Le Triumphe de la Riviere.
[FIGURE]
[LO] CEla veu et contemple, bonne espace de temps, le Roy marcha
jusques environ le meilleu du pont, ou il pouvoit veoir d'un mesme
lieu, choses non moins plaisantes, que admirables, sans riens perdre
des esbatz, et joyeusetez de la riviere, fut du costé du levant, ou du
ponent, A l'un des costez du pont, avoit esté dressé, un petit roch,
moullé assez pres du vray, duquel sortoit, Neptunus, accompaigné,
d'Enipeus, phorcus, Palemon, et Glancus, dieux Maritimes, couvertz,
ainsi que Neptune, sur leur nudite, d'escailles et fanons de poisson,
argentez et azurez: Alors Neptune, tenant en sa main un trident, bien
polly et doré, et enrichy de trois houppes de fil de soye perse, soubz
une crespine de fil d'argent traict, se prosternant en terre, salua le
Roy d'un septain, apres luy avoir fait offre de son Trident.
Soubz {Souhz} ton pouvoir, o, Roy d'honneur tresdigne,
Combien que soys, le grand Dieu de la mer
Ce mien Trident, et pouvoir je resigne,
Te voyant mars par vertu desarmer,
Et pour monstrer, que tout soubz ta main tremble,
Descendre vueil, pour ton nom {non} sublimer,
Au fons de leau, et mes Tritons ensemble. {ensemhle}
[O] Ce dict, et le present receu agre, Neptune et ses quatre
Tritons l'un apres l'autre, allaigre hardiesse, du lieu, ou sont
encores de present affiches deux croix, se precipiterent en la riviere
de seine, ou peust avoir de six à sept vingtz pieds de haulteur, et en
tumbant feirent plusieurs revolutions, en contournant leur corps,
monstrans avoir en eulx, non moindre asseurance, que experience pour
se sauver de ce peril. D'un seul et mesme regard, la majesté du Roy
vit flotter en la riviere, de la partie du levant, un daulphin
{d'Aulphin} azuré, et illustré de neuf claires estoilles,
distinctement espandues sur le corps, et d'un Croissant d'argent, sur
le sommet de la teste, au doz duquel estoit affourché, Arion, qui de
son Luc jouoit melodieusement, en memoire, ou representation de celuy:
qui fut saulvé par un daulphin, {d'aulphin} lors que les mariniers de
Corinthe, pour piller son argent, le voulurent noyer, {n'oyer} En
rescompense duquel benefice, les dieux ont mis le daulphin,
{d'aulphin} entre les estoilles du ciel, Pres d'iceluy daulphin
{d'aulphin} nageoit, {n'ageoit} une grandissime Balene: Laquelle
vomissoit de grands poissons, fort bien escaillez, jusques au nombre
de trente, comme Daurades, {D'aurades} Albachores, Thuns Esturgeons,
Haulsmoriens, Marsouyns, et Espardins. Laquelle estoit accompaignée,
de cinq Balenotz, qui par subtilz moyens, ejaculoient de leur esvent
de gros bouillons d'eau, Sur le dotz d'icelle Baleine, mesmes
des balenotz, et Espardins, estoient affourchez, plusieurs tritons,
couverts descailles et fanons argentez, les aucuns d'iceulx, jouoyent
par melodieux accords, de trompes, buccines, et cornetz, les autres
portoient dards ou herpons d'une main, et de l'autre grandes escalles
de tortues de mer, en lieu de rondelles, Au devant desquelz, un Char
triumphant, d'excellente et riche manufacture, construict, porté sur
quatre roues, estoit subtillement tire de deux hippopotames,
ensuyvantz de pres le naturel, moytie du corps, par la monstre de
devant, portoit la forme d'un cheval, bien relevé, le derriere estoit
contourné, et moullé en la forme d'un poisson, semé descailles et
fanons, argentez et azurez tout de son estendue. Au front d'iceluy
Char, deux hures de monstrueuses bestes bronzes {brouzes} reserroient
entre leurs dentz, chacune un aneau, ou s'estachoient les traictz et
cordeaulx, esquelz estoient attelles, les hippopotames, sans
toutesfois roydir les cordeaulx, pour monstrer que toute la conduicte,
se faisoit, non par contraincte, ains de coeur voluntaire, au dessus
d'iceluy Char, Neptune presidoit assis en un siege presidial: tenant
d'une grave majesté en sa main dextre: {d'extre} un grappin ou harpon
à trois pointes, et de la senestre, une longe ou resne, pour le
regissement des hippopotames: Environ luy seoient, quatre tritons, qui
de leurs trompes torses, et moullées en forme de gros viguotz de mer:
argentez, resonnamment sonnoient, alaigrement hault, festinans la bien
