B. Horiot, "Les régionalismes de l'Ouest vus par Ménage : survivance linguistique et continuité dialectologique"

Les angevinismes morpho-syntaxiques

Les 52 termes localisés en Anjou par Ménage ne se rapportent pas tous au lexique ; 3 relèvent de la morpho-syntaxe : aubepin, pavi et réglisse. Féminins en français, ces trois termes sont du genre masculin en Anjou, ce que Ménage remarque pour deux d'entre eux :

Du Pineau a relevé le genre masculin de la plante médicinale appelée réglisse mais Ménière et VO n'ont pas enregistré ce mot qui par ailleurs ne figure pas dans les questionnaires des atlas linguistiques. Le FEW (4, 174a GLYCYRRHIZA) confirme la localisation de Ménage en ne relevant le genre masculin qu'en Normandie, en Anjou et dans le Pays nantais. C'est en 1835 que l'emploi masculin de réglisse fut condamné (TLF s.v. RÉGLISSE, sous étymol. et hist.).

Le nom de la pêche : pavie/pavi est absent du Dictionnaire de Du Pineau ainsi que des glossaires de Ménière et de VO. L'ALBRAM n'a pas de carte "pêche", l'ALO (c. 304 "une pêche à noyau adhérent") ne consigne ce type lexical que dans six localités du nord de la Vienne, toutes situées dans l'arrondissement de Châtellerault (pts 8, 33, 32, 34, 36, 35) et dans une localité de l'est de ce même département (pt 41), ainsi que dans le sud de l'Indre-et-Loire (pts 5 et 6), mais le genre masculin n'a été relevé que dans l'arrondissement de Châtellerault (pts 8, 32, 34, 35). Faut-il en conclure que Ménage s'est trompé ? Oui en partie, puisqu'il affirme que dans le Poitou on dit une pavie, alors que les enquêtes de l'ALO prouvent la présence du genre masculin dans le nord de la Vienne. En ce qui concerne l'Anjou, le FEW (8, 80a PAVIE) se contente de reprendre Ménage, n'apportant aucune autre attestation.

À l'entrée AUBEPINE, Ménage note : « on l'appelle dans l'Anjou, dans le Maine, & dans le Vendomois, aubepin. » Du Pineau et VO enregistrent la forme ébaupin tandis que sous l'entrée EBAUPIN Ménière ne donne que l'indication : « Nom vulgaire du néflier ». Les enquêtes de l'ALBRAM (c. 358) et de l'ALO (c. 348) permettent de dire que la forme ébaupin est « largement représentée à l'époque moderne, notamment de l'Ille-et-Vilaine aux Deux-Sèvres. C'est en Anjou la variante la plus répandue de ce type lexical. » (Rézeau 1989 : 152). Les enquêteurs de l'ALBRAM n'ont relevé aubépin que dans trois localités, deux dans la Loire-Atlantique (pts 72, 73), une dans le Maine-et-Loire (pt 109) ; pour le domaine de l'ALO, G. Massignon a obtenu aubépin aux points 4 et 6 (Indre-et-Loire), 31 (Deux-Sèvres), 67 et 112 (Charente-Maritime). Faut-il s'étonner du petit nombre d'attestations de la forme aubépin dans les atlas ? Non, car aubépin comme aubépine est un terme non dialectal, connu dès le XIIe siècle, sous la graphie aube espin, puis sous la graphie aubepin avec Robert Estienne (1538) ; il a eu l'honneur d'entrer dans la troisième édition (1740) du Dictionnaire de l'Académie [4] et de rester jusqu'en 1948 dans le Larousse [5] (FEW 24, 298a ALBA SPINA).

Les angevinismes liés à la prononciation

Une autre catégorie d'angevinismes concerne la prononciation et nous passerons rapidement sur cette catégorie à laquelle appartiennent bettes, câpe, citre, groiselles, lentilles, pimpenelle, romarin, Saint-Lezin, car nous entrons dans un domaine qui a été déjà très étudié, celui de la prononciation aux XVIe et XVIIe siècles. Ainsi s.v. SAINT LEZIN, Ménage écrit :

et s.v. CIDRE, Ménage croit la prononciation citre incorrecte :

alors qu'il s'agit d'une forme apparue en moyen français (FEW 11, 589b-590a SICERA) et bien attestée encore aujourd'hui dans les parlers régionaux. Rosset (p.249) remarque que d'après Féraud cidre était prononcé citre au XVIIIe siècle.

