fait la separation des deux costez, doyt
estre large et ouverte, la jambe large, les os gros, courtz, et point
tranchantz, la pince ronde et grosse. Communément les grands vieux
Cerfz sont bas joinctez, et ne se faux-marchent jamais, par ce que les
nerfz qui tiennent les joinctures des ongles sont renforcez, et
tienent coup a la pesanteur du corps: ce que ne font pas aux jeunes
Cerfz, car les joinctures et nerfz qui tienent leurs ongles sont
foibles, n'estans encores en leur force, lesquelz ne peuvent supporter
la pesanteur du corps, tellement qu'il faut que l'ongle varie et
faux-marche, a ceste cause ilz se doyvent juger jeunes Cerfz. Plus les
vieux Cerfz en leurs allures ne passent jamais le pied de derriere
outre celuy de devant, mais demeure apres de quatre doigtz pour le
moins: ce que ne font pas les jeunes Cerfz, car en leurs allures le
pied de derriere outrepasse celuy de devant, comme fait une Mule qui
va l'amble.
Cerfz ayans le pied creux, pourveu que tous autres bons signes y
soyent, se peuvent juger vieux Cerfz Ceux qui ont haut et mol pas, en
lieu ou il n'y ayt gueres de pierres, se jugent par la estre
vigoureux, n'ayans gueres esté chassez ne courus. Il faut icy entendre
qu'il y ha grand' difference entre les cognoissances du pied des
Biches, et du pied des Cerfz: toutesfois quand les Biches sont
pleines, un jeune Veneur s'y pourroit bien tromper, par ce qu'elles
ouvrent les ongles, a cause de leur pesanteur, comme fait un Cerf,
mais si est-ce que les cognoissances en sont bien apparentes: car si
vous regardez le talon d'une Biche, vous trouverrez qu'il n'est si
jeune Cerf, portant sa seconde teste, qui ne l'ayt plus gros et plus
large qu'elle n'ha pas, et les os plus gros: aussi elles ont
communément le pied long, estroit, et creux, avec de petis os
tranchantz. Autrement vous pourrez juger les Biches aux viandis, par
ce qu'elles viandent gourmandement, couplant le boys rond comme fait
un Beuf: et au contraire, le Cerf de dix cors le prend delicatement,
en l'eruçant pour en avoir la liqueur la plus douce et tendre
qu'il peut.
Et si faut que le Veneur entende un secret, c'est que quand il sera
aux boys, et qu'il vient a rencontrer d'un Cerf, premierement doyt
regarder quel pied c'est, s'il est usé ou tranchant, apres qu'il
regarde le pays, et la forest là ou il sera, car il pourra presumer en
luymesmes, si c'est a l'occasion du pays ou autrement: par ce que
communément les Cerfz nourris aux montaignes et pays pierreux ont les
pinces et les tranchans ou costez du pied fort usez: la raison est,
qu'en montant sur les montaignes et rochiers, ilz n'appuyent que de la
pince ou des costez du pied, et non du talon, lesquelles pinces les
rochiers et pierres usent incessamment, et par ainsi se pourroyent
paraventure juger plus vieux Cerfz qu'ilz ne seroyent. Les Cerfz font
au contraire en pays sablonneux, car ilz appuyent plus du talon que
des pinces: la raison est, qu'en appuyant du pied sur le sable, il
fuyt et coule de dessoubz la pince, a cause de la pesanteur, car
l'ongle qui est dur le fait glisser, et alors est contraint le Cerf de
se supporter et appuyer sur le talon, qui est aucunes-fois l'occasion
de le faire croistre et eslargir. Tous ces signes sont les vrays
jugemens et cognoissances que le Veneur doyt sçavoir et entendre du
pied du Cerf. J'eusse bien declairé aux apprentifz que c'est que de la
pince, des os, et autres choses, mais je voy qu'aujourd'huy il en y ha
tant qui l'entendent, que je m'en tais a cause de breveté.
Du jugement et cognoissance des fumees des Cerfz de dix cors, et des
vieux Cerfz. CHAP. 23.
[FIGURE]
C / B / A
A. Fumees formees.
B. Fumees en torches.
C. Fumees en plateaux.
C. AU MOYS d'Avril et May on commance a juger les vieux Cerfz par
les fumees, lesquelles ilz jettent en plateaux, et s'ilz sont larges,
gros, et espois, c'est signe qu'ilz sont Cerfz de dix cors.
B. Aux moys de Juing et Juillet, ilz doivent jetter leurs
fumees en grosses torches bien molles: toutesfois il y en ha quelques
uns qui les jettent encores en plateaux jusques a la mi-Juing.
A. Et depuis la mi-Juillet jusques a la fin d'Aoust, ilz doyvent
jetter leurs fumees toutes formees, grosses, longues et nouees, bien
martelees, ointes ou dorees, n'en laissant tomber que bien peu:
lesquelles ilz doyvent semer sans estre entees, et avoir des piquons
au bout, et faut regarder si elles sont bien moulues, et si le Cerf ha
este au grain.
Voyla les cognoissances par les fumees des Cerfz de dix cors, et
vieux Cerfz: combien qu'ilz se peuvent mes-juger bien souvent, car si
les Cerfz ont heu quelques ennuytz, ou qu'ilz soyent blessez ou hoyez,
alors ilz jettent volontiers leurs fumees arses et aguillonnees, par
l'un des boutz, principalement au frayoüer: mais apres qu'ilz auront
esté frayez et bruniz, leurs fumees revienent en leur naturel. En tel
cas le Veneur y doyt bien regarder, par ce que le jugement en est
douteux. En Septembre et Octobre, il n'y ha plus de jugement a cause
du rut.
Et faut entendre qu'il y ha difference entre les fumees du relevé du
soir, et celles du matin: par ce que les fumees du relevé du soir sont
mieux moulues et digerees que celles du matin, a cause que le Cerf ha
fait son repos tout le jour, et heu temps et repos de faire son runge,
et digerer son viandis: au contraire est des fumees du matin, car
elles ne sont si bien digerees ou moulues, a cause de l'exercice sans
repos qu'ilz font la nuict en viandant.
Du jugement des portees. CHAP. 24.
LE VENEUR peut avoir jugement et cognoissance de la teste des
Cerfz, toute l'annee, par les portees, exceptez quatre moys, qui sont
Mars, Avril, May, et Juing, auquel temps ilz muent, et ont leur teste
molle et en sang, et n'y ha en icelle saison grand jugement. Mais lors
que leurs testes commancent a durcir, il y ha jugement par les
portees, jusques a ce qu'ilz ayent mué. Par ce qu'en entrant dedans
les forts, ilz levent leurs testes sans craindre de heurter, et
tourner les branches, et par là le Veneur en peut avoir cognoissance.
Mais quand les Cerfz ont leurs testes molles, et en sang, ilz sont de
peu de jugement, d'autant qu'ilz les couchent sur leur eschine, de
peur de les heurter aux branches, et les blesser. Quand le Veneur
verra que les Cerfz auront la teste endurcie, et qu'ilz se pourront
juger par les portees, il faut qu'il regarde aux entrees des fortz,
par ou ilz se rembuschent, et principalement dedans les grandes
tailles, qui n'auront esté coupees de huyt ou dix ans, ausquelles il
verra, par les routes ou les Cerfz passent, les branches tournees et
heurtees des deux costez, et en regardant la largeur de la teste, il
pourra juger si elle est bien ouverte Et s'il y ha quelque endroit de
boys cler, ou le Cerf auroit levé la teste en son entier, ou bien
qu'il se fust arresté pour escouter (car volontiers quand les Cerfz
veulent ouyr, ilz levent la teste et les oreilles) alors il pourroit
heurter du bout des espois a quelques petites branches seches, qu'il
auroyt rompues, par lesquelles, et autres marques, le Veneur pourra
juger la longueur et hauteur de la perche et teste des Cerfz.
Du jugement des alleures. CHAP. 25.
PAR les alleures, le Veneur pourra cognoistre si le Cerf est
grand et long, et s'il courra longuement devant les Chiens. Car tous
Cerfz ayant les alleures longues, courent plus longuement que ceux qui
ont les allures courtes, et sont plus vistes, plus legiers, et de
meilleure haleine. Aussi les Cerfz ayans de grandes cognoissances aux
piedz de devant, ne courent pas volontiers longuement devant les
Chiens: le Veneur peut cognoistre par ces signes la force des Cerfz,
et garder l'avantage des Chiens. Aussi les Cerfz ayans le pied long,
ont le corsage plus grand que ceux qui l'ont rond.
Du jugement des abateures et fouleures. CHAP. 26.
SI VOULEZ cognoistre si un Cerf est haut sur jambes,
semblablement la grosseur et espesseur de son corps, il faut regarder
l'endroit par ou il entre au fort, es fougeres, et menuz boys,
lesquelz il aura laissez entre ses jambes: sçavoir de quelle hauteur
il les aura abbatus avec le ventre, alors cognoistrez s'il est haut
sur jambes. La grosseur se cognoist aux deux costez, là ou son corps
aura touché, car il y aura brisé et rompu les branches seches des deux
costez, et par la pourrez mesurer sa grosseur.
Le jugement du frayouer. CHAP. 27.
[FIGURE]
COMMUNEMENT les vieux Cerfz font leur frayoüer aux jeunes
arbres qu'on laisse dedans les tailles, et tant plus les Cerfz sont
vieux et plus tost vont frayer, et a plus gros arbres, lesquelz ilz ne
pourront plier avec leurs testes. Et quand le Veneur trouvera le
frayoüer, il doyt regarder la hauteur ou les boutz de la trocheure ou
paumure auront touché, et là ou les branches seront heurtees et
rompues, alors cognoistra la hauteur de sa teste. Et s'il veoit qu'il
y ayt au plus haut du frayoüer quatre branches heurtees au coup, et
d'une hauteur, c'est signe que le Cerf peut porter sa teste en
trocheure ou couronneure. Pareillement si le Veneur veoit que
troys andoillers ayent touché a troys branches d'une hauteur, et qu'il
y en ayt deux qui ayent touché plus bas, c'est signe qu'il porte
paumeure. Combien que ces signes soyent fort obscurs, et qu'ils
requierent avoir l'oeil bon pour en avoir cognoissance par les petites
branches et fueilles: toutesfois vous apprendrez que les vieux Cerfz
font bien des hardouers aux petis arbres, comme aux saules noirs, et
autres semblables, aussi bien que les jeunes Cerfz: mais les jeunes ne
vont jamais frayer aux grosses arbres, s'ilz ne sont Cerfz de dix
cors. Je n'en declareray autre chose, par autant qu'il y ha d'autres
plus certains signes et jugemens cy dessus mentionnez.
Comme le Veneur doyt chercher les Cerfz aux gaignages selon les moys
et saisons. CHAP. 28.
[FIGURE]
JE DONNERAY icy intelligence a tous Veneurs, menans le Limier
au boys, comme ilz se doyvent gouverner sçelon les moys et saisons,
car les Cerfz changent de viandis tous les moys: et tout ainsi que le
Soleil hausse, et que les viandis croissent, ilz font mutation de
gaignage.
Premierement je commenceray a la sortie du rut, qui est a la fin du
moys d'Octobre, poursuyvant de moys en moys jusques au moys de
Septembre.
A ceste cause au moys de Novembre faut chercher les Cerfz aux
brandes et bruyeres, desquelles ilz vont viander les poinctes et
fleurs, par ce qu'elles sont chaudes, et de grande substance, qui les
remet en nature, et reconforte leurs membres, qui sont travaillez du
rut, et font leur demeure aucunesfois en ces brandes, et bruyeres,
principalement quand le Soleil rend chaleur.
En Decembre ilz se mettent en hardes, et se retirent au profond des
forestz pour avoir l'abry des ventz froidz, neges, et verglaz, et vont
faire leurs viandis aux houssieres, aux fueilles de la ronce, et du
suz, et autres choses qu'ilz peuvent trouver. Et s'il nege, ilz
viandent la poincte de la mousse, et pelent le boys tout ainsi que
fait une Chievre.
En Janvier ilz laissent les hardes des meschantes bestes, et
s'accompaignent troys ou quatre Cerfz ensemble, en se retirans aux
ailes des forestz, et vont aux gaignages aux bledz vers, comme
seigles, et leurs semblables.
En Fevrier et Mars ilz vont aux viandis aux chatons des saules et
coudres, aux bledz vers, et dedans les prez au cochet, et aux boutons
du mort boys, comme chevrefueil, bouleaux, et leurs semblables. En ces
moys la, ilz muent et jettent leurs testes, commançans a regarder le
pays le plus commode pour prendre leurs buyssons, et refaire leurs
testes, et lors se departent d'ensemble.
En Avril et May ilz sont repos en leurs buyssons, ausquelz
ilz demeurent pour toute la saison, et n'en bougeront jusques au
commancement du rut, si on ne leur fait de grans ennuys, se recelans
pres de quelques petites tailles desrobbees, esquelles y aura force
boys de bourdaine, ou ilz iront faire leurs viandis, semblablement aux
poys, febves, jarrousses, vesce, et autres legumes qu'ilz pourront
trouver aupres d'eux, et feront bien peu de pays. Aucuns Cerfz y ha
qui viandent sur eux, ne sortans que de deux jours en deux jours hors
de leur buysson, pour aller aux gaignages. Et notez qu'il y ha des
Cerfz si malicieux qu'ilz font deux buyssons, et quand ils ont esté
troys jours en un costé de la forest, ilz s'en vont troys jours en un
autre buysson d'un autre costé: ce sont Cerfz qui ont heu ennuy en
leurs viandis, lesquelz changent de buysson quand le vent tourne pour
avoir sentiment a la sortie de leur fort de ce qui est en leurs
gaignages. Et faut entendre qu'en ces moys d'Avril et May, ilz ne vont
point a l'eau, a cause de l'humidité de la taille, et de l'esgail qui
leur donne suffisance.
En Juin, Juillet, et Aoust, ilz vont aux tailles, comme dessus, et
aux grains, comme froumens, avoynes, seigles, orges, et autres choses
qu'ilz peuvent trouver, et a l'heure sont en leur grande venaison. Et
quelque chose qu'on vueille dire, ils vont a l'eau, et les ay veu
boire, mais c'est plus communément en ceste saison qu'en autre, a
cause des grains secz qui les alterent: et aussi de la vehemente
chaleur et secheresse qui oste l'esgail et humidité du boys, lequel
commance a durcir.
En Septembre et Octobre ilz laissent leurs buyssons et vont au rut,
a ceste heure la ilz n'ont point de repos ne de viandis certain, comme
j'ay declairé cy dessus au chapitre du rut.
Comme le Veneur doyt aller en queste aux tailles avec le Limier.
CHAP. 29.