venue de leur Roy: Aux quatre angletz du Char, quatre grosses masques
peintes de verd de terre, et d'or bruny, representantes les quatre
ventz, souffloient artificiellement au commandement d'Eolus leur Roy:
Lequel estoit assis au trein de derriere, fleurtissant de son cornet,
à la cadence des autres. La furent veues Ligia, Parthenope, et
Leucosia, trois sirenes, filles de Calliopes, belles en perfection
flotantes sur l'eau, soy virer agilement. pigner et mirer plaisamment,
et quelque fois jouer de leurs doulsaines, d'une si doulce harmonie,
qu'elles esmouvoient les coeurs assopis d'ennuy, à toute alaigre
lyesse. Tous lesquelz personnages engendrerent ensemble, si melodieux
accords, qu'au chatouillement des aureilles, l'esprit de chacun estoit
comme ravy, de grand aise et plaisir. A joingdre que dame Echo faisoit
son devoir, soubz les arches du pont et le long du rivage,
d'augmenter, par une favorable reflexion, l'harmonie de leurs beaulx
et elegants instrument: En plus avant particulariser les membres et
parties dudit Char, seroit chose trop longue, encores plus
l'aornature, qui grandement decoroit, l'artifice d'iceluy, vous
suffise que la monstre a peu pres semblable au dessaing, vous soit
exprimée.
[O] Pendant ce temps, La Royne estant es fenestres de la
forteresse du pont, richement paré pour cest effect admiroit et
contemploit exactement, les singularitez, et magnifiques inventions: A
l'execution desquelles, elle prit un indicible plaisir: tellement
qu'elle oublia prendre la collation que les conseillers eschevins de
la ville luy avoient en ce lieu preparée de toutes especes de fruictz
confitures seiches et liquides, pour la grande affection qu'elle
avoit, de rasasier son esprit, de tant plaisantz esbatements, desquelz
elle ne pouvoit oster la veue, Et oultre l'invention d'iceulx, qui
estoit gentille, comme elle se monstroit certainement, du mesme costé
de la riviere: Les conseillers Eschevins de Rouen, avoient fait
equiper deux navires, l'une à tref quarré, comme celles de ce pays,
portant deux rondes gabies, garnyes de Paviers, et de tout autre
artillage, L'autre à deux artimons, en facon de crevelle de Portugal,
lesquelles deux navires, representerent lors une gentille Naumachie,
singulierement bien conduicte et executée. Ladicte crevelle, equipée
au nage, a toute extreme force de Rames, veint sentir à la vollée du
canon, comme faisoit un corsaire, ou pirate de l'Affrique, le navire
de ce pays qui radioit sur ses anchres, pres de terre. Quoy voyant
apres avoir dilligemment vire au cabesta et empicque ses anchres sur
les bittes, sans avoir la patience de caponner ses anchres, veint à
voille desployée et à la rame, canonner de pres la crevelle, et apres
sa vollée d'artillerie, l'abborder, et enferrer: Estantz ainsi bauc à
bauc, combatirent quelque temps de proue et de pouppe, si furieusement
avec picques, rancons, pertuysanes, lances, {l'ances} dartz, {d'artz}
grenades, et potz à feu, courants à travers l'eau, qu'on les eust jugé
combatre mortellement et à oultrance, non sans donner un grand effroy,
aux regardants, accompaigné d'incredible joye, quant ilz virent la
crevelle de Portugal derompue, et brisée, les voilles et funaille en
feu, qui se respandoit davant arriere, sans toutesfois, que nul des
mattelotz en fut offencé, Ce voyant la nef à tref quarré, comme
victorieuse, avec petite perte, se desempara de la crevelle, Les
mattelotz de laquelle, se gettoient à la desesperade, en l'eau avec
leurs armes et enseignes, cullebutans l'un sur l'autre, tendants à fin
d'eulx sauver, à nouer, {n'ouer} en l'isle prochaine, Ce qui causoit,
un grand esbahiseement, à gents non accoustumez à telles furies de
guerre, et neaumoins, un joyeulx contentement, voyants qu'en un tel et
si violent assault d'armes trenchantes, et aspreté de feu, n'y eust
aucun endommagé en sa personne. Grand nombre d'esquiphes, gondrez, et
almadies, equippées de mattelotz, tous vestus de rouges hoquetons,
vaugoient à la Venitiane, environ de la crevelle, avec grand bruit de
leurs acclamations, correspondantz au son du sifflet ou huchet,
embouché de leur Patron. Esbat certes qui accompaigna merveilleusement
bien, le reste de ce triumphant spectacle.
