De la Chasse et propriété du Sanglier. CHAP. 46.
[FIGURE]
APRES avoir descrit de la Venerie du Cerf, selon l'intelligence de mon esprit, je feray seulement icy un petit traicté de la chasse et proprieté du Sanglier: combien qu'il ne doyt pas estre mis au rang des bestes chassees a force de Chiens courantz, mais est le vray gibbier des mastins, et leurs semblables: d'autant que c'est une beste pesante, et de grande senteur, laquelle ne se fie qu'en ses dentz, et deffenses, ne voulant fuyr ne s'esloigner des Chiens, a ceste cause ne peut on cognoistre la bonté et vistesse d'iceux. Aussi a la verité, il me semble que c'est grand dommage de faire courir a une bonne meute de Chiens telles sortes de bestes, pour les raisons qui s'ensuyvent.
Premierement, le Sanglier est le seul animal qui peut tuer et ferir d'un coup, car si les autres especes esgratignent ou mordent, il y ha tousjours moyens de remedier a leur morsure, mais au Sanglier, s'il blesse un Chien de la dent, au coffre du corps, il n'en cuydera jamais eschapper. Et ha ceste malice que s'il veoit une bonne meute de Chiens, qui le chassent de pres, il fuyra dedans le plus grand fort qu'il pourra trouver, là ou il les pensera tuer a son aise. Ce que j'ay veu par experience plusieurs-fois, et entr' autres d'un Sanglier, qui avoit cinquante Chiens courantz apres luy, lors qu'il les voyoit tous bien ameutez et ensemble, il tournoit sa hure devers eux, et donnoit dedans le milieu de la meute, de telle sorte qu'il tueoit aucunes-fois six ou sept Chiens d'une venue: et des cinquante Chiens courantz, il n'en fut point ramené dix sains au logis. Et aussi que si une meute de Chiens est une fois dressee pour le Sanglier, ilz ne veulent plus courir les bestes legieres, par ce qu'ilz ont accoustumé de chasser de pres, et avoir grand sentiment de leur beste, ce qui est du tout contraire aux bestes legieres. Pour ces causes, je veux conclure que tout homme qui veut prendre le Cerf, Chevreul, ou Lievre a force, ne doyt point faire courir le Sanglier a ses Chiens. Mais par ce que les hommes sont de diverses opinions, et cherchent leur plaisir selon la commodité de leurs maisons, je leur descriray icy la proprieté du Sanglier, et comme on le doyt chasser, et le moyen de le tuer avec l'espieu, et l'espee, comme on le pourra veoir par les pourtraitz cy apres mis.

Du naturel et malice du Sanglier. CHAP. 47.
LES Sangliers sont de telle nature, que quand ilz naissent et sortent du ventre de la mere, ilz apportent toutes les dentz qu'ilz auront jamais, et ne multiplieront plus leurs dentz sinon en grosseur et longueur. Ilz en ont quatre entre autres, lesquelles se nomment deffenses, dont les deux de dessus ne blessent point, mais servent seulement d'aiguiser celles de dessoubz, desquelles ilz blessent et tuent. S'il advient que les Sangliers se crevent les yeux, ilz guarissent soudainement. Ilz peuvent vivre vingt et cinq ou trente ans. En Apvril et May ilz sont plus aisez a mettre aux toiles qu'en autre saison: la raison est, qu'ilz dorment plus fort en ces deux moys qu'en autre temps, par ce qu'ilz mangent les herbes fortes, et la gette du boys, qui leur esmouvent le sang, et font monter les fumees au cerveau, ce qui les endort. Aussi que le Prin-temps leur renouvelle le sang, qui est cause de leur grand repos. Les Sangliers vont au rut environ le moys de Decembre, et dure leur grand' chaleur pres de troys sepmaines. Et encores que les Layes soyent refroidies, les Sangliers ne bougent de leurs compaignees qui ne soyt environ le mois de Janvier: alors se departent, et vont prendre leur buysson, se recelans aucunes-fois dedans leur fort deux ou trois jours sans en sortir, et principalement quand ilz ont ouvert leur fouge, et qu'ilz trouvent la racine de fougere douce. Les Sangliers sortent aucunes-fois des forestz, et vont chercher leurs mangeures bien loing, le plus souvent au temps de vendanges, et demeurent là ou le jour les prend, sans regarder le lieu, mais leur suffist seulement de demeurer en quelque gros hallier de ronces, ou d'espines, attendant la nuict a venir. Ilz escoutent l'homme de bien loing, quand ilz sont au dessoubz du vent, mais quand ilz sont au dessus, n'en ont sentiment que bien peu. Les Sangliers vivent de toutes sortes de bledz, fruictz, legumes, comme pommes, poyres, prunelles, faine, gland, et autres semblables, et de toutes racines, excepté de rabes, et naveaux. Aussi en Apvril et May ilz mangent la gette du prunier, et du chesne, et toutes bonnes fleurs qu'ilz peuvent trouver, principalement celle du genest. Ilz vont aux charoignes du Cheval, et non d'autres bestes.