[FIGURE]
INCONTINANT apres soupper, le Veneur doyt aller a la chambre de
son maistre, et s'il est au Roy, faut qu'il aille a la chambre du
lieutenant de la Venerie, pour scavoir en quel lieu on depart les
questes, a fin de demander la sienne. Ce fait, s'en doyt aller
coucher, pour se lever matin, sçelon la saison et temps qu'il fera, et
le lieu ou il voudra aller au boys. Puis quand il sera prest, faut
qu'il boyve le coup, et aille querir son Chien pour le faire
desjeuner, et n'oublier a emplir sa bouteille de bon vin. Cela fait,
il prendra du vinaigre dedans le creux de sa main, et le mettra aux
nazeaux de son Chien, pour les luy destoupper, a fin qu'il ayt
meilleur sentiment. Alors s'en ira aux boys, et si d'avanture il
trouvoit en allant quelque Lievre, Perdrix, ou autre oyseau ou beste
couarde, vivant du grat et pasture, c'est mauvais presage pour luy:
mais s'il rencontre quelque beste ou oyseau magiques, vivant de chair,
comme Loups, Regnards, Corbeaux, et leurs semblables, c'est fort bon
augure pour luy. Faut bien qu'il se garde d'arriver trop matin aux
tailles, et gettes là ou il pensera que les Cerfz relevent et facent
leur viandy, car les Cerfz de repos font volontiers leur ressuy dedans
la taille: et encores qu'ilz soyent retirez en leur fort, s'ilz sont
Cerfz malicieux, ilz retournent aucunesfois au bort de la taille, pour
veoir s'ilz orront ou verront rien qui leur puisse nuyre. Et si de
fortune ilz avoyent le vent du Veneur, et de son Limier, ilz se
pourroyent desbucher de leurs demeures, et aller en d'autres,
principalement a la haute saison. Lors que le Veneur verra qu'il sera
heure de se mettre en queste, il faut qu'il mette son Chien devant
luy, et prene le devant des tailles ou des fortz. Et s'il vient a
rencontrer d'un Cerf qui luy plaise, il doyt bien regarder s'il va de
bon temps ou non: et le pourra cognoistre, tant a la façon de faire de
son Chien, qu'a son oeil. Car en regardant les routes ou voyes par ou
le Cerf passe, il verra souventesfois l'esgail abbatu, ou les foulees
fraisches, ou bien la terre en la forme du pied enlevee de frais, et
autres jugementz par lesquelz pourra cognoistre que le Cerf va de bon
temps. Et ne faut pas qu'il s'arreste a un tas de resveurs, qui disent
que quand on trouve des arantelles dedans la forme du pied du Cerf,
que c'est signe qu'il va de hautes erres. Telle maniere de gens y
seroit souventesfois trompee: car incessament les arantelles tombent
du Ciel, et ne sont point filees des araignees. Ce que j'ay veu par
experience d'un Cerf qui passoit a cent pas pres de moy, là ou j'allay
soudainement veoir, je n'y sceu jamais estre a temps que les
filandres ou arantelles ne fussent tombees dedans la forme du pied. Il
y ha encores une autre chose la ou ilz s'amusent, qui me semble estre
de peu de valeur. C'est que quand ilz voyent l'eau clere dedans le
pied, es lieux molz là ou le Cerf aura passé, ilz disent estre signe
qu'il va aussi de hautes erres, sans avoir regard si les terres sont
abbrevees d'eau ou non: si est ce qu'ilz peuvent bien penser que si
elles sont abbrevees, les petites sources qui passent par les venes et
conduitz d'icelle terre remplissent d'eau la forme du pied, et
l'esclercissent {l'sclercissent} soudainement. Qui sont les causes
pourquoy le Veneur y doyt bien regarder, et ne s'amuser du tout a son
Chien, car il y en ha qui trompent souvent leurs maistres, et
principalement les Chiens de haut nez: lesquelz ne valent gueres pour
le matin a cause de l'esgail, et a telle heure tirent fort laschement,
faisant peu de compte des voyes, comme si ung Cerf alloit devant eux
de hautes erres. Mais quand le Soleil ha donné dessus, et qu'il ha
attiré le sentiment de la terre, l'esgail estant tombé, a l'heure ilz
ont bon nez et font bien leur devoir.
Pour revenir donc a nostre premier propos, Si le Veneur rencontre
d'un Cerf qui luy plaise, allant de bon temps devant luy, et que son
Chien le desire bien, il le doyt tenir de court, de peur qu'il
caquette, et aussi qu'un Chien suyt mieux au matin, estant tenu de
court qu'autrement: combien qu'il y ha des Veneurs qui leur donnent la
longueur du traict, ce qu'ilz ne doyvent faire. Apres qu'il aura reveu
quel Cerf c'est, et quelles {qu'elles} cognoissances il ha, faut qu'il
le rende au couvert, et le rembuscher s'il peut, en revoyant toutes
les cognoissances, tant du pied que des portees, et foulees. Ce fait,
faut qu'il jette ses brisees, l'une haute et l'autre basse, comme
l'art le requiert. Et tout soudain, tandis que son Chien est
eschauffé, il doyt prendre ses devans, et faire ses enceinctes deux ou
troys fois: l'une par les grandz chemins et voyes, a fin de s'ayder de
son oeil: l'autre par le couvert de, peur que son Chien le suraille,
car il aura tousjours meilleur sentiment par le couvert que par
les voyes et chemins. Et s'il ne trouvoit le Cerf sorty de son
enceincte, et qu'il mescree avoir bien destourné, il s'en doyt aller a
sa brisee, et prendre le contrepied pour lever les fumees, tant du
relevé du soir que du matin, en regardant le lieu ou il ha fait son
viandy, et dequoy: aussi pour veoir ses ruzes et malices, car par ses
ruzes le Veneur pourra cognoistre ce qu'il fera estant devant les
Chiens: par ce que si au matin il fait ses ruzes en l'eau, ou bien
dedans les chemins, quand il sera laissé courre devant les Chiens,
toutes les ruzes qu'il fera seront en mesmes lieux, et semblables a
celles qu'il aura faictes au matin. Et par la le Veneur pourra garder
l'avantage des Chiens, et des piqueurs. Que si d'avanture le Veneur
trouvoit deux ou troys entrees, et autant de sorties, il doyt bien
regarder laquelle entree l'emporte allant de meilleur temps, et si les
sorties ne sont point de la nuict: par ce qu'un Cerf sort et entre
plusieurs-fois la nuict dedans son fort: ou bien, si c'est un Cerf
malicieux, il pourra faire de grandes ruzes, allant et revenant sur
luy plusieurs-fois: lors si le Veneur ne pouvoit venir a bout de
toutes ces sorties, et entrees, ne sachant laquelle de toutes le
pourroit emporter, il faut qu'a l'heure il prene ses cernes et
enceinctes plus grandes, et enfermer dedans toutes ses ruzes, entrees,
et sorties. Puis quand il verra que le tout demeure en son enceincte,
excepté seulement une entree par laquelle il pourroit estre venu des
tailles ou gaignages, a l'heure faut qu'il mette son Chien dessus, et
le face, s'il est possible, faulcer jusques au fort, car il faut
presumer que ces voyes l'emportent. Et en ceste maniere se doyvent
destourner les Cerfz, non pas comme font les Veneurs du jourd'huy, car
depuis qu'ilz voyent qu'ilz ne peuvent venir a bout d'un Cerf, ilz se
mettent a fouler les fortz pour le lancer, qui est souventesfois cause
qu'ilz ne trouvent rien en leurs enceinctes. Il y en ha quelques uns
qui se fient en leurs Chiens, et quand ilz rencontrent d'un
Cerf, ilz le brisent seulement a l'entree du fort, et s'en vont au
dessoubz du vent, et si leurs Chiens en veulent au vent, ilz ne font
point d'enceincte, mais se contentent de cela: telle sorte de gens se
fient plus en leurs Chiens qu'en leur oeil. Et me semble qu'un bon
Veneur ne doyt jamais faire cas d'un Chien qui en desire au vent, par
ce qu'il ne met jamais le nez a terre, qui est cause qu'il trompe bien
souvent son maistre.
Comme le Veneur doyt aller en queste aux tailles ou gaignages, pour
veoir le Cerf a veue. CHAP. 30.
[FIGURE]
LE VENEUR doyt regarder le soir avant, en quel pays les Cerfz
relevent: et si c'est dedans les tailles, il faut qu'il regarde par
quel lieu il pourra venir le lendemain a bon vent: et aussi qu'il
choisisse quelque bel arbre sur le bort de la taille, de
laquelle il pourra veoir a son aise toutes les bestes qui seront
dedans. Le lendemain se doyt lever deux heures avant jour, et aller au
boys: puis quand il sera arrivé pres des demeures, faut qu'il laisse
son Chien en une maison, ou bien s'il ha un garson avec luy, il luy
pourra donner a garder, le faisant demeurer en quelque lieu, ou il le
pourra trouver s'il en ha affaire. Alors s'en doyt aller a son arbre
qu'il aura remarqué le soir avant, et monter dedans, regardant en la
taille: et s'il veoit quelque Cerf qui luy plaise, faut qu'il regarde
quelle teste il porte, et ne doyt bouger de là jusques a ce qu'il le
voye rembuscher au fort. Puis quand il verra qu'il sera au couvert,
faut bien qu'il regarde l'endroit, et le lieu par ou il entre, et le
remarquer a quelque petit arbre, ou autre chose qu'il pourra veoir. Ce
fait, il descendra secretement de son arbre, et s'en ira querir son
Chien. Mais faut qu'il note un secret, c'est qu'il ne doyt aller
destourner le Cerf d'une bonne heure apres qu'il l'aura veu, par ce
qu'aucunes-fois les Cerfz font leur ressuy au bord du fort, ou bien
resortent dedans la taille pour escouter s'ilz orront ou verront rien
qui leur nuyse, comme j'ay dit cy devant: qui est la raison pourquoy
le Veneur n'y doyt aller si soudain. Et si d'aventure en faisant son
enceincte, il oyoit les Pies ou Geays caqueter, il faut qu'il se
retire, car ce seroit signe que le Cerf seroit encores debout. Il
pourra retourner environ demye heure apres faire son enceincte. Estant
bien destourné, s'en ira a l'assemblee faire son rapport, et
deschiffrer la teste du Cerf qu'il aura veu, et tous autres bons
signes qui y pourront estre, et si de fortune il leve les fumees, les
doyt mettre en sa trompe, et les y porter.
Comme le Veneur doyt aller en queste aux petites couronnes de tailles
desrobees, qui sont par le milieu des fortz. CHAP. 31.
[FIGURE]
BIEN souvent les Cerfz malicieux qui ont autres fois esté
couruz et chassez, se recelent longuement sur eux, sans sortir de leur
fort, et font leur viandy en quelques petites tailles et couppes
desrobees, qui sont par le milieu des fortz: et le font plus
communément en May et Juing qu'en autre saison, par ce qu'en ces moys
ilz ne vont gueres a l'eau, et se contentent de l'humidité et
substance de la gette, et de l'esgail qui est dessus, lesquelz leurs
donnent suffisance. Mais en Juillet et Aoust que le boys durcist, et
que les chaleurs sont vehementes, il faut qu'a l'heure ilz se decelent
de leur fort pour aller a l'eau. Touteffois en quelque saison que
ce soit, ils ne se peuvent receler plus haut de quatre jours,
sans sortir hors du buisson, pour beaucoup de raisons, dont l'une est,
qu'ils veulent aller veoir là ou demeurent les autres bestes,
ausquelles ilz esperent leur sauvegarde, affin que s'ilz se voyoient
couruz des Chiens, de les donner en change, ou bien sortent pour aller
aux gaignages: toutesfois quand ilz sortent ilz se retirent en leur
fort deux ou troys heures avant jour.
A telz Cerfz malicieux il faut que le Veneur en use en ceste sorte.
Premierement quand il sera aux boys en quelque beau buysson ou fort au
bout d'une forest, et qu'il vient a rencontrer d'un Cerf de vieux
temps, comme d'un ou deux jours, et que le pays fust fort rompu de ses
vieilles erres, lors doyt prendre ses devantz de tous costez, et si
d'avanture il ne le trouvoit point en allé ne sorty de bon ne de vieux
temps, il doyt presumer en luy-mesmes qu'il ne s'en va point, et qu'il
se recele sur luy dedans le fort. Alors doyt aller prendre le dessoubz
du vent, et entrer dedans le fort, tenant son Chien de court, en
brossant le plus secretement qu'il pourra. Et s'il veoyt que son Chien
ayt le vent de quelque chose, et qu'a veoir sa contenance il fust pres
du Cerf, il se doyt retirer arriere de peur de le lancer, et aller
entrer par quelque autre endroit là ou le boys seroit plus cler. Puis
s'il arrive a trouver quelques petites couronnes ou tailles
desrobbees, là ou le Cerf auroit fait sa nuict, il en pourra reveoir a
son ayse, et lever les fumees. Mais faut icy noter une chose, c'est
qu'il ne doyt pas aller en telz lieux qu'il ne soyt pour le moins neuf
heures du matin, pour ce que telz Cerfz font aucunes-fois leur ressuy
dedans ces petites tailles, pour avoir la chaleur du Soleil: puis
quand il vient sur les neuf heures, ilz se retirent a l'ombre pour
deux raisons principalles, dont l'une est, pour la crainte des
mousches et tahons, qui les tormenteroyent s'ilz estoyent au
descouvert, l'autre pour la vehemente chaleur du Soleil qui seroit sur
le Midy. Et faut bien que le Veneur se prene garde d'entrer
guere avant dedans le fort, par ce que telz Cerfz demeurent
aucunesfois a la longueur du traict de ces petites tailles desrobbees,
d'autant qu'ilz n'y ont point de crainte ne d'ennuy: mais leur suffist
seulement d'estre au couvert, et aussi qu'ilz se relevent en telles
tailles des cinq heures du soir. A ceste cause doyt suffire au Veneur
d'avoir reveu par pied, et levé les fumees du Cerf, puis se retirer le
plus secretement qu'il pourra, sans s'amuser a regarder les portees,
tenant son Chien entre ses bras. Et quand il sera assez loing de là,
doyt contrefaire le bergier, ou bien sonner de quelque flageau, de
peur que le Cerf ayt heu le vent de luy, et qu'il se soit lancé: car
en jouant des instrumens ou chantant, il se pourroit r'asseurer. Apres
pourra arrester demye heure ou plus en quelque lieu, pour le laisser
asseurer, puis refera son enceincte. Et si d'avanture il ne pouvoit
lever les fumees, et que le pays fust si feutré d'herbe qu'il n'en
peust revoir par pied a son ayse, lors doyt mettre le genoil en terre,
ayant son Chien derriere luy, regardant aux foulees des fueilles, et
de l'herbe, si elles sont bien estraintes, mettant sa main dedans la
forme du pied: et s'il veoit qu'elle ayt quatre doigts de largeur, il
le peut juger Cerf de dix cors par les foulees, mais s'elle n'avoit
que trois doigtz de largeur, il le doyt juger jeune Cerf.