[O] De l'autre bande du Pont, de la partie {parrie} du Ponent, grand
nombre de navires estoient rengées, le travers de la riviere,
Lesquelles joingtes et serrées bauc à bauc l'une de l'autre, par leur
disposition representoient, la figure d'un Croissant,
Spheriquement compassé. La circonference duquel, estoit remplie de six
galleres, couvertes en pouppe de drap d'or frize, et de drap d'argent,
quille de mesme, rengée de frenge et houppes de fil d'or et d'argent
traict, accordé de bonne grace. Les estendars et bannerolles, en grand
nombre, fleuretes d'ouvrage Damasquin, blanc et verd, d'aucunes blanc
et rouge, des autres noir et blanc, voletans en l'air, enrichissoient
fort l'aornement d'icelles, avec la chiorme, qui estoit vestue de
robes, et capuchons rouges, noir et verd, assortez de blanc. Les
rames, mastz, vergues, et artillage de la suyte. Lesquelles galleres,
rendoient une figure triangulaire, comme un Deltoton, {D'eltoton}
signe celleste, Aux aelles des galleres, estoient anchrez, deux
gallions ou roberges, tous lesquelz vaisseaulx, d'autant bien seans
aornemens enrichis, que rien mieulx et apareillez les vergues en
bataille, Saluerent d'artillerie le Roy, de telle impetuosité, qu'il
sembloit que la machine du monde, deust {d'eust} lors estre par feu et
tempeste fouldroyée. Et à l'instant mesme, grand nombre de canons, et
coullevrines de bronze, que l'on avoit fait renger sur le cail de la
riviere, deschargea sa vollée, de si grande force, que la terre et le
pont en furent esbranllez, il veint bien apoint, que l'air estoit pour
lors clair et serain, plus qu'on ne l'avoit veu de long temps, et que
par le vent, nommé epheliotes, et par noz mariniers, levant, ou est
doulcement ventant, de la part d'Orient. Les nubileuses fumées, furent
en briefve espace dissipées, Accident certes, qui me fait raffreschir
{r'affreschir} la memoire, en cest {c'est} endroit de la faveur, que
Dieu et les astres, ont porté au peuple de Rouen, es jours dedies à
festiver les entrées du Roy et de la Royne, car combien que devant et
apres, l'air fut grandement disposé à la pluye, tellement que le Roy
estant descendu en son logis, ne cessa de plouvoir, jusques au
lendemain matin, toutesfois le bening aspect des astres, voulant
congratuler la bienvenue de si hault et puissant monarque,
commanderent au signe de libra distribuer le temps en sa balence, à
juste pois et mesure, scavoir est le temps pluvieux, attribuer à la
nuict, et le temps clair, et serain, aux jours assignez, pour celebrer
telz triumphes, qui meritoient bien, pour la liberalité et justice qui
reluysent en la personne du Roy, luy estre attribue, temps oportun,
pour festiver son entrée, qui est un cas memorable, conforme à ce
qu'en faveur d'Auguste Cesar dict Virgille.
Nocte pluit tota redeunt spectacula mane,
diuisium imperium cum ioue Cesar habet,
Que je puis ainsi reduyre en vulgaire François.