Sous BLETTE, Ménage note qu'en Anjou et en Normandie on dit des bettes. En fait les deux prononciations ont toujours été plus ou moins attestées. À l'entrée GROSELIER, Ménage nous laisse deviner les discussions autour des prononciations grosele ou groiselle, deux mots hérités de l'ancien français (FEW 16, 422-3 *KRUSIL [6]).

La prononciation câpe pour câpre est un trait populaire (Rosset p.138). La prononciation remarin pour romarin concerne la tendance à prononcer œ pour ò, tendance condamnée par Vaugelas et freinée dans la langue officielle (Rosset p.217 ; Thurot I, p.268). Quant à la forme pimpenelle bien attestée aux XVIe et XVIIe siècles, le FEW (8, 555b PIPINELLA) l'indique pour la dernière fois dans Furetière 1690 et Thurot (II, p.287) rapporte ce jugement de De la Touche : « Le grand usage est pour pimprenelle ».

Au sujet de bettes et de lentilles, Ménage écrit :

C'est l'étymologie LENS qui a décidé Richelet et l'Académie (1694) à écrire lentille ; mais Domergue déclare que les cartes des restaurateurs à la fin du XVIIIe siècle, portent imprimé : potage aux nantilles (Thurot II, p.260). Nentille survit dans les glossaires de Ménière et de VO. La forme lentille est plus ancienne (XIIe siècle), nentille apparaissant seulement au XVIe siècle (FEW 5, 251a LENTICULA). Les atlas linguistiques régionaux n'ont pas de carte "lentille".

Nous classerons encore dans la rubrique de la prononciation trois mots : chanbre "chanvre", naveaus "navets" et prouain "provin". Les deux premiers relèvent d'évolutions phonétiques bien représentées dans l'Ouest. Les finales -bre et -be pour chanvre sont assez répandues dans les parlers de l'Ouest (FEW 2, I, 210a CANNABIS et Lepelley p.174, note 34), la forme chambre étant attestée en Anjou depuis 1445 selon Ménière et en Normandie depuis 1552. Les atlas linguistiques régionaux (ALBRAM 410, ALN 103, ALO 855) établissent la présence de la finale -bre « dans toute la vallée de la Loire et jusque dans le sud de la Normandie, l'est de la Bretagne et le nord du Poitou » (Rézeau 1989 : 105). Ménière et VO conservent cette forme en -bre également relevée par Du Pineau (chambre).

La forme naveau est, elle aussi, attestée en moyen français, et jusque dans le français moderne, comme variante régionale (FEW 7, 10b NAPUS et TLF NAVET) ; Juneau (p.261-2) l'a relevée en ancien québécois et la qualifie d'encore fréquente. D'après l'ALBRAM 259, naveau est le type dominant de l'Anjou et il se retrouve dans le nord de la Vienne et des Deux-Sèvres, sporadiquement dans la Charente (ALO 273). Ménière et VO réservent tous les deux une entrée à naveau.

« Les Angevins disent prouain » affirme Ménage s.v. PROVIGNER, mais le FEW (9, 447b PROPAGO) ne cite que Ménage pour l'Anjou car Ménière, VO et, aujourd'hui, l'ALO (c. 184) ne confirment pas la présence de cette forme en Anjou. L'ALBRAM n'a pas de carte pour provin, provigner.

Sur ces onze angevinismes, quatre seulement se retrouvent dans le Dictionnaire de Du Pineau : chambre, naveaux, pimpenelle (sous la forme pimpinelle), et groiselle qui sert à définir le mot castille : "des groiselles rouges, venues du Royaume de Castille". On peut penser que Du Pineau, venu sur le tard, comme il l'avoue lui-même, à la lexicographie était peu soucieux des questions de prononciation qui préoccupaient ou avaient préoccupé les grammairiens et les érudits parisiens.

