Chez les Anciens, enthousiasme signifie transe, ravissement, relation à Dieu. L'enthousiasme est Agapè dirigé vers une idée, un objet. Nous en avons tous fait l'expérience. Quand nous aimons et croyons du fond de notre âme en quelque chose, nous nous sentons plus forts que le monde, et nous sommes pris d'une sérénité qui provient de la certitude que rien ne pourra vaincre notre foi. Cette force étrange nous fait toujours prendre les bonnes décisions au moment voulu et, lorsque nous atteignons notre objectif, nous sommes surpris de nos propres capacités. Car, au cours du Bon Combat, rien n'a plus d'importance, nous sommes portés par l'enthousiasme jusqu'à notre but.
    L'enthousiasme se manifeste normalement de toute sa puissance pendant les premières années de notre vie. Nous sommes encore très liés au divin, et nous nous attachons si fort à nos jouets que nos poupées prennent vie et que nos petits soldats de plomb parviennent à marcher. Quand Jésus a dit que le royaume des cieux appartenait aux enfants, il faisait allusion à Agapè sous la forme de l'enthousiasme. Les enfants sont venus à lui sans s'intéresser à ses miracles, à sa sagesse, aux pharisiens et aux apôtres. Ils venaient heureux, mus par l'enthousiasme. [...]
    L'homme est le seul être, dans la nature, qui ait conscience de sa mort prochaine. Pour cette raison, et pour cette raison seulement, j'ai un profond respect pour l'espèce humaine [...]. Même en sachant que ses jours sont comptés et que tout finira quand il s'y attendra le moins, l'homme fait de la vie une lutte digne d'un être éternel. Ce que les gens appellent vanité - laisser des oeuvres, des enfants, faire en sorte que son nom ne soit pas oublié -, je considère cela comme l'expression suprême de la dignité humaine.
    Il se trouve que, créature fragile, il tente toujours de se cacher la certitude suprême de sa mort. Il ne voit pas que c'est elle qui le motive pour réaliser les meilleures choses de sa vie. Il a peur du passage dans l'ombre, de la grande terreur de l'inconnu, et le seul moyen qu'il ait de vaincre cette peur, c'est d'oublier que ses jours sont comptés. Il ne comprend pas que, conscient de la mort, il serait capable d'avoir plus d'audace, d'aller beaucoup plus loin dans ses conquêtes quotidiennes, puisqu'il n'a rien à perdre, dès l'instant où la mort est inévitable.

(Paulo Coelho, O Diario de um mago, trad. F. Marchand-Sauvagnargues)