Toute la nuict, le temps est pluvieux,
Le jour venant, faict l'air serain relluyre,
Pour celebrer, esbatements joyeux,
Ainsi se part, de ce monde l'Empire,
Entre cesar et Juppiter des cieulx,
La figure de l'aage dor.
[FIGURE]
[LO] ET pour revertir a nostre propotz, neantmoins que
le peuple fut en divers lieux, tant de la ville que des faulx bourgs,
mesme de l'estendue du pont, innumerablement respandu, toutesfoys, une
autre infinité de peuple, avoit tellement remply, les carneaulx des
murailles, les fenestres et toictz des maisons, des deux costez de
l'eau, et le rivage tant semé de gondolles, barques et feletes, qui
surgissoient le long du cail, pour mieulx contempler à l'oeil iceulx
esbatementz, que le tout sembloit estre couvert d'un seul drap noir,
marqueté de faces humaines: Le bruyt de l'artillerie, appaizé. Et que
les chevaulx, se furent remys à leur reng, qu'ilz avoient rompus,
effrayes de la tempeste precedente, Le Roy marcha, jusque à la porte
de la ville. Laquelle avoit esté puys peu de temps bastie à deux
parementz de pierre solide, et taillée en tables de ruquiste parée,
surgetans du massif environ deux poulces, ainsi qu'on la voit encores
de present, Et que la figure sequente le monstre.
[O] Par dessus la coronice d'icelle porte, estoit eslevé un sode,
chargé d'un plinthe, sur lequel estoient posées, amalthée cumane, et
Albunée Tiburtine, Sibylles de grand renom, en profil plus grandes,
que le naturel, pour se representer telles, à ceulx qui les
regardoient de bas, Elles portoient de leurs mains un Croissant
d'argent de cinq pieds de diametre, dedans la circunference duquel
estoit à pied droict eslevé de ronde bosse, un Saturne doré {d'oré}
de
fin or bruny, tenant de sa main dextre, un tableau remply de ses vers
en lettre d'or sur fons de blanc esmail.
Je suis l'aage d'or,
D'honneur revestu,
Je suis en vertu,
Et seray encor,
[O] Et au fronteau du sode, entre deux arules, en arules, de
façon de stilobates, chargez de grands Vases antremoullez d'antique,
en lieu d'amortissement, estoit insculpe ce quatrain, de characteres
d'or, sur champ d'azur
L'aage d'or, qui fut florissant,
Avant largent, le fer et cuyvre,
Par un Roy, en vertu croissant,
Au monde recommencé à vivre,
[O] Et pour ne tenir en suspens, les lecteurs, ains pour leur
donner à congnoistre particuliairement l'ornature d'icelle porte, pour
tesmoignage occulaire, je leur fay offre de la figure, s'ils ne se
veullent contenter à veoir la chose en essence.
[O] En icelle porte se presenterent à la majesté du Roy les quatre
modernes Conseillers Eschevins de la ville honnorablement vestus de
longues robes de Veloux noir pareillement doublez. La teste nue qui
d'humble maintien et face joyeuse luy firent offre d'un
excellentissime poille de drap d'or frizé sur champ de Veloux Cramoysi
enrichy tant dedans que dehors de frizons et fleurons subtilement
tissus de fil d'or et d'argent traict lizeré d'une frange de fil d'or
d'un grand pied de long, Au fons duquel estoit richement brodé un
spacieux Croissant de fil d'argent de rellief contenant en sa
circunference de lettre capitales cest {c'est} hemistiche,
[O] Donec totum impleat orbem.
Hemistiche certes singulierement bien acommodé au cas
present selon que l'interpretation francoyse le monstre.
Puis que Henry second du nom à pris
Pour sa divise un celeste croissant
Sans riens choisir du terrestre pourpris
Cest bien raison quen bon heur soit croissant
Tant que tout lorbe ait soubz sa main compris,
La figure d'Hector.