Les angevinismes lexicographiques

Nous en arrivons à la partie la plus intéressante du corpus, celle des régionalismes lexicographiques. Le plus souvent la vedette est un mot considéré comme appartenant au français général, et c'est à l'intérieur de l'article que Ménage introduit les équivalents régionaux, mais il arrive que l'étymologiste donne en vedette un mot régional et oublie (?) de donner une étymologie à ce mot.

Ainsi sous l'entrée RAFAR Ménage écrit : « sorte de raisin, qui est mauvais. Ce mot est fort connu dans l'Anjou ». Il arrive aussi que Ménage fasse part aux lecteurs de ses recherches. S.v. RAMBERGE, nous lisons « Nous appelons en Anjou ramberge, l'herbe appelée autrement mercuriale. Ces melons sentent la ramberge. Il y a 56 ans que je cherche l'étymologie de ce mot dans cette dernière signification, sans la pouvoir trouver ».

Parmi les angevinismes lexicaux de Ménage, certains ont toujours eu un caractère régional tandis que d'autres sont des survivances de l'ancien français ou du moyen français ; quelques-uns ont une grande aire d'extension, d'autres sont très circonscrits.

Les régionalismes lexicaux très étendus

Les régionalismes lexicaux très étendus concernent : mil, saulaye, mesle, nousille, vinette, ramberge, mouffe, mircoton, piépou, aubour, oumeau, fouteau.

Je commencerai par deux mots encore en usage de nos jours, mil et saulaye.

Mil (FEW 6, II, 83a MILIUM) est aujourd'hui moins usité que le dérivé millet, qui apparaît au XIVe siècle, sauf dans l'Ouest et dans les parlers méridionaux (TLF, s.v. 1MIL, sous étymol. et hist.). Se faisant l'écho d'une discussion, « Mr Richelet dit qu'on écrit millet, mais qu'on prononce toujours milliet », Ménage esquive cette discussion en faisant appel, dirions-nous aujourd'hui, à sa conscience linguistique : « je n'en dem[e]ure pas d'accord. Les Angevins disent mil ». Du Pineau n'a pas d'entrée MIL, et à l'entrée MILLERE il donne la définition : "manger de la millère aux mesurées, du millet cuit au lait avec du sucre [...]". Ménière et VO enregistrent mil.

Saulaye « c'est ainsi que les Angevins appellent une saussaye » est un mot de moyen français (FEW 17, 10b *SALHA) et plus usuel que saussaie qualifié aujourd'hui de « Vx ou région. (Ouest) » par le TLF. Le mot est absent chez Du Pineau, Ménière et VO.

Survivance de l'ancien et du moyen français, le mot mesle est attesté chez Du Pineau et VO, partiellement chez Ménière qui ne donne que le nom de l'arbre, le melier, avec la définition : "arbuste qui donne la nèfle". C'est un mot encore bien vivant en Normandie (ALN 363), dans l'Ouest et le Centre (FEW 6, II, 44b MESPILUM et ALF 902). Rézeau (1984) le met au nombre des régionalismes de l'Ouest entre Loire et Gironde, mais sans aucune précision d'extension géographique en l'absence de carte dans l'ALO. L'ALBRAM n'a pas de carte "nèfle". C'est un mot également attesté dans le Pas de Calais, la Somme...

Sous NOISETTE, Ménage écrit : « Les Angevins disent nousille ». Du Pineau consigne également « des nouzilles, des noisettes ». D'après le FEW (7, 226b NUCICULA), nousille est attesté en Anjou vers 1440 et l'ALBRAM (c. 291) montre que c'est encore la forme dominante dans les parlers angevins, ce que montre également l'ALO (c. 320) pour les parlers poitevin et saintongeais. Le mot est encore représenté dans diverses régions.