Il faut entendre que le Sanglier ha ceste proprieté, qu'il ne devient jamais ladre, comme un Porc privé. Quand les Sangliers sont aux marez, ils vivent d'anguilles, d'aschetz, et autres choses qu'ilz peuvent trouver. A la coste de la Mer ilz vivent de toutes sortes de coquilles, comme mousles, huytres, et leurs semblables. Leur saison et venaison commance a la my-Septembre, et finist environ le commancement de Decembre, qu'ilz commancent a aller au rut. Communément les Sangliers se font abbayer aux Chiens en leur bauge, ou au partir d'icelle, et font plus tost leurs demeures dedans les boys fortz d'espines et ronces, qu'ailleurs. Et quand ilz sont chassez des Chiens, ilz fuyent le fort pays, et couvert, ne se voulant desbucher de leur fort qu'ilz ne sentent la nuict approcher. Et si de fortune il y ha une compaignee de bestes, et qu'il y en ayt une qui se desbuche par un endroict, toutes les autres la suyvront, et sortiront par mesme lieu. Les Sangliers abandonnent plus tost les forestz pour aller au loing chercher des buyssons, que ne font pas les Cerfz: aussi dit on que le Sanglier n'est qu'un hoste. Et si d'avanture les Sangliers font leur demeure en un buysson, et qu'ilz soyent venuz de quelque forest loing de là, s'ilz y sont chassez, ilz s'en retourneront sur les mesmes erres par ou ilz sont venuz, et depuis qu'ilz se desbuchent d'un buysson, ilz fuyent tousjours, sans leur arrester, jusques a ce qu'ilz soyent au pays ou ilz ont esté nez, duquel ilz sont venuz: là ou ilz estiment leur sauvegarde, et le refuge de leur force. Ce que j'ay veu par experience d'un Sanglier qui estoit venu en un buysson, lequel des le lendemain laissé courre devant les Chiens, et tout soudain desbucha du buysson ou je le lancé, s'en retournant sur ses mesmes erres par ou il estoit venu, en une forest qui estoit a sept lieües loing de là: et par les lieux ou il passoit je voyois les vieilles erres par ou il estoit venu. Il est vray que s'il est nourry en un pays, et que les Chiens le chassent, il ne cuyde pas desbucher de son fort aysément, mais bien mettra la hure hors du fort pour s'en cuyder aller, en sentant et prenant le vent de toutes partz, puis s'il oyt quelque chose, il retourne soudainement sur luy, et apres, quelque bruyt que puissent faire les piqueurs ne les Chiens, il ne cuydera pas ressortir par cest endroit, si ce n'est vers le soir: mais s'il estoit une fois sorty ayant entreprins son chemin, il ne laisse pour homme ne pour bruyt a passer outre. Le masle ne cuyde pas crier quand on le tue, principalement un grand Sanglier, mais la femelle oüy. Quand le Sanglier fuyt devant les Chiens, il ne fait point de ruzes, d'autant qu'il est pesant, et que les Chiens le suyvent et chassent de pres. Je trouve dedans le Proprietaire, qu'on cognoist la vieillesse du Sanglier a la jambe, a laquelle y ha force petites foussettes ou rides, et autant que la jambe en marque, il doyt avoir d'ans: mais quand a moy, je ne m'arreste qu'aux traces, a la hure, et aux deffenses. Les femelles ne portent qu'une fois l'an. Les Sangliers sont plus hardis, et s'addressent plus tost aux hommes, pour leur courir sus, quand ilz font leur pourchaison de nouzilles, et de faine, qu'ilz ne font pas quand ilz la font de gland, ou d'autres mangeures. Un jeune Sanglier en son tiers an, ne doyt estre assailly pour prendre a force, car il courra beaucoup plus longuement que ne fera un jeune Cerf portant six cornettes.