[FIGURE]
[LO] ICelluy poille se monstra comme veritablement il
estoit autant bien assouvy d'estoffe façon et couleurs que mieulx
n'eust peu estre quarrement porté sur quatre batons mignonement
tournez et semez de fleurs de lys d'or brunyz, assortez de Croissants
entrelassez des divises et chiffres royalles clairement argentez sur
fons d'azur. Soubz ce poille fut le Roy en sa majesté conduyt par les
quatre Conseillers Eschevins, jusque devant le couvent de nostre dame
du Carme ou ilz s'aquiterent de leur charge es mains des quatre
quarteniers d'icelle ville, vestus de longues robes de Satin Venitian
doublez de Veloux noir, lesquelz ordonnez à semblable service
honorablement accompaignerent le Roy soubz icelluy Poille, tout le
reste du chemin ordonné pour l'effect de l'entrée jusque à ce qu'il
descendit au logis preparé pour sa majesté recevoir, Tout de
l'estendue duquel chemin, les habitans de Rouen allegrement joyeulx de
veoir la tresillustre face de leur Roy en telle pompe et magnificence
s'esgayer faisoient grandes exclamations accompaignées d'exultations
et prieres pour le salut et prosperité d'icelluy. Les estrangers n'en
firent pas moins qui furent surpris d'admiration voyants la
singularité des richesses les joyeulx esbatementz et subtiles
inventions desquelles ce present triumphe estoit assouvy. N'estantz
suffisamment repus d'avoir contemplé pour une fois la grace
disposition et addresse heroiquement representées en la personne du
Roy, laquelle de toutes les perfections de graces et vertus
entierement enrichie dont l'imperfection humaine fut onc par grace
divine remparée {r'emparée} Effigioit en la memoire des estranges
nations presentes son expresse image ou celeste Idée pour faire au
Retour de leur demourance publique confession et honorable
commemoration de l'excellence et grandeur d'un autant vertueulx et
magnanime prince et monarque qu'ilz ayent jamais veu. De ladicte porte
du Pont on veint devant la grande eglise nostre dame de Rouen,
Ediffice en singuliere architecture et beaulté admirable, ou il veit,
de front un Theatre d'excellentissime manufacture construict, Le plan
duquel estoit porté, de quatre harpyes bronzées et racroupies sur
stilobates, au lieu de colonnes persannes, ou Cartatides, Au mylieu
d'icelluy Plan, estoit un sode moyennement eslevé, sur lequel estoit
pose, Le simulachre du preux Hector de Troye, portant quinze pieds en
haulteur, sur la portion des membres conforme, il estoit armé a
lheroique d'un corselet crené à l'endroict de la buste, par dessus
chacune espaule, ledit Corselet estoit refermé de trois bandes, en
forme de lames {l'ames} d'or et d'argent brazé, et au mylieu souz une
masquine, la teste d'une gorgone, gravée à demy relief, Au dessoubz de
la buste pendoit une falde à doubles lambeaulx, {l'ambeaulx} les
dessus quarrez, les autres arrondis en escaille de Taffetas
blanc et noir, fleureté d'ouvrage damasquin, {d'Amasquin} bordé de
passement d'Or, son Morion gravé, doré et polly, estoit fourny d'un
grand plumail chargé de pailletes d'or, aggrèes de perles. De sa
dextre tenoit une lance brisée par un bout, et de la senestre une
grande Targe, ennoblie d'un palladion à demy rellief, artistement
gravée et dorée, Au dessus de luy estoit une nuée, subtillement
estendue au plancher, au lieu de lambris. Laquelle en la presence du
Roy, s'ouvrant feit ostention de plusieurs dieux et Deesses, Et tout a
coup par subtil moyen, de l'endroit ou Hector avoit esté navré par
Achiles, Le sang s'esbullit, comme s'il fut exprimé d'une Seringue
jusques dedans ladicte nuée, duquel sang, se forma lors un treple
Croissant, proprement entrelassé, selon que pourrez veoir en la
figure, qui vous sera proposée, En lieu de vous particularizer, les
aornementz de bosse ronde, ou plate peinture, accommodez aux pieds
destal, architrave, moulures, frizes, coronices, qui se monstroient
de bien bonne grace, remettant aux lecteurs, d'en faire le jugement,
par l'inspection de ce dessaing, pour l'intelligence duquel, En un
tableau pendant de l'architrave d'icelluy Theatre, on pouvoit lire ce
qui ensuyt.