Le FEW (14, 479b VINUM) date la première attestation de vinette au sens d'"oseille" de 1522 mais Jean-Paul Chauveau (Chauveau 1980) a apporté il y a quelques années une attestation plus ancienne : 1499, tirée du Catholicon, dictionnaire breton-français-latin. D'après les données des atlas linguistiques régionaux, le mot vinette occupe toute la façade atlantique, depuis la Bretagne jusqu'aux Pyrénées, sauf une petite aire en Charente. À l'est ce mot remonte la Loire jusqu'à Blois, il occupe l'Anjou, le Poitou, le Limousin, s'étendant dans les parlers occitans jusqu'en Aveyron. Attestée chez Du Pineau et VO, la vinette au sens d'"oseille" est absente du dictionnaire de Ménière.

Ramberge a également une aire d'extension très vaste que l'on peut situer d'après les données du FEW (10, 33b RAIMBERGE) dans tout l'Ouest, y compris le Sud-Ouest, et le Centre de la France. Sous l'entrée 2RAMBERGE, le TLF note : « Bot., région. (Centre et Ouest) ».

Mouffe (FEW 6, III, 185b MUFF- mot expressif) se retrouve non seulement dans tout l'Ouest et le Centre mais également dans le Sud et le domaine francoprovençal (ALF 885). Du Pineau n'a pas retenu ce mot qui en revanche figure dans les glossaires de Ménière et de VO. Mouffe, dont la plus ancienne attestation remonte à Ménage, ne semble vivre que dans les patois.

À l'entrée MIRLICOTONS, Ménage écrit « Sorte de pesches [...]. Nous disons en Anjou mircoton ». Mirlicoton et sa variante mircoton est une survivance du moyen français d'un mot d'origine occitane (FEW 2, II, 1606a CYDONEUM) qui survit dans les parlers occitans ainsi qu'en Charente, dans le nord de la Charente-Maritime, dans la Vienne et les Deux-Sèvres (ALO 296 et Rézeau 1984). L'ALBRAM n'a pas de carte "brugnon" et Du Pineau, Ménière, VO ne connaissent pas ce mot.

« On prononce en Anjou, piépou, par corruption au lieu de piépoul, de pes pulli ». Piedpou se retrouve chez Du Pineau : « Du piedpou, du pourpié », dans les dictionnaires de Ménière et de VO. Cette forme constituée par interversion des deux termes composants est attestée depuis 1552 et bien représentée à l'époque moderne dans le Maine, l'Anjou, le Poitou et le Limousin d'après le FEW (9, 529a *PULLI PES).

Aubour, attesté depuis 1549 (Estienne) mais peu usité (FEW 24, 304b ALBURNUM), continue à vivre dans l'Ouest et le Centre, dans la Creuse et la Haute-Vienne (voir aussi Simoni-Aurembou 1974 : 490). Du Pineau n'a pas retenu ce mot tandis qu'il est bien attesté chez Ménière et VO.

Sous ORME, Ménage remarque : « En Anjou on prononce encore oumeau » et c'est cette forme qui sert d'entrée aux glossaires de Ménière et de VO. Du Pineau enregistre les formes ourmiau, ormiau mais avec le sens d'"ormeau". Les variantes oumeau, oumiau ; ourmiau, ormiau sont bien représentées à l'époque moderne dans l'Ouest et dans le Centre (FEW 14, 6b ULMUS, ALBRAM 341, ALO 338).

Il en est de même du mot fouteau "hêtre", attesté en moyen français et en français moderne, comme mot régional par le TLF et le Robert2 (FEW 3, 374a *FAGUSTELLUS) et bien localisé actuellement dans le sud-est de la Manche et l'ouest de l'Orne (ALN 445), dans le domaine de l'ALBRAM (c. 342) où il s'arrête à la Loire, et dans celui de l'ALCe (c. 144), essentiellement dans le sud-est du Loiret et le nord du Cher. C'est un mot inconnu de Du Pineau, mais bien attesté chez Ménière et VO.

Je clos cette catégorie de régionalismes lexicaux de grande extension en y incluant un régionalisme sémantique : moutarde au sens de "graine de sénevé", encore attesté chez Littré au sens 2, mais absent des dictionnaires de Du Pineau, Ménière, VO.