Des mots et termes qu'on doyt user pour le Sanglier. CHAP. 48.
[FIGURE]
COMBIEN qu'en la chasse du Cerf, au chap. 37. j'aye parlé quelque peu des motz et termes de Venerie, qu'on doyt user pour la chasse du Sanglier, j'ay bien voulu icy en donner aux Veneurs plus ample intelligence. Premierement, si un Veneur se trouve entre les bons maistres, et qu'on luy demande que c'est qu'un Sanglier venant a son tiers an, il peut respondre, que c'est une jeune beste qui ha laissé les compaignees ceste annee, et que jamais Sanglier ne laisse les compaignees qu'il n'ayt passé deux ans. Puis si on luy demande que c'est qu'un Sanglier a son tiers an, peut respondre que c'est une beste qui ha trois ans accomplis, venant a son quart an: puis si on luy demande que c'est qu'un Sanglier en son quart an, il peut respondre, que c'est une beste qui ha quatre ans accomplis, venant au cinquiesme. Et tout ainsi qu'on dit, Cerf de dix cors courable, au prealable peut on dire Sanglier en son quart an courable, n'ayant point de reffuz. Puis si on luy demande que c'est qu'un grand vieux Sanglier, il peut dire, que c'est un Sanglier qui ha laissé les compaignees il y ha plus de quatre ans, ou autrement le peut dire Porc entier, ou grand vieux Sanglier. En apres si le Veneur fait son rapport, et qu'on luy demande ou le Sanglier ha esté vivre la nuict, il peut dire qu'il ha esté faire ses mangeures aux gaignages, qui se prenent pour champs, et autres lieux ou croissent toutes sortes de bledz, comme j'ay dit. Mais s'il voyoit qu'il eust fait ses boutis dedans des prez ou fraischeurs, il doyt appeller cela vermeiller: comme disant, le Sanglier ha vermeillé en tel lieu. Et si de fortune il avoyt fait sa nuict aux fouges, ou au parc, le Veneur doyt dire, qu'il ha fait ses boutis au parc ou a la fouge: car il faut entendre que toute espece de fruitz qu'il peut manger sans fouger, se doyvent nommer mangeures, et toutes les autres choses, ou il leve la terre avec le nez (autrement appellé boutouer) pour avoir les racines, se doyvent nommer fouge: mais aux lieux frais là ou il ne fait que lever un peu la terre avec le bout du boutouer, cela se doyt nommer vermeiller, qui est autant a dire, que chercher les vers en la terre. Il y ha aussi muloter, qui est quand le Sanglier va chercher les caches et greniers des mulotz, ausquelz ilz ont assemblé le bled, gland, et autres fruictz. Et quand ilz vont aux prez, et autres lieux, paistre l'herbe, telle chose se doyt nommer herbeiller, comme disant, le Sanglier ha herbeillé en telz lieux. Voyla comme le veneur doyt specifier les termes de la Venerie du Sanglier, en faisant ses rapportz.