Mal ne me faict, de Troye la ruyne,
Ny d'Achiles le coup me meurdrissant,
Puis que je voy que de mon sang insigne,
Faveur du ciel forme un treple croissant,
Qui remplira ceste ronde machine,
Le Theatre de la Crosse.
[FIGURE]
[LO] LA beaulté et magnificence d'iceluy spectacle,
suffisamment contemplée, poursuyvant son chemin droict, de la grande
rue par devant le couvent de nostre dame du Carme, se descouvrit
devant la fontaine de la Crosse, un grand et sumptueulx Theatre, à
double plancher, porte sur quatre pillastres quarrez, et composez de
pierre brutte, renfoncée d'or moullu, et de bronze {brouze} clair, et
en la superficie, marbrises, et diversifies, par art mixte, engravez
de subtiles voynes traversantes, de couleur de Jaspe, et porphyré, Et
neantmoins la proportion et beauté convenables à tel ouvrage,
diligemment observez, le fronc de chacun plancher et pillastre,
estoient assouvys de stilobates, chapiteaulx, Tuscans, doriques,
{d'oriques} et composez de proportion diagonée, d'architraves,
{architranes} moulures, frizez, coronices, et frontispice, estendus
d'or et d'argent bruny. Les frizes remplies de diverses begerres et
grotesques d'or et d'argent, sur fons d'azur, Le deuxiesme plancher
estoit lambrissé, descompartimentz differents, remplis de fueilles,
fleurons et fruictz, moulez pres le naturel, environnez d'une
quarrure, enrichie de Moresques, et des divises royalles, entrelassez
de croissantz, d'arcz Turquois, et trousses, qui reluysoient d'argent
fourby, Au dedans du premier plancher, estoit une grande Salmande,
Effigié sur le vif, posée dedans un feu ardent, respandu sans riens
endommager le long du Theatre. Lestendue duquel, tant au fons qu'aux
costez, se monstroit un paysage, d'une perspective, peinte et umbragée
de main d'excellent ouvrier. Clotho et Atropos, deux des Déesses
fatales, de gracieulx et pudique maintien, taillez de ronde bosse, et
de Stature plus grande que le naturel, portoient en leurs mains
contremont levées, au doz d'icelle Salmande, un Ophites, de spherique
figure, mordant sa queue, Lequel par son hieroglyphique demonstration
figuroit, le temps fatalement destiné, à feu de bonne et louable
memoire, francoys premier Prince clement, pere des ars et sciences. La
recordation duquel par cecy estoit raffreschie, Aussi estoit il escrit
en un tilet, attaché en la circunference dudict Ophites.
[O] Hoc est tempus.
qui se peust ainsi entendre.
Le fil du temps qu'a tors jusques a present
Dame Clotho, pour le bon Roy Francoys,
Atropos rompt lachesis [?] pour labsent
Produyt Henry pour Roy sur les Francoys
[O] Et incontinent que le Roy fut approché d'iceluy
Theatre, la Salamande, ensemble les Deesses, furent couvertes et
envelopées d'un grand et spacieulx globe, peint à fraiz dedans et
dehors, de couleur du ciel, biletée d'estoilles claires, et neaumoins
Diaphane, Car par subtil moyen se contournant, transpiroit et dardoit
{d'ardoit} flammes de feu vif, oultre et par dessus le frontispice,
sans toutesfois faire tort à l'ouvrage, La vivacité duquel feu, au
mesmes instant, prodysit artificiellement, un Pegasus de bosse ronde,
portant huict piedz de Volume, lequel semé destoilles argentées, sur
son corps esmaillé de blanc clair, mouvoit agillement les pieds,
teste, aureilles, et yeulx, comme si nature luy eust lors communiqué,
l'usage de vie, il avoit ses aelles estendues au vent, sans les
esbranller, En denotant la constante promesse, d'heureuse et longue
vie, divinement faicte, à la sacrée majesté de nostre Roy, et