Les Angevinismes localisés essentiellement dans l'Ouest

Après cette série d'angevinismes qui relèvent de survivances de l'ancien ou du moyen français dans un certain nombre de parlers régionaux, nous en arrivons à des angevinismes localisés essentiellement dans l'Ouest ou au moins dans une de ses parties.

Ménage localise sus "sureau" (FEW 11, 6a SABUCUS) dans l'Anjou et dans la Normandie, ce que confirment les cartes de l'ALN (c. 455) et de l'ALBRAM (c. 350), avec extension à l'ensemble de cet atlas et de nombreuses attestations dans l'ALO (c. 339). Ce mot est absent chez Du Pineau et chez Ménière.

Castilles "groseilles rouges" a fait l'objet d'une étude de M.-R. Simoni-Aurembou dans deux communications (Simoni-Aurembou 1986, 1987) et la carte qu'elle a dressée (1987 : 53) montre une aire qui recouvre l'Aunis, la Vendée, la partie nord des Deux-Sèvres, le nord-ouest de la Vienne, tout le domaine de l'ALBRAM. Du Pineau, Ménière, VO ont également enregistré ce terme relativement récent puisqu'attesté depuis 1648 (FEW 2, I, 462b dérivé de casse, fruit du cassier).

La localisation de houdin "fragon" en Anjou est confirmée par les relevés très sporadiques faits de ce mot dans le Maine-et-Loire (ALO 356, pt 2 ; ALBRAM 354, pts 97, 98) et dans la Sarthe (ALBRAM 354, pts 114, 115, 119). Du Pineau ne connaît pas ce mot, mais il figure chez Ménière et VO.

La localisation d'échaleau : « On appelle ainsi en Anjou une noix qui commence à sécher » est également confirmée par les enquêtes de l'ALBRAM (c. 292) qui enregistrent ce mot dans le Maine et l'Anjou. Echaleau attesté depuis Ménage est même devenu le nom générique de la noix dans le nord du Maine. Du Pineau, Ménière et VO ont également noté échaleau (FEW 17, 78a *SKALA).

Dans sa définition de leard, Ménage emploie inconsciemment un autre régionalisme : « Nous appelons en Anjou leard, une sorte de bois blanc », régionalisme repris d'ailleurs par Du Pineau : « Un leyart ou léart, du bois blanc. Il y a beaucoup de leyars le long de la rivière. J'en ignore le vrai nom : espèce de saule, selon d'autres, un peuplier ». Le mot leard, sous diverses variantes, est bien attesté en Anjou, par les articles que lui consacrent Ménière et VO ainsi que par la carte 344 "peuplier" de l'ALBRAM (voir aussi Chauveau 1982). En revanche bois blanc au sens de "peuplier" n'a pas été relevé dans l'ALBRAM mais il figure dans l'ALO (c. 334), dessinant une aire dans les Deux-Sèvres, plus précisément dans les arrondissements de Bressuire et de Parthenay (pts 26, 28, 27, 53, 49, 30, 31), ainsi que dans trois localités vendéennes (pts 24, 63, 64).

Bésie. « Dans la Bretagne, dans l'Anjou, dans le Poictou [besie] signifie poire sauvage ». Du Pineau reprend ce mot attesté depuis Ménage 1650 (le FEW 1, 340a BESIE n'indique pas Ménage) et l'ALBRAM (c. 304 "des poires sauvages") montre que c'est un mot de l'Ouest, répandu dans tout son domaine, mais l'ALO (c. 309*), contrairement à l'affirmation de Ménage, ne connaît pas, ou ne connaît plus ce mot sinon par un seul point, le point vendéen 63. Bésie est absent de l'ouvrage de Ménière, mais bien attesté dans celui de VO.