Comme le Veneur doyt aller en queste aux gaignages. CHAP. 32.
[FIGURE]
IL faut icy entendre qu'il y ha difference entre gaignages et
tailles, car ce que nous appellons gaignages, sont champs et jardins
ou croissent toutes especes de bledz, et potages: et quand les Cerfz
vont là viander, nous disons qu'ilz ont esté aux gaignages. Il faut
que le Veneur se leve matin pour aller en queste en telz lieux, par ce
que les bonnes gens des villages, qui sont es environs, se levent des
l'aube du jour, pour mettre leur bestiail aux champs, qui est cause
que les Cerfz se retirent de bonne heure en leur fort. Et aussi que
les Vaches, Chevres, Brebis, et plusieurs autres bestes romperoyent
les voyes ou routes, par ou le Cerf auroit passé, qui seroit cause que
le Veneur n'en pourroit revoir, ne son Chien avoir sentiment. Et par
ainsi faut qu'il aille en queste au plus matin.
Comme le Veneur doyt aller requester le Cerf, qui aura esté couru et
failly le jour avant. CHAP. 33.
IL ARRIVE bien souvent qu'on faut a prendre le Cerf a force, en
beaucoup de sortes. Aucunes-fois a l'occasion des grandes chaleurs, ou
bien qu'on est surprins de la nuict, et en plusieurs autres manieres,
qui me seroyent prolixes a narrer. Quand telles choses arrivent, il
faut se gouverner en cette façon.
Premierement, ceux qui accompaignent les Chiens doyvent jetter une
brisee aux dernieres voyes ou erres, là ou ilz laisseront le Cerf, a
fin de le retourner quester le lendemain des le point du jour, avec le
Limier, et les Chiens de la meute apres eux. Car quand il est question
de requester un Cerf, il ne faut faire rapport n'assemblee, par ce
qu'on ne sçait si la suyte sera longue, n'en quel pays il sera allé:
par ce que communément Cerfz couruz vont tant qu'ilz ont force, puis
s'ilz trouvent quelque eau ilz s'arrestent longuement dedans, et se
roidissent en telle sorte les membres, qu'au sortir d'icelle ilz ne
peuvent pas aller gueres loing, et a l'heure sont contraintz de
demeurer en quelque lieu que ce soit, mais qu'ilz soyent au couvert,
faisant leur viandy de couché, de ce qu'ilz peuvent trouver autour
d'eux. Quand les Veneurs seront arrivez aux dernieres voyes ou aura
esté mise la brisee, ilz se doyvent departir: et celuy qui aura le
meilleur Chien, et de plus haut nez, doyt prendre le droit, et faire
suyvre son Chien sur les routes, en le tenant de court, n'ayant
crainte de le faire sonner et appeller. Les autres doyvent prendre les
devans au loing, par les fraischeurs, et lieux commodes, pour en
revoir a leur ayse, et pour le sentiment de leur Chien. Et si de
fortune l'un d'eux le trouvoit passé, il se doyt mettre apres,
et faire suyvre son Chien, en huchant ou sonnant deux motz de la
trompe, pour appeller ses compaignons, et pour faire approcher la
meute. Les autres l'ayant ouy, incontinent doyvent aller a luy, et
regarder tous ensemble si c'est leur droit: et s'ilz cognoissent que
ce soit luy, faut qu'ilz laissent suyvre le Chien qui desirera le
mieux les voyes: et les autres se doivent departir et reprendre
encores les devantz au loing. Et si d'avanture ilz le trouvoyent entré
en quelques belles demeures, faut qu'ilz facent approcher les Chiens
d'eux, et faulcer au travers du fort. Et s'ilz arrivent a renouveller
les voyes dedans le fort, doyvent bien regarder si c'est point du
change. Mais si celuy qui fait la suyte cognoist que ce soit son
droit, doyt sonner deux motz pour appeller ses compaignons, et pour
advertir les piqueurs qu'ilz se donnent de garde, par ce que son Chien
renouvelle les voyes. Et si de fortune il vient a le lancer, et qu'il
trouve cinq ou six reposees l'une aupres de l'autre, il ne s'en doyt
pas estonner, car volontiers les Cerfz travaillez, et mal menez font
plusieurs reposees, les unes pres des autres, par ce qu'ilz ne se
peuvent tenir debout, mais faut qu'ilz viandent de couché. Les jeunes
Veneurs qui n'entendent ce secret, y sont souventes-fois trompez, car
quand ilz voyent tant de reposees, ilz pensent que ce soit une harde
de bestes, et faut bien qu'ilz y regardent.
Comme le Veneur doyt aller en queste aux hautes fustayes. CHAP.
34.
[FIGURE]
QUAND le Veneur ira en queste aux hautes fustayes, il faut
premierement qu'il regarde deux choses: sçavoir est, la saison ou il
sera, et les demeures de la forest. Car si c'est en la haute saison,
les tahons, mousches et autres vermines chassent les Cerfz des
fustayes, et aussi qu'ilz s'escartent aux petis fortz pres des
gaignages.
Il y ha des forestz de diverses sortes: les unes sont fortes
de houssieres, les autres ont par le milieu des couronnes de brandes,
il y en ha d'autres qui sont environnees de tailles. Et par ainsi faut
que le Veneur se gouverne sçelon le pays qu'il verra. Car aucunesfois
les Cerfz demeurent dedans les petites couronnes de brandes, soubz
quelque petit arbre au descouvert, ou bien dessoubz les fustayes, ou
au bort d'icelles, en quelques petites brosses. Et faut qu'en telz
lieux le Veneur face ses enceinctes grandes ou petites sçelon les
demeures, par ce que si on lance un Cerf dedans les fustayes, on ne le
cuydera plus destourner ne approcher: et si le veneur est sage, il
n'en fera point de rapport.
J'en parlerois plus au long, mais je voy que les Veneurs qui
viendront apres nous, n'auront pas grand' peine a chercher les Cerfz
aux fustayes.
Du lieu ou se doyt faire l'assemblee, et comme elle se doyt faire.
CHAP. 35.
[FIGURE]
L'ASSEMBLEE se doyt faire en quelque beau lieu, soubz des
arbres, aupres d'une fontaine ou ruisseau, là ou les Veneurs se
doyvent tous rendre, pour faire leur rapport. Ce pendant le Sommelier
doyt venir avec troys bons chevaux chargez d'instrumentz pour
arroser le gouzier: comme coutretz, barraux, barrilz, flacons et
bouteilles, lesquelles doyvent estre pleines de bon vin d'Arbois, de
Beaulne, de Chaloce, et de Grave. Luy estant descendu de Cheval les
mettra refraischir en l'eau, ou bien les pourra faire refroidir avec
du Canfre: apres il estendra la nappe sur la verdure. Ce fait, le
cuysinier s'en viendra chargé de plusieurs bons harnois de gueule,
comme jambons, langues de Beuf fumees, groings et oreilles de
Pourceau, cervelat, eschinees, pieces de Beuf de saison, carbonnades,
jambons de Mageance, pastez, longes de veau, froides, couvertes de
poudre blanche, et autres menuz suffrages pour remplir le boudin:
lesquelz il mettra sur la nappe. Lors le Roy ou le Seigneur, avec ceux
de sa table, estendront leurs manteaux sur l'herbe, et se coucheront
de costé dessus, beuvans, mangeans, rians, et faisans grand chere. Et
s'il y ha quelque femme de reputation en pays, qui face plaisir aux
compaignons, elle doyt estre alleguee, et ses passages et remuement de
fesses, attendans le rapport a venir. Puis quand tous les Veneurs
seront arrivez, ilz feront leur rapport, et presenteront leurs fumees
au Roy, ou au Seigneur a qui ilz seront, les uns apres les autres, en
racomptant chascun de ce qu'il aura veu. Les ayant escoutez, et veu
les fumees, il pourra choisir le Cerf qu'il voudra courir, et qui sera
en la plus belle meute. Et dira a celuy qui l'aura destourné, qu'il
veut aller a sa brisee, puis s'en iront tous boire.
J'AY mis cy devant comme il faut faire le rapport, n'ayant
veu du Cerf que par pied, ou par les portees, et autres cognoissances,
et comme il faut parler entre les maistres. Mais d'autant qu'il se
trouvent aucunes-fois quelques Veneurs favorisez de leurs maistres,
lesquelz vont chercher les grandz vieux Cerfs, se levans matin pour
les veoir a la taille, je leur ay bien voulu icy descripre le rapport
tel que le voudrois faire devant le Roy, suppliant les maistres
d'excuser les fautes.
Comme il faut faire son rapport, ayant veu le Cerf a veue, en la haute
saison. CHAP. 36.
[FIGURE]
DEVANT le Roy viens pour mon rapport faire,
Le saluant, un chascun se doyt taire:
Lors de ma trompe je tire mes fumees,
Sur vertes fueilles les luy ay presentees:
SIre, voila d'un beau Cerf de dix cors,
Que je mescroy destourné en tels fortz:
Quand les aurez par tout bien regardees
Les trouverrez longues, oinctes, formees,
Grosses, nouees, n'ayans aucun piquon,
Mais bien moulues, monstrant sa venaison,
Et s'il s'enquiert lors quelle teste il porte,
Tout froidement respons luy en la sorte,
Sire, ainsi comme alloys faisant ma queste,
Mon Chien au vent se rabat d'une beste:
L'ay tins de court, et de pres l'ay suivy:
J'ay apperceu le Cerf au viandy,
Ayant la teste haute, ouverte et paumee,
Et en tous pairs me semble bien sommee.
Il est Cerf brun, portant dix et huit cors,
Fort haut sur jambe, et assez long de corps,
Le mesrain gros, par bon ordre observee,
Grand tour de meule, et pres du test perlee,
D'un beau teint noir me semble estre brunie:
Et pour tout signe, ell' est fort bien nourrie.
Apres l'avoir de mon oeil bien choisy
Me retiray, attendant son ressuy.
Puis quand j'ay veu qu'il estoit pres de l'heure
Qu'il fust au lieu ou il fait sa demeure,
Prens les devantz pour l'aller rembuscher:
Mon Chien au vent cuyde son traict casser.
Entrant au fort ha jetté ses fumees,
Que j'ay levé, y mettant mes brisees,
Par les chemins prens enceincte es devantz,
Ou j'ay trouvé maintz autres Cerfz passantz,
Jeunes et vieux revoy de toute sorte,
Mais quant au mien ne trouve point qu'il sorte.
Puis s'il s'enquiert quel pied de Cerf c'estoit:
C'est un pied long, si l'oeil ne me decoit,
La pince grosse, et les os gros et courtz,
La jambe large, ongle fermé tousjours,
Fort bas joincté, et le pied gros et creux,
Cerf bien courable, et devant tous Veneurs.
Des motz et termes de Venerie que doyt entendre le Veneur pour faire
ses rapportz, et pour parler devant les bons maistres. CHAP. 37.
J'AY bien voulu declairer icy les motz et termes de Venerie, et
comme un jeune Veneur doyt parler entre les bons maistres.
Premierement, faut qu'il soit posé, et moderé en parolles, car tous
Veneurs estans curieux du plaisir de leur estat, sont volontiers
sobres de la bouche. Mais aujourd'huy ilz prenent plus de plaisir aux
bouteilles qu'a leur mestier. Si d'avanture il advenoit qu'un jeune
Veneur se trouvast avec les maistres, et qu'ilz luy demandassent comme
se doyvent appeller les fiantes des Cerfz, Rangiers, Chevreulx, et
Dains, lors doyt respondre, qu'elles se doivent nommer fumees, et que
de toutes bestes vivantes de broust, elles se doyvent ainsi nommer.
Mais celles des bestes mordantes, comme Sangliers, Ours, et leurs
semblables, se doivent nommer lesses. Et celles des Lievres et
Connilz, se nomment crottes. Celles des autres bestes puantes,
comme Taissons, Regnardz, fiante. Celles de la Loutre se doyvent
nommer espraintes. Apres si on luy demande comme se doyt nommer le
manger du Cerf, en termes de Venerie, et des autres bestes a luy
semblables, doyt dire qu'il se nomme viandy, comme disant: Voicy ou le
Cerf ou Chevreul ha fait son viandy. Et des Sangliers et autres bestes
mordantes, il faut dire mangeures, comme disant: Voicy ou le Sanglier
ha fait ses mangeures.
Il y ha aussi difference entres les piedz des bestes mordantes, et
ceux des Cerfz: car ceux des Ours et Sangliers se doyvent nommer
traces, mais ceux des Cerfz, Chevreulx, Dains, et Rangiers, se doyvent
nommer piedz ou foyes, tous les deux sont bien ditz. Aussi faut
sçavoir qu'il y ha difference entre gaignages et tailles. Les
gaignages se prenent pour champs et jardins, là ou sont semez les
bledz et potages. Et si un Cerf faisoyt sa nuict dedans les champs, le
Veneur doyt dire qu'il ha fait son viandy dedans les gaignages: et
s'il fait sa nuict dedans les tailles, il pourra dire qu'il ha fait
son viandy dedans la taille.
Le jeune Veneur doyt aussi entendre qu'il y ha difference entre
routes, et voyes, car les voyes s'entendent pour les grans chemins, et
les routes se prenent pour les petis sentiers, qui traversent les
fortz. Et quand le Veneur verra aller un Cerf le long d'un grand
chemin, il doyt dire, que le Cerf va la voye: et s'il le veoit aller
le long des petis sentiers, doyt dire que le Cerf va la route.
Il y ha aussi difference entre routes et erres, car (comme j'ay dit)
routes sont petis sentiers, et erres sont les alleures par ou une
beste va, soit de bon, ou de vieux temps. Quant aux brisees, elles se
peuvent nommer bacees ou brisees, lequel qu'on voudra. Il y ha maniere
de les mettre, car il faut que le bout rompu soit mis par ou entre une
beste.
Quand le Veneur va lancer un Cerf, Dain, ou Chevreul, et
autres semblables, il doyt parler a son Chien en criant,
Voylecy, Vayavant, comme parlant en singulier, et a un seul: mais aux
Sangliers, Ours, et leurs semblabes, doyt parler au plurier, comme a
plusieurs, disant, Veles-cy allez. Quand un Cerf vient de viander es
gaignages, il est volontiers mouillé de l'esgail, et ne se veut pas
mettre en son lict qu'il ne se soit seché a la chaleur du Soleil, et
se couche communément sur le ventre en quelque beau lieu au
descouvert, ce lieu là se doyt nommer ressuy, comme disant, Voicy ou
le Cerf ha fait son ressuy.
Semblablement les lieux ou les Cerfz, Dains, Chevreulx, et leurs
semblables se couchent pour demeurer le jour, se doyvent nommer lictz,
reposees, ou chambres: mais ceux des Sangliers et leurs semblables se
nomment Bauges.
