COMPLAINTE DU Cerf, a monsieur du Foüilloux, par Guillaume Bouchet.

SI pour sauver des Chiens ma vie fugitive
A l'homme je me rendz, et de mon gré le suyve:
Si a luy j'ay recours, affin de m'esloigner
Des Limiers, que je sens a ma mort s'escharner:
Pourquoy, seigneur Foüilloux, est-ce que tu les cornes?
Si a l'homme me rendz, en rabaissant mes cornes,
Pourquoy luy apprens-tu avec mille instrumens
Tendre toiles et retz pour me mettre dedans?
Pourquoy l'enseigne-tu? est-ce affin qu'il me prene,
Ou pour soudain mourir dans les retz il me mene?
Mes larmes, et mon poil, mes cors tousjours croissans
Luy profitent assez, sans qu'or avant mes ans
Mes forces par ses mains me soyent du tout ravies:
Car ma corne guerist autant de maladies
Que de foys on la veoyt sur le haut de mon front
Renaistre, tous les ans faisant un nouveau tronc.
Lon en chasse, bien tost, la douleur qui vironne
Dans le cerveau esmeu, et ses espritz estonne,
Si estant bien pilee une dragme on en boyt
Lon en purge l'humeur, et le trop qui croissoyt.
Aux talons escorchez on faict la peau reprendre,
Lon faict mourir les cors qui veulent loing s'estendre.
Le mal long et tardif de l'humeur trop puissant
Par ma corne est guery, rendant le corps poisant.
Quand l'humeur froid ou chaut l'un sur l'autre maistrise,
Ma force et ma vertu empesche l'entreprise.
De la femme on retient l'amarry et les fleurs,
Si peu elle se purge ou trop, servant aux deux.
Guerist le mal des yeux, quand d'une obscure nue,
Croissant, il veut voyler et veut siller la veüe.
La rate lon remet, qui espand par le corps
Une jaune poison, appaise les effortz
De l'humeur chaut et froid, qui enragément blece
Les tendres nerfz des dentz, l'humeur tombant sans cesse.
De la froide colique on sent fuyr les ventz
Allongeans les boyaux avec mille tormentz.
Si quelqu'un s'est bruslé, ma corne mise en poudre
Le soulage aussi tost, et sa peau faict resoudre.
Elle soulage aussi un homme empoisonné
Que l'avare heritier, las, aura bouconné,
Et resiste au venin: desechant elle tue
Tous les vers formillans d'une chair corrompue.
Mais quoy? Je chante en vain de ma corne l'honneur,
Et l'honneur qui me nuist. Je sens desja la peur
Me mettre une aisle au pied, affin que je me cache
Par le couvert des boiz, ou ma vie j'arrache
Des dentz des gros Clabaux, me talonnans de pres.
Le cor emplist le ciel, je veoy desja les retz,
Et je veoy le Veneur, qui la fleche dressee
Mesure en encochant mon flanc a sa visee:
Et affin qu'il ne faille a me rendre aux abboiz,
Je veoy bien le Foüilloux, la crainte de noz boiz,
Luy remerquer au doigt mes traces et ma couche,
Affin que seurement il me suyve et me touche:
Comme dedans la trompe il doyt le son hausser
Quand il veut en fuyant aux dogues m'eslancer,
Et corner, a la fin, la prise pour m'occire,
Et ce qui s'en ensuyt, las, que je ne puys dire.
Peut estre qu'il pretend trouver dedans mon corps
Des remedes autant comme dedans mes cors:
Car usant de ma moelle, on appaise les peines
Quand le ventre est pressé de ses plus fortes geines:
Et par ma moelle encor et mon suif sont remis
Les membres et les nerfz, quand ilz sont refroidis.
Soyt que mon estomach pour medecine apporte
Des pierres, empeschans que la femme n'avorte.
Ou soyt que ma nature a un lit de Venus
Eschauffe les maryz trop coüardz et recruz.
Ou bien que dans mon cueur un petit os on treuve
Qui engarde trembler ceux qui en font espreuve.
Soyt que ma tendre chair on presente aux repas
Des Roys et des seigneurs, entre les premiers platz:
Si qu'en mangeant souvent, peu a peu lon consume
Des fiebvres la chaleur, qui aux veines s'allume:
Et qui plus est, ma chair faict prolonger les ans,
Qui poisent sur le chef des hommes vieillissans.
Mais homme mal-heureux, si mon eage te passe,
Veux-tu que contre Dieu le tien allonger face?
Faut-il, en me mangeant, celuy la avier
Qui par ma dure mort veut sa vie allonger?
Si tous ces grans biens la viennent de mon dommage,
Qu'apres ma mort ce soyt, je ne vy plus d'un eage:
Si c'est pour le plaisir, les bestes poursuy donc
Lesquelles nul profit, mais dommage te font.
Sinon, puisse estre ainsi, que des Dieux la puissance
Autant que toy a nous te face de nuissance,
Et plus justes encor, qu'ilz t'envoyent souvent
La guerre, la famine, et la peste suyvant:
Affin que retenu en ce mal-heur contraire
Tu ne nous veüille plus ou nous puisse meffaire.
Mais si tu demourois en tes maux courageux,
Despitant la puissance, et le courroux des Dieux,
Puisse-tu rencontrer Diane Cynthiene
Toute nue baigner dedans quelque fontaine,
Et ainsi qu'Acteon, comme moy Cerf tourné,
Bramer devant ton Chien dessus toy attiné,
Qui succera ton sang, jusqu'atant que lon pense
Ceste peine cruelle esgaller ton offence.

FIN.