Erusser. « Nous disons en Anjou erusser le chanvre, pour dire arracher la graine du chanvre avec un certain bâton fendu ». Du Pineau reprend ce verbe avec le sens que lui donne Ménage, sens attesté d'ailleurs depuis Ménage. Au sens d'"effeuiller", érusser est un verbe largement répandu dans l'Ouest, mais au sens que lui donne Ménage, les trois atlas de l'Ouest ne le localisent que très sporadiquement en Anjou et dans le centre nord de la Bretagne (ALBRAM 411 "égrener le chanvre ou le lin", FEW 10, 595b *RUSTUM). Ménière n'a pas retenu le verbe érusser, mais seulement le substantif érussée. VO, dans la partie étymologique de son article ÉRUSSER écrit : « Par curiosité je citerai Ménage ... ».

Hommée de vignes. « En Anjou », dit Ménage (« en certaines parties de l'Anjou », précise VO), « on appelle hommée de vignes ce qu'un homme peut faire de vignes en un jour ». Ménière donne la valeur de cette mesure -- 33 ares -- et étend le sens à "ce qu'un homme peut bêcher dans sa journée".

Angevinismes peu connus

Quelques angevinismes sont particulièrement intéressants car nous n'avons que très peu de renseignements sur eux, ils semblent n'avoir eu qu'une faible vitalité.

Ainsi en est-il de poivrette au sens de "nielle". Le FEW (8, 554a PIPER) indique simplement moyen français, français moderne nielle, depuis 1538. Absent du dictionnaire de Du Pineau et des glossaires de Ménière et de VO, le mot n'apparaît nulle part sur la carte 175 "nielle" de l'ALBRAM. Avec nielle, nigelle et piperelle, poivrette a fait l'objet il y a quelques années d'une étude de R. Arveiller (Arveiller 1988).

Bouter au sens de "pousser" en parlant « des arbres quand ils commancent au printans à pousser » (DEOLF, s.v. BOUTONS de fleurs) n'est attesté dans le FEW (15, I, 210b *BOTAN) qu'une seule fois, en 1588, ainsi qu'un substantif boutée "poussée d'une plante" en 1597. Ménage n'a pas été cité. Du Pineau, Ménière, VO ignorent ce verbe et les atlas régionaux n'ont pas de cartes.

Caillo rosat est ainsi défini par Ménage : « Sortes de poires, ainsi appelées de leur dureté, & de leur blancheur, & de leur goust de rose ; duquel goust on les appelle autrement poire d'eau rose. Nous les appelons en Anjou cailleau rozat [...] ». Le FEW (2, I, 96b CALJO-) relève caillot rosat en 1564 dans le dictionnaire de Thierry et chez Thomas Corneille 1694, il ne donne pas d'autres attestations. Du Pineau et Ménière n'ont pas enregistré ce mot et VO se contente de citer Ménage. Les cartes relatives aux noms des poires dans l'ALBRAM (c. 302, 304, 326) et dans l'ALO (c. 309*, 310*) ne livrent aucune attestation de ce mot.

Parmi les mots rares, on peut classer les termes qui se rapportent à des noms de raisins : bourdelais (FEW 1, 441b BORDEAUX) attesté depuis 1572 [7] (J. du Puys, Dictionaire françois-latin), blois et fiez, pineau appartenant maintenant au français général. Fiez est l'exemple même de ces mots de peu de vitalité, circonscrits à une petite région. Le FEW (3, 496a FICUS) date l'apparition de ce mot de 1387, dans un document de Poitiers, puis il le relève chez Rabelais et chez Ménage qui le localise en Anjou et, sous la forme figers, en Poitou. Une dernière localisation dans un document tourangeau étudié par Görlich semble erronée.

Le dernier nom de raisin donné par Ménage, rafar, nous amène à parler de la dernière catégorie d'angevinismes, celle de quelques mots attestés seulement depuis Ménage (carabin et moquoiseau) et sans autres références dans le FEW (rafar, poire de girofle, guesdon).

Attestés depuis Ménage 1694, deux mots ont eu des destinées différentes : carabin (FEW 11, 218b SARACENI) vit aujourd'hui du sud de la Basse-Normandie au Vendômois, l'ALBRAM (c. 5 "blé noir") ne l'atteste que dans le Maine et le nord-ouest de l'Anjou. Du Pineau l'a consigné dans son dictionnaire ainsi que Ménière et VO dans leurs glossaires. C'est blé noir que Ménage a relevé comme un semi angevinisme, écrivant sous SARAZIN : « Nous l'appelons en Anjou, comme on l'appelle à Paris, blé noir ».