Apres; si un Veneur vient a faire son rapport, il doyt dire
entierement ce qu'il ha veu. Et s'il n'avoit reveu du Cerf que par
pied, et qu'on luy demande quel pied c'est, doyt confronter le pied
tel qu'il est, comme disant, C'est un pied long ou rond, ayant telles
cognoissances avec, tous autres bons signes qu'il y pourra avoir veu:
ainsi pourra il faire des alleures et portees. Mais si d'avanture il
voyoit le Cerf a veüe, ayant heu le loisir de le choisir, si on luy
demande quel Cerf c'est, et quelle {qu'elle} teste il porte, pourra
respondre, qu'il est de tel pelage, brun, ou fauve, et tel de corsage,
ainsi qu'il l'aura veu, portant la teste haute, ou basse, ou
contrefaicte, comme elle sera. Et si d'avanture elle estoit
faux-marquee, comme s'il n'y avoit que six cors d'un costé, et sept de
l'autre, il doyt dire qu'il porte quatorze faux-marque, car le plus
emporte le moins. Et s'il voyoit une belle teste haute, et grosse de
mesrain, les andoillers pres du test, et bien chevillee sçelon sa
hauteur, il pourra dire qu'il porte une belle teste, pour tous signes
bien nee, et bien marquee en tous pairs: et sçelon qu'elle sera en la
sommité, pourra dire qu'il porte paumeure, trocheure, ou couronneure,
et combien d'espois il portera a mont. Et par ainsi le Veneur
fera son rapport sçelon qu'il verra la forme ou la façon de la teste.
Et si on luy demande s'il se montre vieux Cerf par la teste, et a quoy
il le cognoist, pourra respondre, qu'il le cognoist aux meules,
lesquelles sont larges, et fort pierreuses, pres du suc et test de la
teste: et aussi aux andoillers qui sont gros, longs, et pres de la
meule: et tous autres signes que j'ay declarez cy devant. Les ergotz
qui sont derriere le pied du Cerf, ou Chevreul, et leurs semblables,
se nomment os, comme disant: Voicy ou le Cerf ou Chevreul ha donné des
os en terre. Les ergotz des Sangliers se doyvent nommer Gardes.
Je donneray icy intelligence au Veneur comme il doyt haut louer les
Cerfz, sçelon les signes et jugementz qu'il pourra avoir veuz.
Premierement, S'il veoit un Cerf n'ayant gueres le pied ne les
alleures bonnes, et qu'a le veoir il n'eust porté que sa troysiesme ou
quatriesme teste, il le doyt juger Cerf de dix cors jeunement. Mais
s'il en voyoit un autre qui eust les signes plus grans, comme ayant
porté sa cinquiesme, sixiesme, ou septiesme teste, il le pourra juger
Cerf de dix cors, sans plus, mais passé la septiesme, il le pourra
juger Cerf de dix cors, et autresfois les ha portez: et au plus haut
qu'il puisse louer le Cerf, c'est de le nommer grand vieux Cerf. Et
par ainsi le Veneur fera ses rapportz sçelon les signes et jugementz
qu'il verra. Il en pourra autant faire des Sangliers, car quand ilz
laissent les compaignees, et qu'ilz demeurent tous seulx, ilz se
doyvent nommer Sangliers venans en leur tiers an. L'annee apres, ilz
se doyvent nommer Sangliers en leur tiers an. L'autre annee apres, ilz
se pourront nommer Sangliers en leur quart an chassables. Et au plus
haut qu'on le puisse louer, c'est, grand vieux Sanglier n'ayant point
de reffus. Si le Veneur voyoit une trouppe de bestes fauves, il doit
dire, j'ay veu une harde de bestes: mais s'il voyoit une trouppe de
bestes noires, doit dire qu'il ha veu une compaignie de bestes noires.
Comme il faut mettre les relays, et la maniere de relayer. CHAP.
38.
[FIGURE]
IL FAUT mettre les relays selon les saisons, et couppes des
tailles: car au temps d'Hyver que les Cerfz ont la teste dure, ilz
suyvent les grantz fortz: et au Printemps qu'ilz ont la teste molle et
en sang, ilz suyvent les petites tailles, et les lieux les plus
foibles qu'ilz peuvent trouver, de peur de la heurter et blesser aux
branches. Et pour ce il est requis y mettre des hommes qui soyent
nourris a la Venerie, entendant bien leur mestier, et avec eux un bon
piqueur, monté sur un bon courtaut, lequel piqueur doit estre habillé
legierement, ayant de bonnes bottes et bien hautes, sa trompe au col.
Phebus dit qu'il doit estre vestu de vert pour le Cerf, et de
gris pour le Sanglier: cela ne sert pas de gueres, j'en remetz
la couleur aux fantasies des hommes. Les piqueurs s'en doyvent aller
au soir a la chambre de leur maistre, et s'ilz sont au Roy, faut
qu'ilz aillent a la chambre du grand Veneur, ou de son Lieutenant,
pour sçavoir lesquelz seront de la meute ou du relays, et auquel
relays ilz doyvent aller, et les Chiens qu'ilz doyvent mener, quelles
{qu'elles} aydes et valetz de Chiens iront avec eux. Ceux du relays
doyvent prendre un petit bulletin pour leur souvenir du nom de leur
relays: puis s'en retourneront a leur logis pour chercher une guide,
qui les y mene le lendemain. Apres faut qu'ilz regardent si leurs
chevaux sont bien ferrez, et bien en conche, en leur donnant de
l'avoine a suffire. Ce fait, s'en iront coucher, pour se lever le
lendemain deux heures avant jour. Si c'est en Esté, faut qu'ilz facent
abbrever leurs chevaux, et en Hyver non: puis les faire bien
repaistre, ce pendant que le valet de Chiens amenera le relays. La
guide estant venue, ilz desjeuneront et disneront tout ensemble, et au
lieu de pistolet auront la bouteille, pleine de bon vin, a l'arçon de
la selle. Et quand le jour commancera a paroistre, faut qu'ilz montent
a Cheval, ayans avec eux leur guyde, relays, et tout leur equipage.
S'ilz veulent envoyer un courtaut a un autre relays, pourront dire a
leur valet qu'il s'en aille avec un de leurs compaignons a un tel
relays. Eux estans arrivez au lieu ou est assigné leur relays, ilz
mettront les Chiens en quelque beau lieu, au pied d'un arbre,
deffendant au valet de Chiens de ne les descouppler qu'ilz ne luy
commandent, et qu'il ne bouge de là, et qu'il ne face point de bruyt.
Alors s'en doyvent aller a trois ou quatre cens pas de là, du costé ou
sera la chasse, et escouter s'ilz orront rien, et pour veoir le Cerf,
car le voyant là, ilz le jugeront plus tost mal mené, qu'ilz ne feront
de le veoir avec le bruyt: par ce qu'un Cerf mal mené baisse
volontiers la teste quand il ne veoyt personne, en demonstrant son
travail, mais quand il veoyt l'homme, il la hausse, et fait de
grands bondz, pour donner a cognoistre qu'il est fort et vigoureux. Le
piqueur se doyt esloigner pour une autre raison, c'est que les pages
et valetz, qui tienent les chevaux, menent bruyt, en sorte qu'il ne
pourroit pas ouyr la meute: aussi que les Cerfz oyent aucunes-fois le
bruyt, ou bien ont le vent des Chiens, qui les feroit retourner, ou
costoyer le relays. Qui est la cause pourquoy le piqueur se doyt tenir
a l'escart, pour veoir et choisir le Cerf a son aise: et s'il passe a
son relays, doyt bien regarder s'il est halé, et mal mené, et aussi
s'il orra la chasse venir apres luy.
Il me semble pour bien prendre le Cerf a force, qu'on ne le devroit
point relayer qu'on ne vist les Chiens de la meute, alors lon verroit
bien chasser, et avec ce, la force et vistesse des Chiens. Mais je
veoy qu'aujourd'huy on ne prend point le Cerf comme il merite, par ce
qu'on ne donne pas le loisir aux Chiens de chasser, et n'y en ha que
deux ou troys qui courent, d'autant qu'ilz se trouvent tant d'hommes a
cheval, qui ne sçavent sonner, forhuer, ne piquer, lesquelz se meslent
par-my les Chiens, les croisans, et rompans, tellement qu'il est
impossible qu'ilz puissent courir ne chasser: a ceste cause je dy que
sont les chevaux qui chassent, et non pas les Chiens. Je donneray icy
le moyen au valet de Chiens de lascher le relays, quand le Cerf aura
passé.
Le valet doyt mener ses Chiens hardez sur les voyes, et leur faire
suyvre troys ou quatre pas le droit, puis en doyt laisser aller un, et
s'il veoit qu'il dresse, pourra descouppler les autres, et sonner pour
Chiens. Car s'il laissoit aller son relays de loing, il pourroit
prendre le contrepied, qui seroit une grande faute. Autrement si le
Cerf estoit accompagné de quelques bestes, le piqueur qui sera au
relays doyt piquer en teste, pour essayer a departir le Cerf, et s'il
se depart, faut descouppler les Chiens sur les voyes. Et si le piqueur
estoit au relays sur le bort d'un estang, et que le Cerf y vint, il le
doyt laisser baigner a son ayse, sans sonner mot: puis quand il
sera sorty, faut que le valet s'en aille avec les Chiens là ou il sera
sorty, et descouppler ses Chiens sur les voyes, comme dessus, là ou
faut qu'il ne les abandonne jamais, sonnant apres eux, pour appeller
de l'ayde, en brisant par tout ou il en verra: a fin que si ses Chiens
prenoyent le change, et qu'ilz s'escartassent de leurs droictes voyes,
de retourner a sa derniere brisee pour requester le Cerf. Phebus dit
qu'il faut reprendre les Chiens qui vont de forlonge derriere, quand
le Cerf aura passé le relays. Mais quand a moy je ferois du contraire,
pour autant que les Chiens de la meute, qui ont desja couru
longuement, maintienent mieux leurs voyes, et ne prenent pas si tost
le change, que feroyent des Chiens fraischement relayez. Il est bien
vray que s'il avoit quelques vieux Chiens qui vinsent derriere,
balançans apres la meute, les piqueurs ou valetz de Chiens, qui seront
demourez derriere, les pourront appeller apres eux, et les mener au
devant de la meute: ou bien s'il y avoit faute de relays, et qu'on
vist que le Cerf s'en allast en quelque lieu, ou il n'y auroit gueres
de change, et qu'il fust contraint de retourner sur ses pas, aussi
qu'il y eust de bons Chiens devant, qui le maintinsent, alors pourroit
on prendre les derniers Chiens, et les garder pour son retour.
Si d'avanture il advenoit que le piqueur, estant a son relays, vist
passer un Cerf de dix cors, et qu'il y eust apres le Cerf quatre ou
cinq Chiens, et qu'il n'ouist les autres piqueurs, ne leur trompe,
faut bien qu'il regarde si le Cerf est halé, et quelz Chiens sont qui
le chassent: s'il voyoit que ce fussent des bons Chiens de la meute,
gardans mieux le change, le piqueur doyt sonner pour Chiens, tant
qu'il pourra, pour appeller des aydes. Et si de fortune il ne venoit
personne, il se doyt mettre apres les Chiens de la meute, et
descouppler son relays, sonnant et huchant tousjours, en jettant des
brisees par ou il passera, et sur les voyes du Cerf. Il faut bien que
le piqueur soit sage a telles choses, par ce qu'aucunes-fois il
se peut lancer quelques autres Cerfz d'effroy, au bruyt de la meute,
et des piqueurs, qui pourroyent estre grans Cerfz, se montrans halez,
et principalement quand ilz ont de la venaison. Mais s'il voyoit que
les bons Chiens de la meute n'y fussent pas, et qu'il n'ouyt point la
chasse, il ne doyt pas relayer, mais seulement regarder le pays qu'ilz
prenent, et les briser au bout de sa veüe, a fin que s'il oyoit la
meute en deffaut, de si en aller, et leur dire qu'il ha veu le Cerf
qui ha passé a son relays, lequel est fauve, ou brun, ainsi qu'il
voudra nommer, portant une telle teste. Alors pourront juger si c'est
leur Cerf ou non, et le pourront aller requester, et reprendre leurs
voyes a la brisee du piqueur.
Comme le Veneur doyt lancer le Cerf, et le donner aux Chiens.
CHAP. 39.
[FIGURE]
APRES que le Roy ou Seigneur aura ouy tous les rapportz, et que
les relays seront bien assis, les Veneurs et Chiens ayans repeu, celuy
qui aura destourné le plus vieux Cerf, et en la plus belle meute,
soubz le rapport duquel le Roy ou Seigneur voudra aller courir, doyt
prendre son Limier, et s'en aller devant a sa brisee, avec ses
compaignons, et tous les piqueurs de la meute: lesquelz doyvent avoir
chascun une bonne houssine en la main, que Phebus nomme tortouere,
pour tourner les branches en piquant par les fortz: laquelle ne doyt
point estre pelee, que le Cerf n'ayt touché au boys, mais apres qu'il
ha frayé, elle doyt estre pelee. Eux estans arrivez a la brisee, faut
qu'ilz mettent pied a terre, pour veoir quel pied de Cerf c'est,
quelles cognoissances, et autres jugementz qu'ilz pourront avoir par
le pied, a fin de le recognoistre par-my le change. Puis quand le Roy
sera arrivé, et les Chiens de la meute, tous les piqueurs se doyvent
vistement escarter au tour du buysson, pour veoir le Cerf, s'il est
possible, au partir du lancer, a fin de recognoistre le pelage, et la
façon de la teste. Alors que le Veneur, qui l'aura destourné, verra
tous ses compaignons aupres de luy, avec les Chiens de la meute, se
doyt mettre devant tous les autres, et frapper a route, car l'honneur
luy appartient, et puis tous les autres apres luy, criant, Voylecy
aller, Ve le cy, va avant, Ve le cy par les portees, Rotte, rotte,
rotte, et autres termes requis a la chasse du Cerf. Et faut entendre
deux secretz, dont l'un est, que les Veneurs ne doyvent pas trop faire
eschauffer leurs Chiens a la brisee, par ce que leur chaleur les
transporteroit hors des erres, et ne suyvroient pas le droit. L'autre
secret est, que les Chiens de la meute doyvent suyvre les routes par
ou va le Cerf, et les Limiers: mais ilz ne doyvent point approcher
plus pres des Limiers ne des Veneurs, que de soixante pas, de peur que
si le Cerf avoyt fait quelques ruzes et hourvariz dedans le
fort, qu'ilz ne rompissent les erres, que les Limiers n'eussent
l'espace de retourner pour les desmesler, et redresser: par ce que
bien souvent Cerfz malicieux, quand ilz se veulent mettre a la
reposee, font volontiers des ruzes. Et si les Chiens de la meute
estoyent si pres des Limiers, ilz romproyent les erres et voyes, qui
seroit cause que le Veneur ne les pourroit redresser. Et s'il advenoit
que le Limier, en faisant sa suyte, fourvoyast les droictes erres, il
faut que le Veneur le retire, en disant, Hourva, hourva, et qu'il
retourne chercher son droit. Puis s'il veoit que son Chien redresse
ses erres, doyt incontinent le Veneur mettre le genoüil en terre, pour
en reveoir par pied, par les portees, ou autres cognoissances. Et s'il
en reveoit, et qu'il congnoisse que ce soit son droit, doyt crier et
hucher fort haut, Voylecy aller, Il dit vray, Voylecy aller le Cerf,
Rotte valet, rotte, rotte: et jetter une brisee en ce lieu là, tant
pour les Veneurs, qui viennent apres luy, que pour monstrer a ceux qui
amenent les Chiens de la meute, que le Cerf va là. Et si les Chiens de
la meute estoyent trop loing de luy, il doyt crier: Approche les
Chiens, ou bien sonner deux motz de la trompe, en faisant des brisees
hautes et basses par tout ou il en verra: a fin que s'il perdoit les
voyes ou erres, qu'il vint rechercher sa derniere brisee. Puis s'il
veoit que son Chien renouvelle les voyes, et qu'il commance a
approcher pres du Cerf, il le doyt tenir plus de court qu'au paravant,
de peur que s'il le lançoit d'effroy, que son Chien ne le transportast
au vent sur les erres, de sorte qu'il n'en peust veoir la reposee,
pour en avoir certain jugement par icelle, ou par les foulees. Mais si
d'avanture il oyoit lancer le Cerf, ou qu'il trouvast le lict ou
reposee, il ne doyt pas sonner si tost pour Chiens, mais crier
seulement troys fois, Gare gare, Gare gare, Gare gare, et faire suyvre
son Chien jusques a ce qu'il en puisse reveoir a son aise, pour en
avoir jugement certain par les fuytes, premier que de forhuer. Et si
en suyvant il trouvoit ses fumees, doyt bien regarder si elles
sont semblables a celles qu'il aura apportees au matin a l'assemblee:
combien qu'aucunes-fois elles se peuvent mes-juger en deux manieres,
ce qui n'advient pas souvent, si ce n'est au changement des viandis.