seigneur, pour la tuition et deffence de ce royaulme, conservation et
manutention de la paix, et union de saincte eglise, faisant actes
memorables, dignes certes du nom et tiltre, de Treschrestian et
premier filz de l'Eglise, comme il à ja par effect appertement
monstré, des son advenement à la coronne, jusques à ce jourdhuy. Dont
nous avons conceu certain espoir qu'il continuera ce bon vouloir, par
le benefice d'icelle promesse, Et oultre ce que ledict Pegasus avoit
les pieds ferrez, Il vomissoit de la bouche flammes de feu ardent,
umbrageant les deux cornes eminentes de sa teste, ce qui le rendoit
plus monstrueux, tel que par plusieurs journées, on la peu veoir
planté sur langlet du frontispice,
[O] Par iceluy Pegasus est declaré une fontaine continuellement
bouillante, Et duquel s'estoit servy Bellerophon en l'expedition qu'il
fit contre la monstrueuse Chimere, pour lequel effect morallement est
entendu la continuelle renommée des actes vertueulx executez en mer et
en terre par le tresillustre et tresmagnanime prince Henry second du
nom Roy des Françoys, Laquelle sera non seullement de son vivant au
monde celebrée: mais aussi jusques à l'eternité des ciecles haultement
extollée, et la memoire de ses ennemys en briefve espace morte et
estaincte, Et quoy que par virulente detraction s'efforcent, quant ilz
ne peuvent de faict, suprimer l'honneur et credit de ses faitz
genereulx, si toutesfois le renom de ses louables vertus, à succession
de temps augmentera tellement ses forces invincibles, que ses
adversaires seront rendus confus, et force d'eulx revoquer de leur
inique delation, et sinistre jugement, en quoy sera donné ample
matiere et argument suffisant aux doctes et eloquens orateurs, pour
excercer leurs subtilz espritz, en la description doeuvres
singulieres, portantz tesmoingnage certain, tant des vertus heroiques
dudict seigneur, comme de l'excellence et plus que humain scavoir, des
bons autheurs, voila en somme ce qu'il nous est umbragé souz la
figure de Pegasus.
[O] Sur la supreme coronice, dedans le tympan du frontispice, se
presenta un Triton semé d'escailles et fanons argentez et rechargez
d'azur, Lequel en faveur de Neptune son seigneur, se monstrant
affectionné envers Pegasus filz de Neptune, sonna clairement de sa
trompe par trois foys, comme s'il eust voulu non tant advertir les
passantz à dresser attentivement l'oeil à aultre plus excellent
spectacle, que pour donner à entendre, que toutes choses cessantes
l'ordonnance de Dieu, voire jusque à pervertir l'ordre de nature, doit
estre executée. Et voicy que le globe en ce contournant vient à
ouvrir, et respandre tout de lestendue du theatre, dedans lequel se
monstra le simulachre d'un Roy coronné, richement paré, dont le traict
du visage et proportion des membres, se raportoient singulierement
bien au Roy, ainsi estoit il la mis pour le representer cestuy
simulachre estoit posé d'une bonne et grave contenance, dedans la
circunference d'un grand Croissant argenté, Lequel estoit planté sur
une pierre de marbre, de figure cubique, En l'une des faces duquel
marbre estoit insculpe, de gros characteres, renfoncez d'or polly:
FIDES: designant une solide stabilité, et permanence de
regne, fondée sur une certaine promesse, divinement faicte, et
confirmée à la personne de nostre Roy, et par icelluy d'une foy vifve
conceue et admise.
Aussi par foy conjoincte à l'oeuvre bonne,
L'homme attendant constamment la promesse,
Aura l'effect des biens que dieu ordonne,
Soit guerre ou paix, malgré partie adverse.