Des jugementz que le Veneur doyt scavoir pour cognoistre un grand Sanglier, et premierement du jugement du pied. CHAP. 49.
COMMUNEMENT on cognoist les grands vieux Sangliers aux traces, desquelles les formes en doyvent estre grandes et larges, les pinces de la trace de devant rondes et grosses, les couppantz des costez des traces usez, sans se monstrer tranchantz, le talon large, les gardes grosses et ouvertes, desquelles il doyt donner en terre sur le dur par tout ou il marche. Les traces de derriere doyvent marcher au costé, par le dehors de celles de devant, demonstrant la grosseur des entre-cuysses. Les rides qui sont entre les gardes et le talon, se doyvent former en la terre, en demonstrant l'espesseur et rudesse du poil, ses alleures grandes et longues. La marche de la trace doyt estre profonde et large, monstrant sa pesanteur.

Du jugement des boutis. CHAP. 50.
QUAND le Sanglier fera des boutis dedans les hayes, pour avoir d'une racine qu'on appelle le parc, le Veneur pourra cognoistre la grosseur et longueur de sa hure, en regardant la profondité et largeur des boutis. Aussi il pourra cognoistre aux fraischeurs, là ou il va faire les boutis pour vermeiller, et en autres lieux.

Le jugement du Souil. CHAP. 51.
LE Veneur pourra cognoistre par le Souil, si c'est un grand Sanglier, en voyant la longueur, largeur et grandeur d'iceluy Souil: ou bien au partir du Souil le pourra cognoistre aux entrees des fortz, aux fueilles, et aux herbes ou le Souil touchera, par ce qu'alors qu'il en sort il emporte la boüe et fange sur luy, laquelle marque les fueilles en entrant dedans, par lesquelles on peut veoir et juger sa hauteur et grosseur. Ou bien advient souventes-fois qu'apres que le Sanglier s'est souillé, il se va frotter contre un arbre, a laquelle il marque sa hauteur. Et s'il ha esté fasché des Chiens, ou qu'il soit despit de quelque chose, il donnera volontiers deux ou trois coups de ses dentz ou deffenses dedans l'arbre, comme si c'estoyent coups de dagues: là ou le Veneur en pourra avour jugement, tant de sa hauteur, que de la grosseur et largeur des deffenses. Il se peut juger aussi par la bauge, car communément les grandz Sangliers en leur venaison font leurs bauges profondes en la terre, et au partir d'icelles jettent leur fiante, qui se nomme en terme de Venerie lesses, lesquelles doyvent estre grosses et longues, demonstrant la largeur du boyau, car tant plus une beste est vieille, et tant plus elle ha le boyau large: combien que le Veneur ne les doyt point apporter a l'assemblee, mais doit suffire de les regarder aux lieux ou il en trouvera.

La difference d'entre les Sangliers, et les Porceaux privez. CHAP. 52.
