Quand on se donnait rendez-vous, dans le passé, le soleil devait servir de repère pendant le jour et les étoiles la nuit. L'aurore, l'heure de midi, le coucher du soleil s'offraient en guise de points cardinaux... Dans nos villes, on ne trouve plus de cadrans solaires que comme une fioriture décorative. Il n'en fut pas toujours ainsi: au XVIIe siècle, par exemple, il n'y avait pour ainsi dire pas de venelle à Nuremberg où l'un au moins de ces cadrans n'indiquât l'heure... Nous débouchons parfois sur une place qui brille, solitaire, aux rayons de midi. L'ombre d'un obélisque se meut dans sa ronde sur la pierre brûlante. Nous sentons comme elle est indépendante, extra-terrestre, dans le cercle qu'elle décrit. On peut l'imaginer sans la présence d'hommes, d'êtres vivants - poursuivant ses rondes dans un monde mort. Quand l'objet est élevé, comme par exemple les cônes des volcans, la pointe de l'ombre nous frôle au passage, ainsi qu'un oiseau. Ce contact nous fait pressentir quelles ailes colossales tournoient, invisibles, dans l'espace d'entre les mondes, ne se révélant à nos regards que dans les éclipses. Leur course immense et sans pesanteur nous donne une vague image d'une puissance spirituelle.

Ernst Jünger, Das Sanduhrbuch, trad. Henri Plard