Moquoiseau au contraire, attesté depuis Ménage 1694 et jusqu'à Larousse 1949 (FEW 6, III, 22b MOKK-) n'a laissé aucune trace dans le lexique des parlers de l'Ouest, du parler angevin en particulier. Il ne figure ni dans Du Pineau, ni dans Ménière, ni dans VO, ni dans les atlas linguistiques. Si Du Pineau n'accepte que peu d'angevinismes de Ménage, Ménière et surtout VO ont tendance à citer Ménage quand un mot n'a aucune vitalité. Alors comment expliquer leur silence sur moquoiseau, joliment défini par Ménage :

Attestés seulement depuis Ménage, et sans autres références dans le FEW : rafar "nom de raisin" (FEW 16, 655a RAFFEN) ; poire de girofle "nom de poire" (FEW 2, I, 446b CARYOPHYLLUM) ; guesdon "pastel" (FEW 17, 471b *WAIZDA-). Si guede est attesté depuis l'ancien français, guesdon n'est relevé que chez Ménage (1650).

Deux angevinismes sont attestés beaucoup plus tardivement, le FEW n'ayant pas noté la référence chez Ménage : casse-pierre (FEW 2, II, 1432a daté de 1803, Boiste) ; enerter (FEW 3, 318b *EXSARTUM et 25, 165b AREA) relevé dans les glossaires du Maine au XIXe siècle, bien attesté dans le Maine et l'Anjou au sens d'"ensemencer" (ALBRAM 468).

Un mot enfin est un précieux témoin de la vie dans les temps anciens : lignier, "C'est le lieu où l'on met le bois à Angers", que Ménage qualifie déjà de vieux mot inusité mais qui se rapporte, nous apprend VO sous l'entrée LIGNY, à un quartier d'Angers, au port d'Angers, où l'on mettait le bois. Ainsi la toponymie vient-elle au secours de Ménage soucieux de conserver les vieux mots.

Sur les 52 angevinismes de Ménage, deux seulement sont localisés à tort en Anjou : test "coque de la noix" et binne, bin "pépin" [8], absents du dictionnaire de Du Pineau, des glossaires de Ménière et de VO ainsi que des cartes de l'ALBRAM. En ce qui concerne test, son aire géographique recouvre actuellement le sud de la Vienne, le département de la Charente et, par quatre points (pts 67, 69, 108, 74), celui de la Charente Maritime (ALO 319 et 314 [9]).

Ménage serait-il un créateur de mots qu'il présenterait comme des mots régionaux ? Ces mots là, Du Pineau à la recherche de mots angevins chez Ménage ne les adopte pas : rafar, poire de girofle, moquoiseau, binne, guesdon, appartiennent à cette catégorie.

Dans une étude diachronique des mots régionaux de l'Ouest, Ménage est un informateur précieux car il offre l'avantage d'être à la fois un érudit, un grammairien et en même temps un homme profondément attaché à sa petite patrie et respectueux de son parler. C'est un informateur sûr, du moins en ce qui concerne les mots de son pays natal, comme nous venons de le voir sur un corpus limité et thématique.

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Notes

4. Dans l'édition de 1694, simplement une entrée AUBESPIN, avec renvoi à ESPINE, mais rien s.v. ESPINE.

5. Sous réserve que les dictionnaires français accueillent toujours plus ou moins des régionalismes (Roques 1988 : 235-50).

6. Plus probablement d'un latin vulgaire *acricella, d'après l'étymologie proposée par Gamillscheg.

7. 1572 dans l'article, mais 1573 dans l'annexe bibliographique.

8. « Pour pinne, nous disons binne en Anjou & au Maine : où l'on dit aussi bin au masculin ».

9. FEW 13, I, mal classé s.v. TECTUM (151a), à mettre s.v. TESTU (287b).