Il est bien vray que les fumees du relevé du soir ne sont semblables a
celles du matin que le Cerf se retire au fort pour se mettre a la
reposee, par ce que celles du relevé sont plus pressees, plus moulues,
et mieux digerees que celles du matin: la raison est, qu'il ha reposé
et dormi tout le jour, que est cause de la digestion. Et au contraire,
celles du matin ne sont si bien digerees ne moulues, par ce que toute
la nuict il n'ha fait que courir et travailler pour chercher a
viander, et n'ha pas heu le repos, ne le loisir de digerer ne moudre
son viandy: toutes-fois qu'elles se doyvent ressembler de forme, si le
viandy ne les fait mes-juger, comme j'ay dit. Autrement si le Veneur
trouvoit la reposee du Cerf, il doyt mettre sa face dedans, ou le
doulx de sa main, pour sentir si elle est chaude. Aussi le pourra
cognoistre a son Chien qui s'efforcera et doublera sa voix: tous ces
signes donneront a entendre qu'il est lancé, et debout.
Il y ha des Cerfz qui sont si malicieux, qu'au partir de leur lict
ne font que tournoyer pour chercher le change, ou bien ont quelque
Brocquard avec eux, qui est la cause que le Veneur ne doyt pas sonner
pour Chiens au partir de la reposee, mais seulement crier, Gare gare,
approche les Chiens, et faire suyvre son Limier sur les erres, environ
de cinquante pas. Mais quand il verra que le Cerf commancera a dresser
par les fuytes, lors qu'il en aura cognoissance certaine, pourra
sonner pour Chiens, en criant, Tya hillaud, faisant suyvre son Limier
tousjours sur les erres et fuytes, criant et sonnant jusques a ce que
les Chiens de la meute soyent arrivez a luy, et qu'il verra qu'ilz
commanceront a dresser. Et se doyt incontinent mesler par-my eux
avecques son Limier, pour les resjouyr et eschauffer. Puis
quand il verra qu'ilz seront bien ameutez, courans bien le droit,
pourra sortir du fort, donnant son Chien a son valet, et monter a
Cheval, s'en allant tousjours au dessoubz du vent, coustoyant la
meute, pour lever les deffaux. Mais s'il advenoit que le Cerf, en
tournoyant sur sa meute par-my son fort, eust donné le change, ilz
doyvent tous menacer et rompre les Chiens, puis les recoupler, en
retournant prendre les dernieres erres, ou bien chercher la reposee,
et frapper a route jusques a ce qu'ilz ayent relancé leur Cerf: car
Cerfz malicieux volontiers se jettent sur le ventre, et attendent que
les Limiers soyent sur eux premier que departir.
Les ruzes et secretz que doyvent scavoir les piqueurs pour prendre le
Cerf a force. CHAP. 40.
[FIGURE]
APRES avoir donné l'intelligence aux Veneurs des
jugementz et cognoissances du Cerf, et comme ilz se doyvent gouverner
en leur estat: j'ay semblablement voulu donner a entendre aux piqueurs
le moyen de prendre le Cerf a force, tant par le dire des bons et
anciens Veneurs, que comme par experience l'aurois peu cognoistre. Et
par ce qu'aujourd'huy il y ha tant d'hommes portans la trompe, de
laquelle ilz ne se sçavent ayder, faisant plus de tort aux Chiens que
de plaisir, d'autant qu'ilz nayment et n'entendent le mestier, et
aussi que je veoy les Princes et Seigneurs qui n'y prenent pas grand
plaisir, ayans les yeux bandez des richesses mondaines, pensans par
icelles rendre leur nom et corps immortelz, qui est la perte de l'ame,
et abbreviation de la vie, principal bien du corps (aussi ne les veoit
on plus vivre et regner si longuement ne de tel plaisir qu'ilz
faisoyent anciennement du temps qu'on entendoit resonner les trompes
par les forestz avec nombre de bouteilles et flaccons) il me sembloit
chose vaine et inutile declarer ces matieres icy, n'eust esté
l'esperance que j'ay aux adolescens, qui me cause mettre par escript
et articuler tous les secretz de la Venerie.
Premierement, il faut que les piqueurs sachent qu'il y ha difference
de parler aux Chiens entre la chasse du Cerf, et celle du Sanglier:
par ce que le Cerf fuyt et s'eslongne d'eux quand ilz le chassent, ne
se fiant qu'en ses jambes, et ne se deffend jamais s'il n'est forcé, a
ceste cause faut parler aux Chiens en hautains et resjouyssans cris,
tant de la bouche que de la trompe. Mais aux Sangliers et autres
bestes mordantes, il faut faire le contraire, d'autant que ce sont
bestes pesantes, qui ne peuvent fuyr ne s'esloigner des Chiens, se
fians en leurs dentz et deffenses. A telz animaux il est requis de
parler aux Chiens en crys et sons de trompes rudes et furieux, a fin
de les faire incontinent fuyr. Et se faut tenir tousjours pres des
Chiens, menant grand bruyt, de peur qu'ilz les tuent ou
blessent. Quant aux Cerfz et autres bestes legeres, les piqueurs
doyvent tousjours suyvre les Chiens par la menee ou ilz vont, sans
s'escarter ne croiser, de peur de lancer le change, et pour relever
les deffaux, n'approchant de la neute de plus pres que de cinquante
pas, principalement au partir du descouple, et des Chiens fraischement
relayez: car si le Cerf faisoit des ruzes ou hourvaris, et que les
piqueurs pressassent les Chiens, ilz romproyent les erres ou voyes du
Cerf, et feroyent outrepasser les Chiens, qui seroit une grand' faute.
Mais si les piqueurs voyoient que le Cerf eust couru une heure ou
plus, et qu'il dressast, en s'esloignant de sa meute, pour se
forpaiser, les Chiens estans bien ameutez sur les erres, alors
pourront approcher de plus pres qu'auparavant, en sonnant de la trompe
trois motz a chascune fois. Plus, faut entendre que quand le Cerf se
veoit chassé des Chiens, il se deffait d'eux, et leur donne le change
en plusieurs manieres, car il va chercher les bestes a leurs reposees,
et les boute et fait valoir devant eux, puis se jette sur le ventre en
leur lict, et laisse passer les Chiens outre, lesquelz n'en peuvent
avoir le vent ne sentiment, a cause qu'il met les quatre piedz soubz
son ventre, et aspire son haleine en la fraischeur et humidité de la
terre: tellement que j'ay veu plusieurs-fois les Chiens passer a un
pas pres de luy, sans en avoir le vent, ne le sentir aucunement. Et ha
ceste malice de nature qu'il cognoist que les Chiens ont plus grand
sentiment de son haleine, et de ses piedz qu'ilz n'ont du reste de son
corps. Et estant ainsi, il attendra les piqueurs a faire marcher les
chevaux sur luy premier que de partir. Qui est la raison pourquoy ilz
doyvent tousjours briser aux entrees des fortz par ou le Cerf passera,
a fin que s'il donnoit le change, de retourner incontinent chercher
ses dernieres erres et brisees, par-ce qu'ilz ne pourront faillir de
le relancer, en retournant là avec le Limier, ou avec les vieux Chiens
sages de la meute, ausquelz ilz se doyvent fier. Car
volontiers Chiens bien dressez, et qui gardent le change, si le Cerf
se lance et boute devant eux, ilz ne sonneront mot: mais s'il y avoyt
quelques jeunes Chiens folz, ilz efforceront leurs voix, et
renouvelleront le change. Il faut bien qu'en telles choses les
piqueurs soyent sages, et qu'ilz ne s'arrestent point aux jeunes
Chiens, s'ilz n'entendent les vieux par-my eux. Et s'ilz sont deux
piqueurs ensemble, l'un les doyt aller menacer et rompre, l'autre les
doyt appeller au lieu ou s'est fait le deffault, et fouler fort, en
les appellant et resjouyssant jusques a ce qu'il ayt relancé son Cerf.
Et s'il ouyoit quelqu'un de ses vieux Chiens sages qui sonnast, faut
qu'il aille a luy, et mettre l'oeil a terre, pour reveoir si c'est son
Cerf. S'il cognoist que ce soit luy, faut qu'il sonne trois motz de sa
trompe, en criant et nommant le Chien, Voylecy aller, Il dit vray,
Voylecy aller le Cerf. Les autres piqueurs doyvent menacer les Chiens,
et les faire aller a luy. Et a ceste heure la pourront renouveller les
erres ou le relancer. Plus: le Cerf donne le change en une autre
maniere car soudain qu'il veoyt que les Chiens le chassent, et qu'il
ne se peut deffaire d'eux, il va de fort en fort chercher les bestes,
et les met debout, s'accompaignant avec elles, et les emmene et fait
fuyr avec luy, sans les vouloir laisser, aucunes-fois l'espace d'une
heure ou plus, puis s'il se veoit suivy et mal mené, il les
abandonnera, et fera sa ruze volontiers en quelque grand chemin ou
ruysseau, lesquels il suyvra longuement tant, qu'il aura la force.
Puis quand il se verra esloigné et forlongé des Chiens, fera de
grandes ruzes pour se deffaire d'eux, se jettant sur le ventre en
quelque lieu sur la terre, ou bien en l'eau, cachant ses piedz soubz
luy, en aspirant et prenant son haleine contre la terre, comme j'ay
dit cy dessus: si c'est en l'eau, il aspirera semblablement en icelle,
tellement que de tout son corps ne paroistra seulement que le bout du
nez, en sorte que les Chiens passeront sur luy avant qu'en avoir
sentiment. Quand les piqueurs verront toutes ces choses, ilz
doyvent regarder, quand le Cerf sera accompaigné, et qu'il fuyra avec
des bestes, aux bons Chiens de la meute, et plus seurs par le change,
lesquelz chasseront en crainte, ce que les jeunes ne feront pas, et ne
se doyvent amuser a eux, mais bien aux vieux, ausquelz ilz se doyvent
tousjours fier, en les faisant chasser en crainte, se tenans pres
d'eux pour leur secourir et ayder, ayant la main pleine de brisees,
lesquelles ilz doyvent jetter en terre par tout ou ilz verront du
Cerf. Et si de fortune les Chiens tombent en deffaut, ou bien qu'ilz
vissent qu'ilz se departissent en deux ou troys meutes, ilz pourront
presumer en eux-mesmes que le change se separe, et que le Cerf
l'abbandonne. Alors s'ilz voyoient quelques uns des jeunes Chiens folz
qui dressassent, et que les vieux sages n'y fussent point, ilz ne s'y
doyvent pas fier, mais faut qu'ilz regardent en quel lieu les bons et
seurs dresseront, et aller a eux, mettant l'oeil en terre. Et s'ilz
cognoissent que ce soit leur droit qui soit separé du change, faut
qu'ilz jettent leur brisees en sonnant de la trompe, en criant,
Voylecy fuyant, Il dit vray, en nommant les Chiens qui dresseront, et
ameuter a eux. Plus, faut entendre que les Chiens ne courent pas si
bien dedans les chemins, et n'y ont pas si grand sentiment comme ilz
ont ailleurs, pour beaucoup de raisons: qui sont, que dedans les voyes
et chemins toutes especes d'animaux y passent incessamment, qui
mettent la terre en poudre avec les piedz, de telle sorte que si les
Chiens y mettent les nazeaux pour assentir, la poudre entre dedans,
qui les estouppe, et oste le sentiment, et aussi la vehemente chaleur
du Soleil qui donne incessamment dessus, oste l'humidité et
fraischeur, desechant la poudre, de telle sorte, que là ou le Cerf
passe, la poudre coule, et couvre soudainement la marche du pied là ou
touche l'ongle, qui est tout le sentiment que les Chiens peuvent avoir
dedans les voyes et chemins, d'autant qu'il n'y ha ne boys ni herbes
ou le Cerf puisse toucher des jambes ne du corps, et y ha tant
d'autres raisons, que je laisse a cause de brefveté, qui empesche le
sentiment des Chiens es chemins. En telz lieux les Cerfz ont la malice
de faire leurs ruzes et hourvariz, ou bien suyvent longuement ces
grans chemins pour se deffaire des Chiens, ayans ceste finesse et
cognoissance donnee de nature, qu'ilz pensent que les Chiens n'ayent
pas là si grand sentiment qu'ailleurs. Par la pouvons cognoistre que
nature donne a chascun cognoissance de son contraire, et se sauver.