LA difference d'entre les Sangliers et Porceaux blancs est telle, que les bestes noires en leurs alleures mettent tousjours la trace de derriere dedans celle de devant, ou bien pres, et appuyent plus de la pinse que du talon, fermant l'ongle de devant, et donnent communément des gardes en terre, lesquelles ilz eslargissent par dehors, les costez des ongles des traces tranchantz et couppantz la terre: qui est au contraire des Porceaux blancs, car ilz ouvrent les ongles de devant, en laissant tout plein de terre entre-deux, et sont communément rondz et usez, appuyant plus du talon que de la pinse: aussi qu'aux Porceaux blancs le pied de derriere ne marche point dedans celuy de devant, et leurs gardes se fichent toutes droictes en la terre, sans s'escarter, et les costez des ongles ne font que fouler la terre sans le trancher. Aussi que le dessoubz de la solle des Porcs blancs est plein de chair, qui ne peut pas applanir la forme de la trace, comme fait celle du Sanglier. Il y ha pareillement grand' difference aux boutis, {boutes} car une beste noire les fait plus profondz, a cause qu'elle ha la hure plus longue, et quand elle arrive dedans les champs semez, elle suyt volontiers un rayon, nazillant et vermeillant tout le long d'un seillon, jusques a ce qu'elle soit au bout: ce que ne font les Porceaux blancs, car ilz ne suyvent pas leurs boutis comme font les Sangliers, mais seulement en font un en un endroit, l'autre plus loing, en traversant les seillons, sans que leurs boutis s'entretienent l'un avec l'autre. Semblablement on les peut cognoistre l'un de l'autre aux gaignages, quand ilz vont au grain, car les Sangliers abbatent le bled tout en rond, la ou les Porceaux blancs ne le font pas.

La difference des Sangliers entre le masle et la femelle. CHAP. 53.
COMBIEN que les Veneurs veulent dire qu'il n'y ha jugement ne cognoissance aux bestes de compagnee, qui sont soubz l'eage de deux ans, pour cognoistre les masles d'avec les femelles: si est-ce que j'ay veu plusieurs-fois des cognoisseurs en ces pays de Poictou, qui cognoissoyent le masle d'avec la femelle entre les cochons nez de l'annee, suyvans la mere, desquelz ay voulu entendre les raisons, qui sont: Que les masles estantz apres la mere s'escartent communément plus loing que les femelles, et vont naziller et vermeiller a douze ou a quinze pas loing de la mere, par-ce qu'ilz ont plus grand' hardiesse que n'ont les femelles: lesquelles font le contraire, car elles suyvent la mere le plus pres qu'elles peuvent, d'autant qu'elles n'ont pas le cueur ne la hardiesse de leur escarter, comme les masles: et le cognoissent encores aux alleures, disans que tout masle eslargist plus les jambes de derriere en marchant, que la femelle, et que communément ilz mettent la trace de derriere sur le bort de celle de devant par le dehors, a cause des entre-cuysses, et des suytes qui leur font eslargir les jambes de derriere: ce que les femelles ne font pas, car elles sont vuydes entre les cuysses, qui les cause marcher plus estroit, et au dedans des alleures. Aussi le peut on cognoistre aux gardes, car le Sanglier masle les ha communément plus grosses, plus grandes, et plus pres du talon que n'ha la femelle, laquelle les ha hautes, courtes, deliees, et pres l'une de l'autre, qui est la cause pourquoy bien souvent elle ne donne point des gardes en terre, et encores qu'elle en touche, elles se monstrent fort petites et deliees, sans s'escarter que bien peu. Aussi communément la femelle ne fait pas si bon talon que fait un jeune Sanglier, et ha les ongles plus longs, et aguz devant, et plus ouvertz que n'ha un jeune Sanglier. La femelle ha les traces et les solles de derriere plus estroictes que celles du masle.

Comme on doyt chasser et prendre le Sanglier a force avec les Chiens courantz. CHAP. 54.