[O] Du costé ouvert d'iceluy Royal simulachre apparoissoit le
coeur dont provignoit un cept de vigne umbrageant de ses fueilles et
fruictz le fons et costez du Theatre qui par avant avoient esté
remplis de paysage conduict avecques toutes les beaultez artificielles
de perspective non sans grande admiration de tous ceulx qui la
estoient present, plusieurs personnages diversement accoustrez
representans les nations estranges prenoient à la main des raisins de
la vigne et en exprimoient la liqueur pour la doulceur et suavité
duquel ilz estoient attirez à toute amyable confederation et
obeissance, Au dessus d'iceulx dedans une nuée bien azurée et semée
d'estoilles, les sept dieux et déesses qui ont donné le nom aux sept
planetes comme astres benevoles favorables presenterent sceptres tant
modernes que antiques avec coronnes imperiales royales et ducales à ce
Roy, Roy certes d'autant plus digne du tiltre et nom de
Epaphrodites, ou venuste, que scylla prince Romain, d'autant
que la faveur du souverain dieu des princes Chrestians est plus
certaine que celle de l'idolatrie des romains un soleil d'heur et
felicité plain de rayons et flammes d'or bruny reluysoit environ la
teste du simulachre royal qui serroit à la force de sa main dextre
{d'extre} la teste d'une gorgongne dont le sang distiloit signifiant
l'heureuse victoire que nostre souverain seigneur et Prince obtient
sur ses ennemis enfans et lengendrement de discorde. Et souz sa main
senestre estoit plantée une espée clairement reluysante, la pointe
tournée contremont, le long de laquelle force belles fleurs comme de
leur tige surgetoient denotant que justice florit en France souz la
main de nostre tant vertueulx et equitable prince, de l'architrave
{architrane} du premier plancher une cartoche d'un riche
escompartiment environnée en laquelle se pouvoit lire {luyre} cest
{c'est} escript couché de noir sur fons de blanc polly.
Roy treschrestian le ciel tant d'heur te donne
Que soubz ta main justice est florissante
Les haultains dieux honnorent la coronne
Et a t'aymer le tien peuple sadonne
Voyant discorde en ton regne impuissante.
[O] Et pour ce que l'entier dessaing de l'artificiel
enrichissement du Theatre ne pourroit estre particulierement exprimé
pour les rechangemens et variations de l'ouvrage que ce ne fut par
trop grande curiosité et recharché, vous aurez icy seulement en platte
figure autant qu'il s'en peust d'une forme d'impression coucher vous
laissant le surplus de l'artiffice à imaginer ou bien à vous informer
à ceulx qui presens estoient et ont veu l'execution des subtilz
mouvemens et ingenieuses revolutions des choses y presentes, pour
lesquelles inventions l'autheur ne fut pas moins loué que larchiticte
qui si nayfvement avoit executé lichnographie {lichuographie} sans
riens obmettre de l'ordonnance ny {n'y} espargner les materiaulx dont
ledit theatre estoit superbement enrichy: mais pour plus ample
interpretation du reste representé en ce tant magnifique Theatre ne
sera loing de propotz vous faire lecture d'un cantique servant de
briefve accession à lhyperbate precedent.
[O] Cantique.
Jay veu en vision
La grande salmandre
Par toute nation
Son feu bruslant espandre.
Apres le ciel je vey
Couvrir son feu ardent
Lequel au ciel ravy
Plus grand lustre est rendent.
Car par sa vifve force
Un Pegasus engendre
Qui sans finer s'efforce
Son grand los faire entendre.
Triton sa trompe sonne
Et le ciel tost souvrit
Qui l'heureuse personne
Du grand Roy descouvrit.
Ce Roy à sur la teste
Un soleil radieulx
Qui en force modeste
Me le faict voir heureulx
Ses pieds sur un croissant
Formé sur pierre dure
Me le faict voir croissant
En foy qui tousjours dure.
Dessoubz sa main senestre
Justice est florissant,
Et dessoubz sa main dextre
Discorde est impuissant,
Les haultains dieux supremes
De leur gloire vestus
Luy offrent diadesmes
Pour ses grandes vertus,
Nations estrangeres {essrangeres}
Et les privées aussi
Sesgayent et font chere
Et nont plus de soucy.
Soucy nont plus ny crainte
Que guerre mal leur face
Car ce grant Roy sans fainte
Les abreuve de grace.
O vision heureuse
De ce Roy tant heureulx
Dont la face amoureuse
Rend noz coeurs vigoureulx.
[O] L'apotheose ou Canonization de Francoys premier et
stabile continuation du {nu} regne de Henry second roy de France.
{Franc.}
La figure du pont de Robec.
[FIGURE]