Quand les piqueurs se trouverront a telz endroitz en deffaut,
doyvent mettre l'oeil en terre pour veoir si le Cerf ha point fait de
ruzes et hourvariz. Et si d'avanture ilz voyoient qu'il fust allé et
venu sur luy, ilz doyvent crier a leurs Chiens, Voylecy, hourvary, et
deffaire la ruze a l'oeil, et leur ayder tousjours jusques a ce qu'ilz
ayent trouvé la sortie des erres par ou il entre dedans le fort, en
les faisant requester par les costez des voyes et chemins, et non par
le dedans, car il y auront beaucoup plus de sentiment, et ne le
sur-alleront pas si tost qu'ilz feroyent dedans les chemins, par ce
qu'il y ha des herbes, des boys, et autres choses qui gardent la
fraischeur et humidité de la terre, et aussi que le Cerf y touche des
jambes et du corps, tellement que les Chiens en peuvent avoir plus
grand sentiment. Et fant que les piqueurs jettent des brisees par tout
ou ilz en verront, faisant requester leurs Chiens, en les
resjouyssant, et secourant le mieux qu'ilz pourront. Et si quelqu'un
des Chiens droisse, doyvent aller a luy et regarder que c'est: puis
s'ilz veoyent que ce soit le droit, ilz sonneront et ameuteront les
autres, en nommant le Chien, Ha Cleraud, ou ha Mirault, comme j'ay dit
cy dessus.
Aussi il advient aucunes-fois que les Cerfz passent au travers des
brulis, là ou les Chiens n'en peuvent avoir sentiment, par ce que la
senteur du feu est plus grande que celle du Cerf, en telz endroitz les
piqueurs doyvent regarder quand le Cerf entre dedans, de quel
costé il ha la teste tournee, et pousser tousjours leurs Chiens outre,
sans s'arrester, puis quand ilz seront passez outre les brulis, faut
qu'ilz facent requester leurs Chiens, en parlant a eux, et n'est
possible qu'ilz ne les redressent ainsi, ou bien en prenant leurs
cernes au tour, par les fraischeurs. Plus s'il advient qu'un Cerf se
forpaïsast dedans les campagnes, et que ce fust entre le midy, et les
troys heures, si les piqueurs voyoient que les Chiens fussent hors
d'haleine, ilz ne les doyvent pas presser, mais les resjouir seulement
le plus qu'ilz pourront. Et silz voyoient que les bons ne sonnassent
et n'appellassent point sur les erres, et qu'ilz ne fissent seulement
que branler la queuë, ilz ne s'en doyvent pas estonner, car ilz
pourroyent faire cela a cause de la grand' chaleur, ou bien seroyent
hors d'haleine. Pour telle chose ne doyvent laisser a les suyvre tant
qu'ilz pourront aller, sans les presser, comme j'ay dit: puis s'ilz
cognoissent que les Chiens ne puissent plus aller, faut qu'ilz jettent
une brisee aux dernieres erres qu'ilz auront veües, et mener les
Chiens refraischir en quelque village, en leur donnant du pain et de
l'eau: ou bien se mettre soubz quelque arbre attendant la
grand'chaleur a passer, et sonner de la trompe par fois, pour appeller
les valetz de Limiers, et autres aydes. Puis quand ilz verront qu'il
sera sur les trois heures, doyvent aller a leur brisee reprendre leur
dernieres voyes ou erres. Et s'il y ha un valet de Limier avec eux,
faut qu'il se mette devant avec son Chien, en le resjouyssant et
parlant a luy, sans avoir crainte de le faire sonner et appeller sur
les erres, car les autres Chiens de la meute l'oyans sonner et
appeller, pourront redresser leurs deffaux. Ainsi doyvent ilz aller
tretous requestans et pourchassans jusques a ce qu'ilz l'ayent
relancé. Il faut encores entendre qu'alors que le Cerf est las et mal
mené, son dernier refuge est a l'eau, et descend communément plus tost
a val le cours des rivieres, qu'il ne monte en contremont, et
principalement si le cours en est roide. Aussi qu'il ha bien
ceste cognoissance, que les Chiens auroyent plus grand sentiment de
luy en montant contre l'eau, qu'ilz n'auroyent pas en descendant,
d'autant que le cours leur emporteroit tousjours la senteur, et aussi
qu'il travaille beaucoup plus a nager contre l'eau qu'il ne fait pas
de descendre a val. Et devez sçavoir que si un Cerf ha couru
longuement, et qu'il vienne a rencontrer une riviere, il se mettra
dedans, nageant par le milieu d'icelle, et se donnera garde le plus
qu'il pourra de toucher aux branches, ou autres choses, qui seront des
deux costez de l'eau, de peur que les Chiens y prenent sentiment de
luy: suyvant longuement la riviere sans sortir de dedans, s'il ne
trouve quelque tronce de boys au travers, ou autre chose, qui
l'empesche de passer, alors il est contraint d'en sortir. Il faut
qu'en telz lieux les piqueurs y soyent sages, et qu'ilz jettent une
brisee a l'entree de l'eau, regardant de quel costé le Cerf aura la
teste tournee: ce qu'ilz pourront cognoistre et veoir par les fuytes,
ou a leurs Chiens, lesquelz ilz doyvent faire entrer et nager en
l'eau, qui en pourront prendre sentiment aux joncz et herbe, qui
seront dedans, ou bien eux-mesmes le pourront cognoistre aux lieux les
plus sommes de la riviere ou le Cerf auroit passé, qui pourroit avoir
troublé l'eau en passant, ou tourné les herbes et autres choses. Lors
qu'ilz auront certains jugementz de quelle part de la riviere le Cerf
va, ilz doyvent appeller leurs Chiens hors d'icelle, de peur qu'ilz se
gastent et refroidissent: et s'ilz sont trois piqueurs ensemble, deux
se doyvent mettre aux deux costez de la riviere, l'autre s'en doyt
aller gaigner le devant au long du costé que le Cerf aura la teste
tournee, pour veoir s'il le verra nageant, ou autrement. Les deux qui
seront demourez aux costez de la riviere, doyvent faire requester
leurs Chiens de chascun son costé, et assez loing de l'eau, car ilz
auront plus grand sentiment a vingt ou a trente pas pres, qu'ilz
n'auroyent pas sur le bord d'icelle. La raison est, quand le
Cerf sort de l'eau il en est tout couvert et chargé, par ce que le
poil qui est creux se remplist d'eau, et alors qu'il sort, il se
secouë volontiers, et le fait tomber le long des jambes en la forme du
pied, tellement que les erres sont si elavees et moüillees que les
Chiens n'en pourroyent avoir aucun sentiment. Mais a dix ou douze pas
loing du bord, ilz en pourront reprendre et assentir plus aisément,
par ce que l'eau sera tombee. Toutes-fois les piqueurs se doyvent
tousjours tenir pres de la riviere, car aucunes-fois le Cerf se cache
tout dedans l'eau, comme j'ay dit cy dessus, et pourroit souvent
demeurer en quelque brosse de joncs ou de saules, de telle sorte
qu'ilz le laisseroyent derriere eux, et quand ilz seroyent
outre-passez, il pourroit sortir de l'eau, et s'en retourner sur les
erres par ou il seroit venu: car communément il ha ceste malice de
laisser passer les Chiens et piqueurs, puis quand il les veoit passez,
se desrobbe d'eux, et s'en retourne par ou il est venu. Mais telles
choses n'arrivent pas souvent, si ce n'estoit que les rivieres fussent
couvertes de boys, et pres des forestz. A ceste cause il est requis
qu'il y ayt quelqu'un des piqueurs ayant tousjours l'oeil en l'eau, et
que les autres facent requester leurs Chiens a douze pas pres, et faut
qu'ilz aillent tous ensemble ainsi tout du long, jusques a ce qu'ilz
ayent trouvé la sortie, et comme j'ay dit cy dessus, s'ilz trouvent
quelque tronce de boys ou escluse de moulin, doyvent bien regarder aux
boutz: car communément les Cerfz saillent plus tost en telz endroitz
qu'ailleurs, et principalement quand ilz se forpaisent, d'autant
qu'ilz suyvent plus longuement les eaux, se voyans forpaïsez,
qu'autrement: aussi qu'ilz n'ont plus de fiance en leurs jambes, ne de
fortz pour leur cacher, dont alors sont contraintz de suyvre les eaux.
Plus, faut entendre qu'il y ha deux manieres de ventz, que nous
appellons Galerne et Hautain, autrement nommez ventz de Nort, et de
Midy, lesquelz le Cerf craint grandement, car quand il sort des
forestz et qu'il se fortpaïse par les campagnes, si l'un
d'iceux ventz regne, il ne fuyt jamais la teste tournee dedans, mais
fait au contraire, car il luy tourne le cul, et fuyt a val. Ce qu'il
fait pour beaucoup de raisons, dont la premiere est, que le vent de
Galerne est arre et froid, desechant grandement, et celuy d'Hautain
est chaut et corrompu, pour ce qu'ilz passe soubz la region du Soleil,
lequel le putrefie et corrompt a cause de sa chaleur. Et si d'avanture
le Cerf fuyoit la gueule dedans l'un d'iceux ventz, il l'altereroit,
et luy desecheroit grandement la gueule et la langue: et aussi que ces
ventz sont communément grandz et tempestueux: et s'il fuyoit la teste
dedans, ses cors feroyent voile, qui luy porteroit grand' nuyssance a
courir. Et le fait encores pour une autre raison, c'est qu'il ha bien
cognoissance que s'il fuyoit dedans le vent, les Chiens auroyent le
sentiment de luy sans mettre le nez a terre, et aussi qu'il veut avoir
tousjours l'ouyr de la voix des Chiens. Combien que Phebus dit que les
Cerfz fuyent communément a val tous les ventz, si est-ce que j'ay veu
le contraire par experience, principalement quand le vent de Mer
regne, lequel est humide, ilz vont plus tost le nez dedans,
qu'autrement. Mais quant au vent de Galerne et Hautain, que j'ay
mentionnez cy dessus, il est certain qu'ilz sont crains et redoutez
des Cerfz, et de tous autres animaux, mesmes des Chiens, lesquelz ne
veulent chasser quand ilz regnent. Outre, faut entendre que le Cerf se
forpaïse pour beaucoup de raisons, principalement en Avril et en May,
qu'il ha la teste molle, et en sang: par-ce que si les Chiens le
chassent, il n'ose fuyr par les fortz, de peur de heurter et blesser
sa teste aux branches, alors est contraint d'en sortir, et fuyr au
pays cler pour s'esloigner d'eux et faire ses ruzes: ou bien le Cerf
abandonne les fortz pour une autre raison, laquelle est, qu'alors
qu'il fuyt dedans le fort il se travaille et lasse a brosser le boys,
ne se pouvant esloigner des Chiens, ne faire ses ruzes,
d'autant qu'ilz ont plus d'avantage a courir par dessoubz le boys, que
n'ha pas le Cerf a saillir, ou a brosser au travers: a ceste cause il
est contraint de sortir aux fustayes, ou pays cler, là ou il faut que
les piqueurs soyent bien sages, car il donnera plus tost le change en
pays foible que fort: par ce que les Chiens ont l'espace de leur
eslargir, et escarter d'un costé et d'autre, en courant de grande
chaleur et vistesse: et alors pourroyent outrepasser les routes, s'ilz
estoyent pressez des piqueurs, ou bien bouteroyent le change, ce
qu'ilz ne feroyent pas si aysément dedans les fortz, par ce qu'ilz
suyvent tousjours la route et menee par ou le Cerf va, et ne se
peuvent escarter d'un costé ne d'autre, car ilz ont peur de perdre les
erres par ou le Cerf fuyt. Qui est la cause pourquoy on se doyt plus
tost donner garde du change dedans les fustayes, que dedans les
tailles, d'autant que les Chiens le font valoir, et le transportent
plus tost en telz lieux qu'aux fortz: aussi que le Cerf s'esloigne et
fuyt mieux dedans les fustayes, et ha plus grand loysir de chercher le
change, et faire ses ruzes et hourvariz, que non pas au fort pays. Le
Cerf se forpaïse encores en une autre maniere, c'est quand il se veoit
pourchassé et pressé des Chiens, et qu'il cognoist que rien ne luy
vaut, a l'heure il s'estonne, et pert son esprit, ne sachant plus ou
il doyt aller: alors entreprent les campagnes, passant par les
villages et autres lieux. En telle chose les piqueurs se doyvent
approcher pres de leurs Chiens, et s'ilz les veoyent tomber en
deffaut, ne doyvent jamais retourner en arriere pour le deffaire, mais
pousser tousjours les Chiens outre: car jamais Cerf mal mené, qui se
forpaïse, ne fait de hourvary sur luy, mais passe tousjours outre tant
qu'il aura force, si ce n'estoit qu'il eust le vent de quelque eau,
alors se pourroit destourner pour y aller, autrement non. Il est bien
vray que s'il entreprenoit les campagnes, pour les raisons cy dessus
mentionnees, sans estre mal mené, il pourroit faire des ruzes et
hourvaris: mais s'il estoit mal mené, non: si ce n'estoyt
qu'il se voulust jetter sur le ventre, alors pourroit faire quelque
petite ruze pour demourer.
Plus, il faut entendre qu'il y ha grande difference de deffaire les
ruzes entre les forestz, et les campagnes, par-ce que dedans les
forestz il faut faire les cernes plus pres de la menee ou le Cerf aura
fait sa ruze, et les plus estroitz qu'on pourra: d'autant que si les
piqueurs prenoyent les cernes grans et larges, ilz pourroyent trouver
du change, lequel se feroit valoir devant les Chiens, qui leur seroit
un grand ennuy. Mais aux campagnes, ilz peuvent prendre leurs cernes
grans et larges, sans avoir crainte du change, par les fraischeurs et
lieux plus commodes pour eux, et ou les Chiens en pourront avoir plus
grand sentiment: par-ce que dedans les gueretz, et lieux secz et
arides, les Chiens ne cuyderont pas redresser, a cause de la poudre
qui est dedans, laquelle leur entreroit es nazeaux, et de la chaleur
du Soleil, qui auroit deseché et osté l'humidité de la terre: aussi
qu'il n'y ha herbe ne autre chose ou le Cerf eust touché, par ou les
Chiens en peussent avoir sentiment. Qui est la cause pourquoy les
piqueurs doyvent prendre leurs cernes par le pays le plus fraiz, et le
plus couvert, ou la terre auroit gardé sa fraischeur. Et s'ilz ne le
pouvoyent redresser au premier cerne, ilz en doyvent faire un autre
plus grand, et s'ilz ne le trouvoyent sorty ne de l'un ne de l'autre,
ilz pourront presumer qu'il sera demeuré en leur enceincte, ou bien
qu'il aura fait un hourvary sur luy. A l'heure doyvent ramener leurs
Chiens au commancement de leur deffaut, et les mettre sur la menee et
erres par ou ilz sont venuz, les faisant requester, en parlant a eux,
et les resjoüyssant, tant de la bouche que de la trompe, mettant pied
a terre pour leur ayder et secourir. Et n'est possible qu'ilz ne
relancent le Cerf en leur enceincte, ou qu'ilz ne le trouvent passé
outre, si ce n'estoit par une trop vehemente chaleur, qui
pourroit garder les Chiens de chasser. D'avantage, faut entendre que
si le Cerf est devant les Chiens, les deux premieres ruzes qu'il fait
au partir de la reposee, doyvent donner a cognoistre aux piqueurs
toutes les autres ruzes qu'il fera tout le jour: car s'il fait les
deux premieres ruzes en un chemin ou en l'eau, toutes les autres qu'il
fera tout le jour seront en mesmes lieux. Et faut bien que les
piqueurs regardent sur quelle main il en sort, car du costé qu'il en
sera sorty les deux premieres fois, toutes les sorties qu'il fera tout
le jour apres seront sur la mesme main, soit a dextre ou a senestre.