IL FAUT entendre qu'on ne doit jamais assaillir un jeune Sanglier en son tiers an, pour le prendre a force, car il courra plus longuement qu'un Cerf ne portant que six cornettes. Mais quant il ha son quart an, il se peut prendre a force, tout ainsi que le Cerf de dix cors, toutes-fois qu'il court plus longuement. Dont si le Veneur destourne au matin un Sanglier en son quart an, il doyt regarder s'il s'est retiré de bonne heure au fort: car communément Sangliers qui attendent le jour a lever pour se retirer en leur fort, suyvans longuement les routes et chemins, principalement en pays ou il y ha de la nouzille, et de la faine, de-quoy ilz font leurs mangeures, sont volontiers meurtriers de Chiens et hardis. De telles bestes le Veneur se doyt point craindre d'approcher, et les destourner le plus court qu'il pourra, car ilz ne s'en cuyderont pas aller pour luy: mais s'il reveoyt d'un Sanglier qui se souille souvent, et qu'il face un boutis en un endroit, puis a un ject d'arbaleste un autre, tirant pays sans s'arrester, c'est signe que c'est une beste effrayee, que s'en va en quelque lieu demeurer. Telz Sangliers qui sont ainsi effrayez, se retirent communément deux ou trois heures avant jour en leur fort. Et faut bien que le Veneur se donne garde d'approcher d'eux, car s'ilz prenoyent le vent de luy, et de son Chien, ilz s'en iroyent, et ne les cuideroyt jamais raprocher.
Quand un Sanglier veut demeurer en un fort, il faut tousjours a l'entree d'iceluy sa ruze, en quelque route ou chemin, puis entre dedans son fort pour se mettre a la bauge: et par ainsi le Veneur estant au matin au boys, pourra juger de la malice des Sangliers, et sçelon ce qu'il verra, dressera sa meute de Chiens au laissez-courre: car a un grand Sanglier malicieux et de repos, il le faut charger de Chiens d'arrivee, et que les piqueurs soyent tousjours meslez par-my eux, en le pressant le plus fort qu'ilz pourront, pour luy oster le cueur: d'autant que s'ilz ne luy donnoyent que huyt ou dix Chiens, il n'en feroyt cas, et quand ilz l'auroyent un peu eschauffé, il reprendroit son cueur, et ne feroit que tenir les abboiz, en courant sus a tout ce qu'il verroit devant luy. Mais quand il se veoit chargé de Chiens et de piqueurs d'arrivee, qui le pressent un petit, il s'estonne, et pert le cueur, alors est contraint de fuyr et dresser pays. Il faut mettre des relays, mais ce doyvent estre des plus vieux et sages Chiens des meutes, d'autant que si on mettoit les jeunes Chiens vistes et vigoureux aux relaiz, alors que le Sanglier auroit accourcy ses fuytes, il les pourroit tuer en telle furie. Mais si c'estoit {s'estoit} quelque Sanglier fuyart, qui eust accoustumé de prendre les campaignes, et tirer pays, on ne luy doyt donner que huyt ou dix Chiens de la meute, et mettre les autres au relays, a l'entree du pays ou ils voudra aller: car telz Sangliers ne cuydent pas tenir les abboiz qu'ilz ne soyent forcez: et quand ilz les tienent, les piqueurs y doyvent aller le plus secretement qu'ilz pourront, sans mener bruyt: puis quand ilz seront aupres du lieu ou sera le Sanglier, ilz se doyvent escarter tous autour du lieu ou il est, allans d'une course droit a luy: et n'est possible qu'ilz ne luy donnent un coup d'espee. Et ne faut pas qu'ilz tienent la main basse, car ilz donneroyent dedans la hure, mais faut qu'ilz levent la main haute, et donnent les coups d'espee en plongeant, se donnant garde le piqueur de donner au Sanglier du costé de son cheval, mais de l'autre costé: car du costé que le Sanglier se sent blessé, il tourne incontinent la hure, qui seroit cause dequoy il turoyt ou blesseroit son cheval. Que s'il est en pays de plaine, il doyt mettre un manteau devant les jambes de son cheval, puis doyt tuer le Sanglier a passades, sans s'arrester. C'est une chose certaine que si on met des colliers chargez de sonnettes au col des Chiens courantz, quand ilz courent le Sanglier, il ne les tue pas si tost, mais il s'en fuyra devant eux, sans tenir les abboiz.


J'ay mis icy les pourtraitz, comme il faut tuer le Sanglier a pied, et a cheval, en pays foible, et en pays fort.
[FIGURE]

[O] Fin de la chasse du Sanglier.