Parquoy faut que les piqueurs y regardent, a fin de faire requester
leurs Chiens a toutes les ruzes du costé que le Cerf sera sorty aux
deux premieres sorties. Plus le Cerf fait aucunes-fois de grandes
ruzes et hourvariz dedans les routes qui sont par le milieu des fortz,
ou bien il les suyt jusques au-pres du bort, faignant sortir au
descouvert, puis tout soudain fait un hourvary sur luy, retournant sur
ses erres, aucunes-fois plus de deux jetz d'arc. Lors les piqueurs, en
défaisant telles ruzes et hourvariz, doyvent bien prendre garde que
les Chiens ne prenent le contre-pied, d'autant que le Cerf seroit
refuy sur luy longuement: aussi qu'ilz trouverroyent les voyes plus
fraisches au couvert, que non pas ailleurs, qui les pourroit
transporter sur le contre-pied. Et en telz lieux les piqueurs ne
doyvent pas eschauffer les Chiens, mais plus tost les faire chasser en
crainte jusques a ce qu'ilz ayent redressé la sortie de la ruze.
Outre plus, il y ha des Cerfs lesquelz au partir de la reposee font
les rompus, se jettans sur le ventre devant les piqueurs, et se
monstrent et font relancer aux Chiens, comme s'ilz estoyent las, et
mal menez. Telles ruzes les jugent fort malicieux, et de grand'
haleine pour courir longuement devant les Chiens, se fians en leur
force. Et qui plus est, les piqueurs cognoistront si un Cerf se veut
rendre, et s'il est las, et mal mené, en plusieurs manieres.
La premiere est, si en fuyant devant les Chiens, il n'oyt et
ne veoit personne, s'il baisse la teste, mettant le nez pres de la
terre, et bronche et chancelle, faignant les jambes, demonstrant son
travail: puis s'il veoit quelque homme en sursaut, il leve la teste,
et fait de grans bondz, comme j'ay dit cy devant, pour donner a
cognoistre qu'il est encores fort et vigoureux: mais cela ne durera
gueres, car quand il sera outrepassé, il commancera a rabaisser sa
teste, et a faindre son corps, comme au par-avant.
Il se pourra encores cognoistre mal mené en une autre maniere, c'est
qu'il aura la gueule noire et seche, sans escume, et la langue retiree
au dedans. Ou bien le pourront cognoistre par le pied, a ses fuytes,
car bien souvent il fermera l'ongle, comme s'il alloit d'asseurance,
puis tout soubdain il s'efforcera, et l'ouvrira, faisant de grandes
glissees, donnant des os en terre le plus souvent, et suyvra
communément les routes et chemins, sans ruzer que bien peu, que s'il
vient a rencontrer quelque haye ou fossé, il yra du long pour chercher
une sortie a passer, par-ce qu'il n'aura pas la force et vigueur de
saillir, et sauter par dessus. Tous ces signes donneront a cognoistre
aux piqueurs que le Cerf se veut rendre, et qu'il est mal mené.
Je mettray fin a ce present chapitre, priant les piqueurs et
cognoisseurs m'escuser, si j'ay obmis ou delaissé quelque chose, par
ce que je ne puis pas si bien mettre par escript l'execution de mon
esprit, que je feroys si j'estois a l'oeuvre, d'autant que l'estat
requiert que les piqueurs y soyent fins, subtilz, et soubsonneux, et
qu'ilz se gouvernent scelon ce qu'ilz verront devant eux, presumans la
malice et force des Cerfz, ensemble la bonté et vigueur de leurs
Chiens, et scelon qu'ilz verront faire les ruzes et hourvariz, et les
lieux ou elles seront faictes. Et aussi se doyvent gouverner, et faire
leurs cernes grans ou petis, longs ou estroitz, selon la
commodité des lieux, et le temps qu'il fera et la saison: car aux
chaleurs, et au temps des fleurs, que les herbes ont senteur, les
Chiens sur-allent plus tost les bestes qu'en autre saison. En tel
temps et lieux il est besoing de faire les cernes grans, et par
plusieurs-fois, en cherchant les lieux fraiz et commodes pour le
sentiment des Chiens: et par ainsi il est fort malaisé que le Cerf se
desrobe d'un bon piqueur, et penible, si ce n'est par la faute des
Chiens. Et encores que les Chiens abandonnassent le Cerf, a cause de
la nuyt, qui les pourroit surprendre, ou bien qu'ilz fussent las et
harassez, si est-ce que le piqueur ne se doyt estonner, mais faut
qu'il brise ses dernieres voyes ou erres pour le retourner chercher,
requerir, trouver, et prendre le lendemain.
Comme il faut que les piqueurs sonnent de la trompe, et parlent aux
Chiens, pour le Cerf. CHAP. 41.
[FIGURE]
AU-JOUR-D'HUY il y ha peu d'hommes qui sachent bien sonner de
la trompe, et parler aux Chiens en cris et langages plaisans, comme
faisoyent les anciens: car a present je veoy que les piqueurs ne
prenent pas grand plaisir a veoir courir, ne faire chasser et
requester les Chiens: mais seulement leur sufist de veoir prendre et
mourir un Cerf, pour avoir la bonne grace de leur maistre, et faire
leur profit: et deslors qu'il est lancé n'en desirent que la curee. Ce
que ne faisoyent les anciens, lesquelz se delectoyent, et prenoyent
plaisir a bien parler et conduire les Chiens, comme recite Phebus, qui
loüe grandement le Duc d'Alençon, Huet de Nantes, et le sire de
Mommorancy, lesquelz estoyent oüys et entenduz sur tous autres. Or
apres avoir entendu et pratiqué quelque peu de leur style de sonner,
et maniere de parler, crier, et hucher de la voix: j'ay bien voulu icy
en noter et mettre par escript quelque chose, selon l'intelligence de
mon esprit.
Comme il faut sonner de la trompe, et houpper de la voix, pour
s'appeller l'un l'autre quand on est a la chasse. CHAP. 42.
CELUY qui voudra, estant a la chasse, appeller son compaignon
avec sa trompe, doyt sonner un mot long, ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] Tran.
Les autres luy doyvent respondre en mesme son, avec leur
trompe, en ceste maniere, comme ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] Tran.
Et lors qu'ilz auront respondu, il doyt redoubler deux foys de
sa trompe, en ceste sorte,
[NOTATION_MUSICALE] Tran Tran.
Semblablement celuy qui voudra houpper, et appeller son
compaignon de la voix, doyt houpper un mot bien long, ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] Houp.
Et s'il respond il doyt respondre en mesme voix longue.
Puis celuy qui voudra rappeller, redoublera sa voix en houppant en
ceste maniere,
[NOTATION_MUSICALE] Houp Houp.
Voyla comme les Veneurs et piqueurs se doyvent appeller les uns
les autres, tant de la trompe, que de la voix.
Et notez que tant pour s'appeller l'un l'autre de la trompe que
sonner pour Chiens, il en faut sonner du gresle: car en toute chose,
pour la chasse du Cerf on ne doyt point sonner du gros de la trompe.
Comme il faut sonner de la trompe pour Chiens, et aussi
comme il faut parler a eux de la voix quand ilz chassent.
Quand les piqueurs seront a la queüe des Chiens, estans
les Chiens bien ameutez, ilz doyvent sonner souvent de la trompe, et a
chascun coup troys motz de moyenne longueur, comme ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] Tran Tran Tran.
Semblablement quand le piqueur sera a la queüe des Chiens,
estans les Chiens bien ameutez, il doyt parler a eux, ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] Il va là Chiens, il va là ha, Il va là
ha, Il
va là ha ha ha ha.
Autre maniere de forhuer et parler aux Chiens avec la voix,
quand ilz chassent, et sont ameutez.
[NOTATION_MUSICALE] Hau il fuyt là Chiens, il fuyt là, il fuyt
là, il fuyt là.
[NOTATION_MUSICALE] Là ira Chiens, là ira, là
ira, ha,
ha. Outre ira Chiens, outre ira, outre ira, ha, ha,
Comme il faut sonner veue avec la trompe, et comme il faut
parler aux Chiens avec la voix, quand on veoyt le Cerf a veue.
Si les piqueurs se trouvent au devant de la meute, et
qu'ilz voyent le Cerf a veüe, ilz doyvent forhuer et sonner de la
trompe plusieurs fois, en motz longs, ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] Tran, tran, tr. tran, tr. tr. tran,
Semblablement si les piqueurs se trouvent au devant des Chiens
et qu'ilz voyent le Cerf, ilz le doivent laisser passer devant eux,
puis forhuer et parler aux Chiens ainsi
[NOTATION_MUSICALE] Thia hillaud, thia hillaud.
Et ne cesseront de forhuer et crier jusques a ce que les Chiens
soyent venuz a euz: puis quand ilz seront venuz, le piqueur les doit
laisser passer, et se mettre a la queüe, en criant,
[NOTATION_MUSICALE] Passe le Cerf, passe, passe, passe, passe,
ha, ha, hau, ha, hau.
Puis quand il sera en l'eau, ou qu'il l'aura passee, on doit
crier ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] Au il bat l'eau chiens, il bat l'eau, ij. il
bat l'eau.
Comme il faut sonner de la trompe aux deffaux, et la maniere
de parler de la voix aux Chiens pour le deffaut, affin de les appeller
a soy, et relever le deffaut.
Si on veut faire retourner les Chiens a quelque ruze ou
hourvari, ou bien qu'on eust laissé le relais, et que la meute fust en
deffaut, qu'il falust que le piqueur appellast ses Chiens
apres luy pour les joindre, il faut qu'il sonne troys ou quatre foys:
appellant ses Chiens apres luy pour les rassembler, en ceste sorte
[NOTATION_MUSICALE] Tran, tran, tran, tran, tran, tran
Pareillement si le piqueur veut rappeller les Chiens pour les
faire retourner a luy: il les doyt hucher ainsi avec la voix
[NOTATION_MUSICALE] hourva a moy theau il fuyt icy
Quand le Cerf se forpaise, le piqueur doyt sonner de la trompe
deux sons longs en ceste maniere
[NOTATION_MUSICALE] Tran tran tran tran
Si le piqueur veoit ses Chiens en deffaut, il doit parler a eux
pour leur faire requester le deffaut et pour les resjoüyr, ainsi
[NOTATION_MUSICALE] Hau ou est il allé le Cerf: va il là
di,
appelle appelle appelle.
Quand les Chiens ont relevé le deffaut, il faut parler a eux:
et nommer par leur nom ceux qui dressent et font la pointe du relief,
en les nommant par leur nom
[NOTATION_MUSICALE] Cy fuyt a Myraud a Brissaud a Gerbaud
Comme on doyt crier et forhuer et parler aux Chiens, quand
le Cerf ha faict une ruze, ou quand un Chien se transporte.
Si le piqueur veoyt que le Cerf eust faict une ruze en un
chemin: il doit sonner de la trompe un son long: et puys crier et
appeller ses Chiens en la maniere qui s'ensuit
[NOTATION_MUSICALE] Vauleci horvari le Cerf Vauleci horvari
Vauleci horvari la voye
Puis si le piqueur veoyt que l'un de ses Chiens
transporte le Cerf, et qu'il en voye les fuites, il doyt crier en
ceste sorte, en jettant une brisée,
[NOTATION_MUSICALE] Vaulecy fuyant, il dit vray, vaulecy fuyant,
vaulecy fuyant.
Comme on doyt sonner les abboiz de la trompe, et parler aux
Chiens, de la voix, quand le Cerf sera aux abboiz.
Quand le Cerf sera aux abboiz, les piqueurs doivent sonner
de la trompe six ou sept sons fort vistes et courtz, et le dernier un
peu plus long, et les ressonner plusieurs foys, comme il s'ensuit.
[NOTATION_MUSICALE] Tran. tr. tr. tr. tr. tr. tr. tr. tran. tr.
tr. tr. tr. tr. tr. tr. tr. tran.
Aussi le piqueur, quand le Cerf sera aux abboiz, doyt parler a
ses Chiens en ceste sorte,
[NOTATION_MUSICALE] Hau halle Chiens, halle, halle, halle, halle.
Comme il faut sonner avec la trompe la mort du Cerf, et
comme a sa mort il faut crier et appeller les Chiens.
Quand le Cerf sera pris, tous les piqueurs doivent sonner
longuement, par sons longs, en ceste sorte et maniere,
[NOTATION_MUSICALE] Tran, tran, tran, tran, tran.
Et aussi les piqueurs doivent crier et appeller les
Chiens a la mort du Cerf, ainsi,
[NOTATION_MUSICALE] A la mort Chiens, a la mort, a la mort.
Comme il faut sonner la retraicte avec la trompe, et comme
il faut crier et appeller les Chiens quand la chasse est faicte.
Quand la chasse sera finie, et que les piqueurs se
voudront retirer, il faut sonner de la trompe troys motz forts longs,
puis les redoubler par deux plus briefz, et un tiers qui sera
semblable aux deux premiers sons, comme pourrez veoir noté icy
dessoubz.
[NOTATION_MUSICALE] Tran, tran, tran, tran, tran, tran, tran.
Semblablement il faut crier et appeler les Chiens a la
retraicte en ceste maniere
[NOTATION_MUSICALE] Theau Chiens theau hau haute haute thie thie
ha ha ha ha ha ha
Comme il faut sonner de la trompe pour faire la
curee: et comme il faut avec la voix forhuer les Chiens, a la curee.
Quand on appellera les Chiens pour venir a la curee, il
faut sonner avec la trompe, comme il est icy noté.
[NOTATION_MUSICALE] Tran tran tran tran tran tran tran tran.
Et aussi quand les piqueurs voudront faire la curee aux Chiens,
faut qu'ilz forhuent et crient, jusques a ce qu'ilz soyent tous venuz,
en ceste maniere,
[NOTATION_MUSICALE] Theau le hau, theau le hau
Comme on doyt parler aux Chiens, quand ilz mangent la curee,
et de ce qu'ilz leur faut faire.
Quand les Chiens mangeront la curee, les piqueurs les
doyvent frapper de la main, en leur faisant chere et les appellant par
leur nom, principalement ceux qui ont mieux faict leur debvoir, en
criant et parlant ainsi aux Chiens,
[NOTATION_MUSICALE] Ha Miraut ha Brifaut ha Gerbaut
Comme il faut sonner de la trompe apres la curee, et comme
il faut sonner pour ramener les Chiens au chenin.
Quand la curee sera mangee, ou doit renverser le
cuyr du Cerf sur les Chiens, en leur monstrant la teste du Cerf, et
sonner de la trompe ne plus ne moins qu'aux abboiz, comme pouvez veoyr
cy dessoubz.
[NOTATION_MUSICALE] Tran tr. tr. tr. tr. tr. tr. tr. tran, tr.
tr. tr. tr. tr. tr. tr. tr. tran.
Puis quand le tout sera faict, et qu'on voudra ramener les
Chiens au chenin, on doit sonner deux briefz sons a chascune foys, en
ceste maniere,
[NOTATION_MUSICALE] Tran tran tran tran tran tran tran tran.
Voila en brief une partie du stile de sonner et crier pour
Chiens, lequel les bons piqueurs doivent scavoir et entendre. Et y
pourront augmenter sur chascun article telz motz et termes de parler
et crier qu'ilz voudront. J'en eusse mis grand nombre par escript,
sinon qu'il eust esté long, et mal-aisé a noter. A cecte cause il me
suffist d'en escrire les sons et motz les plus communs, pour en donner
intelligence aux apprentifz. Et aussi par-ce qu'il y ha beaucoup
d'hommes qui n'ont pas la voix a commandement, pour prendre les cris
et termes de Venerie si hautains, je m'en suys remis a la discretion
de leur voix: touteffois que les hautains et plaisans cris sont
desdiez pour la chasse du Cerf, et les bas, rudes et furieux pour la
chasse du Sanglier: comme de crier Hou, Veles cy aller, Houla, Houla,
et autres rudes langages: mais pour la chasse du Cerf, ilz sont
deffenduz, sur peine de desroger a l'estat de Venerie.
Comme il faut tuer le Cerf quand il sera aux abboiz, et de ce qu'il
faut faire. CHAP. 43.
[FIGURE]
QUAND les Cerfz sont aux abboiz, ilz sont dangereux,
principalement a la saison du rut, car leur teste est plus veneneuse
qu'en autre temps. Et pour ceste raison on dit un commun proverbe, Au
Cerf la biere, et au Sanglier le barbier. Ce qui n'ha esté dit pour
neant, veu les accidentz qui en sont arrivez, comme lon peut veoir par
exemple. Nous lisons d'un Empereur nommé Basile, lequel avoit gaigné
maintes batailles, et fait de grandes proüesses en son regne, et
toutes-fois fut vaincu et tué d'un Cerf, le voulant assaillir
aux abboiz. O fortune que tu es variable! Un Prince ayant fait tant de
vaillances entre les hommes, estre vaincu d'une beste. Et y ha tant
d'autres exemples que je laisse a cause de brefveté. Mais cestuy ci
doyt suffire aux piqueurs, pour les faire cognoistre et entendre
qu'ilz doyvent aller sagement aux abboiz du Cerf, comme je declaireray
cy apres. Et pour-ce il faut entendre qu'il y ha difference des abboiz
de l'eau, et des abboiz de la terre: car si le Cerf est en eau
profonde ou le piqueur ne peust aller a cheval, la premiere chose
qu'il doyt faire, c'est de coupler les Chiens, pour beaucoup de
raisons, car s'ilz estoyent longuement en l'eau, ilz se refroidiroyent
et gasteroyent: aussi si c'estoit en quelques rivieres ou estangs
larges et grandz, ilz seroyent en danger de leur noyer: par-ce qu'un
Cerf mal mené ne cuyde pas sortir de l'eau quand il voit les Chiens et
piqueurs apres luy, et nage volontiers tousjours par le milieu sans
s'approcher de la rive: qui est la cause pour-quoy le piqueur doyt
prendre ses Chiens, et se cacher, attendant le Cerf a sortir: ce qu'il
pourra faire n'oyant point de bruyt, ou bien il s'approchera de la
rive en lieu ou le piqueur luy pourra donner un coup d'espee. Et si
d'avanture le Cerf sortoit de l'eau, il le doyt laisser esloigner
assez loing premier que de decoupler ses Chiens: car si le Cerf oyoit
si soudainement bruyt apres luy, il pourroit encores retourner dedans,
et le piqueur n'auroit pas de loisir ne l'espace de luy donner un coup
d'espee. Et s'il voyoit que le Cerf ne voulust sortir de l'eau, il
doyt envoyer querir un bateau, ou bien s'il sçayt nager, faut qu'il se
despouille tout nud, ayant une dague en l'une de ses mains, et se
mette a la nage pour l'aller tuer: mais se doit bien donner de garde
de l'assaillir, si ce n'est en lieu profond, par ce que si le Cerf
prenoit terre, il le pourroit blesser de sa teste, mais en lieu
profond il n'ha force ne puissance. J'en ay tué en ceste sorte
plusieurs-fois en presence de beaucoup d'hommes, puis les
poussoys a la rive en nageant. Autrement, si le Cerf tient les abboiz
a terre, et qu'il ayt sa teste frayee et brunie, le piqueur doyt bien
regarder en quel lieu c'est: car si c'est en lieu plain et descouvert,
ou il n'y ayt point de boys, il y est dangereux et mal-aisé a tuer,
mais si c'est au long d'une haye, ou en quelque fort de boys, ce
pendant qu'il s'amuse aux Chiens, le piqueur mettra pied a terre, et
ira secretement par le derriere des brosses, et le tuera aisément. Et
s'il advenoit que le Cerf tournast la teste pour venir a luy, doyt
soudainement prendre une branche, ou un fueillard, et le secouer
rudement, lors le Cerf ne faudra a retourner, sans luy faire mal. Le
piqueur le pourra bien tuer encores en une autre maniere, c'est que
quand il verra le Cerf aux abboiz, il doyt haller, et crier a ses
Chiens, et lors qu'il verra qu'il tournera la teste pour s'enfuyr, il
doyt piquer son cheval, et l'accouer de plus pres qu'il pourra, a fin
qu'il n'ayt pas le loysir ne le lancs de tourner la teste pour le
blesser, et ainsi le pourra tuer.
Comme on doyt deffaire le Cerf, et faire la curee aux Chiens.
CHAP. 44.
[FIGURE]
QUAND le Cerf sera pris, tous les Veneurs et piqueurs, qui là
seront, doyvent hucher, et sonner la mort, a fin de faire assembler
les compaignons de la Venerie, et les Chiens. Eux estantz assemblez,
et que le Roy ou maistre sera arrivé, feront fouler le Cerf
aux Chiens: ce fait: les doyvent recoupler, puis le Veneur qui l'aura
destourné, doyt prendre son cousteau, et lever le pied droit, lequel
il presentera au Roy en la sorte qu'il est cy dessus pourtrait: puis
avant que faire aucune chose, faut qu'ilz couppent de la fueillee,
laquelle ilz espandront par terre, et mettront le Cerf dessus, le
couchant sur l'eschine, les quatre piedz et le ventre contremont, et
faut mettre sa teste soubz ses deux espaules, comme pourrez veoir par
la pourtraicture cy dessus faicte. Ce fait, il faut faire une
fourchette qui ayt l'un des costez plus long que l'autre, comme
pourrez veoir par ceste pourtraiture, dedans laquelle fourchette faut
mettre tous les menuz droitz qui appartiennent au Roy, ou au Seigneur
de la Venerie. Puis avant que de fendre le cuyr du Cerf, la premiere
chose qu'on doyt lever, sont les dyntiers, vulgairement appellez les
couillons, ausquelz il faut faire un petit pertuys en la peau, pour
les mettre a la fourchette. Apres faut qu'il commance a despouiller le
Cerf en ceste maniere.
Premierement, il doyt commancer a le fendre a la gorge suyvant tout
le long du ventre jusques au lieu des dyntiers: puis le doyt prendre
par le pied dextre de devant, et enciser la peau tout au tour de la
jambe, au dessoubz de la joincture, et la fendre depuis l'encisure
jusques au noyau de la poictrine: et en fera autant a chascune des
autres jambes, et si faut qu'a celle de derriere les encisures
finissent au droit du vit, de chascun costé. Apres faut commancer par
les jambes, ou par les poinctes des encisures, a le despouiller. Et
quand il sera a l'endroit des costez, faut qu'il leve avec la peau une
sorte de chair rouge, que nous appellons le parement, qui vient par
dessus la venaison des deux costez du corps. Puis apres que le Cerf
sera tout despouillé, fors seulement la teste, les oreilles, la queuë,
et le cul, lesquelles choses doyvent demourer avec le poil,
avant que toucher au corps, le Veneur doyt demander du vin, et boire
le coup, car autrement, s'il deffaisoit le Cerf sans boire, la
venaison se pourroit tourner et gaster. Le Roy ou Seigneur doyt faire
apporter son vin, avec la chaufrette pleine de charbon vif, et la
saulse en une escuelle bien assimentee, comme il est requis: et ainsi
comme il verra deffaire le Cerf au Veneur, doyt prendre ses appetis,
et chercher les morceaux friandz, pour les mettre sur la chaufrette,
et faire ses carbonnades, en beuvant, riant, et faisant grand' chere,
devisant des Chiens qui ont le mieux chassé, pourchassé, requesté, et
resauté, les faisant venir devant luy pour veoir deffaire le Cerf, car
ainsi faisoyent les bons et anciens Princes, amateurs de la Venerie.
Alors le Veneur prendra son cousteau, et commancera a deffaire le Cerf
en ceste sorte, eslargissant le cuir sur la fueillee.
Premierement, faut qu'il leve la langue, et la mette a la
fourchette. Apres doyt lever les deux neudz qui se prenent entre le
col et les espaules: il y en ha deux autres qui se prenent aux flancs,
et pour ce on les appelle flancars, tous ces quatre neudz se doyvent
mettre a la fourchette. Ce fait, faut qu'il leve l'espaule droite,
laquelle appartient au Veneur, qui aura laissé courre, puis lever
l'autre espaule, qui appartient a tous les autres. Cela fait, faut
lever la hampe, qui appartient au grand Veneur, puis les foulz qui se
prenent au bout de la hampe sur la poictrine du costé du col, ce qui
appartient a celuy qui ha laissé courre. Apres doyt vuyder le ventre,
et oster le vit: puis lever la vene du cueur, et le franc-boyau, et
tout chaudement le tourner et nettoyer, et le mettre a la fourchette.
Apres faut ouvrir le cueur, et en oster l'os, et lever les nombles,
qui se prenent entre les cuysses, puis doyt lever les cuysses: et
apres faut lever le cymier depuis le commancement des costez, et de
longueur jusques au bout de la queuë, en eslargissant sur les
cuysses jusques aux jointz, laissant l'os corbin tout franc,
en luy donnant deux coups de cousteau sur le haut des deux costez,
pour monstrer la venaisson: et en faut oster du bout de devers les
costez, trois neudz, qu'on appelle les cinq et quatre, qui
appartienent au grand Veneur. Les nombles, cuysses et cymier
appartienent au Roy. Apres faut lever le col, qui appartient aux valet
de Chiens: puis enlever les costez, lesquelz appartienent au Roy:
apres lever l'eschinee, qui appartient au valet de Limier.
De la curee des Chiens courantz, et premierement des Limiers.
CHAP. 45.
[FIGURE]
LA CUREE des Limiers se doyt faire en ceste sorte.
Premierement, quand on deffera le Cerf, il faut que les Limiers soyent
presens a le veoir deffaire, et qu'ilz soyent tenuz ou
attachez en quelques lieux, ou ilz ne se puissent battre et toucher
les uns les autres. Puis le Veneur qui l'aura destourné, doyt prendre
le massacre ou teste du Cerf, et le cueur, pour faire le premier droit
a son Limier, pour autant que l'honneur luy appartient. Apres avoir
fait le devoyr a son Chien, il donnera la teste a ses compaignons,
pour faire pareillement le devoir a leurs Limiers. Ce fait, s'en iront
boire, pendant que les valetz de Chiens accoustreront la curee pour
les Chiens courantz, laquelle se peut faire en deux sortes. Dont la
premiere est, qu'incontinent que le Cerf est prins, les piqueurs ayans
sonné et amassé les Chiens de la meute pour se trouver a la mort, ilz
doyvent mettre pied a terre, et despouiller soudainement le col du
Cerf, ce pendant qu'il est chaut: puis luy donner sept ou huyt
taillades de cousteau affin que les Chiens puissent avoir la chair
plus aysément, et tout chaudement leur faire la curee du col, et de la
cervelle du Cerf. Et devez scavoir que telles curees chaudes et
soudainement faictes, sont meilleures sans comparaison que celles qui
se font au logis, et mettent bien plus tost et mieux les Chiens a la
chair. Celles qui se font au logis, qu'on doyt nommer curees froides,
se font en ceste maniere, faut prendre du pain, et le decoupper par
petis lopins en une poisle, avec du fourmage: puis prendre le sang du
Cerf, et en arrouser le pain et fourmage. Alors qu'on verra le tout
bien bruny de sang, faudra prendre une grande potee de laict chaut, et
arrouser et mesler le tout ensemble. En apres estendre le cuyr en
quelque beau lieu sur l'herbe bien nette, et mettre soudainement la
curee dessus: par-ce que si elle demeuroit longuement en la poisle,
l'arain ou le laict la pourroyent aigrir. Lors que la cure sera bien
estendue sur le cuyr, faut mettre le massacre ou teste au millieu, et
emplir une poisle d'eau fresche aupres de la curee, pour faire boire
les Chiens: puis faut mettre le forhu au bout d'un baston, lequel doyt
estre bien vuyde et net, de peur qu'il face mal aux Chiens,
celuy qui le portera s'en doyt aller a cent pas de là. Puis le Roy ou
Seigneur, ou celuy qui representera sa personne, doyt commancer le
premier a sonner de la trompe, et forhuer les Chiens, par autant que
l'honneur luy appartient, et alors les Veneurs mettront tous la trompe
a la bouche, pour sonner, forhuer, et resjouyr les Chiens. Le valet de
Chiens doyt estre sur le milieu de la curee, avec deux houssines pour
la deffendre, {dffendre} a fin que les premiers venuz attendent les
derniers. Et incontinent qu'il les verra tous abboyantz au tour de
luy, il se doyt oster, et les laisser manger, en les resjouyssant et
faisant chere de la main: puis quand ilz verront que la curee sera
presque mangee, celuy qui ha le forhu doyt sonner et crier, Ty-ha
Hillaud. Les valetz de Chiens qui seront a la curee doyvent menacer
les Chiens, et les faire aller a luy, alors il leur monstrera le
forhu: puis quand il les verra tous autour de luy, jettera son forhu
par le milieu d'eux. Apres qu'ilz l'auront mangé, faudra les ramener
sur le cuyr, et sonner de la trompe en tournant le cuyr sur eux.
Incontinent que la curee sera faicte, principalement quand elle est
froide, il faut mettre les Chiens au chenin, car s'ilz travailloyent
apres, ilz pourroyent rendre leur gorge, mais si la chair est chaude
et pure, ilz ne la cuydent pas rendre. Et quand la curee sera faicte,
les compaignons s'en iront boire.
Fin de la chasse du Cerf.
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